RÉGIME DE TVA APPLICABLE
AUX SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS

Adoption d'une résolution d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la résolution (n° 46, 1997-1998), adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation en application de l'article 73 bis , alinéa 8, du règlement, sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services de télécommunications (n° E 785). [Rapport n° 37 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais d'abord préciser que la résolution qui vous est soumise, adopté par notre commission des finances, fait suite à une initiative de la délégation pour l'Union européenne à laquelle le président Genton, dont je salue la présence, est très attaché.
Le Parlement a été saisi, au mois de février dernier, d'une proposition de directive de la Commission européenne, tendant à modifier la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de TVA applicable aux prestations de télécommunications. Cette proposition de directive a été normalement transmise à notre délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
A l'examen, cette question est immédiatement apparue liée au projet d'ensemble de la Commission relatif au système commun définitif de TVA. Ce projet de la Commission n'a pas été officiellement transmis au Parlement. En effet - et c'est paradoxal - il ne s'agit pas juridiquement pour l'instant d'un projet d'acte communautaire, mais d'une simple communication de la Commission. Nous ne pouvons donc pas en être saisis. Aussi, nous essayons, à travers l'examen de la directive concernant les télécommunications, de donner notre sentiment sur l'ensemble du problème.
Alors que l'objet de la communication de la Commission est plus large et, surtout, plus fondamental, l'article 88-4 de la Constitution ne s'appliquait pas. Nous ne pouvions donc aborder la question générale. Aussi, nous traitons de la question particulière et, à travers elle, nous essayons d'aborder la question générale.
Mes chers collègues, vous connaissez l'importance des enjeux. C'est tout de même, pour la France, une question à 700 milliards de francs, soit la moitié de nos recettes fiscales.
L'harmonisation des fiscalités est une étape redoutable sur le chemin de la construction européenne. Lever l'impôt, c'est bien une prérogative dite de souveraineté. Nous touchons à l'essentiel de ce que sont les difficultés de la construction européenne.
La délégation a donc jugé nécessaire de se faire une opinion circonstanciée sur le projet de système commun de TVA avancé par la Commission. Elle m'a alors confié le soin de préparer un rapport d'information qui, partant du sujet particulier des télécommunications, traite de l'ensemble. Elle a adopté ce rapport, assorti d'un projet de résolution, au mois de mars dernier.
L'ensemble - rapport et résolution de la délégation -, a été transmis à notre commission des finances, qui m'a, à son tour, confié le soin de rapporter à nouveau sur le sujet. Cela explique que la résolution qui vous est soumise comporte, elle aussi, deux volets. Le premier concerne la question du régime de TVA applicable aux télécommunications. Le second s'appuie sur les conclusions générales de mon rapport d'information sur le projet de régime commun définitif de TVA avancé par la Commission. Tout cela est un peu compliqué, mais la procédure devait être précisée au départ pour permettre un débat clair.
Arrêtons-nous d'abord sur le problème du régime de TVA applicable aux prestations de télécommunications, qui constitue le noyau dur. Ici, les évolutions technologiques dans le domaine des télécommunications nous condamnent à bouger. En effet, lorsque le virtuel supplante progressivement le réel, la fiscalité - aussi réelle soit-elle, notamment pour le contribuable - doit, elle aussi, s'adapter.
La règle commune en matière de prestations de services veut que la TVA soit due au lieu du prestataire. Mais cette règle de territorialité est devenue inadaptée dès lors que les progrès des télécommunications ont permis la délocalisation des prestataires.
Ainsi, les consommateurs européens peuvent, grâce à des mécanismes dits de « call back », faire transiter leurs communications par les Etats-Unis. Les prestations de télécommunications sont alors exonérées de TVA. Il s'agit, en quelque sorte, d'une variation fiscale sur le thème du « 22 à Asnières ». (Sourires.) Cette possibilité est effectivement exploitée systématiquement par certaines banques - ce n'est donc pas simplement une plaisanterie - qui ont ainsi organisé la délocalisation électronique de leurs salles de marché hors de l'Union européenne. Il s'agit, certes, d'une délocalisation virtuelle, mais c'est vers ce genre de procédures que nous allons tout droit.
Cette obsolescence des règles de TVA applicables aux télécommunications - anticipation de difficultés que nous rencontrerons dans bien d'autres domaines, notamment avec Internet dans les années à venir - présente deux inconvénients.
Le premier est l'évasion fiscale résultant de la non-imposition de prestations de télécommunications qui sont pourtant consommées en Europe. Le second est la position d'infériorité structurelle qui en résulte pour les opérateurs européens par rapport à leurs concurrents des pays tiers. En effet, dès lors qu'un opérateur est établi en Europe, ses prestations sont soumises à la TVA aussi bien à l'intérieur de l'Union européenne que lorsqu'elles sont destinées au reste du monde.
Il y avait donc urgence. Plutôt que de modifier dans les formes la sixième directive sur la TVA, celle de 1977, il a été alors décidé, à Bruxelles, d'autoriser immédiatement les Etats membres à y déroger, en exploitant une possibilité ouverte par la directive puisque celle-ci admettait précisément les dérogations visant à prévenir l'évasion fiscale.
Cette dérogation prévoit que, pour les prestations de télécommunications, la TVA est due au lieu d'établissement du preneur et non plus au lieu du prestataire. Il n'y a rien là que de très classique : on ne fait que réaffirmer, à travers ce cas particulier, que la TVA est et doit rester un impôt sur la consommation.
Cette solution simple a donc fait l'objet de quinze demandes de dérogation identiques, qui ont toutes été autorisées par le Conseil, le 17 mars dernier. Ces quinze dérogations ont ensuite été transcrites en droit interne par chacun des Etats membres. La France, comme l'Allemagne, est allé plus loin puisqu'elle a appliqué par anticipation la nouvelle règle à compter du 1er janvier 1997 ; cette mesure faisait l'objet de l'article 19 de la loi de finances pour 1997.
Cette formule, constituée de quinze dérogations simultanées, est cependant juridiquement discutable car l'ensemble formé par quinze dérogations identiques équivaut à une modification de fond de la sixième directive sur la TVA. Elle se situe, en fait, à la limite du détournement de procédure.
Consciente de cet inconvénient, la Commission n'avait accepté les demandes de dérogation qu'à la condition expresse que celles-ci soient provisoires, leur validité devant expirer le 31 décembre 1999. Pour éviter un vide juridique à cette date, la Commission a parallèlement présenté une proposition de modification dans les formes de la sixième directive sur la TVA. C'est la proposition de directive qui nous a été officiellement transmise.
L'astuce juridique des dérogations parallèles et identiques était justifiée par l'urgence du problème. Il nous faut, ici, saluer le pragmatisme de la Commission, qui devrait devenir la norme.
Maintenant, le toilettage des textes de base s'impose. Nous allons donc examiner cette proposition de directive.
Si la Commission s'était contentée de reprendre la dérogation en indiquant que celle-ci devenait directive, cela aurait été trop simple. En fait, elle a profité de l'opération pour introduire un élément nouveau, et c'est, bien sûr, là que le bât blesse. En effet, cet élément nouveau nous pose problème ; mais n'anticipons pas.
Pour une part, la dérogation est reprise. S'agissant des prestations rendues à des clients situés en dehors de l'Union européenne, la Commission admet que la TVA soit due au lieu du preneur. Cette règle de territorialité aboutit bien à l'exonération des prestations de télécommunications exportées, ce qui rétablit l'égalité de concurrence entre les prestataires communautaires et les prestataires de pays tiers. C'est effectivement ce que nous souhaitons.
En quoi la proposition de directive diverge-t-elle et nous pose-t-elle problème ? Pour les prestations rendues à des clients établis au sein de l'Union européenne, la Commission propose de revenir à l'imposition au lieu du prestataire. Cette formule établirait une distorsion de concurrence entre les opérateurs communautaires en fonction des différences de taux de TVA. Elle ne va donc pas dans le sens du marché unique. Elle nous paraît très contestable. Plus grave, elle permettrait aux opérateurs de pays tiers de profiter de ces différences de taux en s'identifiant à la TVA dans l'Etat membre qui a le taux le plus bas. Nous ne pouvons donc approuver la directive sur ce point, et nous le disons dans notre résolution.
Dans cette résolution, nous demandons que la règle de l'imposition au lieu du preneur soit applicable dans tous les cas de figure. Cette solution est, en effet, dans l'état actuel de la construction européenne, la seule qui permette de garantir la neutralité fiscale, ce qui me paraît prioritaire pour bien vivre le présent, et surtout pour préparer correctement l'avenir.
Mes chers collègues, j'en arrive au point d'articulation de mon exposé entre l'analyse de la directive sur les télécommunications et le problème général du passage à terme au régime définitif de TVA.
La Commission a voulu appliquer par anticipation au secteur des télécommunications le système qu'elle préconise par ailleurs pour le régime commun de TVA, sur lequel elle travaille, il faut le reconnaître, depuis maintenant dix ans avec une belle constance.
La relation que nous avons choisi d'établir entre cette question particulière des télécommunications et le problème général de l'avenir de la TVA en Europe est donc assez naturelle. Nous suivons, à notre tour, le cheminement même de la Commission. Celle-ci passait par la directive sur les télécommunications pour anticiper sur le régime général définitif. Nous, nous passons par l'analyse de cette directive pour porter un jugement sur le régime définitif. Nos démarches sont donc parallèles, ce qui est bien naturel.
J'en viens donc au projet de régime définitif de TVA proposé par la Commission.
Le 1er janvier 1993, alors que la Commission avait déjà proposé un système définitif de TVA qui avait été refusé, un régime de TVA intracommunautaire transitoire a été mis en place. Ce régime transitoire a permis de supprimer les contrôles douaniers aux frontières, tout en préservant le principe d'imposition dans le pays de destination. Parallèlement, la Commission a continué à travailler sur ce que pourrait être le régime définitif. Nous avons constaté, à l'usage, les défauts et les avantages du régime transitoire.
Le fruit des réflexions de la Commission a fait l'objet d'un document intitulé Un système commun de TVA, un programme pour le marché unique, qui a été rendu public le 22 juillet 1996.
Le système proposé par la Commission, à travers ce rapport, a le mérite de la cohérence et - je le reconnais bien volontiers - est d'essence profondément européenne. Il repose sur quatre principes essentiels : tout d'abord, la suppression de toute distinction entre opérations nationales et intracommunautaires, ce qui implique la taxation des produits dans leur pays d'origine ; par ailleurs, l'instauration d'un lieu unique de taxation pour un même opérateur, sans distinction selon que l'opération est réalisée dans un Etat membre ou dans un autre ; ensuite, l'harmonisation des taux de TVA, afin d'éviter des distorsions de concurrence entre opérateurs et d'écarter - pour ce motif du moins ! - le risque de délocalisations d'activités ; enfin, la mise en place d'un mécanisme de réattribution des recettes de TVA entre les Etats membres, sur la base statistique de leurs consommations respectives, afin de redistribuer des recettes qui auront été collectées au niveau communautaire, ce qui est complètement nouveau.
En pratique, ce projet revient à considérer le marché unique européen comme un marché national, sous réserve du mécanisme destiné à compenser pour les Etats membres les détournements de TVA liés aux flux commerciaux.
Le système de la TVA fonctionne dans chaque Etat membre et fonctionnerait aussi dans l'Union européenne si cette dernière était un grand marché national, ce qui n'est pas encore complètement le cas. C'est pourquoi nous estimons que la mise en place de ce régime définitif est prématurée.
La Commission a assorti ce projet d'un programme de travail volontaire étalé dans le temps.
Elle prévoit qu'en 1997 - mais cela devient un peu tard ! - seront définis les principes de fonctionnement du régime définitif.
En 1998, seront fixées les règles de détermination du lieu de taxation et du système de compensation en vue de la redistribution des recettes prélevées au niveau communautaire.
Enfin, en 1999, seront déterminés des taux harmonisés, lesquels posent également un grand problème dans la mesure où les recettes fiscales de chaque Etat seraient bien sûr remises en cause.
Chaque étape devant être achevée deux ans après son lancement, la Commission considère que le régime définitif pourrait entrer en vigueur complètement dès 2001.
Comme le montre le rapport d'information que j'ai eu l'honneur de signer, les conséquences du régime commun de TVA dit « définitif » paraissent insoutenables aujourd'hui et en l'état.
Tout d'abord, sauf à admettre des distorsions de concurrence majeures, la mise en place de ce régime définitif impliquerait rapidement un alignement quasi total des taux de TVA au sein de la Communauté. L'étude macroéconomique réalisée par le Centre d'études prospectives et d'informations internationales, le CEPII, à la demande de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, montre que cette harmonisation brutale des taux produirait un choc majeur, dont les effets seraient de plus assez différents selon les Etats membres, qui verraient leurs recettes complètement perturbées.
Par ailleurs - c'est plus grave dans l'immédiat - il en résulterait une limitation sévère des marges de manoeuvre fiscale des Etats membres tout à fait inopportune, alors que ceux-ci sont engagés dans des efforts budgétaires considérables pour la réalisation et la mise en place de l'euro. Je répète que les recettes provenant de la TVA représentent la moitié des ressources de notre budget !
M. Jacques Genton. Eh oui !
M. Denis Badré, rapporteur. On ne peut pas geler la moitié de nos ressources sans bloquer en même temps la moitié de nos marges de manoeuvre !
S'agissant toujours de l'évolution des recettes de TVA perçues par les Etats, le mécanisme de compensation proposé ne paraît pas fiable, compte tenu du caractère imprécis des données statistiques disponibles. On ne peut pas s'appuyer de manière simple sur une redistribution en fonction des résultats des données statistiques de consommation présentées par les Etats eux-mêmes.
Les Etats ayant le meilleur appareil statistique, qui sont souvent déjà les plus gros contributeurs au budget européen, risquent d'être défavorisés. Certains - de mauvais esprits sûrement ! (Sourires) - imaginent même que les administrations fiscales nationales, n'étant plus directement motivées, pourraient exercer avec un zèle un peu moins ardent leur contrôle.
M. Jacques Genton. Oh !
M. Denis Badré, rapporteur. Le fait de compromettre les équilibres budgétaires déjà très tendus et fragiles des Etats n'irait pas non plus dans le sens du succès de l'union économique et monétaire.
Au total, le niveau des recettes de TVA de chacun des Etats membres ne pourrait pas être garanti dans le système proposé par la Commission européenne. C'est d'ailleurs le reproche le plus grave que nous adressons au projet présenté par la Commission.
Je ferai une dernière critique, forte également : le principe du libre choix du lieu unique de taxation encouragerait les délocalisations à l'intérieur de l'Union européenne et créerait donc de nouvelles et inutiles distorsions de situations, parfois dans une même branche, entre ceux qui pourraient y avoir recours et ceux qui n'en auraient pas les moyens. Je pense, par exemple, au secteur de la distribution : la cohérence entre la grande distribution et le petit commerce de détail ne serait pas du tout satisfaisante.
En résumé, le projet de régime commun de TVA présenté par la Commission est intellectuellement séduisant, satisfaisant du point de vue européen, et pourrait convenir à un Etat fédéral. Mais son lancement aujourd'hui aurait pour chacun des Etats membres des conséquences budgétaires, économiques et sociales très difficiles à supporter. Une mise en oeuvre prématurée du régime définitif paraît ainsi de nature à compromettre très sérieusement le succès de l'union économique et monétaire et, au-delà, celui de la construction européenne.
Enfin, il faut souligner que la cohérence du système proposé par la Commission est telle qu'il n'est pas concevable de renoncer à un seul de ses éléments sans devoir renoncer à l'ensemble. C'est pourquoi la résolution qui vous est soumise vise à demander au Gouvernement de ne pas retenir les propositions de la Commission tant que toutes les conditions voulues pour le succès du passage au régime définitif ne seront pas réunies.
J'insiste sur le fait que cette position n'est pas une opposition de principe au système définitif de TVA proposé par la Commission, mais qu'elle correspond à un souci de pragmatisme. En effet, je suis intimement convaincu que la précipitation ne peut que nuire à la construction européenne et que toute réforme mal engagée risque de se retourner contre ses promoteurs en donnant des armes aux détracteurs de l'Europe.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur. Pour votre rapporteur, une rigueur absolue dans l'application des principes et un grand pragmatisme dans l'exécution doivent se conjuguer dans tous les domaines. C'est à ce prix que nous construirons une Europe forte répondant à l'attente des Etats membres et des citoyens. Il ne faut pas confondre rigueur et rigorisme, ni vitesse et précipitation. Mieux vaut réussir l'Europe fiscale plus tard qu'échouer aujourd'hui en entraînant dans l'échec l'euro, et peut-être l'Europe elle-même.
Du reste, la Commission européenne me semble aujourd'hui partager beaucoup plus cette analyse. M. Mario Monti, commissaire européen, que j'ai eu l'occasion de rencontrer à Bruxelles avant son audition par la commission des finances, a parfaitement conscience qu'il serait irréaliste de mettre en oeuvre dans l'immédiat le régime définitif de TVA. Mais - il faut le dire - cette position est assez nouvelle. On ne joue pas avec l'Europe... Alors, écartons toute fantaisie de notre chemin vers une fiscalité européenne.
A partir du moment où la Commission procède à cette prise de conscience, il paraît opportun que les Etats membres travaillent de concert avec elle pour améliorer le régime de TVA transitoire - cela aussi, c'est nouveau - puisque celui-ci est alors appelé à durer encore un certain temps. M. Mario Monti m'a semblé également d'accord sur ce point, ce qui est nouveau là aussi, puisque, jusqu'ici, la Commission s'en tenait à une attitude plus rigide. Pour elle, il fallait d'abord accepter la mise en place du régime définitif avant de discuter de quoi que ce soit d'autre. Nous l'avons bien vu lorsque la France, à la suite d'une initiative du Président de la République, a évoqué la vraie question du passage au taux réduit des cédéroms éducatifs : la Commission s'y est opposée, considérant qu'il fallait d'abord que la France accepte le passage au régime définitif.
La Commission a évolué. Le pragmatisme est décidément possible. Nous avons ici, mes chers collègues, la manifestation des progrès que peut permettre un vrai dialogue, et je m'en félicite.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur. Cela me semble de nature à rassurer ceux qui croient à la construction européenne, notamment ceux qui craignent de la voir détournée de ses objectifs essentiels.
Nous pouvons donc aujourd'hui être écoutés, lorsque nous demandons que la Commission exerce ses capacités, lesquelles sont très importantes, pour nous proposer des améliorations au régime transitoire. Ce dernier est maintenant bien entré dans les moeurs des entreprises, qui - il faut le dire - en sont globalement satisfaites. Il présente toutefois le très grave inconvénient d'offrir des possibilités de fraude, ce qui lui serait fatal s'il existait une alternative. Mais, pour le moment, il n'en existe pas. Ces possibilités de fraude condamnaient le régime transitoire tant que l'on n'imaginait pas pouvoir y remédier. Cette impossibilité était en tout cas l'un des motifs avancés par la Commission européenne pour justifier l'urgence du passage au régime définitif.
Notre débat, vous le voyez, mes chers collègues, a une vraie cohérence. Les travaux d'investigation auxquels j'ai procédé au cours des derniers mois pour le compte tout d'abord de la délégation pour l'Union européenne puis de la commission des finances confirment que des progrès sont possibles dans le cadre de ce régime transitoire. Nous devons maintenant veiller à ce qu'ils puissent être mis en oeuvre.
Le rapport présenté par le Gouvernement en juin 1996, qui allait déjà également dans le même sens, a recensé trois principaux mécanismes de fraude liés au système de TVA intracommunautaire : la non-déclaration d'acquisitions intracommunautaires, la déclaration d'acquisitions intracommunautaires fictives et la constitution de circuits frauduleux entre des entreprises éphémères, procédés couramment dénommés « carrousels ».
Des mécanismes de contrôle spécifiques avaient bien été prévus. Ils sont encore très largement perfectibles. Au-delà de la période de rodage inévitable, ces mécanismes semblent souffrir encore de faiblesses constitutives, lesquelles peuvent et doivent être corrigées.
Ainsi, les contrôles menés en France paraissent trop peu fréquents et trop orientés sur les seules acquisitions intracommunautaires, alors que les risques de fraude sont surtout liés aux livraisons.
A l'échelon européen, le système informatique de recoupement VIES - VAT information exchange system - entre les administrations fiscales des différents Etats membres a été conçu d'une façon un peu bancale : il n'enregistre, sur le plan intracommunautaire, que les déclarations d'acquisitions. Pour permettre des recoupements véritablement efficaces, il faudrait qu'il soit réellement symétrique et enregistre également les déclarations de livraisons. Il faut se souvenir que, lors de la création de ce système, une majorité d'Etats membres a souhaité ne pas imposer trop d'obligations déclaratives aux entreprises. Ce souci de simplicité doit d'ailleurs toujours nous animer. Par conséquent, il devrait être possible de parvenir à un peu plus d'obligations déclaratives sans atteindre un excès que nous récusons.
De même, la coopération administrative entre les Etats membres, au-delà de la bonne volonté affichée, se heurte à un véritable problème de motivation de nos administrations fiscales. Cette coopération implique, en effet, que chaque administration nationale accepte d'effectuer des contrôles pour le compte des pays voisins. Une évolution en profondeur des mentalités serait donc nécessaire. Or les administrations fiscales des Etats - M. le commissaire Monti insistait sur ce point devant la commission des finances, voilà quelques semaines - ne sont pas spontanément portées à travailler ensemble. Elles se sentent bien gardiennes d'une parcelle de cette souveraineté fiscale que j'évoquais en introduction.
La Commission européenne a tout de même déjà engagé des actions favorisant le renforcement de la coopération entre ces administrations nationales, avec le programme FISCALIS. Pour sa part, le gouvernement français a présenté, dans le projet de loi de finances pour 1998, une mesure tendant à renforcer l'efficacité de la déclaration d'échange de biens, déclaration qui est le principal support des contrôles en matière de TVA intracommunautaire.
Par ailleurs, le bon fonctionnement du régime transitoire nécessite un effort d'harmonisation supplémentaire des règles de base de la TVA. D'après les spécialistes que j'ai eu l'occasion d'auditionner, cette harmonisation pourrait porter notamment sur le statut de la représentation fiscale, sur les droits à déduction et sur les seuils d'exonération.
Enfin, une autre amélioration du régime actuel consisterait à préciser la définition communautaire du champ de la TVA en fonction de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Le décalage entre le texte d'origine de la directive de 1997 et cette jurisprudence qui évolue très vite, est en effet source d'insécurité juridique pour les entreprises.
Mes chers collègues, le texte de la résolution qui vous est soumise reprend les suggestions d'amélioration du régime transitoire que je viens d'évoquer - il est donc très constructif - et suggère au Gouvernement de les défendre fermement au sein des instances communautaires.
Pour conclure, je voudrais également revenir sur les points sur lesquels le Sénat est désireux de connaître la position du Gouvernement.
Vous m'autoriserez, monsieur le secrétaire d'Etat, à utiliser cette occasion un peu exceptionnelle pour le faire, sachant que, même si je sors quelque peu du cadre strict de la résolution dont nous débattons, je reste bien dans notre sujet.
Le régime de TVA applicable aux télécommunications est la question la plus urgente. En effet, le régime dérogatoire mis en oeuvre par tous les Etats membres ne s'applique que jusqu'au 31 décembre 1999. Pouvez-vous nous dire où en sont les autres Etats membres ? Ont-ils pris ou se préparent-ils à prendre des positions sur la proposition de directive que nous critiquons à travers notre résolution ?
S'agissant du système commun de TVA, il est désormais clair que le passage au régime définitif n'est pas pour demain. Nous avons la faiblesse de croire que les contacts que nous avons développés depuis six mois n'y sont pas complètement étrangers.
Nous sommes aujourd'hui curieux de savoir si le Gouvernement partage ou non notre appréciation sur les inconvénients pratiques que présenterait la mise en oeuvre du régime définitif dans le contexte européen actuel, à un an de la mise en place de l'union monétaire, qui interviendra le 1er janvier 1999.
Enfin, s'agissant du régime transitoire de TVA intracommunautaire et de nos propositions visant à réduire les fraudes, la position du Gouvernement nous intéresse, notamment sur deux grands sujets.
Le premier sujet, est bien sûr, celui de la fraude. Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous donner votre propre analyse des imperfections actuelles du régime transitoire, en particulier du développement présumé de la fraude ?
