J'en donne lecture :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88-4 de la Constitution,
« Vu la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services de télécommunications (E 785),
« Vu le document présenté par la Commission au Conseil le 22 juillet 1996 (COM [96] 328 final) "Un système commun de TVA, un programme pour le Marché unique",
« Considérant que la proposition d'acte communautaire E 785 vise à modifier les règles de TVA applicables aux services de télécommunications ; que les règles en vigueur ne prennent en effet pas en considération les progrès technologiques qui permettent de fournir des services de télécommunications à l'intérieur de l'Union à partir de pays tiers (système dit du "call back" ) ;
« Considérant que la proposition E 785 prévoit qu'à partir du 1er janvier 1999 le lieu des prestations de services de télécommunications sera l'endroit où le client est installé et non plus le lieu où est établi le prestataire de services lorsque ce prestataire est situé en dehors de la Communauté ; qu'elle dispose en outre que si un prestataire établi en dehors de la Communauté est identifié à la TVA dans un Etat membre pour y avoir rendu un service de télécommunications, il sera considéré comme établi dans cet Etat membre ;
« Considérant qu'au sein même de l'Union européenne les différences de taux de TVA entre Etats membres peuvent conduire, dans le secteur des télécommunications, à d'importants détournements de trafic du fait de la libéralisation et des progrès technologiques précédemment évoqués ; que la proposition de directive E 785 n'apporte pas de solution à ce problème en maintenant la règle de l'imposition des prestations de télécommunications au lieu d'établissement du prestataire lorsque celui-ci est établi au sein de la Communauté ; qu'elle est à cet égard moins satisfaisante que le régime dérogatoire autorisé par la décision du Conseil 97/205/CE en date du 17 mars 1997 ;
« Considérant que la proposition de directive E 785 tend à appliquer d'ores et déjà la solution esquissée pour le régime futur de TVA, à savoir le principe d'une seule identification à la TVA à l'intérieur de l'Union européenne pour toutes les prestations de services de télécommunications ;
« Considérant que le "système commun de TVA" proposé par la Commission européenne relève bien des dispositions de l'article 99 du traité de Rome qui lui ont fait l'obligation de présenter au Conseil des mesures d'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, et qu'il va bien dans le sens de la construction européenne ;
« Considérant que ce système, qui est conforme, dans son ambition, à l'intérêt du marché unique, pose néanmoins un problème d'une tout autre ampleur que la simple harmonisation de la TVA en Europe dans la mesure où il exige un rapprochement substantiel des taux et un bon fonctionnement du système de compensation entre les Etats ;
« Considérant que les propositions de la Commission sur un lieu unique de taxation pourraient être à l'origine de nouvelles fraudes contre lesquelles il serait difficile aux Etats membres de lutter efficacement ; que ce mécanisme du lieu unique de taxation est par ailleurs de nature à encourager les détournements de trafic commercial et les délocalisations de sièges d'entreprises ; qu'il apparaît contradictoire avec le souci de réduction de la concurrence fiscale dommageable affiché par la Commission ;
« Considérant que le rapprochement substantiel des taux, nécessaire pour éviter une concurrence fiscale dommageable, reviendrait à limiter la marge de manoeuvre fiscale des Etats membres à un moment où ceux-ci sont engagés dans des efforts budgétaires liés à la mise en place de la monnaie unique ; qu'un rapprochement des taux de TVA ne peut donc être envisagé dans un avenir proche ;
« Considérant en outre que le bon fonctionnement du système de compensation entre les Etats membres reste plein d'incertitudes compte tenu des faiblesses des moyens statistiques révélées par la Cour des Comptes des Communautés européennes ;
« Considérant que le mécanisme de compensation envisagé par la Commission pourrait avoir pour contrepartie une perte de recettes publiques dont l'ampleur ne peut être appréciée à ce stade ;
« 1. Sur la proposition de directive concernant la TVA applicable aux services de télécommunications :
« Approuve les règles de territorialité de la taxe proposées par la Commission pour les services rendus par les prestataires communautaires à des clients établis en dehors de la Communauté ;
« Demande au Gouvernement qu'il sollicite l'extension de ces règles aux services rendus par les prestataires communautaires à des clients établis au sein de la Communauté.
« 2. Sur le régime commun de TVA en Europe :
« Estime que la seule voie de progrès reste, aujourd'hui, dans l'amélioration du régime dit transitoire ;
« Demande par conséquent au Gouvernement :
« - qu'il sollicite l'adoption et la mise en oeuvre des mesures nécessaires à l'élimination des lacunes et fraudes qui ont pu apparaître lors des premières années d'application du régime actuel de TVA en Europe ;
« - qu'il sollicite l'adoption de mesures d'harmonisation portant, notamment, sur le statut de la représentation fiscale, sur les droits à déduction et sur les seuils d'exonération ;
« - qu'il sollicite la redéfinition du champ d'application de la TVA en fonction de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ;
« - qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission sur le système commun tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies. »
Avant de mettre aux voix la résolution, je donne la parole à M. Massion pour explication de vote.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans le secteur des télécommunications, il est possible de fournir des prestations à des consommateurs situés dans l'Union européenne sans y être établi, et même sans passer par des réseaux européens. Les opérateurs établis dans des pays à fiscalité compétitive, notamment en matière de TVA, sont donc avantagés par rapport aux opérateurs européens, et ces derniers se voient, en quelque sorte, contraints de s'établir fictivement dans ces pays, avec toutes les pertes fiscales que cela engendre.
Les pays européens ont réagi, avec l'accord de la Commission, en instituant la perception de la TVA dans le domaine des télécommunications au lieu d'établissement du preneur et non du prestataire. La France a ainsi établi cette nouvelle règle dans l'article 19 de la loi de finances pour 1997.
Mais la Commission voudrait aller plus loin en établissant dans ce domaine, dès 1999, le régime définitif de TVA qu'elle souhaite voir instaurer dans tous les secteurs en 2002.
Ce régime, qui repose sur la suppression de toute distinction entre opérations domestiques et intra-communautaires, et donc sur la taxation des produits dans le pays d'origine, apportera une simplification des échanges européens : une fois la TVA payée, le produit pourra circuler librement.
Cependant, plusieurs problèmes ne sont pas encore résolus.
Tout d'abord, les recettes devront être redistribuées entre les Etats membres sur la base de données statistiques dont l'homogénéité et la fiabilité ne sont pas encore certifiées.
Par ailleurs, il faut attendre la mise en place de l'euro.
La compensation multilatérale, ensuite, impliquera de donner à la Commission un pouvoir d'investigation, c'est-à-dire un véritable pouvoir exécutif.
J'ajoute que les entreprises seront incitées à rechercher le système de TVA le plus intéressant. La concurrence en sera faussée et l'on enregistrera des délocalisations tant qu'une harmonistaion presque totale ne sera pas effectuée.
Enfin, la lutte contre la fraude intracommunautaire doit être renforcée. La Cour des comptes des communautés européennes a chiffré cette fraude à 100 milliards de francs pour l'ensemble des Etats membres, dont 30 milliards de francs pour la France.
J'étais intervenu l'année dernière sur ce point lors de la discussion budgétaire, et je me félicite que mes craintes aient été entendues par le nouveau gouvernement, qui propose deux dispositions importantes dans le projet de loi de finances pour 1998.
Mais, tant que les écueils que je viens d'énumérer n'auront pas été levés, il ne m'apparaît pas sérieux de vouloir anticiper, dans le secteur des télécommunications, le passage au régime définitif de la TVA. Il nous faut raisonnablement attendre que des avancées significatives soient effectuées sur tous ces points.
Cette réflexion sur le passage au régime définitif de la TVA s'applique au cas d'espèce des télécommunications. Or les modifications réalisées l'année dernière semblent répondre aux difficultés spécifiques posées par la perception de la TVA dans ce secteur. Dans ces conditions, rien ne paraît justifier la proposition de directive du Conseil.
En conséquence, notre groupe votera la résolution de la commission des finances. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gérard.
M. Alain Gérard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la résolution adoptée par notre commission des finances, sur l'initiative de notre collègue Denis Badré, que nous tenons à féliciter pour son excellent rapport car il aura éclairé notre réflexion tout au long de cet intéressant débat, est d'importance, s'agissant du régime de TVA applicable sur le plan européen à un secteur aussi sensible que celui des télécommunications.
Nous nous réjouissons que notre commission des finances et notre délégation pour l'Union européenne aient dénoncé l'inadaptation de la règle selon laquelle la TVA est due au lieu du prestataire. En effet, l'évolution des techniques permet aujourd'hui, sans difficulté, de délocaliser les prestations de télécommunications, et donc de bénéficier de prestations hors TVA.
Nous souscrivons totalement à l'appréciation, portée par notre rapporteur, sur la proposition de la Commission européenne tendant à appliquer la TVA au lieu du preneur pour les seules prestations rendues à un client situé hors de l'Union européenne. Manifestement, cette proposition rétablirait de graves distorsions de concurrence.
Le rappel établi par la commission des finances tendant à montrer que l'attitude des autorités communautaires sur le secteur des télécommunications était celle que ces mêmes autorités préconisaient pour le futur régime commun de TVA doit nous rendre attentif quant aux effets pervers d'un tel dispositif, notamment pour ce qui est des délocalisations d'activités qui en résulteraient.
Enfin, le mécanisme de compensation entre les Etats membres proposé par la Commission européenne risque d'avoir pour effet des pertes de recettes publiques dont il est difficile de mesurer les conséquences.
Dans l'attente de nouvelles propositions communautaires, il est souhaitable de repousser les délais proposés par les autorités communautaires pour passer au régime définitif de TVA. C'est d'ailleurs cette position qui a été récemment adoptée par le commissaire européen en charge de la fiscalité lorsqu'il a érigé en priorité l'amélioration du régime transitoire de TVA.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République souscrit pleinement aux termes de la résolution de la commission des finances, qu'il votera pour marquer sa volonté de voir les autorités compétentes à l'échelon communautaire avancer de nouvelles propositions plus réalistes en matière de rapprochement des fiscalités des Etats membres.
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Le groupe de l'Union centriste votera la résolution présentée par notre rapporteur, M. Denis Badré. Ce dernier nous a expliqué, avec son talent de pédagogue, des mécanismes très difficiles à comprendre pour l'autodidacte que je suis et il nous a exposé les raisons pour lesquelles nous devions adopter cette résolution. C'est pourquoi je suis fier de notre rapporteur, et je le remercie.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la résolution.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(La résolution est adoptée.)
M. le président. En application de l'article 73 bis, alinéa 11, du règlement, la résolution que le Sénat vient d'adopter sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence M. Paul Girod.)