M. le président. Par amendement n° 208, MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer la dernière phrase du deuxième alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-108 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt Le texte actuellement en vigueur est ainsi rédigé : « Celui dont la dénonciation est récompensée pécuniairement par la loi peut être entendu en témoignage, à moins qu'il n'y ait opposition d'une des parties ou du ministère public ». C'est clair, net et précis.
Le projet de loi a repris cette phrase mot pour mot mais en y ajoutant : « En cas d'opposition, il peut être entendu sans prestation de serment, en application des dispositions de l'article 231-79 » ; cette dernière formule devrait d'ailleurs, le cas échéant, être remplacée par : « en vertu des pouvoirs propres du président ».
L'objet de notre amendement est d'empêcher que le dénonciateur puisse être entendu, avec ou sans prestation de serment, dès lors qu'il y a une opposition. Là encore, monsieur le garde des sceaux, vous avez ajouté un élément qui est totalement inutile et qui touche un point important. Que quelqu'un qui a été payé pour sa dénonciation puisse être entendu comme témoin, sauf si une opposition s'exprime, c'est parfaitement normal et logique ; il faut s'en tenir à cela.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon garde des sceaux. Je voudrais tout d'abord dire que le texte du Gouvernement suit la jurisprudence.
Par ailleurs, si l'amendement présenté par M. Dreyfus-Schmidt était adopté, on ne pourrait plus, dans les affaires de stupéfiants, entendre les douaniers dans les conditions qu'admet aujourd'hui la jurisprudence.
Je demande donc, de manière très ferme, que le texte du Gouvernement soit maintenu. Il s'agit d'une question très importante.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 208.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. C'est l'amendement des sycophantes ! Je crois que nos collègues ont tort de refuser qu'il soit possible d'entendre ces dénonciateurs.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Bien sûr !
M. Pierre Fauchon. Cela peut être l'intérêt même de l'accusé, car le dénonciateur peut se voir confondu lors de son audition.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Eventuellement, bien sûr !
M. Pierre Fauchon. Cela peut permettre de montrer qu'il ne sait pas très bien ce qu'il dit et que sa dénonciation est fallacieuse.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est ce qui s'est passé à Toulouse la semaine dernière !
M. Pierre Fauchon. La référence au rôle joué par les sycophantes dans le Grèce antique me semble encore plus valable.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Plus solennelle, en tout cas !
M. Pierre Fauchon. Il est utile que le dénonciateur puisse être entendu dans tous les cas possibles. Nous savons bien, hélas ! qu'il est de plus en plus fréquemment nécessaire d'encourager les dénonciations par des récompenses.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Monsieur le président, j'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les explications de M. le garde des sceaux et, compte tenu de l'importance de ce qu'il vient de dire, j'indique que, à titre personnel, je ne voterai pas l'amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les douaniers ne sont pas des dénonciateurs !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le garde des sceaux, depuis quand les fonctionnaires sont-ils récompensés pécuniairement ? Vous prenez le cas des douaniers ; mais ceux-ci, de par leurs fonctions, ont le devoir de dire ce qu'ils ont constaté, et je serais très étonné qu'un douanier, un inspecteur de police ou tout autre fonctionnaire soit récompensé pécuniairement pour accomplir sa mission.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'audition n'est pas interdite par le texte actuel. Elle est possible si personne ne s'y oppose. Vous dites que certains peuvent y avoir intérêt. A ce moment-là, ils ne s'y opposeront pas. La deuxième phrase du paragraphe est donc inutile.
J'ajoute qu'un douanier n'est pas un dénonciateur récompensé pécuniairement. Si on pouvait le penser, il faudrait alors préciser dans la loi que les douaniers peuvent être entendus.
En tout cas, si les douaniers savaient qu'on les traite de dénonciateurs récompensés pécuniairement, ils seraient, à juste titre, fort mécontents !
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Le problème est plus complexe qu'on ne semble l'apprécier.
Il s'agit, en l'occurrence, d'un dénonciateur récompensé pécuniairement. Chacun mesure ce que cela veut dire. Il est bien évident que son audition, par définition, est suspecte. Alors, laissons aux parties, au ministère public comme à la défense, le droit de récuser celui qui a été payé pour dénoncer ! C'est, si je puis dire, la moindre des armes dont doit disposer la défense.
Inévitablement, le dénonciateur ira dans le sens de la dénonciation qu'il a faite et pour laquelle il a été payé. Il y a là quelque chose qui évoque les procès qui se déroulent en Italie, et je ne crois pas qu'on y gagnera.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je persiste à penser qu'il est important de laisser la possibilité d'entendre celui que j'appelle le sycophante.
En tant qu'avocat, si j'avais un client accusé par un dénonciateur, je souhaiterais que ce dernier soit entendu, si je pensais qu'il avait fait un faux témoignage, car c'est ce que nous craignons. En effet, ce sera le moyen de l'interroger, de l'obliger à s'expliquer, voire de le confondre. C'est trop commode de dénoncer sans avoir à être confronté avec ceux que l'on dénonce !
Je suis donc surpris, mes chers collègues du groupe socialiste, que ce soit vous qui ne voyiez pas l'intérêt qu'il peut y avoir à souhaiter que ce témoin soit entendu.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 208, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 231-108 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLES 231-109 ET 231-110
DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE