PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à l'immigration.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis mars 1996, la lutte des « sans-papiers » est symbolique de la volonté de milliers d'êtres humains, rendus clandestins par un ensemble de lois et de dispositifs policiers et administratifs, de sortir de l'ombre.
Ne pas nous habituer aux atteintes à la dignité que constitue cette politique de l'immigration fondée sur une approche sécuritaire : tel est le message qu'ils nous adressent.
De ce message, le collège des médiateurs, composé de personnalités telles que l'ancien ambassadeur de France Stéphane Hessel, l'amiral Sanguinetti, des universitaires comme Monique Chemiller-Gendreau, s'est fait l'écho. Il a contribué à la définition d'une autre approche du phénomène de l'immigration, fondée sur les droits de l'homme.
Cela s'est traduit, le 19 novembre dernier, au Sénat, où le collège des médiateurs tenait ses assises, par l'élaboration de critères sur la base desquels les sans-papiers seraient régularisables si le Gouvernement appliquait l'équité, ainsi que par une réflexion de fond sur l'ensemble des questions relatives aux flux migratoires.
Cette approche est la nôtre, et c'est pourquoi nous combattons le texte inhumain qui nous est aujourd'hui proposé.
Nous considérons qu'il est de notre devoir de déconstruire jusqu'au bout la logique sécuritaire qui prévaut en France et en Europe depuis de nombreuses années.
Parallèlement, et même si cela ne recoupe pas tout le phénomène des flux migratoires ayant pour point de passage la France, loin s'en faut, il est nécessaire de s'atteler à la mise en place de véritables coopérations, qui s'attaqueraient, au Nord comme au Sud, à l'Ouest comme à l'Est, à la primauté des marchés financiers sur le développement et l'emploi.
La situation économique, en particulier dans les pays du tiers monde et en Europe de l'Est, s'aggrave, et ce depuis de nombreuses années. La seule coopération qui vaille est celle qui a pour objectif de permettre à chacun de vivre et de travailler dans son pays, dans sa région.
Permettez-moi de citer les experts internationaux du programme de développement de l'ONU : « En fait, jamais le monde n'a marginalisé autant de personnes, alors que les échanges mondiaux de marchandises et de services ne cessent de se développer. Qu'elle se fasse dans les pays riches ou pauvres, la course à l'augmentation des parts de marchés provoque toujours les mêmes effets : elle survalorise la productivité, les restrictions salariales, l'équilibre des budgets et la réduction des services publics. »
Est-ce à dire que la France serait menacée, comme certains ont pu le craindre ou le craignent toujours, par toute la misère de ce monde qui déferlerait sur elle et les autres pays occidentaux ? Les déplacements de population, imposés à l'Est et au Sud par la guerre économique ou la guerre tout court, se sont certes multipliés. Toutefois, ces flux sont résorbés, pour la plupart, par d'autres pays de ces ensembles un peu moins pauvres ou en paix.
D'ailleurs, en France, le taux de la population étrangère par rapport à la population globale reste stable depuis vingt ans.
Pour remédier à ces déplacements forcés qui n'ont rien à voir avec la liberté d'aller et de venir que nous défendons, il faudrait développer l'aide favorisant l'autosuffisance alimentaire, alors que, aujourd'hui, l'aide contribue surtout à bien arrimer les pays « bénéficiaires » aux intérêts financiers, à travers la substitution de produits importés à des productions locales, comme dans le cas du blé américain ou européen dont le déversement sur les marchés urbains africains décourage les producteurs locaux et explique la quasi-stagnation de la production céréalière.
Annuler la dette des pays du tiers monde et taxer, comme le prévoit d'ailleurs le programme de développement des Nations unies, les mouvements de capitaux de 0,05 %, soit un dixième de la « taxe Tobin », du nom du prix Nobel d'économie, pour dégager 146 milliards de dollars par an en faveur du développement, constituerait une des mesures nécessaires pour sortir ces pays de l'ornière dans laquelle la dictature des marchés financiers les enfonce.
Ce chiffre est à mettre en rapport avec les 40 milliards de dollars que l'ONU estime nécessaire de mobiliser chaque année jusqu'en 2005 pour atteindre les objectifs essentiels du développement humain.
Cette logique de coopération mutuellement avantageuse contredit évidemment les politiques mises en oeuvre par Maastricht et les critères de convergence pour l'éventuel passage à la monnaie unique. Elle arrêterait le pillage de ces pays et contribuerait à compenser certains des dégâts occasionnés à ces peuples par trois siècles d'esclavagisme et de colonialisme.
Elle supposerait l'instauration d'un instrument monétaire commun, dont une des fonctions serait de participer au financement de ces coopérations mutuellement avantageuses.
L'immigration, monsieur le ministre, ne doit plus être abordée d'emblée comme un problème : elle doit être envisagée comme un possible début de solution au problème réel qu'est l'aggravation de la surexploitation des hommes, des femmes et des enfants, d'autant qu'il existe dans notre pays un besoin d'échange de savoirs, de marchandises et de culture.
Là encore, pour élaborer efficacement des solutions avec tous les acteurs concernés, nous avons un devoir de vérité envers nos concitoyens.
La réalité, c'est un budget de l'aide au développement qui n'est absolument pas à la hauteur des besoins depuis de nombreuses années. D'ailleurs, ce budget est encore en baisse de 7 % cette année. Il faut ajouter que l'utilisation des fonds est pour le moins douteuse et que des établissements comme la Caisse française de développement dégagent d'immenses profits au lieu de consacrer tout cet argent au développement.
L'insuffisance des sommes allouées à l'aide au développement, combinée aux lois et dispositifs policiers ou administratifs discriminatoires, a des effets désastreux sur l'image et le rayonnement de la France. Les peuples et gouvernements, en particulier ceux d'Afrique francophone, se sont sentis trahis lors de l'expulsion à la hache des sans-papiers de l'église Saint-Bernard (Exclamations sur les travées du RPR) et des interventions militaires répétées en Centrafrique ; ils risquent de se détourner d'elle.
C'est ce qu'a pu constater, dans un rapport récent, le groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest du Sénat qui relève qu'aujourd'hui le renouvellement d'une « élite » attachée à la France ne se fait plus.
Il convient également de noter que les immigrés venant de régions pauvres transfèrent souvent vers leur familles restée au pays des sommes supérieures à l'aide au développement attribuée par les Etats comme le nôtre.
Ces sommes ne génèrent pas toujours, loin s'en faut, des dépenses productives sur place. Mais nous avons vu que ce n'est pas non plus le cas de l'aide au développement, surtout si elle ne fait l'objet d'aucun contrôle et si elle est, en outre, orientée à la baisse.
Pour tenir compte de ces réalités et sortir du cercle infernal de la seule répression, illustré par les lois Pasqua, les concepts d'« Europe forteresse » et d'« immigration zéro », il faudrait pratiquer une politique progressiste de l'immigration en France, s'inscrivant dans la perspective d'une société française démocratique, libre et axée sur le progrès social, oeuvrant pour développer des coopérations mutuellement avantageuses dans le monde. Cette politique irait à l'encontre de la guerre économique et de la mise en concurrence des hommes et des peuples qu'imposent les marchés financiers.
Cette position nous fait, bien sûr, refuser la politique de l'immigration zéro, qui est un leitmotiv de la plupart des gouvernements depuis 1975, qui nourrit l'illusion selon laquelle il est souhaitable de stopper toute immigration et possible d'arrêter l'immigration de survie par des mesures administratives ou policières.
Mais elle nous fait également refuser la logique que défendent les tenants d'un libéralisme intégral en matière de circulation des capitaux et des personnes, qui considèrent l'émigrant comme une marchandise parmi d'autres, en droit de se présenter partout sur le marché mondial.
Elle nous amène enfin à refuser une politique des quotas proposée par d'aucuns, qui s'inscrirait dans la même logique que celle qui prévaut à Bruxelles, évaluant le besoin d'immigrés, comme on évaluerait le besoin d'une marchandise disponible sur le marché, à 7 millions dans les années à venir.
Ces deux logiques ultralibérales et sécuritaires n'ont que deux buts, avoués ou inavoués : l'inclusion clandestine d'un nombre croissant de migrants, qui les met dans l'impossibilité de revendiquer et de dénoncer les filières clandestines, dont eux et plus encore les Français sont victimes, ou la surexploitation à tout crin, légale cette fois-ci, des salariés français et immigrés.
L'une prépare et facilite l'autre, et ne doutons pas que ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, se prononcent pour l'immigration zéro se feront, demain, les apôtres des déplacements de populations imposés par la mondialisation du libéralisme.
Le président Chirac, lors de l'inauguration de l'espace « cyber-jeunes » à Boulogne, n'a-t-il pas proposé à une jeune femme la seule solution de l'expatriation pour trouver un travail ? La perspective d'occuper un emploi stable et payé à sa juste valeur serait-elle définitivement hors d'atteinte en France ? A quand des charters pour les jeunes chômeurs français qui iront se faire surexploiter par des patrons coréens ? M. Gérard Braun. N'importe quoi !
Mme Nicole Borvo. A l'opposé de ces logiques comptables et discriminatoires, desquelles participe ce projet de loi et avec lesquelles il faut rompre, nous défendons une conception de l'immigration fondée sur les droits de l'homme et contribuant à un véritable codéveloppement entre pays concernés. Ce codéveloppement devrait être organisé, rationalisé et accepté par tous.
Cela suppose bien sûr, comme l'a évoqué mon ami Robert Pagès dans son intervention, une stabilisation et une reconnaissance des situations des immigrés établis en France, ainsi que l'introduction du droit de vote pour les élections municipales, européennes et prud'homales.
Elle devrait être accompagnée d'un effort mutuel de rencontre des différences, ceux qui viennent devant accepter de renoncer aux pratiques de leur société d'origine les plus en contradiction avec celles de la société dans laquelle ils veulent vivre - polygamie, mariage forcé des filles, excision, etc.
Cette nouvelle politique de l'immigration s'attellerait à créer les possibilités humaines et matérielles de retours volontaires dans la dignité et de coopérations permettant, dans des cadres à définir avec tous les intéressés, des émigrations alternées.
Aujourd'hui, des départements et des communes élaborent, dans la limite de leurs moyens mais avec succès, ces nouvelles coopérations auxquelles participent les personnes originaires de ces pays. Pourquoi l'Etat resterait-il au bord de la route et ne prendrait-il pas ses responsabilités en ce qui concerne les financements lourds nécessaires, par exemple pour la réalisation de l'irrigation des vallées fossiles au Sénégal ?
Toutes ces pistes sont à explorer et au moment où 44 % seulement des Français se sentent à la fois éloignés du Front national et de ses idées, il est grand temps de dire la vérité et de dénoncer le poison du mensonge qui s'est répandu insidieusement dans nos sociétés.
Si l'immigration pose un certain nombre de questions à notre société, il est indispensable de mettre en évidence son apport positif, qui va bien au-delà du seul travail productif.
Avant de prendre, une fois de plus, des dispositions répressives, il serait judicieux de dresser le bilan de la législation en vigueur et d'ouvrir un réel débat sur la politique de l'immigration.
Nous avons confiance en notre peuple qui a su se mobiliser, pendant le mouvement de novembre-décembre 1995, éprouver de la sympathie et organiser la solidarité au quotidien pour ceux qui, comme les « sans-papiers », sont victimes de situations inhumaines et ubuesques, restant fidèle en cela à l'héritage démocratique et universel de la Révolution de 1789.
Tout au long de ce débat que nous allons nourrir de nos amendements en faveur d'une autre politique de l'immigration, cet esprit empreint des valeurs républicaines fondées sur l'égalité et la liberté nous habitera. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, environ six mois après l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard, nous voici réunis pour une nouvelle modification, la vingt-quatrième, me semble-t-il, de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Certes, je comprends bien que la loi, surtout quand elle traite d'un sujet important comme l'immigration, est indéfiniment perfectible. Néanmoins, voilà un peu plus de trois ans, nous étions nombreux à nous élever contre le vote des lois Pasqua. Force est de constater aujourd'hui que notre indignation était alors légitime.
Le dispositif législatif élaboré en 1993 s'est, en effet, révélé inapplicable, et vous le savez d'ailleurs mieux que quiconque, monsieur le ministre, car vous le vivez au quotidien.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas exact !
M. Jean-Michel Baylet. Il aura fallu du temps, le désespoir manifeste de plusieurs dizaines d'Africains réfugiés dans une église puis l'avis du Conseil d'Etat pour que le Gouvernement admette, monsieur le ministre, la nécessité de ce que vous appelez « un aménagement ».
Le texte qui nous est soumis ne vise pas, en effet, à rouvrir le chantier de l'immigration. Je vous en donne acte. Il cherche, comme vous l'avez très bien exposé, monsieur le rapporteur, d'une part, à remédier aux difficultés rencontrées pour le contrôle de l'entrée des étrangers sur le territoire français et, d'autre part, à résoudre le problème de l'existence de catégories d'étrangers qui ne sont « ni éloignables ni régularisables ».
Enoncées comme telles, ces intentions peuvent recueillir, je crois, l'assentiment de la plupart d'entre nous. Toutefois, êtes-vous sûr, monsieur le ministre, comme certains l'étaient déjà en 1993, que le texte permettra de clarifier toutes les situations ? Etes-vous sûr qu'il constitue une réponse adaptée aux conséquences de l'immigration irrégulière ?
Quoi qu'il advienne, il est clair, depuis son adoption avec modifications par l'Assemblée nationale, que ce projet de loi, présenté initialement comme un texte d'ajustement du droit en vigueur, ouvre la porte à une dérive liberticide. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Certains de nos collègues députés croient pouvoir régler le problème de l'immigration clandestine par des mesures répressives et spectaculaires. Je pense, pour ma part, que ces dernières visent seulement à flatter un certain électorat et, si possible, à séduire une partie de l'opinion publique gagnée par l'intolérance et les sentiments xénophobes.
C'est pourquoi il me semble qu'un sujet aussi sensible ne doit pas être traité au détriment de la liberté et des droits. Or, si on détaille le texte tel qu'il a été transmis à notre assemblée, on peut constater qu'un grand nombre de mesures portent directement atteinte aux libertés individuelles.
Dès l'article 1er, les principes fondamentaux de la Constitution ne sont pas loin d'être bafoués. La possibilité pour l'Office des migrations internationales de procéder à des visites au domicile de l'hébergeant et l'obligation faite à ce dernier de déclarer à la mairie le départ de l'étranger hébergé engendreront un climat de suspicion qui n'est pas sans rappeler des moments douloureux de notre histoire.
A l'article 4, le renouvellement de plein droit de la carte de résident de dix ans est supprimé en cas de « menace pour l'ordre public ». Cette modification essentielle appelle deux remarques. D'abord, le flou qui entoure la notion de menace pour l'ordre public ouvre incontestablement à l'administration des possibilités d'appréciation trop étendues. Ensuite, cette disposition remet en cause la loi sur la carte unique de dix ans votée en 1984 et qui constitue un droit au séjour pour les étrangers durablement installés en France. Attaquer cet acquis risque de placer les étrangers dans une situation d'insécurité permanente et d'enrayer toute tentative d'intégration.
Mme Joëlle Dusseau. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Le texte ouvre la perspective d'une carte de séjour d'un an à ceux que l'on a appelés les « ni régularisables, ni expulsables ». C'est un premier pas, certes timide, mais qui a le mérite d'exister. Toutefois, et je le regrette, cette disposition a été durcie au Palais-Bourbon. Pourquoi chercher à exclure du bénéfice de cette offre de régularisation les étrangers présents en France depuis plus de quinze ans ? Cette attitude ne traduirait-elle pas tout simplement une profonde réticence à procéder à des régularisations ?
Par ailleurs, le report de la délivrance de la carte de séjour temporaire après deux ans de mariage ou le refus de cette même carte pour les parents qui ont procédé à une reconnaissance tardive de leur enfant maintiendront une catégorie d'étrangers dans une zone de non-droit.
D'autres exemples encore témoignent de la volonté d'une frange de la représentation nationale de durcir la législation actuelle afin de limiter les régularisations. Le passage de vingt-quatre heures à quarante-huit heures de la durée de rétention possible sans contrôle d'un juge, la possibilité de fouiller des véhicules, la confiscation des passeports, la prise et le fichage des empreintes digitales des étrangers, toutes ces mesures vont à l'encontre des libertés et du respect de la dignité de la personne humaine. Elles s'inscrivent dans une logique de gestion répressive de l'immigration. On se retrouve face à un dispositif truffé de mesures discriminatoires et qui nie toute possibilité d'intégration aux étrangers durablement installés dans notre pays.
J'espère que notre assemblée, choquée et surprise par la gravité des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, réintroduira plus d'humanité dans ce projet de loi. Déjà, dans sa sagesse, la commission des lois en a saisi les principaux dangers. Si la philosophie de ce texte, parce qu'elle s'inscrit dans la ligne des lois de 1993, ne retient pas mon approbation, sachez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que je serai très attentif aux amendements de la commission et à ceux qui viseront à supprimer les aspects les plus répressifs du texte.
Cependant, tout en souhaitant apporter les ajustements techniques nécessaires, je m'interroge sur la politique qui le sous-tend. Celle-ci est bien entendu fondée sur le principe d' « immigration zéro », chère au Gouvernement et à la majorité. (M. le président de la commission fait un signe de dénégation.) Et c'est sur ce point que j'émettrai les plus grandes réserves. En effet, on peut toujours, depuis 1945, modifier et remodifier les lois relatives à l'immigration. Mais, sans remettre en cause la compétence du législateur, les différentes adaptations aux lois conduisent bien souvent à un défaut de cohérence et à la multiplication des situations complexes. A terme, nous finissons bien souvent par refondre des blocs de lois.
En l'occurrence, si l'on ne s'interroge pas sur l'origine des difficultés, ces dernières rejailliront toujours sous une forme ou sous une autre. Alors, mes chers collègues, il est peut-être temps de revenir sur ce concept d'« immigration zéro ». Il est vain de croire que la France puisse cadenasser ses frontières et se tenir seule, ou même avec l'Europe, à l'écart des mouvements migratoires.
C'est pourquoi il faudrait faire place à une autre politique pour l'immigration, une politique qui serait respectueuse des traditions de solidarité et d'accueil de notre pays. Bien sûr, je le conçois, il est bien difficile de trouver une politique d'immigration, peut-être parce que, finalement, cette idée n'existe pas.
En effet, comment maîtriser un phénomène qui, par essence, implique le mouvement et l'immigration et qui ne peut donc pas être organisé à sa guise par un Etat ? Dans le passé, comment aurions-nous pu quantifier des Italiens qui fuyaient le fascisme, des travailleurs ma-ghrébins que nous sollicitions en période de croissance économique et qui sont restés en fondant des familles, souvent nombreuses ? L'histoire des flux migratoires est extrêmement variée, sans que les pays d'accueil en assurent la maîtrise.
Par ailleurs, un contrôle des flux sous-entend la crainte d'invasion migratoire de milliers d'étrangers attendant à nos portes, car il y a, bien entendu, un flux plus ou moins important d'étrangers, qui correspond à des nécessités d'ordre économique, culturel ou humanitaire. Mais, au fil des décennies, ces mouvements ont toujours existé dans les mêmes proportions. C'est un fait important, qu'il conviendrait d'expliquer à cette partie de l'opinion souvent tentée par la peur de l'étranger et qui trouve un exutoire dans l'extrême droite.
Si l'immigration zéro est un leurre, l'idée des quotas mérite que l'on s'y arrête quelques instants, mes chers collègues.
Tout d'abord, si l'essentiel du problème réside dans la maîtrise de l'immigration clandestine et non dans l'organisation d'un flux régulier d'immigration, l'introduction des quotas n'empêchera jamais l'entrée d'étrangers de façon irrégulière en France, puisque, par définition, les quotas ne peuvent s'appliquer qu'aux arrivées régulières.
Si une action particulière doit être menée sur ce terrain, elle doit impérativement se focaliser sur deux points, et deux points seulement : d'une part, le contrôle efficace des frontières, et, pour cela, il faut donner à l'administration les moyens de le faire ; d'autre part, la lutte contre le travail clandestin, ce qui revient à s'attaquer à la fois aux filières organisées d'immigration clandestine et aux diverses mafias qui emploient des travailleurs en situation irrégulière.
Au-delà de la réelle difficulté à obtenir des résultats, il faudrait aussi se demander où sont les intérêts financiers en jeu et comment les combattre.
En ce qui concerne les flux réguliers d'immigration, on peut constater que la restriction de la délivrance des visas, depuis dix ans, a considérablement diminué le nombre d'entrées régulières en France sans que soit institué un système annuel de quotas par nationalité. Et dans le cas où ce dernier système serait installé, comment pourrions-nous décider du chiffre adéquat par masse annuelle et par nationalité ? Quels seraient les critères rationnels de choix ? Le risque d'exagération à la baisse sur certaines nationalités serait grand, ce qui exposerait immanquablement notre pays aux plus vives critiques sur ses dérives racistes et xénophobes. Un autre danger réside dans le fait que les quotas appliqués dans chaque préfecture interdiraient les admissions exceptionnelles au séjour, à titre humanitaire par exemple.
Un dispositif restrictif nous placerait en porte à faux avec la convention européenne des droits de l'homme, qui pose le principe du droit à mener une vie familiale normale. Rappelons aussi que les quotas ne seraient pas applicables aux pays de l'Union européenne, dont la population bénéficie d'un droit de séjour dans l'Union. Les quotas ne sont d'ailleurs pas davantage applicables aux demandes d'asile, qui concernent des personnes fuyant leurs pays, souvent dans l'urgence, créant ainsi un flux peu canalisable.
Peut-on aussi imaginer quantifier l'accueil des étudiants étrangers, sachant que la France a toujours affirmé son devoir républicain de formation des élites des pays les plus défavorisés ?
Enfin, au-delà des arguments développés plus haut, le recours aux quotas d'immigration paraîtrait d'autant plus inutile qu'il présenterait l'inconvénient certain de créer une demande forte et soudaine, en quelque sorte préventive, qui viendrait inévitablement gonfler le flux d'immigration clandestine.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne suis pas d'accord !
M. Jean-Michel Baylet. Si ces politiques me paraissent vouées à l'échec, c'est parce que nous devons, à mon avis, trouver dans les ressources de la tradition républicaine française les réponses les plus adéquates à un phénomène exagérément monté en épingle.
Sans prétendre que le choix d'une politique comme celle que je viens d'énoncer réglerait tous les problèmes, je suis en tout cas certain que la fermeté et la répression rassurent les Français plus qu'elles ne dissuaderont les immigrés les plus déshérités de tenter de venir chez nous. C'est pourquoi, fidèle à sa tradition d'accueil, la France doit accorder un statut stable aux étrangers présents sur le territoire et mener une politique d'immigration soucieuse des réalités, efficace et respectueuse de l'individu. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à vous rappeler que ce débat est organisé et qu'il appartient par conséquent aux divers orateurs de respecter les temps de parole qui ont été définis.
C'est ainsi que M. Vallet, dernier orateur du groupe du RDSE, ne dispose plus que d'un peu moins de cinq minutes pour intervenir, ce dont je lui demande de bien vouloir tenir compte.
La parole est à M. Serge Mathieu.
M. Serge Mathieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, terre d'accueil reconnue et incontestée, la France est un Etat républicain qui a son identité propre, sa culture, ses traditions, ses lois, qu'elle n'entend ni renier ni voir bafouer sous couvert d'une démagogie humanitaire.
Certes, accueillir et intégrer les immigrés en situation régulière est l'un des devoirs essentiels de notre pays, considéré comme la patrie des droits de l'homme et de la liberté.
Notre communauté nationale est enrichie de ce brassage humain. Comment ne pas le reconnaître ?
Mais la France entend définir par elle-même les critères et les conditions de cet accueil. C'est une politique normale et surtout nécessaire si nous voulons conserver une France accueillante et tolérante, qui intègre et assimile la population immigrée respectueuse de notre droit.
Il ne s'agit pas d'adopter et de développer des comportements xénophobes et racistes, que tous deux je condamne fermement et qu'il faut combattre sans relâche.
La France doit cependant cesser d'être considérée comme une mère nourricière de la misère du monde. Elle n'en a plus les moyens aujourd'hui, et sans doute pour longtemps.
Depuis un an, on constate que le taux d'exécution des mesures d'éloignement s'est amélioré. Il faut poursuivre cet effort ! Je tiens à ce propos à rendre hommage à M. le ministre de l'intérieur pour son courage et sa détermination dans son action. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Force est cependant de constater, au vu des deux excellents rapports parlementaires Philibert-Sauvaigo et Courson-Léonard, et de l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard, que de nouveaux aménagements dans notre législation se révèlent nécessaires.
Nous devons, une fois de plus, renforcer notre droit pour lutter encore plus efficacement contre l'immigration clandestine.
Cette même préoccupation a motivé l'adoption des lois des 24 août et 30 décembre 1993, qui ont opéré une profonde réforme en matière de droits des étrangers.
Il nous faut compléter cet arsenal législatif, déjà important et complexe. J'apporte mon total soutien au projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, dont nous débattons aujourd'hui. L'immigration est au coeur de notre société, et elle constitue, à l'heure actuelle, un réel problème à la fois humain, identitaire, économique et de sécurité.
Face à cette situation, il est de notre devoir d'élus d'adopter une attitude responsable et de prendre les mesures qui conviennent.
La Haute Assemblée a voté, le 15 janvier 1997, le projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal. L'adoption de ce texte, qui réprime plus sévèrement l'emploi illégal d'étrangers clandestins et l'emploi illégal des étrangers sans autorisation de travail, est un premier pas.
Cela constitue aussi, déjà, une avancée décisive en matière d'immigration. Le dispositif prévu rend en effet fort périlleux le recours à ces emplois dissimulés et devrait, en conséquence, assécher l'attrait que représente la France pour un certain nombre d'étrangers dans la mesure où les employeurs seront moins tentés d'utiliser une telle main-d'oeuvre.
Nous devons maintenant faire le deuxième pas. Habituellement, le premier pas est considéré comme le plus difficile ; je crains que ce ne soit pas présentement le cas.
Lors de la discussion à l'Assemblée nationale de ce projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, certaines améliorations ont été apportées au texte. La presse s'en est fait l'écho en qualifiant cette démarche de « durcissement ». De son côté, comme nous l'ont exposé son président, M. Jacques Larché, et son rapporteur, M. Paul Masson, la commission des lois propose de gommer certaines aspérités du texte ajoutées par l'Assemblée nationale.
Pour ma part, il me paraît primordial que tous les moyens possibles et appropriés à l'ampleur du problème soient recherchés afin de limiter au maximum les abus, les fraudes et les détournements de procédure.
Les objectifs du projet de loi ont déjà été clairement énoncés, et je n'entends pas revenir sur leur bien-fondé. Je tiens juste à insister sur quelques points fondamentaux, ô combien symboliques et controversés.
Tout d'abord, en ce qui concerne les certificats d'hébergement, je suis favorable à l'instauration de règles plus strictes. Le dispositif actuel n'offre en effet pas de garanties suffisantes pour empêcher les séjours irréguliers.
Il faut responsabiliser tous les acteurs de cette procédure. C'est pourquoi obliger l'hébergeant à déclarer à la mairie le départ de l'étranger hébergé me paraît une bonne mesure, et il convient d'établir des sanctions pour le cas de non-respect de cette obligation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous l'aviez proposé !
M. Jacques Mahéas. C'est complètement inutile, il faut le savoir !
M. Serge Mathieu. Le deuxième point que je désire aborder, et que j'ai déjà traité dans une proposition de loi déposée à l'automne dernier, est celui du délai de rétention administrative, objet de l'article 8 du présent projet de loi.
Chacun sait que la durée maximale de cette rétention est, en France, de dix jours. Nous détenons le record du délai le plus court de toute l'Europe.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est notre honneur !
M. Serge Mathieu. Cette brièveté explique les difficultés matérielles de mise en oeuvre des mesures d'éloignement.
On ne peut cependant remettre en cause cette limitation de durée, car le Conseil constitutionnel a défini de façon très stricte les conditions pour que la rétention ne porte pas atteinte à la liberté individuelle garantie par la Constitution. Je déplore cette jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui paralyse le système et empêche de l'améliorer.
Il faudra bien un jour attaquer le problème de front, notamment en vue d'une harmonisation avec nos partenaires européens.
Enfin, le dernier élément sur lequel je tiens à m'exprimer est la question de l'attribution ou non de la carte de séjour temporaire à l'étranger en situation irrégulière résidant en France depuis plus de quinze ans.
L'Assemblée nationale a supprimé la disposition qui tendait à accorder de plein droit cette carte temporaire ; elle a même considéré que ces étrangers pouvaient faire l'objet d'une mesure d'éloignement.
Le Gouvernement et la commission des lois du Sénat proposent de rétablir l'attribution de la carte temporaire à cette catégorie d'étrangers.
Je n'abonde pas dans ce sens. En effet, le fait d'octroyer à ces étrangers irréguliers une carte de séjour me paraît constituer un risque : le risque de voir cette mesure considérée comme la « voie » pour les étrangers qui envisagent de pénétrer irrégulièrement en France et le risque qu'elle soit aussi perçue comme une prime au long séjour clandestin.
Mme Monique ben Guiga. Ils risquent gros, les étrangers !
M. Claude Estier. Quinze ans !
M. Serge Mathieu. Certes, il s'agit de trouver une solution pour les personnes qui sont actuellement sur notre territoire et qui ne peuvent être ni régularisées ni éloignées. Cela concerne, on le sait, un petit nombre d'individus.
Je trouve préférable de voir traiter ces cas particuliers par les préfets, conformément à une circulaire que vous leur adresseriez, monsieur le ministre, et d'établir comme règle de droit que les étrangers irréguliers, quelle que soit la durée de leur séjour, sont expulsables, si d'autres paramètres ne leur permettent pas d'obtenir une carte de séjour.
Pour toutes les raisons que je viens de développer, je voterai en faveur de ce texte, et j'invite tous ceux qui veulent lutter contre le racisme et la xénophobie, tout en préservant notre Etat de droit, à en faire autant. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Marquès.
M. René Marquès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention sera différente des discours des orateurs précédents. En ma qualité de sénateur des Pyrénées-Orientales, je souhaite en effet apporter un témoignage sur la situation de l'immigration irrégulière dans ce département, véritable laboratoire, et, partant de là, opérer une extrapolation s'agissant de l'Hexagone.
Les informations que je vous donnerai sont, bien sûr, tirées de textes officiels et ne sont pas des vues de l'esprit.
J'indique d'ailleurs immédiatement, monsieur le ministre, que je ne ne mettrai nullement en cause, dans mon intervention, votre projet de loi, auquel je souscris.
Mon département est le plus méridional de la France avec, à l'Est, la Méditerranée et, au Sud, les Pyrénées, qui marquent la frontière entre la France et l'Espagne.
Ce département a toujours été un pays de « marche » et un lieu de passage privilégié, voire obligé, d'un nombre considérable de Maghrébins à la recherche d'un lieu d'accueil.
Aujourd'hui, les Pyrénées-Orientales sont toujours le couloir, le passage obligé des flux Nord-Sud et Sud-Nord, et la ville du Perthus reste l'un des postes frontaliers les plus importants, emprunté chaque jour par plus de 4 000 camions et, bien sûr, par quelques passagers clandestins.
Je tenterai ce soir d'expliquer pourquoi il existe une immigration irrégulière et mon exposé sera articulé autour de trois questions : tout d'abord, comment l'entrée irrégulière sur le territoire national est-elle possible ; ensuite, comment un irrégulier parvenu sur notre territoire peut-il substister ; enfin, pourquoi ne parvient-on pas à éloigner du territoire la plupart des irréguliers ?
En matière de passage irrégulier de nos frontières, je laisserai de côté la frontière aérienne, qui est impénétrable par les irréguliers, et les frontières maritimes, qui sont difficiles à franchir. Reste la frontière terrestre, qui est la plus difficile à contrôler et qui ne pourra jamais être rendue hermétique, compte tenu des multiples possibilités de passage. L'Histoire démontre d'ailleurs que, sur notre frontière franco-espagnole même la toute-puissante armée allemande n'a pas empêché le passage de milliers de réfugiés lors de la Seconde Guerre mondiale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Claude Estier. Heureusement !
M. René Marquès. Cette perméabilité naturelle doit nous conduire à être particulièrement vigilants quant au traitement réservé à cette zone de contrôle.
Il est donc nécessaire de rétablir à chaque frontière une coopération bilatérale dans le cadre des accords de réadmission existants.
L'Espagne et la France ont une frontière commune de plus de 400 kilomètres, caractérisée par un relief montagneux élevé. Mais, nous l'avons vu, cette caractéristique naturelle n'a jamais constitué un obstacle infranchissable.
De tous temps, mais surtout depuis que l'Espagne a accédé à un régime démocratique, après Franco, la France et l'Espagne ont tenté un rapprochement entre leurs services de police respectifs afin de lutter contre l'immigration irrégulière et la criminalité. Il s'agit d'un commissariat général de documentation pour l'Espagne et de la direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins, la DICCILEC, ancienne police de l'air et des frontière, ou PAF, pour la France. Et, récemment, ont été mis en place des commissariats communs ou binationaux situés sur la frontière.
Mais, après les accords de Schengen, la fonction des postes de contrôle frontaliers a été modifiée. D'un système fixe on est passé à des contrôles mobiles sur toute la zone frontalière, sur une bande de vingt kilomètres pour la France et de soixante kilomètres pour l'Espagne.
Il est évident que l'existence de commissariats communs permet d'opérer un contrôle efficace des flux migratoires afin de permettre la coordination binationale des services de contrôle de l'immigration et de renseignements.
Je voudrais, à ce point de mon exposé, m'interroger sur le pouvoir attractif qu'exerce la France vis-à-vis des immigrés en général, et plus particulièrement des immigrés venant du Maghreb. Comment se fait-il, en effet, que la plupart d'entre eux, traversant la péninsule Ibérique, ne s'y arrêtent pas et préfèrent s'installer en France ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A Poitiers ! (Sourires.)
M. René Marquès. A cela il existe des explications multiples et complexes, mais je souhaiterais en identifier seulement quelques-unes.
La France jouit d'une image forte de pays des droits de l'homme,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. René Marquès. ... d'un Etat de droit où les libertés individuelles sont préservées ; le taux de chômage y est inférieur à celui de l'Espagne, qui avoisine les 20 % dans le nord et les 25 % dans le sud ; les dispositifs policiers et militaires sont réputés plus sévères en Espagne, et l'oeuvre de Franco dans ce domaine a laissé des traces, tout du moins dans les esprits. Et, si l'Espagne ne compte pas une colonie maghrébine importante, ce peut être dû à un facteur linguistique, le français...
Mme Monique ben Guiga. Ah ! la francophonie !
M. Paul Raoult. Et voilà !
M. René Marquès. De plus, dans notre pays, il fait bon vivre, et il est relativement aisé d'y bénéficier d'avantages sociaux multiples et généreux tels que sécurité sociale, soins gratuits, allocations, RMI, etc.
Cela nous conduit à nous poser une question importante : après avoir franchi notre frontière, comment l'étranger en situation irrégulière peut-il subsister en France ?
Un des facteurs essentiels favorisant le séjour des clandestins en milieu urbain est l'implantation régulière d'une population étrangère importante.
Il y a plusieurs modes de sédentarisation : dans une ville comme Perpignan, qui compte 100 000 habitants, tout un quartier est occupé par une population magh-rébine en situation régulière, mais qui sert de premier relais aux clandestins venant de passer une frontière qui se trouve, je vous le rappelle, à trente kilomètres de là !
M. Paul Raoult. Il faut mettre des miradors !
M. René Marquès. Dans la campagne, il existe des abris de fortune qui sont utilisés comme haltes passagères, mais surtout, il faut le dire, comme logements lorsque les travailleurs clandestins sont employés en qualité d'ouvriers agricoles, notamment au moment des vendanges. Il faut savoir faire son mea culpa ! (Murmures sur les travées socialistes.)
Enfin, depuis la perméabilité des frontières des pays de l'Est, on enregistre une augmentation considérable des squatters.
Ces clandestins ne disposant pas de ressources à leur arrivée, toute sédentarisation irrégulière aboutit souvent à des actes de délinquance sur la voie publique. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles on retrouve plus de 35 % d'étrangers dans la population carcérale de la maison d'arrêt de Perpignan ! Les clandestins arrivent, en effet, en fin de parcours sans moyens et ils ne peuvent être hébergés que par les gens réguliers qui sont déjà en place.
Actuellement, en éloignant près de 3 000 étrangers en deux ans, la DICCILEC des Pyrénées-Orientales a certainement contribué à l'abaissement de 20 % du taux de délinquance qui a été constaté ces dernières années.
Malheureusement, si les services des douanes, de police et de gendarmerie exercent leur travail d'interpellation de manière satisfaisante, force est de constater que les suites données par les magistrats sont souvent la remise en liberté.
M. Michel Rufin. Et voilà !
M. René Marquès. Autre source de « revenus » : les aides sociales et humanitaires qui sont attribuées sans beaucoup de contrôle.
Une affaire récente a permis d'identifier un étranger en situation pseudo-régulière, touchant le RMI et les prestations sociales pour neuf enfants alors qu'il venait de verser en liquide 400 000 francs à la banque.
En fait, sa famille était en Algérie, sans aucune activité. Il percevait indûment plus de 10 000 francs de prestations sociales par mois et possédait une couverture sociale à 100 %, qu'il devait probablement monnayer à des étrangers clandestins. On constate en effet que les milieux hospitaliers n'ont pas la possibilité d'identifier celui qui apporte une carte d'immatriculation à la sécurité sociale, et qu'il faut bien traiter pour des raisons humanitaires.
Les droits sociaux ne sont pas suffisamment contrôlés ! Ainsi, dans mon département, plus de 90 % des clandestins se font soigner dans les services hospitaliers à l'aide de cartes d'assuré social d'étrangers en situation régulière. La fraude est considérable, et la passivité permissive de certains services est étonnante.
Certes, la réponse des services hospitaliers est qu'ils n'ont pas à faire du contrôle d'identité, mais simplement une vérification d'ouverture des droits.
La recherche et l'interpellation des irréguliers se font soit par les contrôles d'identité dans la zone des vingt kilomètres ainsi que dans les ports, aéroports, gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international, soit par les contrôles d'identité sur réquisitions du procureur, soit, enfin, par les contrôles d'identité préventifs, sous réserve que l'autorité justifie dans tous les cas les circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public.
En fait, les difficultés d'application proviennent de l'exercice des contrôles d'identité préventifs urbains hors zone des vingt kilomètres en matière d'immigration irrégulière.
Mais, dans les Pyrénées-Orientales, notamment, la difficulté majeure provient du laxisme de l'autorité judiciaire, je suis désolé de le souligner.
Je vous citerai cet exemple : un procès-verbal de contrôle d'identité a été effectué dans le cadre du plan Vigipirate dans un quartier de Perpignan à fort taux d'interpellations de ressortissants étrangers en situation irrégulière, puis annulé tout simplement par un juge délégué à la rétention administrative du tribunal de grande instance de Perpignan.
Le juge judiciaire intervient dans le domaine du contrôle d'identité, qui lui est peu ou pas familier. Dans cet exemple, comment le juge ignorait-il la validité des contrôles dans le cadre du plan Vigipirate, alors que le procureur avait confirmé la validité de tels contrôles ?
Les magistrats des Pyrénées-Orientales refusent encore de reconnaître aux chefs de services de police la capacité d'évaluer les risques en matière de délinquance de voie publique.
Quand les policiers constatent avec stupeur que des caissières de supermarchés ont plus de pouvoir en la matière qu'eux-mêmes, cela les laisse quelque peu perplexes sur la reconnaissance de leur qualité. (Sourires et protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Voilà une intervention de haut niveau !
M. le président. Mes chers collègues, n'interrompez pas l'orateur !
M. Henri de Raincourt. Il faut le laisser continuer, c'est intéressant ce qu'il dit !
M. René Marquès. Comment se fait le traitement pénal des infractions à l'entrée et au séjour irréguliers ?
En ce qui concerne le classement sans suite des dossiers des primo-délinquants, malgré la circulaire du 29 septembre 1995 émanant du garde des sceaux, aucune poursuite des primo-délinquants n'a été engagée par le parquet de Perpignan.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les magistrats n'obéissent plus ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. René Marquès. Pourtant, les instructions sont précises : « A chaque fois que cela s'avérera nécessaire, le parquet requerra une peine d'emprisonnement ferme et la mise en détention du condamné. » Mais il semble qu'une volonté ait été clairement affichée par le parquet de Perpignan dans la non-application de ces instructions ministérielles.
Je citerai un exemple : lorsqu'un étranger en situation irrégulière est interpellé sans document d'identité, qu'il soit primo-délinquant ou non, l'officier de police judiciaire informe le substitut de permanence de la mesure de garde à vue. Il lui communique les premiers éléments laissant présumer que l'étranger a organisé volontairement son anonymat. Et le dossier est classé sans suite immédiatement. (Exclamations ironiques sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy. Oh ! C'est scandaleux !
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler M. Marquès !
M. Alain Gournac. Voilà un bon président !
M. René Marquès. Je suis en mesure de vous affirmer que l'organisation de l'anonymat est devenue une véritable filière d'immigration irrégulière largement diffusée dans le monde des clandestins et qui, dans le département, frise le ridicule : près de 90 % des clandestins maghrébins sont interpellés dépourvus de tout document. Mais cela concerne aussi près de 70 % des étrangers des autres nationalités !
De nombreux étrangers en situation irrégulière dans mon département savent qu'il suffit de paraître sourd et muet - M. Bonnet y a fait allusion tout à l'heure - pour être remis en liberté, même si toutes les données médicales indiquent qu'il y a simulation.
Une des méthodes également fréquemment utilisée par les ressortissants des pays du Maghreb consiste à d'abord détruire ses documents d'identité puis, après l'interpellation, à se dire Marocain lors de la présentation devant le consul d'Algérie et Algérien devant celui du Maroc.
Malgré ces affirmations constatées par le procès-verbal, les magistrats de Perpignan n'engagent aucune poursuite. (Nouvelles exclamations sur les travées socialistes).
Ce défaut de poursuite pénale est alarmant, car il entraîne obligatoirement la remise en liberté d'étrangers sans que l'on connaisse leur véritable nationalité ni, de ce fait, leurs intentions.
En 1995, 500 interpellations de clandestins ont été clôturées par une remise en liberté, faute de poursuite judiciaire. C'est là un chiffre important pour un département, fût-il frontalier !
La question que se posent, à juste titre, les policiers de terrain des Pyrénées-Orientales est la suivante : pourquoi ces remises en liberté ?
Il est urgent d'intervenir dans ce dossier afin que les directives du Gouvernement, par l'intermédiaire du garde des sceaux et du ministre de l'intérieur, soient respectées, sous peine de constater une démobilisation totale de fonctionnaires contraints d'interpeller plusieurs fois la même personne avant qu'une solution juridique intervienne.
M. Gérard Braun. Eh oui !
M. René Marquès. Le préfet a confié à la DICCILEC le traitement de l'immigration irrégulière.
Malgré la lenteur des consulats et, parfois, leur obstruction manifeste, malgré l'absence quasi totale de poursuites par le parquet local, cette organisation a porté le taux de reconduite à la frontière du pays d'origine à près de 60 %. Elle est fiable pratiquement à 100 % pour l'éloignement des ressortissants étrangers munis de documents d'identité.
De ce fait, et compte tenu de la saturation de notre centre de rétention, sur 1 574 étrangers interpellés en situation irrégulière dans mon département, 582 ont été remis en liberté en un an, soit plus du tiers.
On peut cependant affirmer que, si les juridictions appliquaient les dispositions de l'article 27, deuxième alinéa, de l'ordonnance de 1945, plus un seul étranger en situation irrégulière ne serait remis en liberté sans identification.
Il faut donc cesser de faire intervenir deux ordres juridictionnels, sachant que la juridiction judiciaire vit très mal ce partage qui lui confère un rôle mineur.
Il faudrait éviter la précipitation des démarches administratives due à la brièveté du délai de rétention administrative- on l'a évoqué tout à l'heure - et autoriser le préfet à disposer de dix jours pour l'organisation de l'éloignement de l'étranger en situation irrégulière, le délai du droit de recours de l'étranger passant alors de vingt-quatre à quarante-huit heures.
Mais cela n'engendrerait aucun résultat concret sans l'augmentation des capacités du centre de rétention.
En conclusion, lorsqu'on fait le bilan de l'immigration irrégulière dans mon département, on constate qu'il existe une forte et véritable coordination entre les services à l'échelon départemental, et que les résultats sont probants. En septembre 1995, 77 % des étrangers concernés par une mesure d'éloignement ont été reconduits dans leur pays d'origine à l'issue de leur peine. Par ailleurs, on a éloigné près de 1 500 étrangers en 1994, soit 63 % des clandestins interpellés, contre 66 % en 1995 et 84 % en 1996. L'expérimentation est donc fiable.
J'ajoute que le taux de délinquance sur la voie publique a baissé de 20 % en 1995. On peut y voir un rapport de cause à effet.
Voilà, monsieur le ministre, un bilan qui doit nous faire réfléchir et nous conforter dans l'application de la loi et, demain, du projet de loi que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud. (Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Monsieur le ministre, contrairement à ce qui a été dit avant le dîner,...
M. Paul Raoult. Ah ! vous allez nous réveiller ! (Sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui ! ... vous n'avez déclaré la guerre à personne. Vous avez décidé de conduire avec efficacité la lutte contre l'immigration irrégulière - je ne dis pas « clandestine », pour tenir compte d'une observation qui a été faite cet après-midi.
M. Paul Raoult. Par M. Badinter !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. J'aurai l'occasion de prononcer ce nom illustre ! (Rires.)
Monsieur le ministre, vous avez agi, vous avez fait face aux situations nées de l'actualité. Le taux d'exécution des mesures d'éloignement a atteint - on l'a déjà dit - 30 %, contre 16 % autrefois. On ne peut donc pas dire que la volonté politique vous a manqué.
Cependant, M. Guy Allouche a appelé cette efficacité le « moteur à expulsion ». J'ai vu dans cette expression la tendance à l'exagération d'un Méditerranéen qu'un autre Méditerranéen peut très bien comprendre. (Nouveaux rires.)
Monsieur le ministre, non seulement vous avez agi dans le présent, mais vous avez réfléchi à l'avenir.
M. Bernard Piras. Oh ! là ! là !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous avez analysé en profondeur...
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh ! (Sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... les modifications, les mutations qui sont intervenues dans les flux migratoires.
M. le président Badinter...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... ne les ignore sûrement pas. Il a certainement, lui aussi, vu ces transformations. Il ne les a cependant pas évoquées, et c'est bien dommage. Quel beau discours il aurait pu faire ! (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Luc Mélenchon. D'autres vont en faire des beaux !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Heureusement, monsieur le ministre, votre perspicacité, votre expérience (Exclamations amusées sur les travées socialistes)...
M. Emmanuel Hamel. Vous ne pouvez pas la nier, elle est certaine !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... votre expérience, disais-je,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Votre grandeur !
Mme Joëlle Dusseau. Votre intelligence !
M. Jean-Luc Mélenchon. Votre magnificence ! (Rires.)
M. le président. Mon cher collègue, ne vous laissez pas interrompre. Votre propos est intéressant (Marques d'approbation sur les travées socialistes) et il est écouté avec beaucoup d'attention. (Sourires.) Alors, n'attendez pas les réactions qu'il peut susciter.
M. Jean-Michel Baylet. Vous nous intéressez ! (Nouveaux sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. En tout cas, monsieur le ministre, vos fonctions - cela, messieurs, vous l'acceptez ? - vous ont conduit à voir, à discerner,...
M. Jacques Mahéas. A entrevoir !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... l'avenir des flux migratoires par dessus la haute muraille du présent.
M. Jean-Luc Mélenchon. N'oubliez pas l'eau ferrugineuse ! (Rires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je ne peux pas répondre, je n'ai pas entendu.
Votre projet, monsieur le ministre, qualifié de modeste, ouvrira la voie à une nouvelle législation d'ensemble, qui prendra en compte ces mutations.
Mais, dès à présent, votre projet apporte une plus grande fermeté républicaine et une plus grande générosité, sans marchandage.
Dignité, ajouterai-je, car l'immigration régulière continue.
M. Jean-Patrick Courtois. Oui !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Personne n'a parlé d'« immigration régulière zéro ». La France continue d'être un pays d'accueil, un pays d'asile,...
Mme Joëlle Dusseau. De moins en moins !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... un pays d'hospitalité. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
Par ailleurs, le projet - vous l'avez sûrement remarqué, madame - met fin à un certain nombre de détresses. Ainsi, pour les étrangers qui étaient en situation d'impasse juridique, un titre de séjour...
M. Pierre Mauroy. Temporaire !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Temporaire, oui. Vous auriez préféré mieux ?
Mme Joëlle Dusseau. Oui !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est tout de même un grand progrès par rapport au passé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non, c'était déjà possible !
M. Claude Estier. Le passé, ce sont les lois Pasqua.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Si vous voulez ! C'est ce que vous voulez ; en tout cas, c'est un progrès. (Rires.)
En outre, il est mis fin à l'incertitude de l'étranger présent en France depuis quinze ans...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh non ! Eh non !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... et qui est en situation irrégulière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Justement pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est ce qui a été voté, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Hélas ! non.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais si !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, pas de conversations particulières.
Mme Joëlle Dusseau. M. Ceccaldi-Raynaud dit des contrevérités !
M. le président. Poursuivez, monsieur Ceccaldi-Raynaud.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Un peu d'optimisme, monsieur Dreyfus-Schmidt : la commission des lois a adopté cette mesure et le Sénat, dans sa sagesse, l'adoptera également.
On a fait remarquer qu'il n'y avait aucun argument juridique pour justifier cette mesure. Mais, s'il n'y a pas d'argument juridique, il y a des arguments humains.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui, mais M. Caldaguès n'était pas d'accord !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Eh bien ! M. Caldaguès dit ce qu'il veut ; chez vous aussi, il y en a qui ne disent pas la même chose ! (Rires.)
Enfin, monsieur le ministre, votre projet prépare l'intégration et l'assimilation, ce qui suppose une maîtrise des flux migratoires.
J'approuve M. Michel Rocard... (Applaudissements et exclamations sur les travées socialistes)
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça manquait !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... quand il dit que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde et quand il ajoute qu'elle doit cependant en prendre sa part. Mais il faut que cette part soit compatible avec les capacités d'intégration du pays. Or, les entrées au titre du regroupement familial ont atteint, en 1992 - l'actuelle opposition était alors au pouvoir - un chiffre incompatible avec nos capacités d'intégration. Ce chiffre, Jean-Louis Debré l'a fait chuter de moitié.
M. Jean-Luc Mélenchon. Donc ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Donc ça va très bien ! (Rires.)
Dignité, mais également fermeté républicaine. C'est au nom des droits de l'homme, c'est au nom de la Constitution de la Ve République, c'est au nom des étrangers en situation régulière et des Français issus de l'immigration que nous réclamons cette fermeté républicaine.
Majorité et opposition s'affrontent sur ces sujets. Il y a un fossé entre notre conception de l'immigration et celle de l'opposition, entre celle de la droite et celle de la gauche, si vous préférez, et ce fossé est utile parce que viendront s'y jeter les hommes du Front national.
M. Pierre Mauroy. C'est audacieux !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. L'opposition refuse tous les dispositifs...
M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'ai rien compris !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Comment, vous n'avez rien compris ?... (Sourires.)
M. le président. Mon cher collègue, cette remarque ne s'adressait pas à vous !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Fort bien !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Moi, j'ai compris !
M. le président. M. Mélenchon s'adressait à l'un de ses amis. Il a peut-être eu le tort de s'exprimer d'une manière un peu vigoureuse.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Bien ! Mais il est certain que plus les Français percevront bien le clivage droite-gauche, plus ce sera l'enjeu des élections. Là, je pense que vous avez compris !
L'opposition refuse tous les dispostifs destinés à lutter contre la clandestinité.
M. Claude Estier. Mais non, vous n'avez rien compris !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Comment, je n'ai rien compris ? (Rires.)
M. le président. Mon cher collègue, il s'agit toujours du même dialogue.
Permettez-moi de vous rappeler que trois orateurs de votre groupe sont inscrits après vous sur un quota de temps qui est limité et que je vais m'efforcer de faire respecter !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je vais me dépêcher monsieur le président. Je me bornerai à dire...
M. Jean-Luc Mélenchon. Les coups de brosse à reluire !...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... que la majorité, elle, refuse les régularisations massives dont la gauche a toujours eu la tentation, plus de 150 000 personnes par vagues successives...
M. Pierre Mauroy. Allons, n'exagérez pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Eh oui, 150 000 : en 1981, en 1982, en 1992...
M. Pierre Mauroy. Pas de détail !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... 130 000 plus 15 000, ça fait à peu près ça ! (Rires.)
M. Pierre Mauroy. Pas de détail !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous avez raison ! La majorité, elle, s'oppose à votre proposition de régularisation. Je croyais que M. Julien Dray...
M. Jean-Luc Mélenchon. Attention ! (Rires.)
M. le président. Il n'a pas dit Mélenchon, il a dit Dray. (Nouveaux rires.) Vous avez une oreille sélective !
M. Jean-Michel Baylet. C'est le même courant !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Un courant d'air !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais c'est peut-être aussi le même talent. Je ne sais pas... (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Pierre Mauroy. Ah ! (Sourires satisfaits sur les travées socialistes.)
M. le président. M. Mélenchon n'aime pas cette comparaison !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne dis plus rien, monsieur le président.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je l'ai cru isolé mais il m'a semblé que M. Badinter se rapprochait de cette thèse. Comme vous tous, j'ai été sous le charme, j'ai admiré...
M. Pierre Mauroy. C'est un aveu !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... l'ordonnancement logique de son argumentation, le bonheur de son expression, le positionnement de sa voix pour provoquer le suspense comme nous le faisons devant les tribunaux. (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy. Continuez !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais si l'on suit le raisonnement de M. Badinter, qui ne veut aucune mesure répressive parce qu'elle apparaîtra choquante aux Français issus de l'immigration ou aux étrangers en situation régulière, il est bien évident qu' a contrario, et peut-être sans le vouloir, M. Badinter fait quand même malgré lui l'éloge du laxisme. (Très bien ! sur de nombreuses travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'a rien compris !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Monsieur le président, puisque j'ai été invité à conclure, je dirai qu'il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. Vous avez compris, après beaucoup d'incompréhension, que c'est une citation de Sénèque.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je pense que vous ne parviendrez pas à me donner un démenti !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'était un stoïque, lui ! (Rires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. M. le ministre, lui, sait où il va et nous, en le suivant, nous savons où nous allons. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
Plusieurs sénateurs socialistes. Une autre !
M. le président. La parole est à M. Rocard. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. C'est dur de parler après un si grand orateur ! (Rires.)
M. Michel Rocard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de remercier le collègue qui vient d'avoir, à mon endroit, un mouvement de solidarité car l'exercice est en effet difficile.
M. Emmanuel Hamel. Ce n'est pas la première fois !
M. Michel Rocard. Voilà quelques mois, monsieur le ministre, nous avons été heureux d'entendre le Premier ministre dénoncer avec plus de clarté et de rigueur qu'il n'est habituel pour un Premier ministre en exercice la xénophobie, l'antisémitisme et le racisme du président du Front national.
Voilà une dizaine de jours, au conseil représentatif des institutions juives de France, M. Juppé affirmait avec la même détermination que le RPR combattrait résolument le Front national.
Nous approuvons sans réserve ces prises de position sans ambiguïté.
Mais on juge l'arbre à ses fruits, et c'est aux actions du Gouvernement que nous mesurons la réalité de son opposition à l'extrême droite. Et nous voilà justement devant ce projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration.
L'immigration, nous ne le savons que trop, c'est le fond de commerce du Front national, qui ne cesse d'attiser la peur et la haine de l'étranger. Excellente occasion donc que cette loi pour prouver la volonté que nous affichons tous de combattre les thèses du Front national.
Monsieur le ministre, je n'ai pas l'intention, croyez-le bien, d'administrer, surtout pas à vous, de leçon de morale. Je suis prêt, quand je lis votre loi - avec laquelle je suis en grave désaccord - à vous accorder le crédit que je m'accordais à moi-même lorsque je disais, en 1989, que « la France ne saurait accueillir toute la misère du monde, mais qu'elle doit en prendre fidèlement sa part ». Mais, précisément, l'histoire m'a donné une leçon que je ne suis pas prêt d'oublier, et dont j'aimerais que nous tirions tous ensemble, ici, les enseignements.
Cette phrase, dont le contenu empirique semble peu contestable, quelle n'a pas été ma consternation de ne la trouver citée que tronquée et reprise en d'innombrables occasions par les orateurs du Front national qui m'engrangeaient dans leur délire ! Je la prononçais pourtant avec les meilleures intentions du monde : « pas toute » n'a jamais voulu dire « pas du tout », et ma phrase, surtout citée complètement - merci, monsieur Bonnet - me paraissait donc protégée de toute connotation xénophobe, d'autant qu'elle introduisait un discours consacré à la nécessité d'intégrer le plus complètement possible les immigrés dans la communauté nationale. Il me faut admettre pourtant que cette phrase parlait faux, puisque Le Pen et les siens l'ont instrumentalisée à leur fins propres.
Instruit par l'expérience, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'appelle votre attention sur la nécessité de peser nos phrases et, à plus forte raison, nos lois, si nous voulons sincèrement lutter contre ceux qui font commerce de la haine de l'immigré.
Or, monsieur le ministre, votre projet de loi, modifié par les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, illustre, hélas ! la dérive inquiétante que nous avons tous plus ou moins approchée à tour de rôle, mais sur laquelle, aujourd'hui, nous devrions tous être éclairés, consistant à donner des gages à Le Pen en espérant éviter ainsi que nos électeurs les plus fragiles ne le rejoignent. Et c'est ainsi que la France, dont l'immense majorité des électeurs est résolument hostile aux thèses du Front national, se retrouve avec des lois qui, sous une forme euphémisée, sont en fait dictées par ce parti. C'est ainsi que, sous prétexte de lutter contre l'influence de Le Pen, on se retrouve chaque jour un peu plus semblable à lui. Je ne caricature pas, hélas ! En voulez-vous un exemple particulièrement clair ? Le code de la sécurité sociale accorde, vous le savez, une carte d'assuré social à tout détenu, afin qu'il n'y ait aucune discrimination en matière de soins en milieu carcéral - ce qui est la règle dans tous les Etats de droit. Eh bien, lors de l'examen de votre projet de loi, il s'est trouvé, à l'Assemblée nationale, vingt-cinq députés pour déposer l'amendement n° 32 supprimant le bénéfice de la sécurité sociale aux détenus étrangers en situation irrégulière !
M. Jacques Mahéas. C'est scandaleux !
M. Michel Rocard. Et toute l'énergie du rapporteur, le président Mazeaud, n'a pas pu obtenir que l'amendement soit retiré.
Vous vous y êtes opposé, monsieur le ministre, bravo ! Vous avez été écouté et il n'a pas été voté, certes. Mais enfin, en République française, le pays des droits de l'homme, quel déshonneur qu'il ait seulement pu être défendu ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Gérard Larcher. Et le droit d'amendement !
M. Michel Rocard. Mes chers collègues, personne ne discute le droit d'amendement, je ne parle que du contenu, enfin !
Quel déshonneur que des parlementaires français puissent oublier qu'un étranger, avec ou sans papiers, est un homme au même titre qu'un Français et qu'il partage tous ces droits de l'homme que la première Assemblée nationale, en août 1789, a proclamé devant le monde.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, prenons garde !
Un sénateur du RPR. Supprimez les lois !
M. Michel Rocard. Oui, vous n'avez pas aimé ! En effet, c'est difficile !
M. Gérard Larcher. C'est faible ! Ce n'est pas très bon !
M. Michel Rocard. Ce n'est pas moi qui suis faible. Il fallait oser ! Ils ont osé ! Ce n'est pas agréable à citer.
Croyez-vous que ce soit agréable pour moi ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je le répète, prenons garde ! L'ogre est insatiable et Moloch réclame chaque jour davantage de victimes. Il commence, bien sûr, par stigmatiser l'immigration clandestine, et on finit par la lui sacrifier par charters entiers, espérant calmer sa faim. Mais on a fait, au contraire, qu'exciter son appétit, et déjà il réclame qu'on lui livre l'immigration régulière, ces trois millions d'étrangers qu'il se propose de « renvoyer chez eux », comme il dit, vous l'avez tous entendu.
Et quand vous aurez mis le doigt dans cet engrenage, comme le fait déjà le texte adopté par les députés, vous verrez qu'il se mettra à exiger la dénaturalisation des jeunes Français nés en France de parents étrangers. (Protestations sur les travées du RPR.)
Un sénateur du RPR. C'est une fiction !
M. Alain Gournac. Le Pen ne nous intéresse pas !
M. Michel Rocard. Vous frôlez déjà ce risque depuis que les lois de 1993 ont aboli l'automaticité du droit du sol, faute gravissime.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Michel Rocard. Attention, mes chers collègues, le danger, il faut le regarder quand il commence et non pas lorsqu'il est devenu assez gros pour être tellement affreux. Si un jour nous en étions là, il n'y aurait peut-être plus beaucoup d'étrangers en France, mais surtout il n'y aurait plus guère de France telle que nous le comprenons. En effet, tout ce qui fait l'identité même de la France aurait été englouti dans le gouffre de la haine de l'autre. Ce n'est pas un mauvais rêve ; c'est seulement un mauvais souvenir.
Cette absence de France, nous l'avons connue entre 1940 et 1944...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Michel Rocard. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je vous remercie de me permettre de vous interrompre, monsieur Rocard.
Vous êtes le troisième orateur, tous appartenant au même groupe, qui ont cru, devant cette assemblée, devoir faire une comparaison entre l'action que nous menons et un certain nombre de souvenirs que nous sommes un certain nombre d'entre nous à porter et qui savons très bien ce que nous avons fait pour que la France conserve à ce moment-là une certaine dignité. Alors, il y a des comparaisons qui n'honorent pas ceux qui les font ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Rocard applaudit également.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Rocard.
M. Michel Rocard. Monsieur Larché, je vous remercie de cette intervention et de la dignité du propos que vous venez de tenir, auquel j'ai envie de donner mon approbation. Et à partir de cette communion intellectuelle entre nous deux sur ces questions, vous ne pouvez pas ne pas comprendre avec moi que l'important est ce qui commence,...
M. Paul Masson, rapporteur. Pas de comparaisons !
M. Michel Rocard. ... ce sont les graines qui sont semées et leur manière de grandir !
M. Michel Caldaguès. Cela, c'est un procès d'intention !
M. Jacques Mahéas. C'est une leçon de l'Histoire !
M. Michel Rocard. M. Larché me comprend sans doute mieux que vous-même, monsieur Caldaguès.
En tout cas, la raison d'être de la loi se trouve dans les situations inextricables issues de la loi de 1993, qui créait des catégories d'étrangers à la fois non expulsables et non régularisables. Là est l'innovation tragique, comme cela a été mis en lumière, cet été, par les « sans-papiers » de Saint-Bernard et grâce au remarquable travail du collège des médiateurs qui a étudié leurs cas et les cas semblables.
Une loi s'est révélée nécessaire. Que pouvions-nous en attendre ?
A l'évidence, nous pouvions espérer qu'elle permette la régularisation des catégories de « sans-papiers » en question, selon une procédure transparente et fondée sur des critères équitables, ceux qu'a proposés le collège des médiateurs.
Nous pouvions ensuite attendre d'une telle loi qu'elle rende impossible la reproduction de cas semblables.
Une centaine de maires d'Ile-de-France ont apporté leur soutien aux propositions de régularisation des médiateurs, des maires qui sont précisément aux prises quotidiennement avec les problèmes de l'intégration des immigrés - monsieur le ministre, si je ne le suis plus aujourd'hui, j'ai été maire pendant dix-huit ans, dans la même banlieue - des maires qu'on ne peut accuser d'avoir de beaux sentiments parce qu'ils vivraient dans de beaux quartiers.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je ne vous fais aucun procès.
M. Michel Rocard. Vous ne me faites pas ce procès, Dieu merci !
Hélas ! après trois jours de débats à l'Assemblée nationale, la loi qui nous est soumise ne répond nullement à ces objectifs et, pire encore, elle déstabilise l'immigration régulière et porte atteinte aux libertés fondamentales.
Pour ces « sans-papiers », produits de la loi de 1993, vous n'autorisez que des régularisations au compte-goutte. Votre majorité n'a même pas accepté la régularisation que vous proposiez, à l'article 4, des étrangers présents en France depuis plus de quinze ans, et pourtant Pierre Mazeaud n'en avait compté que vingt-sept !
M. Claude Huriet. Lisez les textes !
M. Michel Rocard. Qui croira que ces vingt-sept personnes puissent présenter un danger pour le pays ? Ne voyez-vous pas que ce qui est en cause, ce que votre texte autorise à votre majorité, c'est la mise en question du droit même de l'étranger à vivre en France ?
Un étranger sans papier est-il un homme ou moins qu'un homme ?
Vous autorisez la régularisation des parents d'enfants français de moins de seize ans. Pourquoi pas celle des parents d'enfants plus âgés ?
Mais, et c'est encore plus grave, monsieur le ministre, vous laissez sans papiers, et donc sans droit au travail légal, des milliers de parents d'enfants nés en France mais qui, par suite de la loi de 1993, ne seront français qu'après l'âge de seize ans. Ces enfants ne sont pas expulsables, il est donc indispensable que leurs parents soient régularisés.
C'est précisément pour prévenir de telles situations, issues de la loi de 1993, que la loi que vous proposez aurait eu un sens. Mais vous avez laissé prendre à ce texte la direction opposée, celle de l'absurde administratif. Et, loin de régler les situations dramatiques que nous connaissons, vous allez les multiplier.
Tout cela traduit le contraire d'un désir d'intégration, le soupçon permanent porté sur l'autre parce qu'il est autre.
En refusant la qualité de Français aux enfants nés en France avant qu'ils atteignent l'âge de seize ans, la loi de 1993 a gravement déstabilisé le statut de ces enfants eux-mêmes et le statut de leurs parents, donc toute la vie familiale.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est sûr !
M. Michel Rocard. Nous proposerons le retour au droit du sol intégral. Mais le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui ajoute une seconde déstabilisation, plus lourde encore de conséquences : la déstabilisation du statut des étrangers en situation régulière.
En effet, l'article 4 bis supprime le renouvellement de plein droit de la carte de résident de dix ans en cas de « menace pour l'ordre public ».
Une peau basanée ou noire est-elle une menace pour l'ordre public ? (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Bonnet. Cela n'a rien à voir !
M. Paul Masson, rapporteur. Que signifie une telle question ? Certains de nos collègues ont la peau noire !
M. Michel Rocard. Il m'est arrivé, un soir, quand j'étais maire, de me promener dans ma ville et la banlieue pour voir comment travaillaient nos forces de police. C'est donc par expérience que j'ai un grand respect pour nos forces de police, et, quand j'incrimine ce qui se passe sur le terrain, c'est toujours les consignes qu'on leur donne que je mets en cause.
Comme je vous le disais en conversation privée, monsieur le ministre, je crois que notre police est noble et qu'elle ferait un bien meilleur travail si elle était mieux commandée et si les cibles étaient bien désignées. Mais là, je suis inquiet, car vous ouvrez la voie à n'importe quoi.
La loi sur la carte de résident de dix ans, renouvelable de plein droit, qui a été votée en juillet 1984 à l'unanimité - vous l'avez votée mes chers collègues - consacrait la nécessité de garantir le droit de séjour aux étrangers durablement intallés en France...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Rocard ?
M. Michel Rocard. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Rocard, je ne peux pas laisser passer ce que vous venez de dire. Je n'ai jamais donné l'ordre, pas plus que quiconque dans la hiérarchie policière, d'interpeller une personne en raison de la couleur de sa peau ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Monique ben Guiga. Prenez le métro, monsieur le ministre !
M. Jacques Mahéas. Il est né dans un berceau doré ! Il n'a jamais pris le métro !
M. Paul Raoult. Allez dans le métro !
M. Claude Estier. Si vous veniez quelquefois dans le XVIIIe arrondissement, monsieur le ministre, vous verriez ce qui se passe dans les commissariats !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, seul l'orateur a la parole.
Veuillez poursuivre, monsieur Rocard.
M. Michel Rocard. Monsieur le ministre, j'ai apprécié votre interjection à l'instant. J'espère qu'elle vaudra consigne pour toutes les forces que vous commandez. Mais ne créez pas de ces situations impossibles où ces forces, ne sachant que faire, se croient mandatées pour en faire beaucoup plus qu'il ne faut. Telles sont les difficultés que vous créez !
Enfin, votre loi fait peser de très graves menaces sur les libertés individuelles. Les articles 2 et 10 autorisent les contrôles d'identité sur les lieux de travail. L'article 3 autorise la confiscation des passeports des « sans-papiers », la fouille des véhicules, la prise et le fichage des empreintes digitales des étrangers. L'article 9 bis crée une législation d'exception en Guyane. Mais, surtout, l'article 1er introduit une déclaration obligatoire à la mairie pour toute personne ayant hébergé à son domicile un ami ou un parent étranger.
M. Jacques Mahéas. C'est honteux !
M. Michel Rocard. Vous savez bien que cela conduira inévitablement à la création d'une sorte de fichier des hébergeants. Vous savez bien aussi que ces dispositions ne peuvent pas ne pas en rappeler d'autres mais, après l'intervention de M. Larché, je ne dirai pas lesquelles. Simplement, il y a une vraie similitude d'écriture juridique.
M. Paul Masson, rapporteur. Décidément, c'est une marotte !
M. Michel Rocard. Non, ce n'est pas une marotte, c'est un constat. Mais croyez-vous que j'en tire un quelconque plaisir ?
M. Paul Masson, rapporteur. C'est la quatrième fois que vous faites une comparaison avec l'Occupation !
M. Jean-Patrick Courtois. C'est facile !
M. Michel Rocard. Mais lisez les textes que vous écrivez, regardez-les. Il s'agit d'une littérature objective et non datée, qui a des parentés avec d'autres, et c'est ce qui est terrible ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Monsieur le ministre, j'ai salué publiquement - et par écrit - la déclaration du Président de la République le 16 juillet 1995 reconnaissant « les fautes commises par l'Etat français » dans la persécution des Juifs de France.
Depuis, sont venues la décision judiciaire de juger Papon pour crimes contre l'humanité, puis, lundi dernier, la décision du Premier ministre de faire toute la lumière sur les spoliations dont les Juifs furent victimes.
Ainsi, la France est enfin entrée dans une logique de vérité à propos de Vichy. Vous n'ignorez pas, mes chers collègues, que Pétain et Laval, en 1942, se flattaient de ne livrer aux bourreaux nazis que des Juifs étrangers...
M. Paul Masson, rapporteur. Décidément !
M. Michel Rocard. ... comme si le fait qu'ils fussent étrangers... (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
Vraiment, vous avez du mal à lire vos propres textes !
M. Bernard Piras. Vous feriez mieux d'écouter, messieurs de la droite !
M. Michel Rocard. Oui, vous avez du mal à lire vos propres textes ! (Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
Mais enfin, mes chers collègues ! Dans ces conditions, j'abandonne ce paragraphe...
M. le président. Monsieur Rocard, veuillez poursuivre votre propos.
M. Michel Rocard. Je demande à nos collègues de bien vouloir réfléchir au soupçon dans la législation, sans se poser de problèmes historiques, après tout.
Je suis content d'avoir souligné, d'avoir attiré votre attention sur ce point, mes chers collègues. Mais, j'y insiste, ce qui nous est proposé, c'est une législation du soupçon, et je voudrais avec gravité vous dire qu'elle me fait peur en raison de ce qu'elle porte en elle.
Les souvenirs sont durs à réveiller. Vous ne le supportez pas. Après tout, je le comprends.
Mais, que notre inquiétude juridique quand nous écrivons soit plus sourcilleuse. Nous sommes le pays qui a inventé les droits de l'homme !
M. Jean-Marie Poirier. Et la terreur, deux ans après !
M. Michel Rocard. Réveillons-nous ! La conclusion s'impose d'elle-même : il est temps que, gauche et droite, nous adoptions tous un nouveau discours sur l'immigration. Il est temps de parler vrai à nos concitoyens à ce sujet et de réouvrir enfin nos yeux sur le réel.
Depuis 1974 et la décision d'interrompre toute immigration, nous nous sommes tous plus ou moins laissés anesthésier par l'insidieux poison de la peur de l'autre.
Réveillons-nous, mes chers collègues ! Il n'est de vie que d'échanges ! C'est vrai de notre corps biologique. C'est tout aussi vrai de la vie de la nation.
Aussi loin qu'on remonte dans l'histoire de notre pays, on rencontre des mouvements de population. Qu'étaient les Gaulois quand ils commencèrent, au Ve siècle avant Jésus-Christ, à pénétrer le territoire où nous vivons ? Qu'étaient les Romains prenant autorité puis peuplant la Gaule à partir du Ier siècle avant Jésus-Christ ? Qui était ce Clovis que l'on a fêté l'an dernier ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Un Barbare, un sauvage !
M. Michel Rocard. C'était des migrants, des immigrés, et ce sont eux pourtant qui ont fait notre histoire !
Qu'aurait été notre culture au Moyen Age sans l'apport de la civilisation musulmane ?
M. Jean-Marie Poirier. C'est le café du commerce !
M. Michel Rocard. Qu'aurait été l'art au xxe siècle sans la découverte de l'art africain ?
Que seraient nos équipes sportives sans les apports multicolores de trois continents ? (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Que serait la science d'aujourd'hui si elle n'était radicalement internationale, liens d'échanges perpétuels, d'émigration et d'immigration permanentes des idées, se fécondant de leurs mouvements mêmes ?
Le monde entier n'est que déplacements et migrations.
Par ailleurs, nous défendons, paraît-il, un certain libre-échange, sinon le libre-échange. Les biens économiques, les marchandises ne cessent de se déplacer autour du monde.
Mes chers collègues, les images, les mots, les sons, les chiffres, les cuisines parcourent inlassablement en tous sens notre globe.
Tout bouge. Les mots étrangers fécondent nos langues, qui, elles-mêmes, se répandent dans tout l'univers, et les être humains étrangers seraient interdits de séjour durable en France ?
Réveillons-nous ! Les démographes nous avertissent.
Avez-vous vu ces chiffres qui furent publiés voilà quinze jours ? L'Europe ne renouvelle plus ses générations - nous sommes les moins atteints - et tous nos pays sont en baisse de population.
Si l'Europe veut présenter le même nombre d'habitants qu'aujourd'hui en 2030, il faut que, dès maintenant, les quinze nations européennes accueillent chaque année 7 millions de nouveaux immigrés. Oui, 7 millions, et seulement pour obtenir une population stable !
M. Christian Bonnet. Eh bien !
M. Michel Rocard. L'immigration n'est un danger ni pour la France ni pour l'Europe ; elle est, au contraire, une nécessité vitale, à condition, bien sûr, qu'il s'agisse d'une politique d'immigration responsable.
M. Paul Masson, rapporteur. Il faudrait peut-être la définir !
M. Michel Rocard. On sait négocier avec des Etats. On sait négocier des immigrations professionnelles. J'ai aussi fait cela dans les fonctions que j'ai exercées, vous le savez fort bien.
M. Philippe Richert. On ne le dirait pas !
M. Michel Rocard. Il faut qu'il s'agisse d'une politique d'immigration contrôlée, calculée, qualifiée, adaptée à nos besoins et à nos capacités d'accueil, une politique négociée avec les pays d'origine, qui ne doivent pas non plus s'appauvrir inconsidérément.
Il faut totalement abandonner la politique du tout ou rien en la matière. Nous n'avons pas le choix, mes chers collègues, entre les portes grandes ouvertes ou les portes fermées.
On peut, on doit ouvrir une porte exactement dimensionnée aux besoins et aux moyens de notre pays et l'adapter en permanence. Mais il faut en finir avec ce fantasme irrationnel qui voit dans l'immigration une menace, et dans l'étranger un danger.
Pour être clair, nous ne combattrons efficacement le travail clandestin et l'immigration illégale qu'il appelle que si nous affichons clairement qu'une immigration légale, reconnue, nous est nécessaire - il s'agit ainsi de rassurer l'opinion - et que, celle-là, nous entendons la traiter dignement et lui donner une vraie sécurité juridique.
Le Président de la République invitait lundi dernier les jeunes Français à s'expatrier : « Il ne faut pas, leur disait-il, avoir peur de quitter son pays ».
Il a raison. Il faut que les jeunes Français apprennent à émigrer pour s'enrichir au contact de l'autre et pour faire rayonner, là-bas, notre propre culture et créer des ponts.
Mais, pour qu'ils émigrent, encore faut-il que d'autres pays acceptent qu'ils immigrent chez eux.
Comment pourrait-on appeler les jeunes Français à vivre à l'étranger et refuser aux jeunes étrangers le droit de vivre en France ? (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées du RPR, ainsi que sur celles des Républicains et Indépendants.)
Et, si, monsieur le ministre, conformément au voeu judicieux du Président de la République, les jeunes Français s'installent en proportion croissante à l'étranger, le nombre d'enfants de couples mixtes nés à l'étranger va croître. Or il n'est peut être pas opportun de compliquer leur retour en France, au moins pour les études de ces enfants-là.
M. Christian Bonnet. Eh bien !
M. Michel Rocard. Je dois vous faire part, mes chers collègues législateurs de France, d'une autre confidence terrible. Un chef d'Etat africain de mes amis - j'en ai, il est d'honnêtes gens parmi eux - m'a dit, il y a moins de six mois cette phrase que j'ai encore en mémoire : « Michel, dépêche-toi de réveiller tes collègues ! Nous autres, responsables africains, économiques, financiers, culturels, administratifs ou politiques envoyons de moins en moins nos enfants faire des études en France. L'incertitude administrative et les vexations, notamment policières, sont inadmissibles et indignes de nous ».
Ces jeunes élites africaines vont aux Etats-Unis. Deux ou trois ans de ce régime et c'en est fini de notre influence en Afrique. (Applaudissements sur les travées socialistes.) Les jeunes élites, par notre faute, seront anglophones. Est-ce cela que nous voulons ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Pierre Mauroy. C'est la vérité !
M. Michel Rocard. Je crains, mes chers collègues, que la vérité ne vous blesse ! (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Rocard.
M. Michel Rocard. Vous feriez mieux de prendre cette information au sérieux. Elle est très importante.
En tout cas, les migrants, même pauvres, ne sont pas la misère du monde. Ce sont toujours, au contraire, les éléments les plus dynamiques des populations qui sont prêts à s'expatrier. Jeunes Français partant pour le monde et jeunes étrangers frappant à notre porte, les migrants sont souvent l'avenir du monde. Faisons donc des lois, et plus généralement une politique de l'émigration et de l'immigration, qui expriment non plus la peur de l'étranger, mais, au contraire, une ouverture à l'autre qui est la seule garantie de notre avenir. Alors, nous pourrons traiter la délinquance sans craindre de mordre sur ses frontières, et la France sera digne d'elle-même et de son image dans le monde. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je répondrai plus tard sur le fond à M. Rocard, mais je tiens d'ores et déjà à formuler deux observations.
Monsieur le sénateur, permettez-moi de préciser que la France reçoit annuellement 35 000 étudiants étrangers, et que ce nombre croît de 1 % chaque année.
Par ailleurs, monsieur Rocard, j'ai constaté en écoutant les orateurs de l'opposition qu'il n'y a qu'eux qui parlent du Front national et de M. Le Pen ; jamais, jamais vous ne m'avez entendu parler de ce parti ou de son chef et vous ne m'entendrez jamais le faire !
M. Jacques Mahéas. Forcément, vous leur prenez leurs idées !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je n'ai pas présenté cette loi pour me rapprocher d'idées extrémistes que j'ai toujours combattues, que je combattrai toujours et...
MM. Jacques Mahéas et Pierre Mauroy. Prouvez-le !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... qui sont étrangères à l'héritage que j'ai reçu de ma famille, dont je suis fier.
Monsieur Rocard, j'ai rédigé ce projet de loi parce que je considérais nécessaire pour mon pays de lutter non pas contre l'immigration régulière mais contre l'immigration irrégulière, car elle empêche l'intégration et l'assimilation des étrangers en situation régulière.
C'est l'honneur de mon pays d'avoir accueilli, au long de son histoire, des hommes et des femmes de couleurs, de traditions et de cultures différentes, qui ont accepté de se soumettre aux lois de la République ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Rocard. Monsieur le ministre, bravo ! Mais je vous donne rendez-vous, demain, sur les amendements !
M. Emmanuel Hamel. Les socialistes sont le carburant du Front national !
Un sénateur de l'Union centriste. Ils le savent et ils le font exprès !
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation vécue aujourd'hui à Vitrolles ne peut, certes, être entièrement liée aux problèmes de l'immigration. Mais aurait-elle autant d'acuité, autant d'âpreté, autant de dureté si notre pays avait, une bonne foi pour toutes, défini une politique de l'immigration, si notre pays, comme le recommandait M. le rapporteur, avait organisé devant l'opinion publique le nécessaire grand débat ?
Vivrions-nous la situation de Vitrolles si nous nous étions fixé, une bonne fois pour toutes, l'objectif permanent de réduire l'immigration clandestine ?
Vitrolles serait-il au coeur de l'actualité si nous avions éclairci ces problèmes, si nous avions mis un terme à certaines opacités ?
L'extrême droite serait-elle aussi forte, à Vitrolles et ailleurs, si nous condamnions beaucoup plus haut et beaucoup plus fort le comportement de certains immigrés qui méprisent la France au lieu de la respecter, à défaut de l'aimer ? (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
J'ai rencontré chez les habitants de Vitrolles des sentiments d'incompréhension et d'angoisse. Ils ne sont pas plus intolérants que d'autres ; ils sont autant citoyens que d'autres, mais ils ne peuvent accepter que ces problèmes soient caricaturés, notamment dans les médias ; ils ne peuvent accepter que ces problèmes soient tus ; ils ne peuvent accepter que les problèmes humains, générés par les problèmes d'immigration, soient aussi mal mesurés.
C'est pour cela que j'approuve, monsieur le ministre, un projet juridiquement indispensable, un projet corrigeant un certain nombre de dysfonctionnements dans la lutte contre l'immigration clandestine, un projet qui, quoi qu'on en dise, est empreint d'une grande compréhension.
Cette compréhension, monsieur le ministre, vous avez su en témoigner récemment, et cela a été évoqué, lors de l'affaire dite des « sans-papiers de l'église Saint-Bernard ». Vous aviez promis d'examiner chaque situation avec attention, et c'est ainsi que nombreux furent ceux qui ont été autorisés finalement à séjourner sur notre sol.
L'article 4 de votre projet de loi s'inscrit en droite ligne dans cette démarche puisqu'il vise à mettre fin aux situations impossibles que connaissent ceux qui, bien que ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement, n'étaient pas autorisés à séjourner sur le territoire français.
Depuis environ six mois, vous vous êtes employé à prouver que les efforts déployés pour la reconduite à nos frontières des étrangers en situation irrégulière n'étaient pas vains, puisque le taux d'exécution des mesures d'éloignement était en progression constante - cela a été rappelé précédemment.
J'ai étudié avec beaucoup d'attention le rapport de notre rapporteur, M. Masson, ainsi que le document réalisé par Mme Sauvaigo, au nom de la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale.
A la lecture de ces rapports, j'ai constaté que, très souvent, des imperfections juridiques mais également le manque de moyens humains et matériels dont souffre l'ensemble de la chaîne du traitement de l'immigration clandestine empêchaient de mener à bien l'exécution des mesures d'éloignement.
Votre projet de loi n'apporte pas de bouleversements à la législation actuelle ; il permet plutôt de remédier à certains dysfonctionnements apparus après le vote des lois de 1993.
L'une de ces améliorations, qui constitue en fait une nouveauté, a retenu particulièrement mon attention : elle concerne l'article 10 du projet de loi.
Lors de la présentation par M. Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, du projet de loi relatif à la lutte contre le travail illégal, le Gouvernement avait indiqué que les dispositions liées à l'emploi d'étrangers sans titre de séjour seraient insérées dans le texte présenté aujourd'hui.
Je me félicite de l'introduction, dans le code de procédure pénale, d'un article qui donnera enfin aux autorités publiques les moyens de mettre un terme à des situations proprement inacceptables.
Quelles sont, en effet, les principales raisons qui poussent un étranger à venir séjourner irrégulièrement en France si ce n'est l'espoir d'une vie meilleure ? Dès lors, si l'étranger doit endosser la responsabilité d'avoir pénétré sur notre territoire sans y avoir été autorisé, cette responsabilité doit être partagée avec celui qui a provoqué cette entrée : je veux parler de l'employeur.
Comment concevoir, en effet, qu'une personne en infraction par rapport aux dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 puisse être condamnée à une peine de prison ferme sans que celui qui l'a conduite dans les mailles du filet de la justice soit inquiété ?
Certes, des peines d'emprisonnement peuvent être prononcées à l'encontre des employeurs d'étrangers clandestins, mais, jusqu'alors, les services de police ne disposaient que de peu de moyens pour lutter contre ce type d'infractions. Désormais, il en ira autrement puisque le nouvel article 78-2-1 du code de procédure pénale va permettre de remédier à cette carence de moyens.
De même, par défaut de moyens, les services de votre ministère rencontrent souvent de nombreuses difficultés lors de l'identification des étrangers en situation irrégulière en vue de leur éloignement.
Pour mettre partiellement fin à cet obstacle, nos collègues de l'Assemblée nationale ont introduit une disposition visant à ce que les empreintes digitales puissent « être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé ».
J'ai entendu à cette tribune des protestations à ce sujet, au motif que cette disposition constituerait une atteinte aux libertés individuelles.
Mes chers collègues, je ne parviens pas à compendre ces objections. Que reproche-t-on à cette mesure ? De vouloir aligner le régime du séjour des étrangers en France sur celui des ressortissants français ? Depuis des années, les empreintes digitales de l'ensemble de la population française sont relevées à chaque nouvelle demande de carte d'identité. Jamais, jusqu'à présent, cette mesure n'a fait l'objet d'une critique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Parce qu'elle se révélera souvent utile et efficace, je suis particulièrement favorable à cette disposition.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. André Vallet. Avant de conclure, je souhaiterais vous interroger, monsieur le ministre, sur les conséquences de l'éventuelle adoption du paragraphe I de l'article 1er du projet de loi.
Je comprends aisément les raisons qui ont provoqué l'adoption de cette disposition, mais je ne parviens pas à en mesurer l'efficacité.
Aux termes de cette dernière, l'hébergeant sera tenu de déclarer à la mairie de son domicile le départ de l'étranger qui résidait chez lui, et ce dans un délai de huit jours.
Lorsque cette déclaration aura été effectuée, que se passera-t-il ensuite ? Je ne vois pas comment en effet vos services pourront utiliser cette déclaration dans la mesure où, à fort juste titre, il n'est pas prévu que l'hébergeant donne connaissance de la destination de l'hébergé, destination qu'il peut d'ailleurs parfaitement ignorer.
M. Jacques Mahéas. Voilà !
M. André Vallet. J'entraperçois le côté dissuasif de la disposition, mais je ne parviens pas à prendre la juste mesure de son application.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous répondrai.
M. André Vallet. Quoi qu'il en soit, l'ensemble des dispositions qui font l'objet de notre discussion de ce jour me semblent satisfaisantes dans la mesure où, enfin, est posé devant la représentation nationale le problème de l'immigration clandestine. Elles permettront assurément de mener à bien et d'amplifier la politique gouvernementale en matière d'immigration irrégulière.
En conséquence, la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen votera ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendantes et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : « Où est le bien de la France ? Où sont les exigences de la nation ? Où est le devoir de l'Etat ? La vérité est claire : tout est politique. »
C'est ainsi que Michel Debré, au moment où il devenait Premier ministre, définissait la ligne de toute action gouvernementale. En quelques mots, tout était dit !
En abordant cette grave question de l'immigration, nous sommes au coeur de la politique. Il nous faut en effet parler de la France, de la nation et des devoirs de l'Etat.
L'immigration, dans toutes ses facettes, ne saurait être un sujet tabou sauf à abdiquer notre fonction politique sous la pression d'une espèce de terrorisme moraliste, d'amalgame ou de procès d'intention comme ceux auxquels, hélas ! M. Rocard s'est livré voilà quelques minutes.
M. Jacques Mahéas. Pas de provocation !
M. Paul Masson, rapporteur. Elle était ailleurs la provocation !
M. Bernard Plasait. L'immigration est un défi majeur pour notre pays. Ce qui a été fait ou n'a pas été fait depuis trente ans explique bien des situations qui serrent le coeur, ces banlieues sans droit et sans travail, qui sont des terreaux pour la haine et pour l'exclusion.
M. Michel Rocard. Qu'ai-je dit d'autre ?
M. Jacques Mahéas. Les exclus de Paris !
M. Bernard Plasait. Et ce qui sera fait ou ne sera pas fait dans les prochains mois ou les prochaines années conditionnera l'avenir de nos enfants et façonnera la France sans doute de façon irréversible.
Alors oui, parler de l'immigration, c'est parler de la France.
Une abondante littérature, reçue par courrier, émanant d'autorités morales, nous explique que votre texte, monsieur le ministre, serait contre le droit des gens, contre la liberté, contre l'intégration. Il y a, en quelque sorte, d'un côté, les bons, les bien-pensants, les généreux, les humanistes, et, de l'autre côté, les mauvais : xénophobes, égoïstes, racistes.
Pourtant, c'est Alain Finkielkraut qui, au milieu de cette grande émotion suscitée par les sans-papiers de l'église Saint-Bernard, disait : « On ne peut réduire le problème à un affrontement entre un gouvernement insensible et des hommes généreux. Car les mêmes qui réclament l'ouverture totale des frontières plaident par ailleurs pour le maintien, voire l'augmentation des droits sociaux. Or plus un Etat est social, plus il est protectionniste. » Et Alain Finkielkraut concluait : « L'Etat-providence a nécessairement des frontières. »
Eh oui, la France a des frontières. Elle est un pays d'accueil, mais c'est un Etat de droit. C'est un pays d'accueil qui doit lutter contre l'immigration illégale pour pouvoir garantir le droit de vivre en France dans la dignité ou d'acquérir la nationalité française.
Elle est un Etat de droit dont les lois doivent être respectées. L'immigration illégale ne peut être tolérée et encore moins encouragée par la facilité accordée à des détournements de procédure.
Il est naturel, monsieur le ministre, et pour tout dire conforme à votre fonction même, que vous disposiez d'un outil efficace pour lutter contre l'immigration frauduleuse.
Pour autant, nous n'oublions pas que la France doit beaucoup à l'immigration.
L'immigration est incontestablement une donnée fondamentale de l'histoire nationale. Un Français sur quatre a au moins un étranger parmi ses grands-parents, et il est de nombreux étrangers devenus célèbres sans lesquels notre pays n'aurait certainement pas la même renommée.
Héritière de l'universalisme des Lumières et du messianisme révolutionnaire, la France se définissait au xixe siècle comme une terre d'asile. Cette tradition fit de Paris la capitale de la Pologne anti-tsariste, le refuge des libéraux espagnols ou des opposants italiens.
Mais, à la fin du Second Empire, l'opinion publique prit conscience de la transformation qualitative de l'immigration, qui, d'idéologique, devint de plus en plus économique.
Dès lors, la question des « étrangers » en France se pose en termes non pas seulement de « voyages » ou de « passages », mais d'installation, d'implantation, bref d'immigration durable, voire définitive.
Le problème des étrangers change évidemment de dimension et même de nature.
C'est dans un climat de très forte xénophobie populaire que s'ouvrit, en 1882, le premier débat parlementaire sur l'immigration. Deux textes fondamentaux en résultèrent : la loi sur la nationalité du 26 juin 1889 et la loi du 8 août 1893 relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail national.
Cent ans plus tard, les débats sur les droits de séjour des étrangers en France demeurent aussi vifs et sont, monsieur le ministre, la raison de notre discussion d'aujourd'hui.
Pourquoi la question de l'immigration est-elle toujours d'actualité ? Les Français n'auraient-ils rien compris ? Les pouvoirs publics n'auraient-ils rien fait ?
La réponse est forcément multiple. Le monde a bougé. L'économie s'est mondialisée. Les repères d'antan n'existent plus. La société française s'est profondément transformée depuis vingt-cinq ans.
De ces bouleversements témoigne d'ailleurs l'instabilité chronique, soulignée plusieurs fois, de notre législation sur l'immigration. Nous allons en effet procéder à la vingt-quatrième modification de l'ordonnance de 1945, et cette modification intervient moins de quatre ans après l'adoption des lois du 24 août et du 30 décembre 1993, qui ont défini de nouvelles règles en vue d'une maîtrise effective des flux migratoires.
Le fait est que la crise économique et toutes celles qu'elle a entraînées semblent avoir renforcé nos compatriotes dans une volonté de conserver leur identité. Thierry Desjardins a écrit fort justement : « Quand ça va mal, on a besoin de se retrouver entre soi, en famille, de se rattacher à quelque chose. Or il nous reste cette curieuse communauté à laquelle on peut encore se rattacher, dont nous faisons toujours partie jusqu'à preuve du contraire, et qui s'appelle notre pays. »
Dès lors, la question de l'appartenance nationale, de l'identité française et de l'immigration ne doit pas être un sujet tabou. Les valeurs de la République ne sont le monopole de personne. Ces valeurs - la laïcité, la citoyenneté, la nationalité et l'idée même de la nation -, nous devons les défendre avec force et fierté.
Ce n'est certes pas la mode - c'est même terriblement « ringard » aux yeux de beaucoup - mais je crois que l'amour du pays, la volonté de vivre ensemble sont toujours des valeurs sûres, des valeurs d'avenir.
Oui, si je refuse le nationalisme, je crois à la nation. Et c'est un immigré dont la France est fière, Romain Gary, qui disait : « Le patriotisme, c'est l'amour des uns, le nationalisme, c'est la haine des autres. »
Je voudrais que nous sachions réussir notre politique d'immigration pour perpétuer cette tradition d'intégration qui a fait notre pays.
Puissions-nous être capables, comme le voulait Michelet, de « fonder la patrie au coeur des enfants », des enfants français ou des enfants qui deviendront un jour français.
Traiter du grave sujet de l'immigration, c'est évoquer la France, c'est évoquer la nation, et c'est aussi parler des droits des individus, j'en suis bien d'accord, mais à condition que l'on n'oublie pas les devoirs de l'Etat : devoirs envers ceux qui vivent aujourd'hui dans notre pays aussi bien que devoirs envers les générations futures.
La France peut-elle se passer de flux migratoire ? Peut-être pas. Sans doute pas. Mais la situation actuelle nécessite, à tout le moins, une pause.
L'atmosphère n'est pas bonne, vous le savez tous. Dans certaines banlieues, les limites du supportable sont dépassées. L'intégration ne se fait plus.
Les raisons sont multiples. Des années de laxisme n'y sont pas étrangères.
M. Jacques Mahéas. Et les élus de Paris qui ont chassé les immigrés vers la banlieue ? Les 4000 de La Courneuve, qu'est-ce que c'est ?
M. Bernard Plasait. Sans céder au catastrophisme, on peut dire qu'il y a urgence à traiter le problème.
Or il est une idée qui fait aujourd'hui son chemin. Elle voudrait que l'objectif d'« immigration zéro », officiellement affiché par notre pays depuis 1974, soit caduc. « C'est un leurre, nous dit-on. Tirons-en les conséquences et fixons plutôt des quotas annuels d'immigration. »
Au-delà des difficultés pratiques que soulèverait une telle mesure - et notamment sur quelles bases seraient fixés les quotas, selon quels critères, au prix de quels marchandages ? - on peut s'interroger sur les motifs d'un tel retournement.
La France est un pays d'accueil qui doit beaucoup à l'immigration, nul ne le conteste. C'est aussi la raison pour laquelle elle doit être attentive à la réussite de l'intégration, comme ce fut le cas tout au long de son histoire.
Je suis convaincu que l'objectif d'« immigration zéro » n'est pas un slogan mais qu'il restera une nécessité tant que la machine à intégrer ne fonctionnera plus.
Donnons d'abord du travail dans nos banlieues. Lorsque la prospérité et la paix y seront revenues, le creuset national sera remis en marche et on pourra songer à l'alimenter de nouveau.
M. Jacques Mahéas. C'est vous qui êtes au pouvoir ! C'est à vous de faire en sorte que du travail puisse être donné !
M. Bernard Plasait. La politique d'immigration doit être proportionnelle à notre capacité d'absorption.
Aujourd'hui, la priorité est à l'assimilation des immigrés qui sont déjà régulièrement installés chez nous. « Le principe d'immigration zéro n'a jamais été appliqué », entend-on dire. Voilà, en effet, une vérité qui mérite d'être rappelée.
Mais par quelle perversion de la pensée faudrait-il renoncer à un objectif jugé légitime au motif que les moyens pour l'atteindre sont insuffisants ? Le bon sens, qui rejoint en l'espèce l'intérêt national, voudrait plutôt que l'on se donnât les moyens d'atteindre cet objectif, d'autant que c'est au détriment des Français les plus modestes et aussi des étrangers déjà présents sur notre sol que cette immigration nouvelle exerce ses effets.
C'est bien elle qui constitue le principal obstacle au processus d'intégration, ou plutôt à ce qu'on osait jadis appeler l'« assimilation républicaine ».
Le présent projet de loi vise à remédier aux difficultés observées dans la pratique. A cette fin, il conforte le cadre législatif actuel, se situant dans le droit-fil des lois du 24 août et du 30 décembre 1993, dont les principes demeurent parfaitement valables.
Comme l'a indiqué notre collègue Paul Masson dans son excellent rapport, trois objectifs principaux sont visés : l'amélioration de la cohérence des titres de séjour ; une meilleure détection de l'immigration irrégulière et du travail illégal ; une efficacité accrue des procédures contribuant à l'éloignement.
Je ne peux que souscrire à ces objectifs, même si certaines de ces « diverses dispositions » mériteraient, à mon sens, d'être renforcées.
En effet, il faut améliorer les conditions de contrôle d'identité, se donner le moyens de mieux identifier ceux qui organisent leur anonymat, allonger la durée de rétention des étrangers en situation irrégulière, mais encore et peut-être surtout diminuer l'attrait de l'immigration clandestine en France.
Ce sont là des solutions techniques particulièrement nécessaires.
Votre texte, monsieur le ministre, est « juridiquement correct ». Je le voterai, même si j'ai quelques observations et quelques propositions à formuler au cours de nos débats, avec, bien entendu, le même souci de constitutionnalité que celui qui vous anime.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : une politique de fermeté légitime, conforme à ce principe de bon sens récemment formulé par votre prédécesseur, « la France accueille qui elle veut et non qui le veut », est la meilleure chance d'intégration - la dernière, peut-être - que nous puissions offrir aux étrangers déjà présents sur notre sol.
Les Français l'attendent. L'avenir l'exige. C'est le choix du courage. C'est aussi le choix de la République. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je débuterai par un aveu, peu glorieux, mais sincère.
J'avais préparé consciencieusement, avec toute l'application dont je suis capable, le texte de mon intervention. Cependant, au milieu de l'après-midi, m'apercevant que tout avait été dit, et avec beaucoup de talent, par des orateurs venant de l'un et l'autre côté de cet hémicycle, je me suis précipité dans mon bureau pour réécrire en partie ce texte.
J'ai beaucoup apprécié les propos des différents orateurs, particulièrement ceux du rapporteur, du président de la commission des lois, de M. Christian Bonnet, de M. Robert Badinter. Quelle que soit la philosophie politique de l'orateur, et malgré le climat de passion qui a parfois empreint ce débat, un certain nombre de pas auront été franchis ce soir.
Je ne parlerai ni en historien, ni en philosophe, ni même en juriste - tout au plus en juriste de banlieue ! (Sourires) - mais en homme de terrain. J'ai été maire de Roubaix pendant onze ans. Je salue d'ailleurs mon grand voisin, M. Pierre Mauroy : un Roubaisien ne dit jamais de mal d'un Lillois, car un Roubaisien n'est pas raciste ! (Nouveaux sourires.)
De fait, à Roubaix, nous avons vu arriver les Polonais, les Flamands - au début du siècle, le maire de Roubaix lançait ses appels en deux langues : en français et en flamand - les Italiens et, plus récemment, les Maghrébins.
Roubaix est une ville où la majorité de la population est constituée d'immigrés de la première ou de la deuxième génération. Aussi, mes propos changeront sans doute un peu de ceux qui ont été tenus jusqu'à présent, mais ils seront empreints d'une grande humilité. J'éviterai les polémiques et l'emploi de mots qui blessent. D'ailleurs, en matière d'immigration, il faut être prudent dans le choix des mots. En effet, certains sont politiquement corrects, d'autres politiquement incorrects, et vice versa, selon le moment où ils sont prononcés.
Ainsi, voilà quelques années, le mot « charter » était honni, jusqu'au jour où Mme Cresson l'a prononcé. De même l'expression de « seuil de tolérance » était taboue, jusqu'au jour où le Président de la République l'a reprise à son compte. Je précise que je n'aime pas beaucoup le mot « tolérance ». En effet, tolérer, c'est supporter quelqu'un que l'on n'aime pas beaucoup. Je préfère les mots « fraternité » et « amitié ».
Je pense également à d'autres expressions, notamment au « droit de vote des étrangers », dont M. Rocard s'est fait non pas le défenseur, mais l'adversaire. Voilà une quinzaine d'années, dans les colloques, j'étais quasiment agressé et traité de ringard quand j'affirmais que, en l'état actuel, il n'était pas raisonnable d'accorder le droit de vote aux étrangers. Et puis, un jour, M. Rocard a dit que l'octroi de ce droit de vote était l'aboutissement, et non pas le préalable d'une politique d'intégration. Il m'a alors rendu un grand service ; je suis heureux de l'en remercier publiquement. Il m'a également appris à me méfier des mots.
Cela étant dit, je souhaite que, lors de l'examen du présent projet de loi, on tienne compte des deux orientations que je vous présente sous forme de deux amendements.
On a déjà beaucoup parlé du premier, et il y a longtemps qu'il me tarabuste. Un des grands reproches que l'on a faits au Gouvernement au cours des événements de l'église Saint-Bernard, c'était justement de ne pas permettre à des personnes que l'on ne pouvait pas expulser de chercher du travail. Cela a été le leitmotiv de la presse, qui donnait l'impression que c'était là le seul problème. Le bon sens populaire ne comprenait pas cette attitude.
Nous avons un peu réfléchi à la question. Il est évident que quelqu'un qui se trouve dans cette situation, c'est-à-dire qui doit rester sur le territoire français et qui ne peut pas avoir de travail, est condamné à devenir un délinquant, un trafiquant, ou un travailleur clandestin s'il veut nourrir sa famille.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé un amendement, qui vise à régler cette question. J'ai d'ailleurs reçu ou plutôt suivi un appui de poids en la personne de M. Mazeaud. Ce dernier - vous l'avez entendu vous-même, monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale - après avoir ironisé avec humour sur un « vide juridique qui était devenu un trop-plein médiatique » - car on ne parlait plus que de cela - a rappelé que les lois devaient être simples pour être applicables. Il ajoutait : « J'aurais été naturellement tenté de régler le problème en prévoyant l'attribution d'un titre de séjour à tous les non-expulsables. Mais je n'ai pas cédé à cette tentation, dont je persiste à penser qu'elle aurait peut-être été, en face des situations que nous avons connues notamment cet été, pleine de bon sens. »
Je suis parfois d'accord avec M. Mazeaud, même si je suis un peu prudent devant certains de ses propos. En tout cas, je suis certainement un plus grand pécheur que lui car, moi, je cède ouvertement à la tentation à laquelle il a su résister. (Sourires.)
Je précise que cet amendement concerne un nombre restreint de personnes, mais il a un valeur hautement symbolique, car il vous lave, monsieur le ministre, de l'accusation d'incohérence s'agissant du présent projet de loi.
Certains diront que c'est donner une prime à la ténacité dans l'illégalité. Je crois que l'on peut être à la fois réaliste et humain. En effet, il est évident que celui qui justifie avoir résidé dans notre pays, en étant tantôt en situation légale, tantôt en situation illégale, mais qui n'a pas enfreint les lois de la République peut voir son cas pris en considération. Souvent, pendant quinze ans, il a tissé des liens familiaux et sociaux.
Certains - et j'en connais - vivent dans des cités sans que personne dans leur voisinage soupçonne leur situation. D'autres, au contraire, vivent pendant des années un peu comme des personnes traquées. De tels cas de détresse peuvent être pris en considération dès lors, bien sûr, que les personnes concernées ont une vie convenable.
A ceux qui considèrent que c'est un manque de rigueur, je rappellerai l'axiome que j'apprenais quand je faisais mes humanités : summum jus, summa injuria. Sur la tombe de mon père, ses amis ont inscrit : Plenitudo juris dilectio ; c'est une citation de Saint-Paul. « La plénitude de la justice, c'est l'amour ». Quelquefois, il faut savoir aller plus loin quand on veut faire régner la justice.
En tout cas, avec l'article que vous proposez, monsieur le ministre, vous avez fait 95 % du chemin. Je veux vous aider - vous voyez que je suis bon - à faire les 5 % qui restent, pour que la question soit réglée.
Le second amendement - on en a également parlé - est très simple. Il concerne le problème des empreintes digitales.
Certains sont stupéfaits que je ne sois pas indigné par la prise des empreintes digitales. J'ai interrogé de nombreuses personnes. Pour ma part, je ne suis absolument pas gêné d'apposer mes empreintes digitales. Ce qui m'ennuie un peu, c'est simplement parce que je dois me laver les mains après. (Sourires.) Il n'y a rien de choquant à prendre une mesure qui s'applique déjà, comme cela a été rappelé tout à l'heure, à ceux qui demandent une nouvelle carte d'identité.
L'amendement que je propose vise simplement à établir une distinction entre les étrangers à l'Union européenne et les membres de l'Union européenne. Cela poserait en effet trop de problèmes. Cette question pourra être réglée plus tard, quand des pas en avant seront faits, car il faudra bien, c'est évident, élaborer une législation européenne commune pour résoudre les problèmes d'immigration.
M. Jean-Louis Debré ministre de l'intérieur. Je suis d'accord avec votre amendement !
M. André Diligent. Eh bien ! nous aurons fait un pas de plus ensemble !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous le constatez, je fais 95 % du chemin vers vous pour être aussi bon que vous-même ! (Sourires.)
M. André Diligent. Vous finirez par me nommer secrétaire d'Etat ! (Nouveaux sourires.)
Il y a certes la loi, mais aussi l'état d'esprit avec lequel elle est appliquée. On a dit à juste titre - pour ma part, je ne changerai pas d'avis - qu'un immigré - il ne faut jamais l'oublier - c'est d'abord un homme qui a eu le courage de quitter sa terre lointaine pour nourrir sa famille, qui a le courage de ne pas rester oisif, dans un Etat second, et qui descend souvent d'une lignée d'anciens immigrés temporaires. N'oubliez pas ces immigrés héroïques de 1914-1918 ou de 1939-1945, qui souvent étaient ses parents ou ses grands-parents.
De nos jours, l'immigré fragilisé se rend vite compte, quand il vit dans le ghetto d'une banlieue, si on jette sur lui un regard de sympathie et d'amitié ou, au contraire, un regard de rejet.
C'est pourquoi une politique d'intégration doit faire appel à notre raison et à notre coeur. C'est ce qu'a très bien défini mon collègue et ami député et conseiller d'Etat M. Cazin d'Honinctun, quand il a rappelé les deux principes fondamentaux d'une future loi : principe de fermeté et principe d'humanité.
Principe de fermeté : il ne faut pas oublier que c'est le droit et le devoir de toute nation de définir les conditions d'entrée et de séjour sur son territoire. Il est parfaitement légitime que, en raison des circonstances et de la situation économique, nous devions réguler les flux migratoires. D'ailleurs, plus nous maîtrisons ces flux, mieux nous contrôlons les accès sur notre territoire. Plus nous serons en mesure d'être libéraux envers les étrangers qui y sont installés régulièrement, plus nous pourrons donner toutes ses chances au creuset de l'intégration.
N'oubliez pas non plus que les lois sont faites pour être respectées. Tout à l'heure, certains ont évoqué l'intégration. M. Badinter s'est exprimé sur ce point avec beaucoup d'éloquence. Il a cité Clovis et d'autres personnages. J'aurais d'ailleurs pu citer Marie Curie, qui était une immigrée. On oublie aussi que presque tous les rois de France étaient fils de femmes immigrées...
M. Pierre Fauchon. Et quelquefois de père indéterminé ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Pater is est quem nuptiae demonstrant !
M. Pierre Fauchon. Ce n'est pas pour rien que l'on a inventé la présomption !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Elle en a rassuré beaucoup !
M. Pierre Fauchon. Et cela continue !
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Diligent !
M. André Diligent. Nous sommes dans une chambre, certes, mais convenable ! (Rires.)
M. Louis Moinard. Ce n'est pas une antichambre !
M. André Diligent. Or, ces rois ont, selon un principe bien connu, fait la France.
J'en viens au dernier point de mon intervention, à savoir la finalité de l'immigration.
