M. le président. Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, je voudrais tout d'abord rendre hommage à votre autorité, qui nous a permis de mener rapidement à bien cette discussion.
Je voudrais également, au moment où le Sénat s'apprête à s'exprimer sur l'ensemble du texte, intervenir une dernière fois, pour le remercier, bien sûr, mais aussi pour apporter une précision et dissiper tout malentendu, afin que le texte s'applique sans ambiguïté et dans les meilleures conditions possibles.
La commission mixte paritaire a supprimé la référence explicite au salaire dans les déterminants des prestations qu'un plan d'épargne retraite ne peut fournir. Le principe de l'interdiction des plans à prestations définies, quelque peu imprécis, pourrait susciter des interrogations, et je voudrais y répondre.
Comme votre rapporteur l'a clairement expliqué en seconde lecture - j'évoque ici le contenu de l'article 6 bis - les contrats d'assurance vie, et donc les plans d'épargne retraite, peuvent être classés en quatre catégories, par ordre croissant de garantie pour le salarié. Je voudrais les rappeler.
Existent tout d'abord les contrats en unités de compte, dans lesquels le salarié n'a comme garantie contractuelle que de pouvoir récupérer le nombre d'unités de compte qu'il a pu accumuler au cours de sa carrière. En revanche, il subit les éventuelles pertes en capital observées sur les unités de compte.
La deuxième catégorie regroupe les régimes collectifs de retraite du type prévu par l'article L. 441-1 du code des assurances, dans lequel l'assuré acquiert des points de rente. La valeur de ceux-ci augmente avec le temps, mais à un rythme qui dépend des évolutions de la structure démographique du groupe constitué par les adhérents au plan d'épargne retraite. Dans ce type de produit, Prefon ou Fonpel par exemple, la garantie porte sur la non-diminution de la valeur du point de rente ainsi que sur la solidarité entre les membres du régime.
Dans cette gradation, j'en viens à une troisième garantie, qui concerne les produits d'assurance-vie en francs. Dans ce cas, qui est celui retenu pour la plupart des contrats de retraite par capitalisation à cotisations définies, est garantie une revalorisation minimale des versements du salarié, plafonnée par les directives européennes à 60 % du taux moyen des emprunts d'Etat, soit environ 3,20 % aujourd'hui.
Enfin, quatrième catégorie, les produits à prestations définies. Dans ce cas, est garantie au salarié une prestation en fonction de son salaire et d'autres variables sociales non financières tels que l'ancienneté ou les niveaux des prestations des régimes de retraite par répartition.
Ces dispositifs sont constitutifs d'engagements définis contractuellement entre assureur et entreprise en fonction de variables financières pour les trois premières catégories, en fonction de variables sociales non financières pour la dernière. Une lecture rapide de la loi qui interdit les plans à prestations définies pourrait alors conduire à exclure la possibilité de mise en place d'un plan d'épargne retraite relevant de plusieurs, voire de toutes les catégories décrites précédemment.
Cela étant, comme votre rapporteur l'a expliqué, c'est seulement la dernière catégorie de contrats que je viens de rappeler, fréquemment constitutive de passif sociaux, qu'il convient de rejeter.
En effet, elle est risquée pour l'entreprise souscriptrice ainsi que pour les organismes souscripteurs, comme le démontre la problématique des passifs sociaux non provisionnés de certains grands groupes, européens ou américains.
En outre, elle conduit à un sous-investissement en actions des fonds d'épargne retraite, alors que l'investissement en actions constitue pourtant le meilleur gage d'un bon niveau de retraite à terme pour les salariés.
C'est donc ce type de contrat que le Gouvernement, comme les parlementaires, souhaite interdire dans le cadre de l'épargne retraite, le dernier de la catégorie que j'ai visée.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi concernant la mise en place de plans d'épargne retraite n'ont guère modifié notre opposition de principe et de fond au dispositif qui nous est présenté.
De quoi s'agit-il, en effet ?
Essentiellement, et j'allais dire presque uniquement, de conforter notre système boursier par la mise au point d'un satellite supplémentaire, les fonds d'épargne retraite, destinés à rapporter des fonds nouveaux sur les marchés financiers. Cette collecte nouvelle va à l'encontre, selon nous, des principes de solidarité entre salariés et entre générations qui fondent les régimes par répartition.
Mais il est vrai qu'il y a fort longtemps que les chefs d'entreprise, le patronat pour être clair, particulièrement sensibles à cette proposition de loi, ont affirmé de toutes les manières possibles, depuis le discours sur le coût du travail et l'excès des charges sociales jusqu'à la nécessité de renforcer les fonds propres des entreprises, qu'ils préférent les régimes par capitalisation, sur lesquels, en vérité, ils ont un plus grand contrôle, aux régimes par répartition, où ils doivent de fait accepter, j'allais dire supporter, la présence d'administrateurs salariés, même si ceux-ci, depuis les ordonnances du plan Juppé, ne sont plus élus.
Tout a d'ailleurs été dit, ces dernières années, pour justifier la mise en place de régimes par capitalisation.
On a, en 1993, profondément modifié les conditions d'accès à la retraite à taux plein, ce qui se traduira - c'est notre intime conviction - par une réduction programmée des prestations servies par les régimes de base.
Tout cela se développe dans un contexte où peuvent s'exprimer des inquiétudes quant à la démographie qui détériorerait le rapport entre cotisants et salariés, mais on oublie un peu trop facilement que ceux qui crient haro sur les régimes par répartition sont aussi ceux qui soit licencient, soit n'embauchent pas de jeunes par le biais d'un contrat de travail à durée indéterminée.
Il est, par ailleurs, à craindre que la persistance d'une situation de sous-emploi dans notre pays ne conduise, d'une certaine façon, dans les années à venir, à mettre en cause la rentabilité même des investissements que pourraient effectuer les fonds de pension.
Les entreprises françaises manquent-elles vraiment de fonds propres ?
Selon une étude récente, elles ont même une structure de bilan comparable à celle de la plupart des entreprises américaines, allemandes ou japonaises en la matière.
Elles connaissent, en revanche - il est vrai - une moindre rentabilité du capital, ce qui signifie tout simplement que les entreprises françaises ne parviennent peut-être pas à faire fructifier les fonds mis à leur disposition du fait d'une insuffisante utilisation des capacités de production ou d'une insuffisante capacité à faire travailler les salariés potentiels. Et pourtant, on constate aussi qu'il y a bien une constitution de fonds importants, mobilisables pour toute opération de prise de contrôle.
Notre économie, de manière générale, me semble souffrir d'une insuffisance non pas de fonds propres - certaines entreprises sont peut-être concernées, mais pas toutes - mais de débouchés et de création d'emplois réels. C'est pourtant un chemin inverse que nous propose d'emprunter la présente proposition de loi. Elle conduira, par la constitution d'une nouvelle forme d'épargne captive - je vous rappelle que les souscripteurs des plans d'épargne retraite ne pourront pas en sortir avant l'âge de soixante ans - à mettre en cause la capacité de consommation des salariés et de leurs familles.
Nous refusons donc les termes de cette proposition de loi et, comme nous l'avons fait en première lecture, nous voterons contre le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire même si, monsieur le président de la commission des finances, nous préférons la rédaction de l'article 23 proposée par le Sénat, car elle nous paraît plus prudente que celle de nos collègues députés. Telles sont les raisons qui nous conduisent à voter contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Avant de conclure au vote négatif du groupe socialiste, je tiens à donner quelques explications préalables.
M. le ministre s'est réjoui tout à l'heure de ce texte, et c'est ce qui m'inquiète. Il a envisagé une réforme fondamentale. Or je crains que celle-ci ne nous ramène dans le climat social que nous connaissions avant l'élaboration des lois sociales. Ce sont là deux inquiétudes fortes de voir disparaître la répartition au profit de la capitalisation.
Compte tenu de cette concurrence salvatrice qui ne connaît pas d'autre loi que celle du plus fort, du plus malin et du plus sournois, se rétabliront des inégalités qui, chez les retraités, seront de même nature que celles que l'on constate aujourd'hui entre les chômeurs et ceux qui ont du travail.
Je rappelle notre position. Ce texte est dangereux en ce qu'il ne prévoit aucune garantie de revalorisation des rentes pour les futurs affiliés.
Il est inégalitaire parce qu'il envisage des avantages fiscaux inacceptables dont profiteront essentiellement les plus hauts revenus de notre pays. Il est irresponsable puisqu'il implique une perte de recettes substantielle pour la sécurité sociale.
Malgré quelques améliorations apportées par M. le rapporteur du Sénat, nous voterons contre cette proposition de loi, et nous saisirons même le Conseil constitutionnel.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements précédemment adoptés par le Sénat.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, en attendant l'arrivée de M. le ministre de la culture, nous allons interrompre quelques instants nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures vingt-cinq, est reprise à dix heures trente-cinq.)