M. le président. « Art. 4. - Les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de la même ordonnance sont remplacés par huit alinéas ainsi rédigés :
« Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire est délivrée de plein droit :
« 1° A l'étranger mineur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, dont l'un des parents au moins est titulaire de la carte de séjour temporaire, s'il a été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial ;
« 2° A l'étranger mineur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qui justifie par tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans ;
« 3° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ;
« 4° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, marié depuis au moins un an, dont le conjoint est de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé, que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ;
« 5° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français de moins de seize ans, résidant en France, à la condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins. Lorsque la qualité de père ou de mère d'un enfant français résulte d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, la carte de séjour temporaire n'est délivrée à l'étranger que s'il subvient à ses besoins depuis sa naissance ou depuis au moins un an ;
« 5° bis A l'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;
« 6° A l'étranger qui a obtenu le statut d'apatride en application de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 portant création d'un Office français de protection des réfugiés et apatrides, ainsi qu'à son conjoint et à ses enfants mineurs ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire, lorsque le mariage est antérieur à la date de cette obtention ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre les époux. »
Sur l'article, la parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Le jeudi 27 février 1997, soixante-dix-sept Maliens étaient expulsés de France dans un charter de la compagnie Air France par le ministère de l'intérieur.
Je parlerai non pas des raisons de leur expulsion mais des conditions dans lesquelles ces reconduites dans le pays d'origine s'effectuent : les expulsés sont menottés, « scotchés » sur leur siège, voire drogués ou chloroformés.
Ces procédés de reconduite sont pratiques courantes et il a fallu qu'une émeute éclate pour que le grand public en soit informé.
A plusieurs reprises, les syndicats d'Air France ont dénoncé ces pratiques inhumaines et ont protesté auprès du président-directeur général d'Air France. La fédération autonome des syndicats de police dénonce également les conditions dans lesquelles les policiers sont amenés à remplir ce type de mission, qui les mettent dans des situations très aléatoires.
Monsieur le ministre, comment de tels procédés peuvent-ils être tolérés ? Qu'en est-il de la dignité humaine, du respect des valeurs humaines ? Certains de ses expulsés étaient des repris de justice, j'en conviens mais ils ont quand même le droit d'être traités en êtres humains.
La République française ne s'honore pas par de telles pratiques.
Monsieur le ministre, je me fais ici le porte-parole de nombreux Français en vous demandant de renoncer à ces modes d'expulsion, de recourir à des procédés qui respectent la dignité de l'homme, comme on peut l'espérer du pays des droits de l'homme, la France. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Les lois Pasqua ont créé des situations inextricables sur le plan juridique et inacceptables sur le plan humain, situations que l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard ont mis au grand jour. Vous-même, monsieur le ministre, en avez conscience puisque vous avez rédigé cet article 4. Le malheur est que, selon nous, son contenu est pas bon.
Il est tout d'abord choquant d'attribuer une carte d'un an et non de dix ans à des personnes ayant vocation à vivre en France ; je pense, bien sûr, aux parents d'enfants français et aux conjoints de Français.
En effet, comment convaincre les étrangers de notre volonté de les intégrer, si on les laisse dans l'insécurité et dans l'incertitude ? Le renouvellement d'un titre de séjour d'un an suppose que l'étranger remplisse un certain nombre de conditions, notamment quand il souhaite bénéficier d'une carte de séjour mention « salarié » l'autorisant à travailler.
De telles mesures engendrent un malaise bien compréhensible chez les ressortissants étrangers, qui ont le sentiment qu'on leur demande à tout moment de faire leur preuve pour être acceptés dans notre société.
Plus grave encore, dans sa rédaction actuelle, l'article 4 ne permettra pas à tous les étrangers protégés contre les reconduites à la frontière d'obtenir un titre de séjour. Il en sera ainsi d'un certain nombre de conjoints de Français entrés en France sans visa ou encore des parents d'enfant français lorsque ce dernier aura plus de seize ans et moins de dix-huit ans.
Autrement dit, la catégorie des « non-régularisables non-éloignables du territoire » existera toujours. Et, pour ces étrangers, cela signifiera soit le retour dans leur pays d'origine, loin de leur famille, soit une vie de « sans-droits », avec notamment l'impossibilité de travailler légalement et donc de subvenir dignement aux besoins de leur famille.
Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que cet article 4 n'est pas sérieux ; j'ajouterai même qu'il est scandaleux vis-à-vis de ces étrangers qui, je le répète, ont vocation à vivre dans notre pays.
Il est donc indispensable d'en revoir la rédaction afin, d'une part, d'assurer le maximum de stabilité à ces étrangers et, d'autre part, de rendre impossible dans l'avenir de nouveaux cas de « non-régularisables non-éloignables du territoire ».
Nous avons déposé un certain nombre d'amendements allant dans ce sens qui, je l'espère, ne seront pas rejetés d'un revers de main car, derrière les articles et les amendements que nous examinons, c'est le sort de nombreuses familles qui est en jeu, c'est l'image de la France que nous dessinons.
L'enjeu est de taille et je vous invite, monsieur le ministre, mes chers collègues, à réfléchir encore avant de vous prononcer, aux conséquences qu'entraînerait le maintien de l'article 4 en l'état.
Il faut éviter à tout prix de nouveaux « Saint-Bernard » et, pour cela, il est indispensable d'apporter des modifications à l'article 4.
Vous trouverez peut-être mon ton insistant mais, je le répète, nous scellons ici le sort de nombreux étrangers que l'on ne peut reconduire à la frontière et qui sont aujourd'hui contraints de vivre dans une semi-clandestinité faite d'humiliation, de précarité et d'exclusion.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. « Une solution pleine de bon sens aurait été de régler le problème des sans-papiers en prévoyant un titre de séjour pour tous les non-expulsables. » Ce n'est pas moi qui le dis, monsieur le ministre, ni le président de la Ligue des droits de l'homme, ni encore celui de la commission consultative des droits de l'homme, ni même le collège des médiateurs. C'est, vous l'aurez sans aucun doute reconnu, M. Mazeaud, rapporteur à l'Assemblée nationale de ce projet de loi.
Mais, au lieu de suivre les bons conseils - il y en a parfois - des membres de votre majorité, vous nous proposez encore une liste parcimonieuse des cas ouvrant droit à un titre de séjour temporaire. Vous vous figez dans une position de soupçon et de rejet.
Vous imposez des conditions draconniennes, qui risquent de créer des situations absurdes et rendent l'attribution du titre de séjour improbable.
Je citerai quelques exemples.
Votre acharnement à jeter le soupçon sur les mariages mixtes va contraindre l'époux étranger à se maintenir en situation irrégulière pendant un an.
Les parents d'enfants français devront démontrer qu'ils subviennent effectivement aux besoins de leurs enfants alors qu'ils sont en situation irrégulière et ne peuvent donc pas percevoir légalement de revenus.
Les parents d'enfants nés en France, quant à eux, sont tout simplement laissés pour compte et continueront à vivre auprès de leurs enfants dans la honte et la peur constante d'un contrôle de police.
Comme je l'avais déjà fait remarquer en première lecture, le respect des droits de l'homme, notamment du droit à mener une vie familiale normale, semble décidément vous donner bien du fil à retordre, monsieur le ministre.
Votre difficulté à admettre les régularisations vous conduit à inventer un dispositif d'une telle complexité que les administrations auront du mal à s'y retrouver, à moins que ces subtilités ne leur permettent de justifier leur mauvaise volonté notoire dans ce domaine.
Nous l'avons déjà tant et tant répété : non seulement vous ne parviendrez pas à régler le problème des sans-papiers, mais, en outre, vous allez créer de nouveaux cas de non-droit. Ces zones grises laisseront place à l'arbitraire des régularisations au coup par coup que vous serez bien obligé d'accepter, malheureusement après d'autres grèves de la faim, comme celles de Saint-Bernard ou de Saint-Hippolyte.
Ces situations, humainement absurdes, nécessiteront de nouvelles lois
Depuis la discussion en première lecture à l'Assemblée nationale, nous avons fait quelques maigres mais réels progrès, puisque le Sénat a rétabli l'octroi d'une carte de séjour temporaire à l'étranger résidant en France depuis plus de quinze ans. Ces progrès sont cependant tout à fait insuffisants.
Vous persévérez dans la voie qui consiste à multiplier les obstacles pour que des personnes qui ont vocation à vivre en France puissent obtenir un titre de séjour : vous continuez avec constance à fabriquer des clandestins.
Mais il est un premier obstacle : tous ceux auxquels vous ouvrez droit à régularisation ne pourront obtenir qu'un titre de séjour d'un an. Et, cela va de soi, le renouvellement sera moins que jamais assuré. Tous les ans, les personnes concernées devront refaire le chemin de croix pour voir leur droit à vivre en France reconnu.
Par ailleurs, vous mettez en place un système qui crée différentes catégories d'étrangers. Il y aura les bons étrangers, ceux qui bénéficient d'une carte de séjour de dix ans, et les mauvais étrangers, vivant sans cesse dans la peur de voir leur titre de séjour ne pas être renouvelé. C'est cette loi de soupçon que nous combattons. Ce dispositif complexe et mesquin montre combien vous n'avez aucune vision de ce que peut être une politique d'intégration.
L'intégration suppose la sécurité. Elle suppose de pouvoir mener une existence légale et stable, et s'accommode mal d'une vie sous la perpétuelle menace de tomber dans l'illégalité. Elle suppose que, dans une même famille, parents et enfants bénéficient des mêmes droits et puissent espérer séjourner le même temps, sans être continuellement inquiétés.
