M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 21 rectifié, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-77 du code de procédure pénale :
« Art. 231-77. - Sous réserve des dispositions de l'article précédent, l'emploi de tout appareil d'enregistrement ou de diffusion de l'image ou du son est interdit dès le début de l'audience, sous peine d'une amende de 100 000 F qui peut être prononcée dans les conditions prévues au titre VIII du livre IV.
« Est puni de la même peine le fait de communiquer à un tiers, sauf pour les besoins de la défense, une copie de l'enregistrement obtenue en application de l'article 231-76-1. »
Par amendement n° 185 rectifié, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de remplacer le deuxième et le troisième alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-77 du code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé :
« Il est procédé à une sténotypie intégrale des débats. »
Par amendement n° 186, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, après la première phrase du troisième alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-77 du code de procédure pénale, d'insérer une phrase ainsi rédigée : « Ces frais peuvent être pris en charge par l'aide juridictionnelle si la partie concernée en est bénéficiaire. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 21 rectifié.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 21 rectifié est retiré.
La parole est à M. Badinter, pour défendre l'amendement n° 185 rectifié.
M. Robert Badinter. Il s'agit là - chacun le mesure - de la continuation directe du débat qui vient de s'engager, sur une question qui, je l'indique d'emblée, concerne l'exécution et nullement le principe : nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut veiller scrupuleusement au respect du principe de l'oralité des débats.
Dans le système qui nous est proposé, un enregistrement sonore est réalisé sous le contrôle du président du tribunal d'assises et, le cas échéant, une transcription écrite de cet enregistrement, sonore peut être mise à la disposition des parties.
S'agissant de l'enregistrement sonore, les greffiers - ils nous l'ont dit eux-mêmes - ne pourront en assumer la responsabilité. En effet, devant une juridiction criminelle, le greffier est fort occupé, attaché qu'il est, notamment, à éviter que, d'aventure, ne survienne quelque fâcheux cas de cassation.
Il faudra donc qu'il y ait un technicien, car le pire serait que l'enregistrement soit raté. Cette assistance entraîne un coût, qu'il faut prendre en compte.
Par ailleurs, chacun sait qu'une transcription écrite à partir d'un enregistrement sonore a également un coût élevé, coût qui ne devrait pas être loin de celui d'une sténotypie.
Dans ces conditions, conformément à l'usage quand on veut savoir avec précision ce qu'a été le déroulement d'une déposition, le plus simple serait que l'on recoure à la sténotypie, comme cela se fait dans les grands débats judiciaires depuis fort longtemps, et comme cela se pratique d'ailleurs aussi au Sénat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quand on entend M. le garde des sceaux !
M. Robert Badinter. C'est exact ! Quand on entend M. le garde des sceaux, il est normal qu'il y ait une sténographie ou une sténotypie ; on ne procède pas à un enregistrement sonore.
Pour en revenir à la scène judiciaire, nous avons toujours connu la sténotypie, qui a l'avantage de ne troubler personne.
Se pose alors la question du coût. Sur ce point, j'indique que le haut comité consultatif, lorsqu'il a eu à se pencher sur la question de l'enregistrement, a été aussi catégorique que possible, comme en témoignent les pages 46 et 47 du rapport : le double examen impose la sténotypie, dont le coût, certes réel, doit être intégré dans l'ensemble des coûts de la réforme que M. le garde des sceaux désire voir mise en oeuvre aussi promptement que possible.
La sténotypie, c'est aujourd'hui le procédé qui offre le maximum d'avantages, notamment de sécurité. Si les techniques évoluent dans l'avenir, on pourra toujours modifier, ce n'est pas une question fondamentale, chacun le perçoit. En l'état, c'est certainement le procédé qui donne le plus de sécurité. Quant à son coût, il ne devrait pas être sensiblement différent de celui d'une transcription écrite ultérieure.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 185 rectifié ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, mais uniquement pour des raisons financières. Si M. le garde des sceaux nous assurait que la dépense pourra être assumée, la commission se rallierait volontiers à la proposition qui est faite.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Le Gouvernement confirme son opposition à cet amendement.
Avant toute chose, puisque l'on a argué de la position du haut comité consultatif présidé par M. Deniau, je tiens à souligner que ce haut comité a demandé la sténotypie systématique dans le cadre de sa proposition, à savoir la création d'un second degré sous forme de filtre du pourvoi en Cour de cassation. La situation était donc tout à fait différente en fait et en droit.
Quant au fond, quel est le système proposé ? Le texte, tel que modifié par l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement, prévoit non pas qu'il peut - c'était le texte originel du Gouvernement - mais qu'il doit y avoir un enregistrement sonore intégral.
Cet enregistrement est mis sous scellés. Le président peut en donner des copies, sous sa responsabilité. On peut utiliser cet enregistrement s'il y a appel de la décision du tribunal d'assises devant le cour d'assises ; on utilise alors le contenu de l'enregistrement sonore en en faisant une transcription dactylographiée.
Ainsi, je l'ai dit, on assure à la fois la fidélité et l'exhaustivité des débats de première instance, et la sécurité de leur utilisation.
A mon avis, il faut s'en tenir à ce système, car il est à la fois efficace et sûr. La sténotypie intégrale des débats n'est ni utile ni indispensable.
J'ajoute que, selon une estimation de l'Association nationale des sténotypistes, la sténotypie coûterait plus de 15 millions de francs par an. Cette dépense ne me paraît pas utile. On peut parfaitement s'en passer. Le système de l'enregistrement sonore, suivi éventuellement d'une transcription écrite, permettra d'arriver au même résultat pour un coût bien moindre.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 185 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A la lecture du rapport du haut comité présidé par M. Deniau, on se rend compte que ce n'est pas du tout en vertu du filtre, que, en effet, il proposait par ailleurs, que le Haut comité affirmait que le double examen imposait la sténotypie.
Que disait le rapport ?
« Le principe selon lequel la conviction de la cour se forme exclusivement d'après les débats oraux et l'absence de second examen des décisions criminelles explique qu'il ne soit conservé que peu de traces des débats. Le greffier dresse, certes, un procès-verbal de ceux-ci, mais son seul objet est de constater l'accomplissement des formalités prescrites à peine de nullité par la loi, afin de permettre à la Cour de cassation, en cas de pourvoi, d'exercer son contrôle.
« L'instauration d'un appel, simple ou motivé, impose un renversement complet de perspective. Il devient nécessaire de conserver une trace minutieuse des débats du premier degré, d'abord pour la juridiction chargée de l'examen de recevabilité » - c'est ce que vous nous dites - « et ensuite pour celle appelée à statuer à nouveau sur le fond en seconde instance. »
Suivent des considérations techniques : « Le haut comité considère que l'enregistrement sonore ou visuel de l'audience de première instance est de nature à perturber gravement la sérénité des débats, voire à les dénaturer. En effet, ce type d'enregistrement est nécessairement sélectif et donc infidèle, car il est techniquement impossible de saisir de façon concomitante l'ensemble des sons et des images qui doivent l'être. En outre, il influe sur le comportement de ceux qui sont filmés ou enregistrés, et donc sur leurs déclarations elles-mêmes.
« En conséquence, les membres du haut comité préfèrent à cette solution un enregistrement sténotypée des débats, qui leur paraît à la fois plus fiable, plus objectif. Cette solution respecte, en outre, davantage la liberté des seconds juges en leur permettant un meilleur recul. Cet enregistrement pourrait être intégral, hormis les réquisitions et plaidoiries, afin de respecter la liberté de parole du ministère public et de la défense, et devrait en tout cas concerner toutes les dépositions des témoins, victimes, experts, et, de façon générale, de toutes les personnes appelées, à un titre ou un autre, à déposer devant la cour d'assises. Le procès-verbal de cet enregistrement serait intégré à l'actuel procès-verbal des débats. »
Nous avons entendu, en commission, quatre présidents de cour d'assises. Tous nous ont dit qu'il était nécessaire de sténotyper les débats. M. Lemonde, auteur d'un article remarqué sur la réforme, n'a pas dit autre chose.
Alors, vous évoquez le coût de la mesure, monsieur le garde des sceaux ! Là encore, il faut se reporter à ce qu'a dit le haut comité :
« Cette solution n'est certes pas sans coût et, à cet égard, le haut comité rappelle son exigence générale de l'allocation de moyens réels et suffisants, mais elle s'impose tant dans le cadre de l'appel simple que dans celui de l'appel motivé. »
Combien y a-t-il d'affaires jugées en cour d'assises chaque année ? Deux mille, deux mille cinq cents ? Il ne faut pas exagérer le coût que cela représenterait. Le cas échéant, faites-le évaluer, et communiquez-le nous.
Monsieur le garde des sceaux, chaque fois que vous venez devant le Sénat, que ce soit en salle de commission ou à la salle Médicis, comme ce fut le cas voilà quelques jours, même si les débats sont télévisés, il y a une prise sténographique ou sténotypique.
C'est précisément quand il y a un incident - lorsque tout le monde parle en même temps - que l'on a besoin de savoir ce que tout le monde dit, et cela seules la sténographie ou la sténotypie peuvent l'assurer.
J'ajoute que les greffiers nous ont dit qu'il ne leur était pas possible d'assurer l'enregistrement sonore parce qu'ils avaient autre chose à faire, et qu'il faudrait donc leur adjoindre des appariteurs pour surveiller.
Quant au magnétophone, évidemment, il peut s'arrêter ; d'ailleurs, dans notre assemblée, chacun le sait, on ne se contente pas de magnétophones pour enregistrer les débats.
En conclusion, à l'appui de ce que je dis, vous me permettrez de citer un extrait de l'article de M. Lemonde : « Le deuxième degré de juridiction n'est pas nécessairement lié à la motivation en première instance. En revanche, la sténotypie des débats est indispensable. Elle est un moyen irremplaçable de vérifier si le procès a été équitable au premier degré. »
Voilà le dossier complet ! Maintenant, il vous appartient de décider, mes chers collègues.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Je ne voudrais pas voter sans avoir, au préalable, exprimé notre gratitude, toutes travées confondues, aux admirables sténographes du Sénat. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 185 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Badinter, pour défendre l'amendement n° 186.
M. Robert Badinter. Dans la mesure où l'on retient le système proposé, il convient que les frais de transcription écrite de l'enregistrement, qui seront lourds, puissent être pris en charge par l'aide juridictionnelle si une partie concernée en est bénéficiaire. Cela va de soi, au regard du principe de l'égalité des justiciables.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Non seulement je suis défavorable à cet amendement n° 186, mais j'estime qu'il n'a plus d'objet puisque l'amendement n° 185 rectifié de M. Badinter vient d'être repoussé. Présenté sous une autre forme, il aurait pu parfaitement être admis par cohérence.
Naturellement, je ne propose pas de le faire, mais j'aurais pu l'accepter. On peut imaginer que la transcription écrite faite devant la cour d'assises et qui est prévue par le texte du Gouvernement soit prise en charge par l'aide juridictionnelle.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 186, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 231-77 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 231-78 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE