M. le président. « Art. 7. _ A l'article 222-33 du code pénal, les mots : "en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes" sont remplacés par les mots : "en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions de toute nature". »
Par amendement n° 27, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement a pour objet de supprimer l'article 7 qui complète la définition du délit de harcèlement sexuel. A cet égard, faisant appel à ses souvenirs, votre rapporteur, mes chers collègues, vous rappelle que, lorsque le projet de code pénal est venu pour la première fois devant le Sénat, la définition du harcèlement sexuel était différente. Il y avait notamment une particularité en ce que l'on ne trouvait pas le mot : « harcèlement », qui est rentré depuis dans le code pénal parce que, pour définir le harcèlement, on peut très bien faire appel à la notion de « harceler ». En définitive, nous avons donné une définition qu'à l'époque nous avons estimée complète.
Aujourd'hui, on veut donc ajouter le membre de phrase : « ou exerçant des pressions de toute nature ». La commission des lois a estimé, dans sa majorité, que l'expression : « pressions de toute nature » était à la fois vague et floue. Par ailleurs, pour un délit qui avait donné lieu à de nombreuses discussions pour le définir et avoir la certitude qu'il n'y aurait pas de risque de dérive dans la répression, il a fallu en donner une définition limitative.
Un des arguments avancés par ceux qui désirent ajouter l'expression : « pressions de toute nature » est fondé sur le fait que le code du travail a retenu ces termes. Mais le code du travail n'est pas le code pénal ! Dans les relations de travail, certains comportements peuvent être répréhensibles sans pour autant être pénalement sanctionnables.
La commission des lois a donc estimé qu'il était préférable de s'en tenir à la définition actuelle retenue dans le texte auquel j'ai fait référence au début de mon propos et qui n'est d'ailleurs entré en application que depuis deux ans. La jurisprudence n'est pas encore établie en la matière laissons sa chance à ce texte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Je comprends le souci de M. le rapporteur de ne pas modifier un texte du code pénal qui vient déjà de l'être récemment. Toutefois, le Gouvernement tient à cet article 7 en ce qu'il harmonise la rédaction du code pénal avec celle de l'article L. 122 du code du travail.
La précision que nous introduisons, à savoir « pressions de toute nature », a une signification et une justification propres par rapport aux autres éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel.
Il me paraît douteux, en effet, que les cas de menaces, d'ordres ou de contraintes suffisent à circonscrire les véritables comportements de harcèlement que la loi doit stigmatiser. Je pense, au contraire, qu'il existe des pressions, des sous-entendus, des insinuations répétées, appuyées, persistantes, bien d'autres attitudes qui, en apparence, sont anodines et qui, quand elles sont isolées, peuvent ne pas se révéler gênantes, mais qui deviennent insupportables lorsqu'elles sont systématiques. Il s'agit là de comportements dangereux dont on peut parfaitement déterminer les contours et qui doivent être poursuivis.
En revanche, je ne suis pas sûre que l'article 225-1 du code pénal qui réprime des discriminations, notamment les discrimination en raison du sexe, couvre les cas que je viens d'évoquer.
C'est pourquoi je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de voter en l'état le texte proposé par le Gouvernement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 27.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je voterai l'amendement n° 27. En effet, lorsque nous avons modifié le code pénal, le texte du code du travail existait déjà. C'était donc en toute connaissance de cause que nous avions adopté la rédaction telle qu'elle figure actuellement dans le code pénal.
Il n'est pas souhaitable, selon moi, de modifier sans cesse le code pénal, car cela crée des incertitudes en matière de législation répressive, ce qui me paraît tout à fait dommageable. Je crois donc que, dans ces conditions, il vaut mieux s'en tenir au texte actuel, sinon cela reviendrait à modifier à peu près tous les six mois tel ou tel point du code pénal, ce qui serait tout à fait déplorable.
L'incrimination telle qu'elle est prévue correspond tout à fait à ce que peut être la répression pénale, le code du travail n'étant pas tout à fait de même nature, puisqu'il est vrai que, souvent, les relations entre les cadres ou les patrons et les salariés n'ont rien à voir avec le code pénal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'argument qui consiste à dire : « le code pénal est récent, n'y touchons pas ! », j'aimerais bien ou que nous en fassions une règle, ou que nous n'en parlions plus, parce qu'il arrive fréquemment à la majorité sénatoriale d'aggraver les peines prévues par le code pénal, par exemple, en oubliant alors complètement son langage d'aujourd'hui. S'il y a besoin de le modifier, modifions-le !
Est-ce le cas ? Je constate, qu'en bon français le texte proposé est évidemment meilleur que l'ancien, qui indiquait : « en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes ». Le seul verbe utilisé était « user ». La nouvelle rédaction : « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions de toute nature » - est certainement préférable. Nous avons entendu disserter sur « pressions » et « répression ». Je dois à la vérité de dire que les mots : « pressions de toute nature », dans le code pénal, vont, à mon avis, un peu trop loin. Je le dis comme je le pense.
Je comprends bien que, en matière de droit du travail, l'emploi de l'expression « quelque pression que ce soit » permette de maintenir uniquement les liens du travail. Mais, s'agissant du code pénal, je suis assez hésitant. Lors d'une commission mixte paritaire, j'échangerais bien avec la majorité sénatoriale cet amendement contre ceux que nous examinerons tout à l'heure à propos du bizutage ; mais nous n'en sommes pas là. (Sourires.) Pour l'instant ; le groupe socialiste, dont je suis le porte-parole, soutiendra le texte qui nous est proposé par le Gouvernement et ne votera donc pas l'amendement n° 27.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Le groupe du RPR votera l'amendement n° 27, et ce pour deux raisons :
D'une part, chaque code est indépendant l'un de l'autre. Nous n'avons donc pas à nous occuper de ce qu'a arrêté le code du travail en l'occurrence.
D'autre part, et j'insiste sur ce point ; cela me gênerait beaucoup de laisser au juge le soin d'apprécier ce que sont « des pressions de toute nature ». Je souhaiterais qu'on nous précise ce que sont ces pressions. On n'est pas capable de le faire et on laisse donc au juge le soin de décider ; cela est contraire à ce que doit être une incrimination pénale.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. M. Hyest a indiqué que, lorsque le nouveau code pénal avait été voté, on connaissait le code du travail. Je tiens à lui préciser que le code du travail a été voté après le nouveau code pénal.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 27, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 7 est supprimé.

Article 8