Vous voulez combattre l'immigration irrégulière pour permettre aux immigrés en situation régulière pour permettre aux immigrés en situation régulière de s'intégrer normalement, dites-vous. Mais c'est le contraire que cette loi va provoquer. Non seulement vous ne parviendrez pas à combattre l'immigration irrégulière mais vous allez déstabiliser l'ensemble de la population étrangère vivant sur notre sol.
Cette loi est un signe, disait hier M. Bonnet. Je suis bien d'accord : c'est, hélas ! un signe pour les étrangers qui vivent en France, le signe que la France n'est pas prête à les intégrer, le signe que la France est le pays du soupçon et du rejet de l'étranger. Nous combattons cette image que vous voulez donner de la France, parce qu'elle n'est pas fidèle à l'histoire de cette dernière, parce qu'elle est dangereuse, parce que le défaut d'intégration est le creuset des théories xénophobes. (« Très bien » ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Sur l'article 4, je suis saisi de douze amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 68, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit l'article 4 :
« Sauf si leur présence constitue une menace grave pour l'ordre public, les étrangers visés à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 bénéficient de plein droit d'une carte de séjour temporaire. »
Par amendement n° 33, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « la carte de séjour temporaire » par les mots : « la carte de résident ».
Par amendement n° 69, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
« 4° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie en France, dont le conjoint est de nationalité française à condition que son entrée sur le territoire soit régulière et que la communauté de vie soit effective et lorsque le mariage a été célébré à l'étranger qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil ; ».
Les trois amendements suivants sont présentés par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 34 tend, dans le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, à remplacer les mots : « au moins un an » par les mots : « au moins six mois ».
L'amendement n° 35 a pour objet, dans le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de supprimer les mots : « que son entrée sur le territoire français ait été régulière, ».
L'amendement n° 36 vise, après le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, à insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ...° A l'étranger non polygame, dont le concubin est de nationalité française, à condition qu'il soit titulaire depuis au moins un an d'un certificat de concubinage établi dans les conditions légales et délivré en France, que son entrée sur le territoire ait été régulière, que le concubin ait conservé la nationalité française et que la communauté de vie n'ait pas cessé. »
Par amendement n° 70 rectifié, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, au sixième alinéa (5°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
I. - De remplacer les mots : « A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français de moins de seize ans, résidant en France, » par les mots : « A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie en France, père ou mère d'un enfant français. ».
II. - Après les mots : « à la condition », de rédiger comme suit la fin de l'alinéa : « qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale ou qu'il subvienne à ses besoins. ».
Les trois amendements suivants sont présentés par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 37 vise, dans la première phase du sixième alinéa (5°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, à remplacer les mots : « seize ans » par les mots : « dix-huit ans ».
L'amendement n° 40 tend à compléter l'article 4 par l'alinéa suivant :
« ...° Au conjoint de l'étranger qui a obtenu le statut de réfugié en application de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 portant création d'un Office français de protection des réfugiés et apatrides et à ses enfants mineurs ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire, lorsque le mariage est antérieur à la date de cette obtention ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre les époux et qui ne peuvent bénéficier des dispositions relatives à l'obtention de la carte de résident de plein droit. »
L'amendement n° 39 a pour objet de compléter in fine le texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par un alinéa ainsi rédigé :
« ...° A l'étranger gravement malade ayant entrepris en France un traitement auquel il ne peut avoir accès dans son pays d'origine et dont l'interruption entraînerait de graves conséquences pour sa santé. »
Les deux derniers amendements sont présentés par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard, les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 72 vise à compléter in fine le texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par un alinéa ainsi rédigé :
« ... A l'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical dont la privation pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la situation personnelle de celui-ci, sous réserve qu'il ne puisse effectivement poursuivre un traitement approprié dans son pays de renvoi. »
L'amendement n° 71 a pour objet de compléter in fine le texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par un alinéa ainsi rédigé :
« ... A l'étranger père ou mère d'un enfant né en France et ayant sa résidence effective en France. »
La parole est à M. Rocard, pour défendre l'amendement n° 68.
M. Michel Rocard. Monsieur le ministre, cet article 4 est l'alibi dit « humanitaire » de votre projet de loi. C'est d'ailleurs celui dont la nécessité de principe vous a conduit à l'écriture de tout ce malheureux texte. En effet, il s'agit ici d'organiser les bases juridiques du séjour en France d'étrangers non expulsables, c'est-à-dire de régulariser des sans-papiers.
Pourquoi cette nécessité ? Parce que la loi Pasqua de 1993 a donné naissance à cette monstruosité juridique que sont les étrangers non expulsables et non régularisables. Devant cette situation absurde, ces derniers se sont révoltés, et pas seulement à Saint-Bernard. L'opinion s'en est émue, et vous avez été conduit à prendre la plume pour légiférer.
Mais vous avez détourné le motif et, par là, l'objet du texte. Vous l'avez surabondamment complété de dispositions répressives dont la France n'a nul besoin, l'arsenal juridique pénal dont vous disposez étant déjà très suffisant.
Quant à cet article 4, s'il est vrai qu'il permettra certaines régularisations nécessaires - un millier peut-être, d'après vos services, que vous aviez déjà le pouvoir réglementaire d'effectuer -, il aura pour résultat évident d'augmenter au contraire le nombre des sans-papiers.
Et d'abord, pourquoi un an seulement, délai au terme duquel le problème se reposera, et non pas une carte de résident de dix ans, alors même que toutes les personnes concernées sont inexpulsables selon l'article 25 de l'ordonnance de 1945 ?
Avec un titre d'un an, vous renvoyez vos services de difficulté en difficulté.
Par ailleurs, monsieur le ministre, il me faut vous reposer une question que je m'étais permis de vous soumettre dans la discussion générale, mais à laquelle vous n'avez pas répondu : quelle sera la nature du titre de séjour temporaire qui sera accordé aux intéressés ? Sera-ce obligatoirement une carte temporaire mention « salarié » ?
J'insiste sur ce point car, si les rares bénéficiaires de l'article 4 n'obtiennent pas de plein droit cette carte de séjour de salarié, on peut prédire aujourd'hui des conséquences pratiques désastreuses.
A quoi bon des papiers si ceux-ci n'autorisent pas à travailler ? En effet, la carte « membre de famille » serait une solution trompeuse, car elle nécessite, en outre, un contrat de travail. Or comment l'obtenir quand on n'a pas l'autorisation de travailler ?
Monsieur le ministre, vous devez nous rassurer sur ce point.
Autre exemple, le cinquième alinéa prévoit que la carte de séjour temporaire sera délivrée à un père ou à une mère d'un enfant français de moins de seize ans « à condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins ».
Mais, monsieur le ministre, soyons un peu logiques : par définition, les personnes concernées n'ont pas de titre de séjour et donc pas d'autorisation de travail ! Elles seront donc évidemment, avec ce projet de loi, dans l'impossibilité de prouver qu'elles subviennent aux besoins de l'enfant ! Ne sommes-nous pas en pleine absurdité ?
L'article 15 de l'ordonnance de 1945 énonçait : « soit qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale, soit qu'il subvienne effectivement à ses besoins ». Pourquoi rendre la situation totalement kafkaïenne ? Et comment l'étranger en face d'un texte comme celui-là ne se sentirait-il pas traité en ennemi ?
La seule solution politiquement efficace et éthiquement juste serait de faire ce que toutes les personnes raisonnables, des membres du collège des médiateurs à M. Pierre Mazeaud surtout, vous ont demandé : donner une carte de résident à toutes ces personnes qui ne sont pas expulsables et que les lois de 1993 ont privées de papiers.
C'est en tout cas, monsieur le président, l'objet de l'amendement n° 68 que j'ai eu l'honneur de défendre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je ne laisserai pas la question de M. Rocard sans réponse, encore qu'il suffise de lire le dernier alinéa de l'article 12 bis de l'ordonnance, qui est actuellement en vigueur et qui reste inchangé, pour s'en convaincre.
Je vous confirme donc, monsieur Rocard, ce que j'ai dit à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale : les étrangers accédant de plein droit à un titre de séjour sur le fondement de l'article 12 bis de l'ordonnance, c'est-à-dire tous ceux qui sont cités par l'article 4 du projet de loi, bénéficient du droit de travailler s'ils en manifestent l'intention. Les choses sont claires, s'ils en manifestent l'intention, ils ont le droit de travailler.
M. Michel Rocard. Avec la mention « salarié » ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Oui !
S'agissant des parents d'enfants français, je répète encore une fois que la condition d'entretien effectif n'implique, en aucune façon, comme je l'ai dit à plusieurs reprise, une discrimination selon le niveau des revenus. Il s'agit simplement d'obtenir la garantie que l'étranger concerné se prévaut de sa paternité non pas à seule fin d'obtenir un titre de séjour, mais avec l'intention de s'occuper effectivement de son enfant.
Telles sont, monsieur Rocard, les précisions que je pouvais vous apporter.
M. Michel Rocard. Me permettez-vous de vous répondre, monsieur le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous le permets toujours !
M. le président. La parole est à M. Rocard !
M. Michel Rocard. Je viens de relire l'article 12 bis de l'ordonnance, monsieur le ministre, et il y est fait seulement référence à la mention « membre de famille ».