La finalité de l'immigration, c'est l'intégration, et la finalité de l'intégration, c'est la nationalité et, souvent, la naturalisation. N'oublions pas - et j'ai cité tout à l'heure Marie Curie - que de nombreux prix Nobel français étaient d'origine étrangère - M. Badinter en a parlé.
Je vois encore cette extraordinaire photographie de l'équipe de France de relais quatre fois cent mètres qui, voilà une dizaine d'années, fut championne du monde. C'était quatre noirs. M. Le Pen avait raison sans le savoir en parlant de la supériorité de certaines races, en tout cas en course à pied.
M. Mauroy se fait le champion des jeux Olympiques de 2004. Pour une fois je fais un peu de réclame pour vous, mon cher collègue ! (Sourires.) Vous serez bien heureux de compter sur l'apport de nos anciennes colonies et de nos amis de couleur noire, qui sont souvent là pour aider les visages pâles que nous sommes à remporter des victoires dans les stades. (Nouveaux sourires.)
J'ai sur mon bureau des dossiers nombreux, et même trop nombreux. A l'heure actuelle, nous devons effectuer un très grand nombre de démarches, souvent pour des gens désespérés qui sont dignes de notre compassion. S'agissant des naturalisations, j'ai l'impression que le ministère de l'intérieur a intérêt à accélérer le traitement de certains dossiers et à améliorer les procédures.
J'ai une lettre extraordinaire de ce ministère et qui concerne un dossier que j'ai déposé voilà quelques années. Il a été répondu au postulant que, en raison du caractère insuffisant de son insertion, la demande de naturalisation est rejetée pour un certain temps. Or, voilà quelques années, celui-ci a été nommé pour trois ans membre de la commission pédagogique nationale des instituts universitaires. Et il ne serait pas encore assez inséré dans la nation !
Certains fonctionnaires - il ne s'agit pas de la majorité d'entre eux - font preuve de mauvaise humeur. De même, certains policiers sont racistes et d'autres sont épatants. On a tort de tout simplifier et de faire une banalisation qui relève d'un esprit raciste. Oui, j'ai vu dans des commissariats des gens mal accueillis en raison de leur faciès.
M. Jacques Mahéas. Cela existe !
M. André Diligent. Je vois également des policiers héroïques, qui prennent des risques énormes et qui savent rester humains jusqu'au bout.
M. Jacques Mahéas. Cela existe aussi !
M. André Diligent. C'est la raison pour laquelle je refuse les généralisations hâtives comme celles que j'ai entendues.
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. André Diligent. Avant de conclure, je souhaiterais vous signaler, sans les approfondir, quelques obstacles à la réussite d'une politique d'humanisation. Je pense à la discrimination par l'emploi. C'est insupportable pour un jeune, et nous avons une majorité de jeunes chômeurs à Roubaix. Lorsqu'un jeune répond à une annonce et est convoqué, lors de l'entretien on voit tout de suite qu'il s'appelle Ahmed et sa candidature est alors refusée.
Je me souviens d'une discussion que j'ai eue avec un jeune. « J'ai répondu à plus de cinquante annonces », m'a-t-il dit. Il avait compris que le simple fait d'énoncer son nom entraînait un refus courtois. Aussi, il m'a dit : « Monsieur le maire, à force d'être rejeté d'entreprise en entreprise, j'ai fini par choisir l'entreprise délinquance ».
Quand on entend des jeunes de vingt à vingt-cinq ans qui n'ont aucun espoir, pas même celui de fonder un foyer, qui n'ont aucun horizon, alors on comprend. Je suis parfois en admiration devant tous ceux qui ne craquent pas, et c'est le cas de la majorité de mes jeunes.
C'est la raison pour laquelle il faut tout de même comprendre les situations invraisemblables qui existent et faire le maximum pour sauver cette jeunesse qui se trouve enfermée dans des ghettos. A cet égard, je vous félicite, monsieur le ministre, d'avoir soutenu le premier projet de zone franche, car c'est déjà un premier pas dans l'intégration.
Monsieur le ministre, il faut plus que jamais nous « serrer les coudes ». J'ai assisté pendant des années aux séances du Haut Conseil de l'intégration. Nous avions parmi nous un ancien ministre communiste, un député RPR, des militants socialistes et des dirigeants d'associations. Nous sommes tombés d'accord. Bien entendu, il a fallu discuter et faire des compromis, mais nous sommes toujours parvenus à des textes communs. Ces textes, vous les connaissez, ils ont été publiés. Je voudrais qu'ils ne finissent pas dans un tiroir et qu'ils servent à organiser un véritable débat pour faire avancer ces problèmes sur lesquels un éclairage nouveau doit parfois être porté.
Oui ! l'intégration est une question de loi, mais c'est aussi une affaire de coeur et une question d'état d'esprit.
J'ai dix-huit communautés étrangères à Roubaix. Elles se réunissent tous les mois ; elles font, chaque année, une fête de l'amitié et je souhaiterais que des ministres viennent y participer. Le plus beau cadeau qu'elles m'ont fait quand je suis parti de la mairie, pour me remercier, - et chaque président a signé, c'est une mosaïque - représentant les vieux jeux roubaisiens pour montrer leur volonté de rejoindre les racines roubaisiennes et les paysages de leurs pays, afin de montrer cette union intime.
Pour ma part, je ne discute pas du problème multiculturel ou monoculturel. J'ai horreur du dirigisme dans le domaine de la culture. Je laisse faire les gens, et je constate que s'opère tout naturellement une aspiration continue et progressive, de génération en génération, vers une impragnation de la culture française.
C'est la raison pour laquelle, comme le disait le porte-parole des associations des communautés étrangères, lors d'une des dernières réunions de la fête de l'amitié « l'intégration commence le jour où l'on décide de s'installer dans un pays, et elle est terminée le jour où l'on commence à aimer le pays où l'on vit ». Tout commentaire est superflu. (Applaudissements sur toutes les travées.)
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès le début des années quatre-vingt, les socialistes et les communistes ont imposé le silence sur le problème de l'immigration.
M. Jacques Mahéas. Cela commence fort !
M. Christian Demuynck. Nous payons aujourd'hui le laxisme dont ils ont fait preuve lorsqu'ils ont régularisé, dès leur arrivée au pouvoir, plus de 131 000 étrangers en situation irrégulière, sans d'ailleurs se préoccuper de leur avenir, de leur éducation, de leur intégration, et en oubliant complètement les leçons d'humanisme qu'ils viennent de nous donner, ce qui est à l'origine des problèmes que nous rencontrons dans nos banlieues.
M. Jacques Mahéas. Absolument pas !
M. Christian Demuynck. D'ailleurs, Jacques Mahéas en sait quelque chose !
Cela a constitué une incitation à l'afflux de plusieurs dizaines de milliers d'immigrants irréguliers supplémentaires.
Parler de l'immigration clandestine était devenu peu à peu un sujet tabou, alors que la situation dans notre pays devenait très inquiétante.
En 1993, la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France a marqué une réelle rupture avec l'attentisme et la négligence des gouvernements de gauche.
Il est aujourd'hui difficile de dénombrer exactement les clandestins. On ne peut pas trop se tromper en disant qu'il y en aurait entre 400 000 et 600 000. Mais à combien peut se chiffrer cette clandestinité ? Au niveau économique, avec l'appel au travail irrégulier, en matière de logement, avec la pratique usuelle des squats, au niveau social, puisque les clandestins, par définition, fraudent pour tenter d'obtenir des aides auprès de nos institutions ? (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. Ce sont tous des voleurs, des menteurs !
M. Christian Demuynck. Ils profitent également d'un certain nombre de prestations gratuites : on le sait bien, dans les hôpitaux français, on soigne gratis !
M. Jacques Mahéas. Bien sûr ! Il ne faut pas les soigner !
M. Christian Demuynck. Mais mon cher collègue, les contribuables sont là pour payer ! (Nouvelles protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. Et la générosité ? Laissons-les mourir !
M. Christian Demuynck. Enfin, les chiffres de la délinquance et surtout ceux des infractions à la législation sur les stupéfiants montrent la proportion importante de clandestins impliqués.
Ce projet de loi a pour objectif de mieux lutter contre l'immigration clandestine et de faciliter l'expulsion des étrangers en situation irrégulière, grâce notamment au relevé des empreintes digitales des étrangers désireux de séjourner en France, à l'appel suspensif du parquet en cas de jugement mettant fin à la rétention d'un étranger en instance d'éloignement,...
M. Jacques Mahéas. Il faut leur mettre un bracelet électronique, pendant que vous y êtes !
M. Christian Demuynck. ... au non-renouvellement de la carte de résident de dix ans jusque-là acquise de plein droit, en cas de menace à l'ordre public, ou encore au retrait de la carte de séjour ou de la carte de résident à un employeur étranger ayant recours à des clandestins.
Mais, sur d'autres points, ce projet de loi devrait aller plus loin. (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Michelle Demessine. Encore plus loin !
M. Claude Billard. C'est « Monsieur Plus » !
M. Christian Demuynck. Mesdames, messieurs les communistes, me souvenant des bulldozers qui ont été envoyés par certains maires communistes contre les foyers d'immigrés, je trouve votre position actuelle un peu curieuse...
M. Claude Billard. Parlons-en !
Mme Michelle Demessine. N'importe quoi ! Des lieux communs !
M. le président. Monsieur le sénateur, ne vous laissez pas interrompre !
M. Christian Demuynck. L'article 8 recule de vingt-quatre heures la saisine du juge judiciaire chargé d'autoriser la prolongation de la rétention administrative. Cette durée, même si elle est prolongée, reste dérisoire. Dans une situation similaire, certains pays européens autorisent des délais de deux, quatre, voire six mois comme en Allemagne.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bravo ! Bel exemple !
M. Christian Demuynck. Pourquoi ne pourrait-on pas prolonger davantage les délais ? Est-ce seulement par crainte d'une censure du Conseil constitutionnel ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En Allemagne, ils ont déjà fait mieux !
M. le président. Laissez parler l'orateur, mon cher collègue.
M. Christian Demuynck. L'article 3 prévoit sur la « bande de Schengen » la visite des véhicules pour rechercher et constater les infractions relatives à l'entrée et au séjour de clandestins. Mais il exclut les voitures particulières, car le Conseil constitutionnel les assimile à des lieux privés. L'article 3 perd donc tout son intérêt, car les clandestins, à défaut de camion, passeront en voiture.
M. Jacques Mahéas. Fouillez les mobylettes !
M. Christian Demuynck. Je ne vous ai jamais vu en mobylette, mon cher collègue !
Un sénateur socialiste. Et les vélos, aussi !
M. Christian Demuynck. On se souvient que, si la loi du 24 août 1993 n'a pas eu l'efficacité souhaitée, c'est qu'elle a été neutralisée en partie par les décisions du Conseil constitutionnel. Ainsi, ce dernier a considéré que tout arrêté de reconduite à la frontière entraînant automatiquement une sanction d'interdiction du territoire pour une durée d'un an était contraire à la Constitution.
Il a également rejeté les dispositions qui avaient pour but d'éviter que les étudiants étrangers séjournant en France ne bénéficient du regroupement familial. Le statut d'étudiant permet l'obtention d'un titre de séjour. Si la France fait tant d'efforts en accueillant les étrangers dans ses facultés et en leur attribuant des bourses, c'est pour qu'ils puissent apporter à leur pays d'origine leurs compétences et leurs connaissances professionnelles, et non pour que le statut d'étudiant permette d'obtenir le regroupement de familles dont l'intention est de s'installer en France.
Le Conseil constitutionnel a également censuré un autre article du projet de loi de 1993 laissant la possibilité au maire de saisir le ministère public au cas où des indices sérieux auraient laissé présumer qu'un mariage n'était envisagé que dans un but autre que l'union matrimoniale.
Il a considéré que ces dispositions méconnaissaient le principe de la liberté du mariage. L'intention du législateur était claire : lutter contre une pratique répandue des mariages de complaisance entre Français et étrangers.
Nous voyons bien, mes chers collègues, que le Conseil constitutionnel vide la portée des textes votés par le Parlement.
Cette institution était, à l'origine, chargée de contrôler les lois par rapport à la norme suprême : la Constitution de 1958.
Puis elle s'est progressivement référée à des notions nouvelles et plus vastes. Depuis plus de vingt ans, le Conseil constitutionnel s'est en effet créé un véritable bloc de constitutionnalité dont les limites ne sont pas clairement définies. Susceptibles d'aucun recours, ses décisions, qui s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, sont l'expression non pas du peuple, mais de neuf membres nommés qui n'ont de compte à rendre à personne et qui, quoi qu'on en dise, ne sont pas neutres politiquement.
La majorité des lois passent désormais à la « moulinette » du Conseil constitutionnel et ressortent amputées de leurs dispositions essentielles. La liberté d'action du Parlement devient de plus en plus réduite. Les gouvernements voient remettre en cause le programme politique pour lequel ils sont au pouvoir. Nous voyons bien, aujourd'hui, que cette situation ne correspond plus aux intentions des constituants de 1958, qui n'ont pas souhaité un contrôle de nature à porter atteinte à la souveraineté nationale.
Il ne s'agit pas de contester la nécessité d'un arbitre neutre capable, quand les circonstances l'exigent, d'assurer la prééminence de la Constitution.
Il ne s'agit pas non plus de jeter l'opprobre sur les membres du Conseil constitutionnel nommés pour leur compétence. Mais cette institution doit cesser de devenir un troisième pouvoir, car il n'a aucune légitimité populaire.
Mon intervention dépasse un peu le cadre de ce débat. Mais si nous n'y prenons pas garde, c'est tout le fondement démocratique de notre société qui sera remis en cause. En outre, les lois dont nous débattons et que nous votons auront moins de poids dans la balance que la décision de neuf membres qui sont inattaquables.
Le projet de loi tend également à lutter contre le détournement d'une pratique qui favorise l'installation illégale dans notre pays : je veux parler des certificats d'hébergement. Il est en effet tentant de prétexter une visite privée pour obtenir un visa de court séjour grâce à la délivrance d'un certificat visé par le maire. Trop de maires constatent, impuissants, l'entrée d'étrangers illégaux dans leur propre ville. Il est devenu indispensable de renforcer leur pouvoir et de responsabiliser les hébergeants.
L'article 1er prévoit quatre cas dans lesquels ils pourront refuser de viser ce document. Certains parlementaires se sont élevés contre ces dispositions. Mais qui d'autre qu'un maire, directement en contact avec ses administrés et les réalités du terrain, est le mieux placé pour constater les détournements de procédure et les fraudes ?
Dans l'exercice de leur mandat, les maires détiennent de nombreuses prérogatives, notamment en matière sociale et d'urbanisme, pour contrôler les situations qui leur sont soumises. Pourquoi ne pourraient-ils pas vérifier qu'ils ne signent pas un document susceptible de s'adresser à un clandestin ?
Au moment où notre pays a besoin de tant de courage, de volonté et de détermination, je ne peux pas croire que les maires de France refuseront de s'engager dans la lutte contre l'immigration clandestine.
L'article 1er prévoit également que l'hébergeant déclare en mairie le départ de l'étranger de son domicile. Cette obligation a certes pour avantage de lui faire prendre conscience de ses responsabilités. Mais cette déclaration n'est pas une garantie du retour au pays. Il est toujours plus facile d'empêcher l'arrivée d'étrangers, dont l'intention est de résider clandestinement, que de les reconduire à la frontière.
Il aurait été souhaitable de limiter plus strictement la délivrance des certificats d'hébergement en précisant les conditions attachées à la qualité de l'hébergeant et du bénéficiaire, et les garanties que ce dernier doit présenter. Pourquoi ne pas obliger systématiquement l'hébergé à produire la preuve de son titre de transport pour le retour ?
L'immigration clandestine est l'une des grandes questions qu'il faut traiter avec courage et pugnacité. C'est vrai, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez comble les lacunes évidentes de notre législation. Je souhaite qu'il puisse être appliqué rapidement sans qu'aucune barrière ni lenteur d'aucune sorte ne puisse affaiblir son efficacité.
Mais légiférer n'est pas suffisant. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser quels seront les moyens budgétaires nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet de loi ?
Nous savons que, depuis votre arrivée place Beauvau, vous n'avez pas lésiné pour cibler vos efforts dans la lutte contre la clandestinité. Depuis le 1er mai 1995, plus de 20 000 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière. Le taux de reconduite est ainsi passé, en un an, de près de 23 % à plus de 28 %.
M. Jacques Mahéas. Quelle gloire !
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, je voudrais rendre hommage à l'action que vous menez, à la détermination que vous manifestez et aux résultats que vous obtenez.
C'est grâce à la volonté affichée de poursuivre dans cette voie que nous parviendrons à faire respecter les lois et à juguler, dans l'intérêt de tous nos concitoyens, l'immigration clandestine. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la vingt-quatrième fois que le Parlement est appelé à examiner un projet de loi destiné à rectifier l'ordonnance de 1945 concernant l'immigration.
Voilà à peine plus de trois ans, nous avions passé beaucoup de temps à discuter des lois votées en août, en novembre et en décembre 1993, qui ont défini de nouvelles règles en vue d'une maîtrise effective des flux migratoires et de l'application du droit d'asile.
Une fois encore, il nous faut « sur le métier remettre notre ouvrage », ce qui - nous en convenons tous, mes chers collègues - était tout à fait nécessaire.
Je tiens donc tout d'abord à remercier M. le ministre d'avoir pris l'initiative de cette révision indispensable. Le Gouvernement ne manque pas de courage en reprenant un sujet difficile et dangereux, celui de l'immigration, notamment clandestine.
Mes remerciements iront également à nos collègues Serge Mathieu, Bernard Plasait et Christian Demuynck, qui viennent de s'exprimer : ils ont en effet déposé des propositions de loi qui élargissent le présent débat et nous permettent de mieux réfléchir à toutes les questions soulevées.
Le fond de cette discussion est naturellement le projet de loi, tel qu'il nous revient des travaux de l'Assemblée nationale, et dont le président et le rapporteur de la commission des lois, avec leur compétence habituelle, ont fait une excellente présentation.
A cette heure tardive, mes chers collègues, le vingt-quatrième orateur de cette longue journée n'examinera aucun des articles, puisque nous en aborderons la discussion demain.
Il remarquera simplement que l'Assemblée nationale avait durci ce texte, mais que d'autres propositions tendent à l'adoucir.
Les sénateurs non inscrits soutiendront le plus souvent, demain, la position de la commission, sauf dans quelques cas sur lesquels j'aurai à m'exprimer plus tard.
D'ores et déjà, je veux souligner qu'une attitude trop bienveillante, trop laxiste ne me paraît pas être la meilleure solution. Le fait d'entrer en France illégalement, de s'y trouver en situation irrégulière, ne devrait en aucun cas donner le droit quasi automatique à une carte de séjour.
Un tel droit, exorbitant, n'existe dans aucun autre pays du monde. Moi qui vis souvent à l'étranger, j'ai pu constater l'étonnement qu'y a suscité une histoire aussi invraisemblable que celle des clandestins de l'église Saint-Bernard, devenus « sans papiers » comme on dit « sans famille », « sans père » ou « sans mère ». Cela les a rendus sympathiques, mais ce n'était qu'une façon de masquer par des mots le fait qu'ils étaient dans une situation irrégulière qu'il convenait d'abord de régler.
Cet exemple illustre, finalement, la bienveillance du Gouvernement et son désir de bien faire, sa volonté de montrer, comme toujours et selon la tradition, que la France est le pays des droits de l'homme et la terre d'accueil la plus généreuse du monde.
Tout cela a pu avoir, vu de l'extérieur, des conséquences plutôt néfastes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour les intéressés !
M. Jacques Habert. On a eu l'impression, dans certains milieux misérables, qu'il était facile de venir en France, fût-ce de la façon la plus irrégulière. Mais nous ne pouvons nous permettre d'ouvrir nos portes très largement à tout le monde, ce n'est pas possible !
Nous accueillons déjà légalement 100 000 étrangers chaque année, qui, certes, sont utiles à notre économie et à notre démographie, mais accueillir un nombre plus élevé d'immigrants reviendrait à renverser un équilibre qui doit être respecté. M. Othily ne nous disait-il pas cet après-midi que la moitié de la population de Guyane est composée de clandestins ? Et cette situation risque de se retrouver dans certaines régions, villes et quartiers de métropole, ce qui serait tout à fait insupportable.
Nous sommes tous d'accord pour lutter afin qu'il n'en soit pas ainsi. Aussi est-il nécessaire qu'à l'étranger tous les candidats à l'immigration en France sachent que des règles existent, que les lois doivent être repectées, de la même manière que nous, Français, les respectons lorsque nous allons vivre dans d'autres pays, comme cela a été mon cas.
M. Rocard a dit que, puisque nous allons à l'étranger, les étrangers viennent chez nous. Fort bien ! Mais nous, Français, respectons les lois, nous demandons les visas nécessaires et ne cherchons pas à aller à l'étranger de façon clandestine. Ce serait d'ailleurs tout à fait impossible !
Nous sommes les seuls, avec quelques autres pays d'Europe, à offrir cette extraordinaire facilité. Par conséquent, il est nécessaire d'établir des règles, et il faut que tout le monde sache que les lois doivent être respectées. Cette logique me semble assez simple !
Je regrette en tout cas l'extraordinaire agitation que l'on a suscitée en France, et jusqu'aux alentours du Palais du Luxembourg cet après-midi, à l'occasion de ce débat. Je ne pense pas que les valeurs de la République soient menacées par le projet du Gouvernement ! Je ne pense pas que les droits de l'homme risquent d'être bafoués ! Pourquoi toutes ces exagérations ? Vraiment, ce n'est pas raisonnable !
La tolérance, la compréhension semblent manquer dans cette affaire, et j'ajouterai sans doute aussi l'amour de la France, que nous devrions tous ensemble, dans les écoles, enseigner à ceux qui ont choisi de vivre parmi nous et avec nous.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais formuler dans cette discussion générale.
Vous avez bien fait, monsieur le ministre, de soulever cette grave question, car il est des problèmes qui doivent être résolus. Eh bien ! dans la recherche de leur solution, vous pourrez compter sur le soutien du groupe des non-inscrits. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas un groupe, c'est une formation !
M. Emmanuel Hamel. Une équipe !
M. Jacques Habert. C'est un groupe d'amis !
M. le président. La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot. Votre projet de loi, monsieur le ministre, a le mérite de poser clairement le problème de l'immigration clandestine, alors que cette question suscite un débat passionné, plus idéologique que réaliste ou plus démagogique que pragmatique.
Il revient donc à la représentation nationale de donner à ce texte, et à l'ambition qu'il décline, sa mesure exacte.
La maîtrise de l'immigration clandestine est une nécessité à laquelle nous ne pouvons échapper. Limiter les flux migratoires à ce que la France est en mesure de recevoir me paraît être une mesure relevant du simple bon sens, ne serait-ce que compte tenu des difficultés économiques que peut connaître notre pays.
En affirmant ce principe, je n'ai pas le sentiment de remettre en cause la vocation universelle de la France ; au contraire, puisqu'en luttant contre la clandestinité nous protégeons par là même les étrangers en situation régulière, auxquels nous nous devons de garantir la protection de nos lois.
Pour atteindre cet objectif, il convient d'appliquer des règles de dissuasion en rendant plus difficile l'accès illégal à notre territoire et en améliorant les procédures d'expulsion.
Votre texte apporte ainsi des réponses adaptées à cet objectif et vient compléter avec justesse les lois de 1993 auxquelles, à cette même tribune, j'avais déjà pu notifier mon adhésion.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez vu le résultat ?
M. Georges Gruillot. Tout à fait, et j'en suis très satisfait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Alors, c'est bien !
M. Georges Gruillot. Avec votre texte, nous franchissons une nouvelle étape dans l'élaboration de notre législation. D'autres suivront sans doute. En effet, si l'ordonnance de 1945 doit être si fréquemment modifiée, ce n'est pas au gré d'une valse-hésitation, mais bel et bien parce qu'il s'agit de l'adapter en fonction de l'évolution constante des formes que revêt l'immigration clandestine et de l'imagination de ceux qui organisent les filières.
Pour certaines âmes sensibles, je rappellerai que cette ordonnance a fait l'objet de modifications en 1981, 1989, 1990 et 1991 ! L'efficacité ne se mesure d'ailleurs pas au nombre des réformes, car force est de reconnaître que les résultats ne furent pas toujours à la hauteur des ambitions affichées.
Par ailleurs, ce problème n'est pas spécifiquement français. Tous nos voisins européens se voient eux aussi dans l'obligation d'actualiser leur législation.
Dans le cas présent, j'ai la prétention de penser que nous agissons à la fois avec fermeté pour décourager les candidats à la clandestinité et avec humanité et compréhension à l'égard des immigrants, qui sont le plus souvent victimes d'une exploitation mafieuse de la misère qui sévit dans leur pays d'origine.
Pour atteindre cet objectif d'« immigration clandestine zéro », il nous faut, certes, mettre en oeuvre des mesures dissuasives, voire défensives, mais aussi envisager des actions prospectives.
Il convient, je crois, de renforcer notre politique d'aide aux pays en voie de développement et de favoriser le retour des étudiants étrangers, afin qu'ils fassent profiter leur pays des connaissances et compétences qu'ils ont acquises chez nous.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Georges Gruillot. C'est en les aidant à disposer dans leur propre pays de moyens décents d'existence que nous parviendrons aussi à limiter la pression de l'immigration.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chiche !
M. Georges Gruillot. Autre action prospective qui doit accompagner les efforts que vous engagez, la mise en oeuvre d'une politique d'assimilation, qu'il ne faut pas confondre avec l'intégration, parce que cette notion suppose une juxtaposition de communautés qui va à l'encontre de l'unité nationale.
C'est au nom de l'unité de la nation que nous serons en mesure de mieux protéger l'immigré en situation légale et de lui accorder, s'il le souhaite, la citoyenneté et, partant, la qualité d'électeur.
C'est aussi en vertu de ce principe, trop souvent ignoré, que nous lutterons efficacement contre la xénophobie, un phénomène qui nourrit dans notre pays un climat malsain, mêlé d'hypocrisie et de démagogie.
Votre texte, monsieur le ministre, a le mérite d'être fidèle à la tradition d'accueil, d'asile et d'assimilation qui fait l'honneur de notre pays.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh ben dis donc !
M. Georges Gruillot. Il y ajoute une notion d'autorité et de respect qui conforte les droits de l'homme, mais en même temps les devoirs du citoyen.
Ces dispositions complètent utilement la politique engagée par M. Charles Pasqua. Fidèles au principe de respect de la personne humaine, de sa dignité et de ses droits, elles expriment un courage et une conviction que je salue.
Pour ces raisons, monsieur le ministre, j'apporte à votre projet mon total soutien. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Haute Assemblée examine aujourd'hui un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration.
Tel est l'intitulé de ce projet. Je dis bien « diverses dispositions relatives à l'immigration » et non, comme certains s'efforcent d'en accréditer l'idée « diverses dispositions relatives à la lutte contre l'immigration ».
M. Michel Rufin. Oui, cela était très net !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah !
M. Alain Gournac. C'est étonnant comme, dans notre pays, certains mots ou certaines expressions sont immédiatement dévoyés.
MM. Christian Demuynck et Michel Rufin. Très bien !
M. Alain Gournac. Souvent, et cela est dû pour une part à notre histoire douloureuse et à ses jours les plus noirs, les connotations sédimentées par les événements empêchent d'entendre le sens de ces mots.
M. Gérard Larcher. C'est vrai !
M. Michel Rufin. Bravo !
M. Alain Gournac. A cela s'ajoutent la mauvaise foi et la surdité de ceux qui poursuivent d'autres buts que la vérité et la résolution responsable des problèmes.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh ! Oh ! Doucement !
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Alain Gournac. « Diverses dispositions relatives à l'immigration », c'est-à-dire des dispositions permettant d'un même mouvement de défendre l'immigration régulière et de combattre l'immigration irrégulière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est nouveau, cela !
M. Michel Rufin. C'est clair !
M. Alain Gournac. Autrement dit, il s'agit d'un texte qui, comme le projet de loi sur le travail illégal, que nous avons examiné il y a trois semaines,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On n'en sort pas !
M. Alain Gournac. ... a pour objet de combattre une illégalité inacceptable pour notre République et qui lui est dangereusement néfaste.
Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, est un texte adapté à notre pays et à notre époque, dans le droit-fil des principes auxquels nous sommes profondément attachés.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est le fil à couper le beurre !
M. Alain Gournac. C'est, enfin, un texte respectueux des Français parce qu'il fait confiance à leur capacité de vouloir ce que la justesse et la justice commandent.
C'est, enfin, un texte courageux, parce qu'indifférent aux sirènes de la démagogie.
J'ai dit, il y a quelque temps, à cette même tribune, que la France devait rester une terre d'accueil et, pour cela, devenir une terre d'écueils pour tous les réseaux qui n'ont que faire des principes, des règles et des lois de notre République et pour lesquels, souvent, ces mots, compris à contresens, n'évoquent rien d'autre que des pièges qu'il s'agit de déjouer.
Une loi ou une règle dont on ne perçoit que ce qu'elle interdit et jamais ce qu'elle permet et garantit est une loi que l'on n'entend pas avec un oreille de citoyen.
Le débat sur la politique d'immigration échappe souvent à la sérénité et à la pondération. Sans doute est-ce le signe que cette question touche au coeur de l'équilibre de notre société, à la conception que nous nous faisons de la nation et des citoyens qui la composent.
C'est pourquoi il me semble important de préciser préalablement le contexte dans lequel il nous est demandé d'examiner ce projet de loi.
La France a toujours été une terre d'immigration. Nous avons, au cours de notre histoire, accueilli des flux de populations venant de chez nos voisins européens. Notre position géographique, notre démographie plus faible, les besoins de notre économie, nos traditions culturelles et spirituelles expliquent notre particularité, notre vocation.
Avant et après la Seconde Guerre mondiale, puis au cours de ce que l'on a appelé les « Trentes glorieuses », ces flux migratoires eurent pour origine l'Europe puis, plus récemment, l'Afrique du Nord. Le travail les attirait, et notre démographie s'en trouvait renforcée.
C'est vers 1974 que les choses ont commencé de changer. L'immigration est devenue petit à petit africaine puis asiatique. Nous comptons chaque année plus de 60 000 non-admissions de gens venant des pays d'Asie. L'immigration irrégulière indienne exerce une pression très forte à nos frontières. La Chine est au huitième rang pour les non-admissions et les irréguliers.
Ces filières, auxquelles s'ajoutent les filières sri-lankaises et pakistanaises, donnent peu à peu naissance à un communautarisme qui n'a rien plus rien à voir avec l'intégration républicaine d'hier et qui se traduit par la formation de ghettos dans un certain nombre de quartiers de nos villes, avec toutes les conséquences sociales que nous connaissons : rivalités ethniques, montée du racisme, développement de la xénophobie et, ce qui n'est pas le moindre mal, exploitation politique extrême de ces situations.
M. Michel Rufin. Très bien !
M. Alain Gournac. Une autre évolution est à constater, c'est la transformation de l'immigration des travailleurs en une immigration d'ayants droit. Les chiffres, là aussi, sont éclairants : sur 90 000 entrées régulières par an, on dénombre 25 000 regroupements familiaux, 25 000 étudiants, 5 000 réfugiés politiques, 10 000 demandeurs d'asile à titre provisoire, 25 000 visiteurs de longue durée, dont seulement 15 000 titulaires d'un contrat de travail. A peine 17 % de ces immigrés réguliers entrent chez nous avec un contrat de travail.
Cette transformation de la nature et de la dimension de l'immigration durant ces vingt dernières est due au ralentissement de la conjoncture économique, à l'attrait de notre protection sociale - une des meilleures du monde, sinon la meilleure - et également à notre politique de regroupement familial.
Voilà la situation dans laquelle se trouve notre pays !
MM. Jean-Luc Mélenchon et Michel Dreyfus-Schmidt. Et la francophonie ?
M. Alain Gournac. Voilà le contexte dans lequel nous avons à réfléchir et à agir ! Voilà la réalité face à laquelle les slogans, quels qu'ils soient, ne doivent pas avoir leur place !
Il convient, ce constat étant fait, de prendre en considération l'histoire de notre pays et, plus généralement, l'histoire des peuples pour écarter définitivement de notre réflexion un objectif irréaliste, n'ayant pas grande signification et pour le moins suspect, à savoir l'immigration zéro.
Monsieur le ministre, vous n'y croyez pas, moi non plus, parce que nous ne pouvons pas y croire et que nous ne voulons pas y croire. Nous connaissons l'histoire de notre pays. Nous ne saurions oublier ce que nous devons à ceux qui ont décidé de vivre chez nous, sous nos lois, qui ont contribué à l'essor de notre économie, qui ont su aussi donner leur sang pour la France.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. Alain Gournac. Ce que nous souhaitons, c'est ce dont notre pays a besoin aujourd'hui tout en restant fidèle à ses valeurs. Ce n'est donc ni l'immigration zéro ni l'immigration irrégulière régularisée à intervalles réguliers, comme on l'a connu dans les années quatre-vingt, mais l'immigration maîtrisée.
Certains voudraient accréditer l'idée qu'il n'y a que deux politiques possibles : l'une qui serait celle de l'égoïsme, l'autre celle de la générosité ; l'une qui serait celle de la droite, l'autre celle de la gauche. Quelle aubaine que cette bipolarisation des solutions ! Cela permet de renouer avec de vieilles lunes.
En matière de politique d'immigration, il ne doit y avoir ni une politique de droite ni une politique de gauche. Ce dont la France a besoin, c'est d'une politique républicaine de l'immigration.
M. Michel Rufin. Très bien !
M. Alain Gournac. C'est la raison pour laquelle il est important que les maires soient plus étroitement associés à cette lutte contre l'immigration irrégulière et, notamment, à sa prévention, monsieur le ministre.
Je sais que les maires sont partagés sur cette question, que nombre d'entre eux ne souhaitent pas l'extension de leur pouvoir, estimant que c'est à l'Etat, et à lui seul, qu'il appartient de mettre en oeuvre les dispositifs susceptibles de prévenir l'immigration irrégulière.
Ceux-là craignent, en effet, que les dispositions modifiant les conditions de délivrance des certificats d'hébergement ne les conduisent à la constitution de fichiers d'hébergeants et qu'ainsi atteinte ne soit portée peu ou prou à la sérénité de la vie locale.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr !
M. Alain Gournac. Or, l'on sait - l'Association des maires de France a eu raison de le souligner - qu'en ce domaine, plus qu'en tout autre, il convient que les décisions soient prises à l'abri des passions et des pressions.
Cependant - j'y insiste - il me semble important que, dans la lutte contre ceux qui, faisant fi de nos règles et de nos lois, n'ont que faire des fondements de la République, le maire puisse être partie prenante, ce qui dans l'esprit de l'institution municipale n'a jamais signifié « parti pris », et ce pour une raison simple et forte, c'est que le pouvoir du maire est l'emblème du pouvoir républicain.
En effet, la figure du maire, hautement symbolique, n'est ni une figure partisane ni une figure lointaine. Exercé sous le contrôle effectif et permanent des administrés de la commune, qui sont associés plus que partout ailleurs au processus de décision, son pouvoir est un modèle de fonctionnement démocratique et républicain vers lequel il convient toujours de se tourner...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et à Orange ?
M. Alain Gournac. ... lorsqu'on veut que les citoyens se sentent davantage concernés par la « chose publique ».
C'est pourquoi je rends hommage à mes collègues de la commission des lois d'avoir approuvé l'obligation faite à l'hébergeant de déclarer à la mairie le départ de l'étranger hébergé, le défaut de déclaration entraînant l'impossibilité pour le signataire du certificat d'hébergement d'obtenir le visa d'un nouveau certificat pendant une période de deux ans.
Notre collègue, Paul Masson, que je tiens à féliciter de son excellent rapport,...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Très bien !
M. Alain Gournac. ... a souligné avec force et raison que, en ce domaine, le maire agissait au nom de l'Etat et était, à ce titre, soumis au pouvoir hiérarchique du préfet, à qui incombait alors l'obligation de veiller à l'homogénéité des décisions prises en la matière.
Ce projet de loi, monsieur le ministre, est un bon projet. Les amendements de la commission des lois, qui reviennent sur plusieurs des modifications proposées par nos collègues de l'Assemblée nationale, et qui vont être examinés par la Haute Assemblée, montrent à l'évidence que la politique que nous recherchons avec le Gouvernement en matière de lutte contre l'immigration irrégulière se veut une politique juste, adaptée à notre temps, efficace et toujours fidèle à la vocation de notre pays à l'universel. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

9