SÉANCE DU 13 JANVIER 1998
M. le président.
La parole est à M. Renar, auteur de la question n° 105, adressée à Mme le
ministre de la culture et de la communication.
M. Ivan Renar.
Si j'ai posé cette question au Gouvernement, madame la ministre, ...
M. Philippe Marini.
Madame la ministre !
M. Ivan Renar.
Ce n'est pas un débat gauche-droite, mon cher collègue !
M. le président.
De toute façon, ce sujet ne fait pas partie de la question orale !
(Sourires.)
M. Ivan Renar.
C'est vrai, monsieur le président, mais je répondais à mon collègue M. Marini,
qui vole au secours de l'Académie française dans un débat qui n'a pas fini de
susciter des réactions.
Mais j'en reviens à mon propos initial : si j'ai posé cette question au
Gouvernement, madame la ministre, c'est que le développement économique et le
rayonnement de l'Agence France-Presse, l'AFP, constituent un enjeu important
pour la presse écrite de notre pays et pour l'avenir de la francophonie.
L'Agence France-Presse, deuxième agence de presse après l'Agence Reuter, est
régie actuellement par un statut original créé en 1957. Celui-ci a permis à
l'AFP de préserver jusqu'à présent son indépendance à l'égard des grands
groupes de presse et des contingences de ce que l'on nomme aujourd'hui le «
marché de la communication ».
Ainsi, l'AFP est financée pour près de la moitié par des abonnements de
l'Etat, par la presse française, par les entreprises et, enfin, par les clients
étrangers.
Ni publique ni privée, du fait de son originalité statutaire, l'Agence a pour
vocation d'être en équilibre financier.
Confrontée aux nécessités de son développement afin de conserver une place
originale, l'Agence France-Presse ouvre de nouveaux services : une banque
d'images sur un réseau spécifique et un service financier sur le Net.
Comme vous avez pu l'indiquer, madame la ministre, « le problème de l'AFP est
de lui donner aujourd'hui les moyens d'investir ».
Ainsi, dans les années passées, l'AFP avait bénéficié d'un prêt de l'Etat à
hauteur de 90 millions de francs pour son informatisation ; 200 millions de
francs supplémentaires seraient nécessaires à l'AFP pour parachever sa
modernisation.
Au total, près de 250 millions de francs permettraient à l'AFP d'assurer les
investissements nécessaires à son développement.
Au-delà de la question d'un changement de statut, le problème de fond est donc
bien celui du financement de l'Agence.
Si des aménagements peuvent voir le jour - on évoque ainsi la brièveté du
mandat du président de l'Agence, la place des entreprises de presse au sein du
conseil d'administration - peut-être convient-il de rester extrêmement prudent
quant à une modification d'un statut qui permet, selon l'actuel président de
l'AFP, « la garantie de l'indépendance de l'Agence ».
Pour autant, les moyens d'investir doivent être trouvés, et c'est là le coeur
de ma question, madame la ministre.
Au-delà des orientations budgétaires qui nous ont été soumises, quelles seront
les primes à l'investissement accordées par l'Etat à l'AFP ?
Ainsi, ne peut-on transformer en dotation les 90 millions de francs accordés
par l'Etat dans le cadre de l'informatisation ?
Ici même, il a été indiqué que le fonds de modernisation de la presse ne
servirait pas l'évolution de l'AFP. Ne peut-on imaginer semblable disposition
pour moderniser l'Agence ?
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication, porte-parole du
Gouvernement. Monsieur le sénateur, l'Agence France-Presse est un outil
incomparable mis à la disposition des médias français. Elle est aussi une
composante irremplaçable de la présence française dans le monde. C'est ce qui a
justifié l'adoption de son statut particulier défini par la loi de 1957. C'est
aussi ce qui explique l'importance des ressources issues du budget de l'Etat,
soit 588,7 millions de francs inscrits dans la loi de finances de 1998, qui
représentent un peu plus de 47 % du budget de l'AFP.
Cependant, monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l'importance
des défis auxquels est confrontée l'AFP. Ils tiennent à la nature du marché,
dont les ressources croissent peu alors que la demande est toujours plus
exigeante qualitativement et quantitativement. Le nombre de mots produits par
chacune des grandes agences a explosé et ces dernières doivent proposer leurs
services dans des langues de plus en plus nombreuses. On observe un
accroissement de la variété des types d'informations recherchées - domaines
politique, économique, technique, scientifique, culturel, social, faits divers,
son, image - alors que le mode de traitement doit s'adapter à un nombre plus
grand de formes de médias. Il faut toujours plus de documents prêts à éditer ou
à diffuser.
La concurrence est extrêmement vive, d'autant que l'Agence Reuter trouve 95 %
de ses ressources en dehors des médias et qu'Associated Press bénéficie du
formidable tremplin de son marché intérieur.
Les défis auxquels doit faire face l'AFP sont aussi technologiques : si, au
départ, l'AFP a travaillé sur l'écrit puis sur le fond photo, elle doit
aujourd'hui fournir de la matière en infographie, en son, en images animées, en
multimédia.
Une vision stratégique claire doit animer les dirigeants de l'Agence, alors
même que les choix auxquels ils vont devoir recourir sont cruciaux. Il ne faut
pas nier qu'ils interviennent dans une situation de tension, s'agissant des
comptes de l'AFP. Le président de cette dernière envisage même un exercice
déficitaire pour 1998, et ce bien que la dotation budgétaire accordée pour 1998
à l'AFP tranche par rapport aux exercices précédents.
Dans ce contexte, j'ai demandé, en accord avec le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, que soit réalisée une mission d'évaluation des
structures et du fonctionnement actuel de l'Agence, mission qui pourrait être
confiée à l'inspection générale des finances et qui permettrait d'analyser tant
la santé financière et les besoins de l'AFP que les conditions de
fonctionnement et le statut de cette dernière.
En effet, monsieur le sénateur, vous avez indiqué que le statut actuel de
l'Agence est adapté aux exigences de développement de l'entreprise. Il me
semble, sans vouloir répondre
a priori de façon définitive - nous n'en
sommes pas là ! - que plusieurs questions se trouvent posées et méritent un
examen. C'est le sens que j'ai donné à mes propos sur ce sujet devant votre
assemblée ainsi que devant l'Assemblée nationale.
En premier lieu, il faut appréhender l'impact que peut avoir, en période de
développement et d'investissement, un statut d'entreprise sans capital. Dans le
passé, il semble bien que se soit posé un problème d'endettement lié à
l'obligation de recourir systématiquement à l'emprunt, et l'on peut se demander
si la solution réside toujours dans un écrasement des dettes par l'Etat,
lorsqu'un emprunt a été réalisé sur les fonds publics.
La composition du conseil d'administration est elle-même très originale
puisqu'elle donne huit places sur quinze aux représentants des syndicats
d'entreprises de presse française. C'est un élément très important, que vous
avez d'ailleurs souligné, monsieur le sénateur.
Il faut enfin s'interroger sur la compatibilité de ce statut avec les normes
européennes. Le poids du financement de l'Etat pour une entreprise intervenant
sur un marché national et international où s'exerce une concurrence entre les
grandes agences suscite des interrogations auxquelles nous devons répondre à
brève échéance.
Je note enfin que le président actuel de l'AFP a fait de cette question l'un
de ses chantiers de réflexion. Son approche me semble inscrite dans la durée.
Il faut en effet, dans ce domaine, s'abstenir de toute précipitation. Chacun au
sein de l'Agence, tout comme parmi les partenaires et les clients de cette
dernière, doit avoir la certitude qu'il pourra apporter sa contribution à la
réflexion.
Soyez certain, monsieur le sénateur, que nous ne voulons ni brusquer qui que
ce soit dans ce domaine ni donner le sentiment que des options fondamentales
seraient prises dans le secret et la précipitation.
Il n'est pas question non plus d'ignorer les défis auxquels se trouve
confrontée l'Agence en nous dérobant à nos responsabilités.
Telle est l'attitude que j'ai adoptée et que je continuerai à adopter sur ce
sujet dans les mois et les années à venir, sachant que les points que vous avez
soulevés, monsieur le sénateur, déterminent l'avenir de l'AFP.
M. Ivan Renar.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse et de la mise au point
qu'elle apporte, tout en laissant le débat ouvert.
Sans prôner le maintien coûte que coûte du statut actuel de l'Agence
France-Presse, je dirai que ce dernier non seulement permet à l'Agence de
conserver une autonomie qui est très souvent menacée dans le monde de la
presse, mais aussi offre à l'Etat des possibilités d'intervention très
importantes, y compris en matière d'aide à la presse.
Compte tenu des difficultés rencontrées par la presse écrite, peut-on imaginer
que cette dernière soit en mesure d'assurer seule, par exemple, le financement
de l'AFP ? C'est là une question dont il faudra bien discuter.
J'ajouterai que, avec 1 100 salariés en France, dont 700 journalistes, et avec
170 bureaux dans le monde, l'AFP est un précieux instrument qu'il convient
naturellement de préserver, mais aussi de développer. Comme nous l'avons
souligné l'un et l'autre, l'intérêt même de la francophonie en dépend.
Je continue à penser que seule l'aide à l'investissement réalisée par l'Etat
permettra à l'AFP de se moderniser durablement afin de mieux résister à la
concurrence.
Par ailleurs, cette aide rendrait possible une accélération du développement
des nouveaux services, permettant ainsi à l'Agence de maintenir sa place et son
originalité au sein d'une presse qui, comme vous le savez, est menacée de
toutes parts.
CONSÉQUENCES À TERME DE L'IMPLANTATION DE CONSTRUCTEURS AUTOMOBILES JAPONAIS EN
FRANCE