Il faut donc que nous vous fassions ici une grande confiance pour comprendre que l'emploi de cette expression correspond à un droit de travailler. Mais ce n'est pas la rédaction exacte du texte, et nous préférerions que vous donniez aux services administratifs et aux tribunaux compétents pour juger des éventuels contentieux plus de garanties que vous n'en accordez à travers cette évocation. En effet, ce terme ambigu aura désormais, parce que vous l'avez voulu, la signification d'un droit à travailler comme salarié, ce qu'il n'impliquait pas jusqu'à présent.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le début de la première phrase du dernier alinéa de l'article 12 bis est ainsi rédigé : « La carte lui donne droit à exercer une activité professionnelle ». Et la pratique est bien celle que j'ai rappelée.
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 33.
M. Robert Pagès. Depuis 1993, de nombreux étrangers qui ont vocation à vivre en France, soit en raison de leurs attaches familiales, soit en raison de l'ancienneté de leur séjour, n'ont pu obtenir de titre de séjour.
Depuis 1993, des étrangers entrés en France à l'âge de sept ans, huit ans ou neuf ans, qui ont suivi la quasi-totalité de leurs études dans notre pays, se trouvent à leur majorité dans l'impossibilité d'obtenir un titre de séjour pour poursuivre leurs études et sont priés de rentrer « chez eux », où, bien souvent, ils n'ont plus aucune attache familiale.
Ainsi, les lois « Pasqua » ont créé des situations non seulement absurdes, mais aussi inhumaines et, par conséquent, intolérables.
L'article 4 du présent projet de loi nous a été présenté comme nécessaire pour mettre fin à ces situations.
Cependant, la solution que vous nous proposez, monsieur le ministre, et qui consiste à accorder un titre de séjour d'un an et non automatiquement renouvelable à des étrangers parents d'enfants français ou conjoints de Français - et encore pas à tous - ne peut nous satisfaire.
D'une part, un certain nombre de conjoints de Français et de parents d'enfants français resteront des sans-papiers, ce qui n'est ni sérieux ni acceptable.
D'autre part, l'idée de délivrer un titre de séjour limité à un an et soumis à de nombreuses conditions pour être renouvelé n'est guère plus sérieuse.
Vous ne cessez ainsi de précariser la situation des étrangers.
Comment voulez-vous qu'ils s'intègrent dans de bonnes conditions s'ils ne savent pas si, demain, ils pourront demeurer en toute légalité sur notre sol et vivre dignement en travaillant et en répondant aux besoins quotidiens de leur famille !
Notre amendement n° 33 vise donc à accorder une carte de résident valable dix ans aux étrangers qui ont vocation à vivre dans notre pays.
C'est la seule solution qui nous paraisse responsable et respectueuse des personnes concernées.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud, pour défendre l'amendement n° 69.
Mme Danièle Pourtaud. Par cet amendement, nous proposons que le conjoint étranger d'un Français puisse immédiatement obtenir un titre de séjour.
En effet, la France est l'un des pays où il y a le plus de mariages mixtes, et nous pouvons en être fiers. Nous sommes fiers de ce qui permet le mélange culturel ; nous pouvons être fiers d'être un peuple de métissage des personnes et des cultures et de ne pas succomber aux tentations de repli sur soi.
Or, dans votre obsession de la fraude, monsieur le ministre, vous mettez le conjoint étranger d'un Français dans une situation absurde. L'Assemblée nationale a fait passer de deux ans à un an le délai nécessaire pour que l'époux ou l'épouse étranger puisse obtenir un titre de séjour. Mais c'est demeurer dans la même logique : celle du soupçon et de la présomption de fraude.
Cette condition, outre ce qu'elle a d'absurde, puisqu'elle contraint le conjoint de nationalité étrangère à se maintenir dans l'irrégularité pendant un an, est inutile, puisqu'un mariage frauduleux peut toujours être dénoncé devant les juridictions administratives.
Cette disposition superfétatoire relève, une fois encore, du harcèlement juridique dont sont l'objet les étrangers vivant sur notre sol.
Il suffit amplement, à notre avis, que la communauté de vie soit effective.
Je dirais presque que le reste est superflu s'il ne s'agissait pas, en réalité, de rendre la vie impossible à des personnes qui n'ont commis pour seule faute que celle de vouloir vivre ensemble.
Par cet amendement, nous proposons de supprimer le délai d'un an requis pour que le conjoint étranger d'un Français obtienne de plein droit un titre de séjour.
Si nos arguments d'humanité et de protection du droit de vivre en famille, du droit de vivre dans le pays de son épouse ou de son époux vous paraissent trop laxistes, monsieur le ministre, veuillez au moins vous rendre à l'argument de l'inutilité de cette mesure puisque l'administration a déjà les moyens de remettre en cause les titres de séjour obtenus à la suite d'un mariage frauduleux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme. Demessine, pour défendre l'amendement n° 34.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vous proposons, par cet amendement, de ramener le délai d'octroi d'un titre de séjour aux étrangers conjoints de Français à six mois dès lors que ceux-ci sont mariés.
Le délai fixé par les lois Pasqua est d'un an, et je note que, lors des débats parlementaires d'alors, la majorité de droite - du moins certains éléments d'entre elle - avait tenté de porter ce délai à deux ans. Pourquoi pas à cinq ans, pendant qu'ils y étaient ?
Nous estimons que cette triste innovation des lois Pasqua est symptomatique de cette volonté de jeter la suspicion sur les étrangers.
Ainsi, selon la loi, tout étranger qui se marie serait un suspect. Une telle disposition salit, selon nous, l'amour, qui n'a pas de frontière. Elle est contraire à l'esprit de tolérance, à la recherche du bonheur qui anime la jeunesse du monde.
Nous vous proposons donc d'« expulser » de la loi cette disposition particulièrement rétrograde en votant notre amendement.
M. Dominique Braye. Pas d'expulsion !
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 35.
M. Guy Fischer. Cet amendement a pour objet de rendre moins restrictives les conditions d'obtention d'un titre de séjour pour les étrangers conjoints de Français.
En supprimant le membre de phrase « que son entrée sur le territoire français ait été régulière, », il vise à permettre à l'ensemble des étrangers conjoints de Français d'obtenir un titre de séjour.
Le projet de loi est en effet trop restrictif sur ce point en ce sens que ceux qui sont entrés en France sans visa ne pourront pas être régularisés. Une telle mesure peut porter atteinte au droit fondamental de vivre en famille.
Si le texte restait ainsi rédigé, les étrangers mariés à des Français n'auraient comme solution que de demeurer dans la clandestinité puisqu'ils ne peuvent pas - nous le savons tous ici - être reconduits à la frontière, sauf à penser que vous envisagiez l'expatriation des Français mariés à des étrangers et de leurs enfants. Mais je ne veux, je n'ose y croire !
Votre obsession anti-immigrés nous mène loin puisque ces étrangers conjoints de Français entrés irrégulièrement en France ne seront pas régularisés et ne pourront donc pas travailler légalement en France. Dès lors, comment subviendront-ils aux besoins de leur famille ?
Le texte que vous nous proposez est très restrictif et fait peu de cas des situations vécues par les couples mixtes. En réalité, il ne vise qu'à pérenniser des situations de précarité et d'exclusion subies par un nombre croissant d'étrangers. D'autres « Saint-Bernard » sont, hélas ! à prévoir dans un avenir proche !
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter notre amendement, qui permettra, en toute logique et en toute humanité, de régulariser la situation d'un grand nombre de personnes.
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 36.
M. Robert Pagès. Avec 417 000 unions, le nombre de mariages en France a atteint son point culminant en 1972. Depuis lors, il n'a cessé de régresser, sauf au cours des années 1988 à 1990 qui ont été marquées par une légère reprise. Et au cours de l'année 1992, 217 400 mariages ont été enregistrés.
Vous connaissez ces chiffres, mes chers collègues, et, comme moi, vous savez que les couples ont bien souvent tendance à vivre en concubinage avant de choisir ou non de se marier.
Il convient, par conséquent, de prendre en compte cette évolution des moeurs et de permettre à l'étranger dont le concubin est de nationalité française de disposer des mêmes droits que l'étranger marié à un Français.
Tel est l'objet de notre amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 70 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je souhaite rectifier cet amendement afin d'y ajouter dans le paragraphe I, après les mots : « enfant français », le mot : « mineur ».
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 70 rectifié bis, présenté par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant au sixième alinéa (5°) du texte proposé par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
I. - A remplacer les mots : « A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français de moins de seize ans, résidant en France, » par les mots : « A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie en France, père ou mère d'un enfant français mineur, ».
II. - Après les mots : « à la condition », de rédiger comme suit la fin de l'alinéa : « qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale ou qu'il subvienne à ses besoins. »
Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit, chacun l'a compris, du 5° de ce fameux article 4, qui permettrait que la carte de séjour temporaire soit délivrée « à l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie ».
J'ai déjà fait remarquer que cette expression était malheureuse, parce que vit en état de polygamie celui qui épouse un ou une polygame, alors même qu'il peut ne pas le savoir. Il est donc une victime, et non pas quelqu'un que l'on doit rejeter. (Rires.) Je n'ai pas obtenu de réponse sur ce point. Qui n'a rien de risible. Le Conseil constitutionnel aura donc à en connaître, si vous le maintenez.
Je poursuis la lecture du 5° de l'article 4 : « A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français de moins de seize ans, résidant en France,... »
Un problème se pose : pourquoi et en vertu de quel critère distingue-t-on le parent étranger d'un enfant français de moins de seize ans et le parent étranger d'un enfant français mineur de plus de seize ans ? Il n'y a aucune raison de les traiter de manière différente !
Ne me dites pas qu'à seize ans ils pourront opter pour la nationalité française ! Ce n'est pas de ceux-là qu'il s'agit. Il s'agit dans les deux cas d'enfants français d'enfants mineurs, qu'ils aient moins ou plus de seize ans. Nous avons posé la question en commission des lois : personne n'a été capable de nous expliquer cette différence.
C'est pourquoi nous aurions préféré que le parent d'un enfant français, qu'il soit mineur ou non, puisse obtenir la carte de séjour temporaire. Pour l'instant, nous y renonçons, mais nous demandons que, dès lors qu'il s'agit du père ou de la mère d'un enfant français, résidant en France, il ou elle ait droit à la carte de séjour temporaire.
J'en viens au paragraphe II de l'amendement : l'Assemblée nationale a supprimé, monsieur le ministre, dans votre texte, la condition « qu'il exerce, » - il s'agit toujours de la mère ou du père étranger de l'enfant français mineur - « même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ». Nous proposons le rétablissement de ce membre de phrase et le remplacement du mot « et » par le mot « ou » dans la phrase : « ... et qu'il subvienne effectivement à ses besoins ». En effet, les deux cas méritent la même considération.
C'est pourquoi il est précisé au 3° de l'article 15 relatif à la carte de résident : « ... à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant "ou" qu'il subvienne effectivement à ses besoins. » C'est très exactement la phrase qui est reprise à l'article 25, qui énumère les non-expulsables. Il n'est pas convenable d'écarter la première hypothèse !
Vous dites, monsieur le ministre, qu'il ne faudrait pas qu'il ait l'autorité, mais qu'il ne l'exerce pas ! Précisément, le texte indique qu'il l'exerce, même partiellement. Vous êtes un magistrat, vous connaissez le droit, y compris le droit privé : celui qui va chercher ses enfants à l'école, qui les garde, qui s'en occupe, qui exerce le droit de visite, qui fait tout ce qu'il peut, mais qui n'a pas un sou, n'en exerce pas moins l'autorité parentale, même partiellement. Vous n'avez pas le droit de faire une différence entre ceux qui ont de l'argent et ceux qui n'en ont pas ! L'article 15 comme l'article 25 ne font pas de distinction à cet égard.
Ne faites pas dire aux mots autre chose que ce qu'ils disent ! En droit français, subvenir aux besoins signifie payer la pension alimentaire ou alimenter ses enfants si l'on exerce directement l'autorité parentale. A défaut d'exercer l'autorité parentale, par exemple dans le cas d'un enfant naturel pour lequel l'autorité parentale n'aurait pas été demandée, on peut subvenir à ses besoins, mais à condition d'avoir de l'argent. En revanche, celui qui exerce l'autorité parentale, même partiellement, mais qui n'a pas d'argent, ne subvient pas aux besoins. Or c'est seulement à celui-là que vous voulez accorder la carte de séjour temporaire. Ce n'est pas possible !
M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je conclus, monsieur le président !
Vous vous placez dans une mauvaise situation par rapport au Conseil constitutionnel qui, fort heureusement, serait notre dernier espoir si vous n'acceptiez pas notre amendement, dont vous voudrez bien reconnaître le mérite de la logique juridique absolue.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je souhaite vous rassurer, monsieur Dreyfus-Schmidt, sur l'état de polygamie.
Vous dites que, si je maintiens ce terme, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer. Peut-être ! Cela dit, c'est lui qui a employé l'expression.
M. Emmanuel Hamel. C'est consternant !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993.
M. le président. La parole est à Mme Demessine, pour défendre l'amendement n° 37.
Mme Michelle Demessine. Le débat sur l'article 4 est important, car il porte sur la logique d'exclusion des lois Pasqua et Debré.
En effet, si l'article 4 reste rédigé en l'état, les parents d'un enfant français âgé de plus de seize ans et de moins de dix-huit ans ne peuvent prétendre à une carte de séjour temporaire. En revanche, et c'est la moindre des choses, les parents d'un enfant de moins de seize ans pourront le faire. Pourquoi une telle discrimination ?
Aussi, alors que l'enfant mineur pourra choisir d'être Français - nous aurions toutefois préféré l'automaticité du droit du sol - les parents, durant ces deux années qui séparent les seize ans des dix-huit ans, ne pourront obtenir de régularisation de leur situation.
Cette différenciation des droits entre enfants et parents relève d'une logique absurde empreinte d'une idéologie de rejet, alors que nous avancez sans cesse vos intentions de favoriser l'intégration.
D'ailleurs, un débat intéressant s'est déroulé à l'Assemblée nationale sur cette question, au cours duquel des clivages nouveaux sont apparus, puisque M. Mazeaud avait déposé, au nom de la commission, un amendement identique, sur le fond, à celui que je défends en cet instant.
M. Mazeaud déclarait lui-même, le 26 février dernier : « Nous avons estimé préférable de retenir le terme "mineurs", car cela permet de régler le cas des parents de tous les enfants n'ayant pas atteint leur majorité. »
Nous estimons, pour notre part, que les démocrates ne peuvent accepter de maintenir le texte en l'état. A l'heure où l'on évoque beaucoup les valeurs républicaines, je vous appelle à voter notre amendement, qui tend à les défendre.
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 40.
M. Guy Fischer. Cet amendement a pour objet d'accorder un titre de séjour au conjoint d'un étranger ayant obtenu le statut de réfugié, même lorsque le mariage est postérieur à la date d'obtention de ce statut, à partir du moment où la communauté de vie entre époux est effective. Il prévoit aussi d'accorder un titre de séjour aux enfants de réfugiés politiques.
Le droit de mener une vie familiale normale est, je vous le rappelle, monsieur le ministre, consacré par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Si l'on veut respecter ce droit, il est nécessaire de modifier dans le sens que nous vous proposons la législation sur les titres de séjour des conjoints et enfants de réfugiés politiques.
Il est en effet important de souligner que le cas de ces conjoints et de ces enfants est quelque peu différent de celui des autres familles étrangères. A partir du moment où le statut de réfugié a été accordé à l'un des membres de la famille, il est difficile pour les autres de retourner dans leur pays d'origine sans craindre d'être persécutés en raison de leur lien avec un réfugié statutaire.
Il est donc impossible de continuer à les soumettre au régime de droit commun du regroupement familial, qui suppose un retour au pays.
C'est pour résoudre ce problème, qui engendre des situations humaines bien souvent douloureuses, que nous vous invitons à adopter notre amendement.
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 39.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement tend à faire bénéficier d'un titre de séjour les étrangers gravement malades qui ont entrepris en France un traitement auquel ils ne peuvent avoir accès dans leur pays d'origine, et dont l'interruption entraînerait de graves conséquences pour leur santé. Il s'agit là d'un sujet très important.
C'est un thème qui a été totalement ignoré dans le projet de loi et rejeté, malgré nos propositions en première lecture, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Certes, l'Assemblée nationale a fait un pas en avant en adoptant un amendement, devenu l'article 6 bis du projet de loi. Mais il s'agit là d'une toute petite avancée.
En effet, cet article prévoit les dispositions suivantes : « L'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical dont l'interruption pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la situation personnelle de celui-ci sous réserve qu'il ne puisse effectivement poursuivre un traitement approprié dans le pays de renvoi. »
En ne visant que l'étranger qui réside habituellement en France, l'article 6 bis perd beaucoup de sa portée.
C'est pourquoi nous proposons une autre rédaction de cet article, qui permettra, d'une part, d'empêcher l'expulsion ou la reconduite à la frontière d'un étranger gravement malade et, d'autre part, d'accorder à ce dernier un titre de séjour d'un an pour qu'il ait la possibilité de poursuivre son traitement en France dans de bonnes conditions.
M. le président. La parole est à M. Allouche, pour défendre les amendements n°s 72 et 71.
M. Guy Allouche. Cet amendement tend à accorder la carte de séjour temporaire aux personnes qui reçoivent en France un traitement médical lourd auquel elles ne peuvent avoir accès dans leur pays d'origine et dont l'interruption serait préjudiciable à leur santé.
Monsieur le ministre, nous avons eu un long échange en première lecture sur cette question, et vous nous aviez dit que la tradition de la France était de ne jamais expulser un malade. M. Chérioux nous avait fait part de son expérience, j'avais rendu hommage à l'action qu'il mène à Paris et nous avions tenu compte de vos propos. Toutefois, quelques heures après que, la main sur le coeur, vous nous eûtes certifié que jamais on n'expulsait un malade, on apprenait qu'un Tunisien faisait l'objet d'une telle mesure.
Lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, la semaine suivante, mon ami Bertrand Delanoë vous a interrogé sur ce point précis, monsieur le ministre. Force est de constater, et en même temps de regretter, que vous n'avez pas répondu sur le fond à la question posée par notre collègue. En tout cas, il est indéniable que des expulsions de malades sous traitement ont eu lieu. On peut alors se demander si, directement ou indirectement, monsieur le ministre, vous n'avez pas inventé, après la double peine, la triple peine, soit : la condamnation pénale, l'expulsion et la privation de soins appropriés pouvant conduire à la mort. (Oh ! sur les travées du RPR.)
En ce qui concerne le cas de ce Tunisien, M. Delanoë, au nom du groupe d'amitié France-Tunisie, vous a interpellé. Un quotidien du matin, sous un titre lourd de conséquences - « Quand Jean-Louis Debré invente » - a pu établir, preuves à l'appui, que, contrairement à vos affirmations, le Tunisien n'était pas entré en France illégalement.
Il est toujours pénible d'apprendre que le ministre interrogé n'a pas répondu de façon précise en invoquant des éléments correspondant à la réalité.
Depuis, on nous a signalé d'autres cas : ceux d'un Zaïrois, d'un Marocain qui, sous traitement en France, ont été expulsés. Je signale que le Marocain vivait avec une Française et qu'ils avaient un enfant né en France. Celui-ci avait treize ans et était donc un Français en puissance lorsque, malheureusement, son père a été expulsé.
Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que, dans de tels cas, jamais la France n'expulsait. Une fois de plus, nous souhaitons que cela figure dans la loi. C'est la raison pour laquelle, par cet amendement, nous vous demandons de prendre en considération le cas des étrangers qui suivent un traitement lourd, qui ne pourrait être poursuivi dans leur pays d'origine.
M. Jean Delaneau. Voilà qui est insultant pour la Tunisie !
M. Guy Allouche. L'amendement n° 71 vise à régler la situation de parents d'enfants nés en France et qui ont vocation à devenir français à partir de l'âge de seize ans s'ils y ont résidé pendant toute leur jeunesse.
Nous proposons, comme le suggère le collège des médiateurs, d'accorder une carte de séjour temporaire au père et à la mère de cet enfant.
En effet, à la condition qu'il exerce, même partiellement, à l'égard de cet enfant l'autorité parentale ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins, le père ou la mère d'un enfant né en France et ayant sa résidence en France n'est pas expulsable en application de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Ces personnes ont vocation à se maintenir sur le territoire. Par conséquent, ne pas leur délivrer de titre de séjour, c'est vouloir faire de ces personnes des sans-papiers, car elles ont par essence des attaches en France et sont sur le territoire depuis assez longtemps pour être décidées à ne pas le quitter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 68, 33, 69, 34, 35, 36, 70 rectifié bis , 37, 40, 39, 72 et 71 ?
M. Paul Masson, rapporteur. L'article 4 a été longuement et sérieusement débattu tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, et les deux assemblées sont parvenues, après l'adoption de différents amendements, à un équilibre.
L'Assemblée nationale nous a rejoints sur un certain nombre de points - nous nous en réjouissons vivement - et a rejoint par là même la position initiale du Gouvernement, qui avait été un peu battue en brèche à l'Assemblée nationale en première lecture.
Puis, l'Assemblée nationale a ajouté à cet article quelques éléments auxquels nous nous rallions, bien entendu, qui sont appréciables et qui complètent le dispositif.
Je rappelle que nous sommes dans une situation un peu étonnante où des étrangers ne sont, en l'état actuel des textes, ni éloignables ni régularisables.
Le Gouvernement a cherché une solution moyenne entre le rien, qui est la situation actuelle, et le tout, qui avait la faveur de certains parce qu'il avait une apparence de logique, mais qui pouvait produire dans les esprits et chez les observateurs des effets qu'il ne paraît pas souhaitable au Gouvernement de provoquer.
Nous en sommes donc au point terminal de ce débat et, à l'exception de deux d'entre eux, tous les amendements portant sur cet article avaient déjà été déposés en première lecture. Nous les avions, à ce moment-là, examinés avec sérieux, avec objectivité ; je ne reprendrai donc pas l'argumentation détaillée que nous avions développée alors et qui avait donné lieu à des échanges importants de part et d'autre de cet hémicycle.
Je me contenterai donc d'être beaucoup plus succinct dans mes explications.
En ce qui concerne l'amendement n° 68, je remercie le Gouvernement d'avoir apporté à M. Rocard, sur un point très important - la nature de l'activité à laquelle l'étranger régularisé pourra accéder dès lors qu'il aura sa carte de séjour temporaire - une précision qui éclaire le débat.
Pour le reste, je rappelle que le Sénat en première lecture avait repoussé à la majorité, par voie de scrutin public, le dispositif proposé. Il n'y a aucune raison d'avoir une position différente aujourd'hui.
Vous demandez, monsieur Rocard, pourquoi l'on n'attribuerait pas à l'étranger régularisé la carte de séjour de résident, valable dix ans. Mon cher collègue, la carte de séjour temporaire est renouvelable. Rien n'interdit de penser que l'intéressé accédera aux dix ans très rapidement, si, comme nous le souhaitons tous, il est sérieux et justifie d'une situation en France tout à fait nette. Cependant, entre le néant dans lequel il se trouve et le tout dont bénéficie le résident à titre permanent, titulaire d'un titre de séjour de dix ans, chacun comprendra que nous souhaitons qu'il y ait une transition. C'est ce que prévoit le texte. La commission est donc défavorable à l'amendement n° 68.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 33, dans la mesure où un amendement identique a été repoussé par le Sénat en première lecture.
Je formulerai la même observation à propos de l'amendement n° 69.
Mme Joëlle Dusseau. A quoi alors sert la navette ?
Mme Danièle Pourtaud. A rien !
M. Paul Masson, rapporteur. S'agissant de l'amendement n° 34, je rappellerai que le Sénat, en première lecture, s'était opposé à la durée de deux ans proposée par l'Assemblée nationale et avait repoussé un amendement similaire.
Quant à l'amendement n° 35, le Sénat, dans sa majorité, avait également rejeté, en première lecture, un amendement similaire ; la commission ne peut donc que demander son rejet.
Il en est de même de l'amendement n° 36.
S'agissant de l'amendement n° 70 rectifié bis, je me permettrai de faire observer à M. Dreyfus-Schmidt qu'il a satisfaction sur un point.
La condition cumulative a été supprimée et seule est retenue la condition que l'intéressé subvienne effectivement aux besoins de l'enfant, ce qui devra être apprécié en proportion de ses ressources. Nous estimons que ce critère ne doit pas être retenu mécaniquement et de façon uniforme.
En outre, il ne s'agit pas d'analyser la situation des parents du seul point de vue matériel. La présence physique de la mère ou du père sans emploi doit pouvoir être prise en considération.
M. le ministre a répondu tout à l'heure d'emblée à la question très importante qui était posée. Compte tenu de ses propos et notamment des précisions qu'il a apportées, je pense que M. Dreyfus-Schmidt a satisfaction sur ce point. La commission est donc défavorable à l'amendement n° 70 rectifié bis.
S'agissant de l'amendement n° 37, le Sénat a déjà repoussé la même proposition en première lecture. Il n'y a aucune raison qu'il change d'avis en deuxième lecture. Il est donc défavorable à cet amendement.
Par l'amendement n° 40, le groupe communiste républicain et citoyen demande de prendre en compte le défaut de régularisation de la situation des personnes qui ont le statut de réfugié.
Je ferai observer à M. Pagès que la situation de ces personnes est déjà prise en compte au 10° de l'article 15 de l'ordonnance de 1945. Par conséquent, l'amendement me paraît être satisfait en grande partie.
Pour le reste, c'est-à-dire la fin de l'amendement, qui est ainsi rédigé : « ... et qui ne peuvent bénéficier des dispositions relatives à l'obtention de la carte de résident de plein droit », nous sommes défavorables. Nous proposons donc le rejet de cet amendement.
Les amendements n°s 39 et 72 traitent d'un sujet extrêmement délicat. Ils s'agit des étrangers qui sont gravement malades. On ne peut traiter de ces problèmes à la légère.
M. Guy Allouche. Ce n'est pas ce que nous faisons !
M. Paul Masson, rapporteur. Non, en effet, et je vous en donne acte. D'ailleurs, c'est vous, monsieur Allouche, qui aviez déjà traité de cette question, avec la même délicatesse, en première lecture.
Nous nous sommes efforcés de répondre avec circonspection et prudence. Nous avons pensé, sous la caution de M. Chérioux notamment, qu'il n'était pas sage de codifier des situations qui sont éminemment temporaires et que nous souhaitons d'ailleurs telles puisque nous voulons la guérison des personnes concernées.
Je rappelle que, pour de telles situations, une autorisation provisoire de séjour est toujours accordée. Après avoir longuement débattu, le Sénat avait choisi de ne pas inscrire dans la loi ces dispositions pour des raisons qui sont non seulement juridiques mais aussi psychologiques, et nous pensons qu'il n'y a pas de raison de réagir différemment en deuxième lecture.
Je demande donc, là encore pour les motifs que j'ai déjà exposés en première lecture, que l'amendement n° 39 soit repoussé.
S'agissant de l'amendement n° 72, je précise que les intéressés ne peuvent pas être éloignés du territoire : c'est une précaution que nous prenons. Sur ce point-là non plus, je ne vois pas pourquoi nous changerions de position.
Il en va de même pour ce qui est de l'amendement n° 71 : la majorité du Sénat ayant rejeté une proposition identique qui nous était soumise en première lecture, je propose qu'il se prononce dans le même sens en deuxième lecture.
En résumé, monsieur le président, la commission est donc défavorable à l'ensemble des amendements portant sur l'article 4.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement partage l'avis de la commission sur ces amendements, mais je voudrais faire quelques commentaires sur certains d'entre eux.
Je précise d'abord aux auteurs des amendements n°s 70 rectifié bis et 37 que l'âge de seize ans n'a pas été choisi par hasard par le Gouvernement : il correspond à l'âge de la manifestation de volonté donnant accès à la nationalité française aux étrangers nés en France, en application de la loi du 22 juillet 1993.
L'esprit du projet de loi est de permettre aux enfants français de rester auprès de leurs parents, afin que ceux-ci puissent les élever et leur offrir la vie familiale nécessaire à leur épanouissement. Cela concerne donc, a priori , les parents de jeunes enfants.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous rappelle par ailleurs que, en vertu de l'article 15 de l'ordonnance de 1945, les parents d'enfants français - et ce jusqu'à ce que lesdits enfants atteignent l'âge de dix-huit ans - accèdent de plein droit à une carte de résident de dix ans s'ils sont en séjour régulier et s'ils sont entrés régulièrement en France.
Nous traitons ici des cas non couverts par l'article 15, c'est-à-dire des personnes en séjour irrégulier, entrées irrégulièrement sur notre territoire. L'amendement qui est proposé ne ferait que créer à leur profit des voies de fraude, sans justification réelle au regard de l'intérêt de l'enfant.
S'agissant de l'amendement n° 40, je voudrais rappeler à M. Pagès que, par l'arrêt Mme Agyepong du 2 décembre 1994, le Conseil d'Etat a posé le principe selon lequel le conjoint d'un réfugié ne bénéficie automatiquement du statut de résident que si le mariage est antérieur à la demande déposée auprès de l'OFPRA.
A l'heure actuelle, le conjoint d'un réfugié qui ne bénéficie pas de la délivrance de plein droit d'une carte de résident parce qu'il se trouve en situation irrégulière peut toutefois bénéficier du regroupement familial.
Enfin, monsieur Allouche, sur le cas du Tunisien que vous avez évoqué, je me permettrai de rappeler simplement six faits précis.
Premièrement, nous avons exécuté une mesure judiciaire d'expulsion.
Deuxièmement, il s'agit d'un multirécidiviste, condamné pour violences, pour vol, pour usage et revente de stupéfiants, à des peines au total supérieures à quatre ans de prison.
M. Dominique Braye. Très bien !
Mme Joëlle Dusseau. Il était tout de même malade du sida !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Troisièmement, il a passé une visite médicale avant son départ.
Quatrièmement, il avait été expulsé et il était revenu illégalement en France.
Cinquièmement, son épouse était en Tunisie.
Sixièmement, la Tunisie est un grand pays, médicalement bien équipé. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - Mme Joëlle Dusseau manifeste son désaccord.)
M. le président. Monsieur le ministre, si j'ai bien compris, vous êtes défavorables à l'ensemble des amendements qui ont été présentés dans le cadre de la discussion commune.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous avez bien interprété ma position, monsieur le président.
M. Michel Rocard. Remarquable décryptage de la pensée de M. le ministre ! (Sourires.)
M. le président. Merci de reconnaître ainsi les qualités herméneutiques de la présidence, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 68.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur le cas du clandestin qui est en France depuis quinze ans.
M. Josselin de Rohan. M. Rocard ne veut plus qu'on dise « clandestin » ! En effet, vous attentez ainsi à la morale républicaine !
M. Michel Rocard. J'ai cité André Frossard !
Mme Joëlle Dusseau. Mais je ne suis pas M. Rocard et, pour me faire comprendre, je dirai que ce clandestin est en France depuis quinze ans. Quinze ans, c'est la durée de présence en France nécessaire à la régularisation.
S'il est en France depuis quinze ans, non seulement cela témoigne d'une belle constance de sa part, mais cela donne à penser que, durant ces quinze ans, sa présence n'a pas constitué une menace pour l'ordre public : sinon monsieur le ministre, vos services auraient repéré ledit clandestin et l'aurait reconduit à la frontière.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je ne suis ministre que depuis deux ans !
Mme Joëlle Dusseau. Certes, mais je pense que vos prédécesseurs auraient su se montrer au moins aussi efficaces que vous pouvez l'être, si l'on en croit certains, depuis deux ans !
Quoi qu'il en soit, considérons que, pendant quinze ans, la présence de ce clandestin en France n'a jamais constitué une menace pour l'ordre public et que sa situation peut donc être régularisée. On va par conséquent lui accorder une carte d'un an.
Cela étant, monsieur le ministre, je vous demande une fois de plus de préciser ce qu'est cette menace à l'ordre public. Chacun sait que l'appréciation de cette menace est en fait laissée, en l'occurrence, à la discrétion de l'administration. Ne pensez-vous pas qu'une condamnation judiciaire serait un critère plus précis, moins sujet à caution ?
Si vous tenez à cette notion de menace à l'ordre public, à tout le moins, la loi devrait également prévoir de quelle manière une personne, face à une telle accusation la privant de l'accès à la carte de séjour d'un an, pourrait la contester et expliquer en quoi elle ne la concerne en rien.
Nous sommes là devant un dispositif de type administratif, voire policier, et qui, en tout cas, ne tient pas compte de l'individu ne lui donne pas les moyens de se défendre réellement contre l'accusation qui pèse sur lui. C'est en cela que ce dispositif fait la part belle à l'arbitraire.
M. Claude Estier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Bien entendu, je voterai cet amendement, mais je voudrais surtout interroger M. le rapporteur après les commentaires que les différents amendements déposés sur l'article 4 ont appelés de sa part.
Cela va de soi, monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement le droit d'émettre un avis défavorable sur tous ces amendements mais j'observe que, de manière répétée, lancinante, vous avez justifié cet avis en disant : « Il n'y a pas de raison de faire en deuxième lecture autrement qu'en première lecture et il convient donc de repousser ces amendements. »
Je me permets donc de vous demander à quoi sert, dans ces conditions, la deuxième lecture.
Je me permets également de vous faire remarquer que, en deuxième lecture, vous avez changé d'avis sur l'article 1er puisque les dispositions que vous nous avez aujourd'hui invités à adopter, s'agissant de cet article, sont totalement différentes de celles que vous aviez défendues en première lecture.
Pourquoi, alors, vous acharnez-vous à motiver votre refus de nos amendements par la nécessité d'adopter, en deuxième et en première lecture, une position identique ? C'est totalement incohérent ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - Mme Joëlle Dusseau applaudit également.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je voudrais rassurer Mme Dusseau : la notion de menace pour l'ordre public n'a rien d'original dans le domaine de la police administrative, ni même dans le domaine particulier de la police des étrangers. On retrouve en effet cette notion à l'article 5 de l'ordonnance de 1945. On la retrouve également à l'article 12 bis de cette même ordonnance, qui porte sur les cartes de séjour temporaire, ainsi qu'à l'article 15, en ce qui concerne les cartes de résidents.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Depuis quand ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Cela existe !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Depuis 1993 !
Mme Joëlle Dusseau. Depuis Pasqua !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. On retrouve encore cette notion à l'article 29, qui traite du regroupement familial.
L'ordre public est un objectif de valeur constitutionnelle, ce que le Conseil constitutionnel a rappelé à propos de la police des étrangers, objectif qui s'impose au même titre que la défense des droits individuels : je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993.
Par ailleurs, la jurisprudence administrative a développé l'interprétation de la notion d'ordre public, en particulier en police administrative.
Le raisonnement est toujours le même : il cherche à concilier l'ordre et la liberté. Si nous négligeons l'un ou l'autre, comme le soulignait l'un de mes professeurs, le professeur Rivero dont les ouvrages font autorité en la matière, « le choix ne serait plus qu'entre le désordre des affrontements individuels et collectifs et un ordre inspiré par la force ». Et il ajoutait : « La liberté ne survit ni à l'un ni à l'autre. ».
C'est dans cette logique que s'inscrit le Gouvernement en défendant la paix sociale grâce au respect de la loi et au maintien de l'ordre public.
Oublier cette exigence, ce serait négliger un impératif de gouvernement, en particulier dans le domaine de l'immigration.
Non, la notion de menace pour l'ordre public n'est pas nouvelle : elle est inscrite dans la loi, confirmée par la jurisprudence, célébrée par la doctrine.
Mme Joëlle Dusseau. Vous ne répondez en rien à ma question, monsieur le ministre !
M. Paul Masson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Madame Dusseau, comme l'a souligné M. le ministre, l'ordre public est une notion d'ordre constitutionnel.
Dans le débat qui nous occupe, nous devons garder trois considérations en permanence à l'esprit.
Tout d'abord, les étrangers ont en France un état qui n'est pas celui des citoyens français. C'est ce que le Conseil constitutionnel a solennellement énoncé en 1993 et qu'il a réaffirmé depuis. Ce point capital explique précisément cette réglementation particulière issue de l'ordonnance de 1945.
Ensuite, la France se doit de respecter les droits de l'homme et du citoyen, et aucune mesure ne doit porter atteinte à la liberté individuelle. Là encore, la position du Conseil constitutionnel est parfaitement établie.
Enfin, la sûreté est un principe constitutionnel absolu, à l'égal des autres.
En fait, madame Dusseau, vous demandez comment l'administration peut être à coup sûr tenue par ce principe.
Mme Joëlle Dusseau. Voilà !
M. Paul Masson, rapporteur. Elle l'est par la hiérarchie qui la contrôle. Et puis, il y a les recours contre les actes abusifs de l'administration : recours gracieux et recours contentieux, devant le tribunal administratif ou devant le Conseil d'Etat.
Mais, madame Dusseau, je vais aller plus loin.
Je lis, dans une circulaire, des précisions qui, à cet égard, sont assez intéressantes : « En ce qui concerne les étrangers soumis à la formalité du visa, rappelons que la possession de celui-ci ne donne pas pour autant le droit d'entrée à une personne dont le comportement serait de nature à nuire à l'ordre public. »
Là, on va très loin ! On n'apprécie pas la situation de l'étranger par rapport à l'ordre public existant ou par rapport aux effets que son comportement a sur l'ordre public existant ; on suppute qu'il pourrait avoir - vous aurez noté, dans la circulaire, l'emploi du conditionnel - par rapport à l'ordre public, une attitude qui serait peut-être répréhensible. Avant même d'avoir pu la constater, on apprécie sa capacité future, éventuelle et potentielle à troubler l'ordre public, et cela « nonobstant » la délivrance d'un visa !