Je crois savoir qu'une étude a été menée par vos services sur les raisons du décrochage observable depuis quelques années entre la base taxable et les recettes effectives de TVA. Pourriez-vous nous le confirmer et, le cas échéant, nous apporter des informations à ce sujet ?
Vous nous proposez, dans le projet de loi de finances pour 1998, des mesures tendant à renforcer le contrôle des opérations intracommunautaires ; vous reconnaissez donc, j'imagine, la réalité du problème des fraudes. Je vous serais très reconnaissant, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous apporter également des éclaircissements sur ce point.
Le second sujet est celui des possibilités réelles d'harmonisation fiscale. Quelles sont pour vous, monsieur le secrétaire d'Etat, les voies d'une harmonisation plus grande des règles communautaires de la TVA ? Actuellement, les administrations nationales travaillent avec la Commission européenne, dans le cadre du programme SLIM - simplification de la législation relative au marché intérieur - sur des mesures de simplification. Je souhaiterais savoir, compte tenu des positions respectives des Etats membres et des implications financières des diverses mesures envisageables, quels sont les points sur lesquels des progrès vous paraissent possibles à court terme ou à échéance raisonnable.
Vos réponses éclaireront la Haute Assemblée, laquelle pourra alors mieux asseoir la position qu'elle prendra sur la résolution qui lui est soumise aujourd'hui.
Vous l'aviez évidemment compris, mes chers collègues, je vous recommande d'adopter la résolution que je résume en terminant mon propos.
Il s'agit d'approuver la directive concernant les télécommunications pour les services rendus hors de la Communauté et de solliciter du Gouvernement qu'il obtienne que cette proposition soit modifiée afin que la même procédure soit retenue pour les prestations offertes à des clients à l'intérieur de la Communauté.
Il s'agit encore de demander au Gouvernement d'agir pour que l'on sursoie à ce passage au régime définitif et de peser dans le sens de l'amélioration du régime transitoire en veillant à ce que le passage au régime définitif ne soit mis en oeuvre que lorsque toutes les conditions seront réunies pour que cela soit un succès et marque un réel progrès de la construction européenne.
La construction européenne, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, est, pour moi comme pour la plupart de mes collègues, essentielle. Nous devons tout faire pour qu'elle réussisse. Cependant, nous en avons là une nouvelle illustration, il y faudra non seulement du temps, une rigueur de tous les instants, du pragmatisme, un peu de technicité - vous avez pu en juger - et du sens politique, bien sûr, mais aussi une foi à soulever les montagnes ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le rapporteur, vous avez su, et avec talent, présenter de manière simple un problème touffu qui, vous l'avez souligné dans votre rapport écrit comme dans votre exposé oral, revêt, sous des aspects techniques parfois abscons, une importance tout à fait décisive pour notre pays. En effet, de même qu'un train peut en cacher un autre, ce débat apparemment technique, sinon anodin, sur une proposition de directive concernant le régime de TVA applicable aux services de télécommunications dissimulait un débat implicite, mais décisif, sur la façon dont, un jour, nous sortirons du régime provisoire actuel pour aller vers un régime commun de TVA. Vous l'avez relevé, la Commission, avec un grand talent et une obstination non moins grande, revient à la charge sur un sujet qui l'occupe en permanence à la faveur du projet de directive actuellement en débat.
Vous avez posé quatre questions au Gouvernement, ce qui me permet de structurer très simplement la réponse que je vais faire à la Haute Assemblée.
Vous interrogez premièrement le Gouvernement sur la proposition de directive concernant le régime de TVA applicable aux services de télécommunications. Deuxièmement, vous demandez au Gouvernement quel est l'état de ses réflexions sur le passage éventuel à un régime définitif de TVA. Votre troisième question porte sur la lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire. Enfin, quatrième et dernière question, vous souhaitez connaître la position du Gouvernement sur un certain nombre de mesures d'harmonisation et de simplification. Je reprends ces quatre points.
En ce qui concerne les règles de TVA applicables aux services de télécommunications, je veux dire d'emblée que le Gouvernement partage votre analyse et vos préoccupations.
Nous avons obtenu - « nous », c'est-à-dire les Quinze, à l'unanimité de tous ceux qui, dans chaque Etat, réfléchissent à ces questions - un système dérogatoire qui permet de préserver non seulement l'avenir de notre industrie des télécommunications mais aussi, vous y avez insisté, les recettes budgétaires de l'Etat, ce qui n'est pas un mince objectif.
Vous avez montré, je n'y insiste pas, que les opérateurs n'ont désormais plus intérêt à utiliser les procédures de call back - pardonnez-moi cet anglicisme - pour contourner les règles fiscales en vigueur. Donc, actuellement, selon le régime fiscal provisoire qui sera en vigueur jusqu'au 31 décembre 1999 et non pas jusqu'au 31 décembre 1998, comme je l'ai lu à la page 10 du rapport, les prestations sont toutes taxables en France dès lors que le prestataire est établi dans un pays tiers à la Communauté.
Comment devons-nous négocier pour mettre en place un nouveau système au-delà du 31 décembre 1999 ?
Il convient, selon moi, comme vous l'avez fait, monsieur le rapporteur - et comme le fait d'ailleurs la Commission - de retenir une approche qui distingue les échanges intracommunautaires de prestations de télécommunications des échanges avec les pays tiers.
En ce qui concerne les échanges à l'intérieur de la Communauté, implicitement, la Commission suppose que les pays membres répondent aux propositions qu'elle a formulées en faveur du régime définitif. Je reviendrai sur la réserve émise par la majorité des Etats de la Communauté, préférant, à ce stade, insister sur les échanges entre la Communauté et les Etats tiers.
L'important est de ne pas se cantonner à la seule réflexion sur les prestations téléphoniques habituelles, tant il est vrai que l'industrie des télécommunications offre une capacité de développement considérable ; je pense, par exemple, aux services à valeur ajoutée et au commerce électronique, qui ouvrent des perspectives de demandes très importantes et posent donc un problème de taxation majeur.
Par conséquent, il nous faut prendre en considération l'ensemble des prestations et pas seulement celles dont nous avons l'habitude, notamment le téléphone. Pour ce faire, nous devons replacer la discussion intracommunautaire dans un cadre mondial car, vous le savez, des négociations mondiales sont en cours sur la libéralisation des services de télécommunications.
J'ajoute, au risque de compliquer la réflexion - mais la question doit être saisie dans son ensemble - que, jusqu'à présent, ce sont principalement les entreprises qui ont bénéficié de ces nouveaux services de télécommunications. Cependant, avec le développement d'Internet, notamment, les particuliers auront de plus en plus accès à des prestations de type mondial. Il est donc important qu'en ce qui concerne les particuliers nous puissions parvenir à une juste perception de la taxe par l'Etat de consommation.
Sur ce point, lorqu'il y a relation entre un opérateur extracommunautaire et un particulier intracommunautaire, la proposition de la Commission revient à demander à l'opérateur extracommunautaire de s'installer dans un pays de la Communauté, mais dans un seul, et c'est là le point crucial. En fait, implicitement, la Commission nous recommande de revenir à un principe contestable, celui de la taxation au lieu du prestataire, suivant lequel c'est là où la compagnie américaine, japonaise ou brésilienne s'implante que doit être perçue la TVA. On voit donc ici comment la Commission, un peu insidieusement, même si cela part de la meilleure intention du monde, nous entraîne vers le principe de la taxation au lieu du prestataire, nous éloignant du principe de la prestation au lieu du preneur de services.
Pour en terminer sur le sujet précis de la proposition de directive visant à modifier le régime de TVA applicable aux services de télécommunications, j'ajoute que le Gouvernement est très satisfait de l'analyse et du soutien, intellectuel et politique, que la Haute Assemblée a consignés sur le papier et que vous avez résumés oralement, monsieur le rapporteur. Il approuve pleinement la démarche réaliste et pragmatique qui est la vôtre pour améliorer le système provisoire au-delà du 31 décembre 1999. Il est clair que le soutien du Sénat sera important pour le Gouvernement français dans les négociations, très longues et très techniques, qu'il devra mener jusqu'à cette date. Permettez-moi donc, au nom du Gouvernement, de vous exprimer toute sa reconnaissance.
J'en viens maintenant au système commun de TVA, question implicitement posée par le document de la Commission.
En effet, la Commission, avec une obstination que vous avez saluée, a publié le 10 juillet 1996 un document intitulé Un système commun de TVA, un programme pour le marché unique. Vous le savez, il s'agit de mettre en place une TVA européenne qui soit applicable sur l'ensemble du territoire de la Communauté. Pourquoi cette proposition ? Elle part d'une critique, que nous estimons un peu dépourvue de nuances, du régime transitoire actuel. Selon la Commission, ce régime serait désormais inadapté, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, l'imposition des produits dans le pays de destination oblige à un suivi physique des biens qui se traduit par une déclaration des mouvements de marchandises intracommunautaires. La Commission estime qu'il s'agit là de procédures bureaucratiques et coûteuses qui tendent, à terme, à freiner le développement des échanges.
En outre, s'il est aisé de suivre les déplacements physique des biens, en revanche, pour ce qui est des services, la tâche est beaucoup plus difficile. Il faut donc, pour les services, trouver de nouvelles règles d'imposition au titre de la TVA.
Enfin, le système n'étant pas appliqué de façon uniforme dans les différents Etats membres, la tâche des opérateurs qui font du commerce s'en trouve grandement compliquée.
Cette construction intellectuelle proposée par la Commission nous paraît, comme à vous-même, monsieur le rapporteur, irréaliste à court et à moyen terme.
Premièrement, ce système porte préjudice à la souveraineté des Etats tant que les taux de TVA en vigueur et la réglementation relative au droit à déduction ne sont pas strictement harmonisés. Vous avez parlé d'« Etat fédéral ». L'Europe fédérale est peut-être une perspective à long terme, mais elle n'est pas encore une réalité quotidienne, et elle n'est pas sur le point de l'être.
Deuxièmement, pour que ce système commun de TVA fonctionne, les taux doivent être très rapidement unifiés. Or, votre rapport sur ce plan est tout à fait éclairant, les taux moyens de TVA sont différents d'un pays à l'autre. Depuis le relèvement de deux points de son taux normal de TVA, en 1995, la France est arrivée tout en haut du tableau, alors que le Royaume-Uni se trouve tout en bas.
Si l'on devait unifier les taux de TVA, ce serait peut-être un gain pour la Grande-Bretagne, mais nous sommes ici au Sénat français, et nous devons nous préoccuper de nos propres intérêts. Or le préjudice budgétaire serait considérable pour la France : cela nous coûterait très cher !
Le Gouvernement pense que l'on ne peut pas tout faire à la fois : respecter le pacte de stabilité, maîtriser les déficits de façon que la France puisse adhérer à l'union monétaire, demeurer un membre de plein droit de cette union et, en même temps, harmoniser les taux de TVA.
Enfin, troisièmement - le Gouvernement reprend à son compte cet argument - le système de compensation que la Commission a imaginé serait peu fiable.
Ce système suppose un appareil statistique très développé, et ce n'est pas faire injure à certains pays membres de dire qu'ils ont un appareil statistique perfectible. De plus, certains auraient, à l'évidence, intérêt à déclarer des recettes de TVA peut-être plus faibles que celles qu'ils perçoivent puisqu'ils auraient ensuite un avantage dans le mécanisme de redistribution.
Le Gouvernement n'est donc pas favorable à un passage à court ou à moyen terme au système définitif. Il est partisan d'améliorer le régime actuel de TVA intracommunautaire, qui n'est pas si critiquable que cela. Si je puis dire, pour « noyer le chien » du système provisoire de TVA, la Commission lui a peut-être trouvé plus de défauts qu'il n'en a !
Depuis le 1er janvier 1993, le régime transitoire a plutôt bien fonctionné : les échanges intracommunautaires se sont développés et la suppression des contrôles aux frontières a réduit les coûts administratifs supportés par les entreprises.
Il y a peut-être eu une certaine perte de recettes de TVA intracommunautaire et, de ce point de vue, le rapport d'enquête réalisé par l'inspection générale des finances et remis le 30 juin 1997 se présente en quelque sorte en deux parties.
La première partie tend à démontrer que, grosso modo , à quelques accidents près - la fin des années 1995 et 1996 a été perturbés, vous le savez, par un certain nombre d'événements sociaux qui ont eu un retentissement sur les perceptions de recettes de TVA - les recettes de TVA en France, mais pas seulement en France, ont suivi une tendance parallèle à celle de leur assiette, c'est-à-dire de la consommation, depuis le 1er janvier 1993, date à laquelle les frontières ont disparu.
On ne peut donc pas dire, comme certains l'ont fait, qu'il y a eu, à partir du 1er janvier 1993, une sorte d'effondrement des recettes de TVA.
Cela dit - vous y insistez dans votre rapport - on peut être davantage vigilant et perfectionner les dispositifs de surveillance, ce qui m'amène à la troisième question que vous avez posée, et qui concerne la lutte contre la fraude.
Même si le système transitoire n'a pas provoqué une explosion de la fraude à la TVA intracommunautaire, il a tout de même suscité certaines tentations et fait apparaître quelques nouvelles formes de fraude.
C'est pourquoi le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et moi-même avons, dès notre entrée en fonctions, au cours du premier semestre de cette année, demandé à ces belles administrations que sont l'administration des impôts et l'administration des douanes de conjuguer leur action pour intensifier la lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire, qui - vous le dites dans votre rapport - porte davantage sur des livraisons fictives, c'est-à-dire des exportations fictives de produits français vers des pays de la Communauté donnant lieu à des remboursements - qui, eux, ne sont pas fictifs - de TVA, que, dans l'autre sens, sur des achats fictifs de produits européens.
Dans le projet de loi de finances pour 1998, qui sera prochainement examiné par la Haute Assemblée, nous avons proposé un certain nombre de dispositions - j'espère que vous les soutiendrez - qui permettraient - j'en parle encore au conditionnel puisque ce ne sont que des propositions - de renforcer les moyens que l'administration fiscale et l'administration douanière ont pour lutter contre la fraude à la TVA.
J'en citerai rapidement quatre.
En premier lieu, nous renforcerons le droit d'enquête, qui permet de rechercher les manquements aux règles et obligations de facturation auxquelles sont normalement tenus les assujettis à la TVA, en autorisant notamment l'utilisation des renseignements obtenus dans le cadre du droit d'enquête pour procéder à des visites domiciliaires.
En deuxième lieu, nous améliorerons, selon des modalités dont nous aurons à débattre, le contrôle des déclarations d'échanges de biens, qui sont normalement l'outil qui permet de vérifier que des transactions sont bien intracommunautaires.
En troisième lieu - le rapport Beaufret insiste sur ce point - les fraudes en matière d'acquisition intracommunautaire de véhicules de tourisme seront prévenues par l'obligation faite aux intermédiaires de verser la TVA. C'est donc une sorte de caution de TVA qui permettra d'obtenir le certificat fiscal nécessaire à l'immatriculation en France du véhicule.
Enfin, en quatrième lieu, un certain nombre de fraudes, qui ne sont pas nécessairement de nature intracommunautaire mais qui peuvent présenter une dimension intracommunautaire, à savoir les fraudes qui associent des donneurs d'ordre et des façonniers, seront combattues grâce à l'institution d'une solidarité pour le paiement de la taxe entre ces mêmes donneurs d'ordre et façonniers.
Voilà donc un certain nombre de points sur lesquels nous souhaitons travailler, pour l'essentiel par redéploiement puisque les effectifs du ministère des finances vont décroître entre 1997 et 1998. Ainsi de nouvelles équipes se consacreront à cette lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire.
J'en terminerai en évoquant rapidement les mesures de simplification, le programme SLIM, et en précisant la position du Gouvernement français sur ce point.
Le programme SLIM, qui a été lancé avec le soutien des ministres du Conseil « marché intérieur », constitue pour la Commission un exercice de simplification mené parallèlement - les parallèles ne sont pas obligées de converger ! - à la réalisation de son programme de travail pour un nouveau système commun de TVA.
Le Gouvernement est favorable par principe à toute simplification des obligations qui imposent des coûts et des pertes de temps aux opérateurs et qui peuvent ainsi décourager le commerce entre Etats membres.
Cela dit, certaines mesures de simplification peuvent avoir un coût pour l'Etat et exigent donc des études approfondies que le groupe de travail SLIM, auquel vous avez fait allusion, n'a pu réaliser, compte tenu de la brièveté de la durée de ses travaux.
Nous examinons donc soigneusement les mesures qui ont une incidence sur les recettes de l'Etat, mais il est clair que le Gouvernement est prêt à soutenir tout ce qui peut contribuer à faciliter le travail des entreprises françaises.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je voulais vous apporter.
En conclusion, je veux me féliciter et vous féliciter de cette procédure, qui permet à la Haute Assemblée, avec sa grande sagesse et sa connaissance technique des dossiers, d'apporter une réflexion fort utile, voire un soutien, dans ces négociations européennes très complexes.
Le fait que le Gouvernement puisse dire que le Parlement français estime que, sur tel ou tel point, les propositions de la Commission ne vont pas dans la bonne direction, peut, à l'évidence, jouer un rôle important, voire décisif, dans des négociations qui sont ardues, techniques, mais qui, très vite, touchent à la souveraineté des Etats et, en l'espèce, à l'équilibre budgétaire des finances publiques, auquel vous êtes aussi attachés que le Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution n° 265, amendée par la commission des finances de notre Haute Assemblée, pose une des questions récurrentes de la construction européenne, celle de l'harmonisation fiscale et des orientations que l'on peut donner en la matière au rapprochement des régimes d'imposition directe, de façon essentielle, des différents pays de la Communauté.
Le problème qui nous est aujourd'hui posé aurait d'ailleurs pu trouver une issue plus favorable s'il n'y avait eu, dans le cadre de cette harmonisation fiscale, la mise en place d'une taxation des prestations de télécommunications au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
Sans vouloir faire ici offense aux membres les plus anciens de notre assemblée, il ne me semble pas absurde de penser que nous aurions pu, il y a de cela quelques années, en 1990 ou 1991, faire valoir à l'échelon européen la spécificité française, qui consistait à ne pas appliquer de taxe à la valeur ajoutée sur les prestations de services de télécommunications.
Je rappelle que cette opération a été, à l'époque, entièrement prise en charge par l'opérateur public de télécommunications et qu'elle a donc consisté à rendre déductible pour les entreprises une part de TVA qui était jusqu'alors uniquement imputable en tant que charge d'exploitation courante.
Elle n'a rien modifié, soit dit en passant, pour l'usager individuel, personne physique qui a simplement pu constater l'importance de ladite TVA sur le montant global da sa facture.
Dans l'absolu, si cette spécificité française s'était trouvée généralisée, nous aurions pu nous passer du débat épineux qui nous réunit aujourd'hui.
Les technologies en matière de télécommunications ont, certes, profondément évolué ces dernières années et n'ont sans doute pas fini de nous surprendre par la diversité de leurs applications.
Ainsi, outre les cas patents de fraude à la TVA que nous appelle à combattre la commission des finances dans sa proposition d'acte communautaire, on ne peut oublier que les technologies de l'information peuvent, demain, être appelées à se substituer aux formes traditionnelles de transaction commerciale, rendant de plus en plus aléatoire et hypothétique la localisation précise des lieux de transaction, du fait de la dématérialisation des échanges.
Dans les couloirs de la Commission européenne, on examine d'ailleurs la possibilité de rédiger une directive qui tendrait éventuellement à favoriser la totale liberté des lieux de transaction sur les instruments financiers, ce qui reviendrait in fine à remettre en question l'existence même des bourses de valeurs.
Cette introduction au débat une fois faite, nous sommes en situation de porter une analyse particulière sur les caractères de la présente proposition de résolution et sur les attendus de l'acte communautaire qui nous est soumis.
On sait que, depuis plusieurs années, se pose la question de l'harmonisation de la fiscalité indirecte des pays membres de l'Union européenne.
On sait aussi que cette question achoppe singulièrement sur le passage du régime transitoire d'imposition actuellement en vigueur. Elle n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes, notamment en matière de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire.
Le régime définitif présente, pour sa part, d'autres défauts non négligeables, dont le moindre n'est pas de laisser à la Commission européenne elle-même le soin de répartir, à partir de données statistiques d'une fiabilité non totalement vérifiée, le produit de la taxe qui serait perçue dans le cadre des transactions intracommunautaires.
En confiant à la Commission européenne le soin de répartir des recettes fiscales, on crée un précédent en matière fiscale qui tend à déposséder les administrations fiscales nationales d'une partie de leurs attributions.
Si l'on souhaite - c'est ce qui semble motiver, pour partie, la proposition d'acte communautaire - lutter contre la fraude à la TVA intracommunautaire, on ne peut y parvenir qu'en renforçant les compétences et les moyens des administrations fiscales nationales.
En clair, il y a débat sur ce point - comme sur bien d'autres, d'ailleurs - entre la conception française, à savoir l'imposition au lieu de destination des biens et prestations de service, et la conception allemande, qui privilégie la notion d'origine des fournisseurs du bien et/ou de la prestation de service.
Le rapport de notre collègue M. Badré - et nous savons tout l'intérêt que ce dernier porte à la question du régime transitoire de taxe sur la valeur ajoutée - nous éclaire d'ailleurs sur les données du problème. Il nous indique, de façon globale, qu'un passage immédiat au régime définitif tel que celui qui est prôné par l'Allemagne aurait comme conséquence de minorer le produit de la taxe sur la valeur ajoutée perçue dans la plupart des pays du sud de la Communauté, donc de la France, et d'augmenter corrélativement la taxe perçue par les pays du nord de la Communauté.
Pour notre part, si nous pouvons être favorables à une réduction du montant global ou de la part de la taxe sur la valeur ajoutée dans les recettes fiscales de l'Etat - c'est là une des données constantes de notre positionnement dans cette assemblée, et nous aurons encore l'occasion d'en reparler lors de l'examem du projet de loi de finances - nous ne pensons pas que cette évolution doive procéder de la simple application mécanique de règles communautaires qui ne font pas l'unanimité, loin s'en faut.
Pour autant, alors même que le régime définitif de la taxe sur la valeur ajoutée n'est pas encore défini, la proposition d'acte communautaire nous invite, d'une certaine façon, à le mettre en pratique s'agissant des prestations de service de télécommunications.
Nous ne pouvons donc que partager l'orientation fixée par M. le rapporteur, qui tend à rejeter une part non négligeable des attendus de la proposition d'acte communautaire en ce qui concerne les règles d'imposition au lieu d'établissement du prestataire ou encore sur la question du lieu unique de taxation.
Vous me permettrez seulement ici de constater, non sans ironie, que le troisième considérant de la présente proposition de résolution fait expressément référence aux conséquences de la libération du trafic des télécommunications parmi les faits générateurs de la fraude à la TVA due sur ces prestations.
J'observe également, non sans en tirer la conclusion que notre participation aux débats de la commission des finances a permis de mesurer certains des enjeux réels de la proposition d'acte communautaire, que M. le rapporteur invite le Gouvernement à mettre en oeuvre des dispositions susceptibles de placer notre pays à la tête de l'action pour l'amélioration du régime transitoire.
J'y apporterai cependant une modulation fondamentale.
Nous ne sommes pas des partisans forcenés, chacun le sait ici, de la fiscalité indirecte comme moteur de la politique fiscale de la nation et comme outil de redistribution, attendu que cette fiscalité indirecte est d'abord profondément inégalitaire et pèse plus sur les revenus modestes que sur les autres.
Nous ne sommes pas non plus des partisans acharnés de la réalisation de l'union économique et monétaire sur le modèle du Zollverein allemand que prévoit le traité de Maastricht.
Toutefois, nous demeurons attachés à la capacité de chacun des pays de l'Union à définir sa politique budgétaire en pleine indépendance.
Que cette indépendance revête le caractère d'un choix de réduction des déficits publics et d'un rééquilibrage de la fiscalité vers plus de fiscalité directe et moins d'imposition du fait de consommation est essentiel à nos yeux.
C'est aussi parce que nous souhaitons maintenir cette liberté de manoeuvre que nous ne pourrons pas suivre totalement notre rapporteur sur sa proposition, tout en relevant que le texte initial de celle-ci a été nettement amélioré, puisqu'il était au départ pour le moins contradictoire.
Nous nous abstiendrons donc sur la résolution qui nous est soumise et vous comprendrez, en outre, la raison pour laquelle notre groupe a retiré l'amendement qu'il avait déposé.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la résolution de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.