Voilà donc quelqu'un qui, bien qu'en possession d'un visa, n'est pas autorisé à entrer sur notre territoire au nom de la notion de « comportement susceptible de nuire à l'ordre public ». Comment un tel comportement lui est-il prêté ? Je n'en sais rien ; peut-être en fonction de son attitude passée ?
Mme Joëlle Dusseau. Pourquoi ? Ce n'est pas très clair...
M. Paul Masson, rapporteur. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est le texte d'une circulaire ministérielle ; et savez-vous qui l'a signée ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Evidemment !
M. Paul Masson, rapporteur. Elle est - je n'y peux rien ! - de 1982, et on peut la trouver dans les archives, madame Dusseau.
Ensuite, monsieur Estier, je n'ignore pas qu'il y a deux lectures, deux navettes...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Au moins !
M. Paul Masson, rapporteur. C'est normal, c'est salutaire et c'est la démocratie, monsieur Dreyfus-Schmidt.
Mais vous n'ignorez pas non plus que, dans toute démocratie, il y a une majorité et une opposition. Or l'opposition, monsieur Dreyfus-Schmidt - nous en avons nous-mêmes été pendant un certain nombre d'années -...
M. Josselin de Rohan. Et nous avions juridiquement tort !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ici jamais !
M. Paul Masson, rapporteur. ... est minoritaire...
M. Henri Weber. Provisoirement !
M. Paul Masson, rapporteur. ... et se plie, tout à fait démocratiquement et normalement, à la loi de la majorité.
Ici, il y a une majorité et une opposition, et il y a une commission des lois dont, en tant que rapporteur, je ne suis que l'interprète. Or celle-ci a estimé, dans sa majorité, que ces amendements n'appelaient plus de discussion.
Je ne puis qu'être le rapporteur fidèle et objectif de la commission des lois ; si elle avait estimé que certains textes devaient être réexaminés, elle l'aurait dit, elle l'aurait fait.
M. Claude Estier. Elle l'a fait sur l'article 1er !
M. Paul Masson, rapporteur. Effectivement, et nous avons utilisé la navette pour en améliorer le texte, en tenant compte, dans une certaine mesure, des observations de l'opposition. C'est bien, car c'est cela la démocratie.
Ne me reprochez pas d'être lancinant - je suis navré d'avoir à l'être - et si vraiment ce soir je vous ai « lancinés », veuillez me pardonner, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. Vous nous avez intéressés !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Tout à l'heure, M. Estier semblait douter de l'utilité des navettes. Je me permets de dire en complément des propos de M. le rapporteur que les navettes, par définition, ont pour rôle de supprimer les différences entre les deux assemblées et non de régler les différends entre majorité et opposition au sein d'une même chambre !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 68, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 33, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 69, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 34, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 35, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 36.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. C'est l'expression « l'étranger ne vivant pas en état de polygamie » qui motive mon intervention. Déjà employée à l'alinéa précédent, elle revient à de nombreuses reprises dans le présent texte.
Je rappelle - cela figure dans le rapport Sauvaigo - que, selon le président de l'Institut national d'études démographiques, l'INED, sur les 4 millions d'étrangers vivant en France en situation régulière, on dénombre environ 10 000 cas de polygamie. Rapprochez ces deux chiffres, et vous noterez une différence tout de même assez importante.
Quant à l'expression elle-même, signifie-t-elle que deux mariages ont été effectivement célébrés ou que la personne concernée a deux ménages ? Dans ce dernier cas, mes chers collègues, il n'y a pas que 10 000 étrangers polygames en France : un certain nombre de Français, et peut-être même pas si loin de moi, sont aussi concernés ! (Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan. On a même connu certain Président de la République...
Mme Joëlle Dusseau. Comme vous dites, mon cher collègue !
M. le président. Les faits personnels sont traditionnellement renvoyés à la fin de la séance !
Mme Joëlle Dusseau. En tout état de cause, je vous signale que la loi elle-même prévoit pour les Français ce type d'état puisqu'elle autorise une personne en instance de divorce - situation qui peut perdurer - à désigner comme ayants droit et son épouse et sa compagne. Si ce n'est pas reconnaître l'état de polygamie dans la loi, je n'y comprends rien !
Permettez-moi d'insister, simplement mais vigoureusement, sur deux points : premièrement, il ne sera pas toujours aisé de prouver l'état de polygamie ; deuxièmement, si le projet de loi fait souvent référence à « l'étranger ne vivant pas en état de polygamie », pour l'opinion publique cela signifiera qu'un étranger est forcément polygame.
Selon l'INED, je le repète, on dénombre 10 000 cas de polygamie pour 4 millions d'étrangers. Il s'agit donc de situations très minoritaires, ce qui est fort heureux. Nous ne devons pas, par le biais d'une loi, faire passer dans l'opinion des messages erronés.
Je voterai donc l'amendement n° 36, comme j'ai voté les amendements précédents.
M. Jean Delaneau. Je vous fais remarquer que l'amendement n° 36 fait référence à « l'étranger non polygame » !
Mme Joëlle Dusseau. Vous avez raison, mon cher collègue.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 36, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 70 rectifié bis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je remercie M. le ministre d'avoir donné une réponse à nos questions ; s'il ne m'a pas convaincu, c'est pour les raisons suivantes.
Premier point, l'expression « en état de polygamie » a été, c'est vrai, employée dans sa décision n° 93-325 par le Conseil constitutionnel ; mais il l'a employée alors qu'il se prononçait sur l'article 9 de la loi Pasqua du 24 août 1993 : « considérant que cet article 9 interdit la délivrance de la carte de résident à tout ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ainsi qu'à ses conjoints ».
Ce n'est donc pas le Conseil constitutionnel qui a créé l'expression ; en précisant que l'état de polygamie devait s'apprécier en France, il l'a reprise. Je pense qu'elle lui a échappé. Nous avons toujours le droit d'attirer son attention sur ce point, nous verrons bien ce qu'il en dira !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Rien n'échappe au Conseil constitutionnel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous remercie aussi, monsieur le ministre, d'avoir expliqué - c'est le deuxième point - pourquoi le parent étranger doit être celui d'un enfant français de moins de seize ans résidant en France. C'est parce que ce dernier n'a pas à opter pour la nationalité française : il est français.
En revanche, vous craignez qu'un jeune mineur entre seize et dix-huit ans n'ait opté depuis peu pour la nationalité française et ne soit donc pas Français depuis longtemps. Or, je vous rappelle que, pour pouvoir opter pour la nationalité française à seize ans, il faut être né en France. Ne croyez-vous pas qu'on a également le droit d'avoir son père et sa mère auprès de soi alors qu'à seize ou à dix-sept ans on est encore mineur ?
Monsieur le ministre, votre explication n'est pas recevable et nous maintenons donc notre position.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je ne crois pas que quelque chose ait pu échapper au Conseil constitutionnel en 1993, alors que le président en était M. Badinter. (Rires.)
M. Robert Badinter. Enfin un mot exact ! (Nouveaux rires.)
Un sénateur du RPR. Expliquez-le à M. Dreyfus-Schmidt !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne doute pas que M. Badinter soit, depuis le début de ce débat, très flatté des nombreux hommages que vous lui rendez...
Mme Joëlle Dusseau. A juste titre d'ailleurs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... en citant très souvent les décisions du Conseil constitutionnel. Mais, personnellement, je serai moins indulgent que vous à l'égard de mon ami Robert Badinter. Je suis convaincu que tout le monde est faillible...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Même lui ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et que certaines choses peuvent échapper au Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. M. Dreyfus-Schmidt, le seul qui soit infaillible !
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. Dreyfus-Schmidt, et son infaillibilité ne relève pas de ce concile. (Sourires.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Dreyfus-Schmidt, me permettez-vous de vous interrompre à nouveau ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Que M. Badinter ait eu un moment d'inattention, je le conçois à la limite ; mais les membres du Conseil constitutionnel sont au nombre de neuf. Que neuf personnes aient pu laisser passer une expression m'étonne !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ici, nous somme 321 et, à voir les lois Pasqua et la manière dont vous entendez les corriger, on se rend compte que, même à 321, on peut laisser passer des choses que l'on ne devrait pas laisser passer !
M. Robert Pagès. On ne les a pas laissé passer, on a voté contre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'en arrive au troisième point : monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous nous dites que subvenir aux besoins peut s'entendre sur le plan moral. Dans la langue française, et pour la jurisprudence, subvenir aux besoins d'un enfant, c'est dépenser de l'argent pour l'élever.
C'est d'ailleurs pourquoi on a toujours distingué l'exercice, même partiel, de l'autorité parentale et la subvention aux besoins de l'enfant.
Ce sont deux situations tout à fait différentes mais qui, toutes les deux, méritent très exactement la même attention. Vous ne voulez pas que ce soit dit ; sur ce point encore, nous verrons ! M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 70 rectifié bis , repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 37, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 40, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 39.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans l'amendement n° 39 comme dans l'amendement n° 72, qui a le même objet, on retrouve, et vous l'avez reconnu, très exactement le texte introduit par l'Assemblée nationale à l'article 6 bis pour l'article 25 de l'ordonnance de 1945.
Il ressort de la lecture de l'article 6 bis que l'Assemblée nationale a accepté - la commission des lois du Sénat l'acceptera aussi - que soit inexpulsable « l'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie grave ».
Puisque vous acceptez que ces étrangers soient inexpulsables, nous vous demandons de leur attribuer une carte de séjour provisoire, à défaut de quoi vous allez, à l'évidence, en refaire des « sans-papiers ».
Nous nous permettons d'insister vivement, là encore, au moins auprès de nos collègues, sinon auprès de M. le rapporteur et de M. le ministre qui ne se sont pas expliqués sur ce point.
Vous les reconnaissez inexpulsables, mais vous ne voulez pas leur donner de carte de séjour provisoire : vous en faites donc très exactement des « sans-papiers ».
M. Guy Fischer. Vous les jetez dans l'illégalité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Aussi, il ne faudra pas vous étonner si vous avez encore besoin d'une francisque - ce qui sera plus franc - pour aller défoncer la porte d'une église où ils se réfugieront ! (Vives protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Votre expression est malheureuse. La francisque, c'est un mot que vous ne devriez pas employer !
M. Jean Delaneau. Vous l'avez honorée !
M. Dominique Braye. On parle beaucoup de Mitterrand, ce soir !
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. J'ai lu, moi aussi, un certain nombre d'articles concernant le garçon qui a été expulsé en Tunisie. J'ai écouté ce que vient de dire M. le ministre. Il doit avoir des informations que je n'ai pas, et je lui fais confiance pour un certain nombre de choses qu'il a dites.
Je voudrais très simplement lui dire deux choses à propos des informations qu'il nous a données.
D'abord, ce garçon qui a le sida est drogué. Il a été condamné pour trafic de stupéfiants, avez-vous dit. C'est malheureusement le cas, nous le savons aujourd'hui, d'un certain nombre de jeunes qui sont pris dans l'engrenage de la drogue, qui tombent dans la petite délinquance parce qu'ils sont en manque, parce qu'il leur faut de la drogue. Cette situation, que nous connaissons bien, pourrait être réglée par le biais de la méthadone ou par d'autres moyens. Pour autant, elle me paraît trop particulière pour que l'on puisse parler de délinquant.
Ensuite, on le renvoie en Tunisie, alors qu'il suivait une trithérapie en France. En Tunisie, avez-vous dit, il y a tout ce qu'il faut pour le soigner car c'est un pays moderne.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Oui !
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le ministre, même en France, des difficultés ont pesé, au début, sur la trithérapie. En effet, compte tenu du coût du traitement, on a même envisagé un éventuel tirage au sort des malades qui pourraient bénéficier de ce traitement. Aussi, ne me dites pas que la Tunisie est un pays moderne, qui offre des trithérapies ! Comme cela a été dit à plusieurs reprises - et la presse s'en est fait largement l'écho très récemment, à propos du bilan des trithérapies - l'interruption d'un tel traitement, ne serait-ce que pendant une courte période, peut avoir des conséquences très graves.
Par conséquent, j'ai bien entendu ce que vous avez dit, mais je tenais à souligner le fait qu'en ne tenant pas compte, d'une part, de la condition très particulière des jeunes drogués et, d'autre part, des conséquences médicales d'un arrêt même temporaire du traitement - mais, en l'occurrences, l'arrêt de la trithérapie n'est, hélas ! sûrement pas temporaire - on prend une décision lourde de conséquences pour la vie d'un être humain.
M. Michel Caldaguès. Vous ne parlez pas des victimes de la délinquance liée à la drogue !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Mers chers collègues, vous savez combien je suis attentif à la question des soins pour les étrangers qui sont atteints par une maladie grave, et je pense en particulier à un certain type de pathologie. J'avais d'ailleurs déjà évoqué ce problème lors de la premièrelecture.
Les dispositions prévues à l'article 6 bis me donnent satisfaction. Je souhaite qu'on ne puisse pas expulser ces étrangers qui sont atteints par une pathologie grave. C'est ce qui sera inscrit à l'article 6 bis dans la rédaction proposée pour l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 si l'amendement n° 97 de la commission est adopté. La possibilité de ne pas prendre d'arrêté d'expulsion à l'égard de ces personnes répond à mon souci.
Quant au jeune Tunisien, j'ai, moi aussi, examiné en détail cette affaire. J'ai posé une question orale sans débat et M. le ministre chargé des relations avec le Parlement est venu me répondre. Je crois me souvenir que, en plus des éléments de réponse que M. le ministre de l'intérieur a rappelés tout à l'heure, il y en avait un autre : l'intéressé avait déclaré - cela figure dans un procès-verbal établi par un officier de police judiciaire - qu'il désirait retourner dans son pays dans les quinze jours.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, j'ai été heureux d'apprendre ce soir que, dans le domaine médical, la Tunisie est devenue un grand pays.
Comme l'a dit à l'instant Mme Dusseau, je ne suis pas sûr que, s'agissant des maladies que nous évoquons, les Tunisiens puissent bénéficier dans leur pays des traitements que l'on peut suivre en France. C'est la raison pour laquelle nous avions appelé votre attention.
En ce qui concerne ce jeune Tunisien, vous n'avez pas tout dit, monsieur le ministre, mais je ne veux pas y revenir.
Je voudrais simplement vous livrer la remarque formulée par un grand professeur de médecine qui a eu à connaître de telles situations. Le dimanche qui a suivi l'expulsion, il a fait à la télévision, sur une chaîne du service public, entre neuf heures trente et midi,...
M. Jean Chérioux. Ce doit être M. Schwartzenberg !
M. Guy Allouche. Pas du tout !
M. Henri Weber. Perdu ! (Sourires.)
M. Jean Chérioux. Nous sommes tellement habitués à l'entendre !
M. Guy Allouche. Vous savez quel type d'émission est diffusé par le service public le dimanche matin.
M. Josselin de Rohan. La messe !
M. Guy Allouche. Il a déclaré : « Exclure un étranger qui est en soin, c'est une forme de délit d'Etat, c'est une forme de condamnation à mort. Veillons à ce que la France ne soit pas comme les autres pays, c'est-à-dire un pays banal, et veillons à ce que, en France, la loi d'hospitalité ne se transforme pas en loi d'hostilité. »
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je comprends parfaitement l'émotion ; mais les lois de l'hospitalité consistent-elles aussi à vendre de la drogue en France ? (Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Delaneau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Je ne voudrais pas prolonger le débat, mais le jugement qui est porté sur le niveau de médicalisation de la Tunisie me navre. En effet, la faculté de médecine de Tunis comprend des professionnels d'une très grande qualité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr !
M. Robert Badinter. C'est évident !
M. Jean Delaneau. Ils entretiennent en permanence avec la France non pas des liens de coopération, mais de véritables échanges.
Si vous avez la curiosité de vous brancher sur Internet et d'entrer dans les fenêtres consacrées par l'OPELF, l'Organisation professionnelle des enseignants en langue française, aux universités extérieures de langue française, vous pourrez constater que la faculté de médecine de Tunis est de haut niveau. Elle compte de très grands enseignants et médecins, qui nous apprennent un certain nombre de choses. D'ailleurs, certaines facultés françaises utilisent des CD-ROM conçus à Tunis.
Les médecins tunisiens sont aussi capables que les médecins français pour mettre en place ou pour continuer une trithérapie. Les médecins communiquent entre eux par fax. Les médecins français peuvent indiquer à leurs collègues tunisiens les traitements qui sont en cours et les mesures nécessaires qui peuvent être prises instantanément, dès que les malades arrivent en Tunisie.
M. Emmanuel Hamel. Excellente précision !
M. Paul Masson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Pour être un peu moins lancinant, je préciserai de nouveau qu'il n'y a pas de confusion possible entre l'article 6 bis , que nous examinerons plus tard, et l'article 4.
En effet, l'article 6 bis dispose que les étrangers atteints d'une pathologie grave ne seront pas expulsés. Nous proposerons même d'ajouter, par amendement, qu'ils ne peuvent pas être reconduits à la frontière, ce que l'Assemblée nationale avait omis de préciser.
En l'occurrence, il s'agit d'octroyer à ces étrangers une carte de séjour de plein droit, c'est-à-dire automatiquement.
Je l'avais dit en première lecture - même si personne ne l'a oublié, il convient tout de même de le préciser à nouveau, car certains discours pourraient donner à penser que nous sommes absolument abrutis ou inhumains - les préfets ont toujours la faculté de délivrer, au cas par cas, une carte de séjour temporaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a donc pas besoin d'une loi !
M. Paul Masson, rapporteur. Les préfets ne sont pas des obscurantistes ou des ignorants.
Mme Joëlle Dusseau. Pas tous !
M. Emmanuel Hamel. Loin de là !
M. Paul Masson, rapporteur. Ils l'ont prouvé à maintes reprises, à chaque fois qu'un cas sensible s'est présenté. Il n'est donc nul besoin de l'inscrire dans un texte. C'était la position que nous avions prise en première lecture pour cet article 4, ainsi que pour l'article 6 bis . L'Assemblée nationale a adopté une autre position.
Nous considérons que, s'agissant de cas aussi exceptionnels et qui sont, nous l'espérons, éminemment transitoires, il n'est pas nécessaire d'inscrire dans la loi ce que l'administration française peut faire, elle, de plein droit, chaque jour, lorsqu'elle apprécie au cas par cas la situation d'un étranger qui a effectivement un état de santé particulièrement préoccupant.
Pourquoi vouloir à tout prix faire figurer dans les textes ce que l'administration et tout gouvernement ont pratiqué juqu'à présent, et qui laisse place à l'interprétation ? Quelle force que l'interprétation ! Cela permet de prendre en compte les situations psychologiques, personnelles, intimes même, ce que la loi ne saura jamais faire. Pourquoi durcir cet élément de souplesse absolue que nous avons avec l'administration ? (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Alors, pourquoi faire une loi ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 39, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 72, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 71, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(L'article 4 est adopté.)

Article additionnel après l'article 4