SÉANCE DU 13 JANVIER 1998
M. le président.
La parole est à M. Le Jeune, auteur de la question n° 80, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Edouard Le Jeune.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun
d'entre nous se souvient de la dramatique collision qui est intervenue le 8
septembre 1997, en Dordogne, au cours de laquelle un train express régional a
percuté de plein fouet, à plus de 120 kilomètres-heure, la citerne d'un camion
bloqué sur un passage à niveau et transportant une très grande quantité de
carburant, avec pour triste bilan treize morts et une quarantaine de
blessés.
A l'heure actuelle, la France compte encore 17 800 passages à niveau. Or, de
l'avis général, ces points de jonction entre la route et le rail sont bien trop
nombreux et doivent en tout état de cause disparaître.
Certes, les décès consécutifs aux collisions ferroviaires - une soixantaine
par an en moyenne - ne représentent que 0,7 % du total des tués sur la route,
mais les conséquences de ces chocs sont toujours dramatiques. Ils impliquent
pour l'essentiel des voitures particulières - 67 % - mais n'épargnent pas les
poids lourds et les deux roues.
On compte, en moyenne, un décès tous les six jours sur un passage à niveau et
d'innombrables incidents moins graves. En outre, contrairement à ce que l'on
pourrait croire, les passages à niveau munis de quatre demi-barrières sont plus
« accidentogènes » que ceux qui ont deux demi-barrières.
Ces accidents sont dus aux infrastructures alentour et au comportement des
usagers.
Un passage à niveau situé à proximité immédiate d'une intersection routière
pouvant créer des bouchons augmente le risque d'immobilisation d'un véhicule
sur les voies. A certains endroits, la signalisation est déficiente ; à
d'autres, le passage est construit juste après un virage - tel était le cas
pour le très grave accident auquel j'ai fait allusion tout à l'heure.
Quant aux conducteurs, certains ne respectent pas le feu rouge annonçant la
fermeture imminente des barrières, et d'autres s'avancent sur le passage à
niveau avant la réouverture complète des barrières.
La SNCF a pris l'engagement de ne plus construire de nouveaux passages à
niveau et, surtout, d'en faire disparaître 500 par an, remplacés par des
ouvrages d'art, ponts ou passages souterrains.
Outre le fait que ces solutions de remplacement coûtent cher - entre 15
millions et 30 millions de francs à chaque substitution - au rythme actuel, il
faudra attendre trente-cinq ans avant que l'ensemble des passages à niveau
aient été remplacés.
A la vérité, le problème des passages à niveau résulte de leur nature mi-rail
mi-route. Il serait donc bon d'aboutir à un plan d'action commun associant à la
fois la SNCF et les collectivités en cause, à savoir l'Etat, les départements
et, quelquefois, les communes.
Cette action commune devrait s'articuler autour de quatre priorités.
Premièrement : établir un plan d'urgence visant à répertorier et à supprimer
les passages les plus dangereux existant encore à l'heure actuelle.
Deuxièmement : repenser le financement, car, comme je l'indiquais tout à
l'heure, la suppression d'un passage à niveau coûte entre 15 millions et 30
millions de francs et, de ce point de vue, la SNCF, le ministère des transports
et les collectivités territoriales devraient pouvoir s'entendre sur un partage
des coûts.
Troisièmement : renforcer la signalisation. Les directions départementales de
l'équipement devraient pouvoir assurer un meilleur entretien des panneaux de
signalisation avancée. Par ailleurs, l'aspect de ces panneaux devrait être
amélioré pour accroître leur impact visuel.
Quatrièmement : développer la formation des conducteurs. En effet, le
franchissement d'un passage à niveau, sous tous ses aspects, devrait être
systématiquement abordé lors de l'apprentissage de base de la conduite.
En terminant, je livre à la réflexion des ingénieurs des centres d'études et
de recherches de la SNCF, dont nul n'ignore la très grande compétence, les
suggestions faites dans le courrier des lecteurs d'un grand quotidien de
l'ouest de la France, le 12 décembre 1997.
Un compatriote du Morbihan, à la suite d'une collision entre un TGV et un
poids lourd en Mayenne, s'exprime ainsi : « On sait se rendre sur la lune, mais
on ne sait pas arrêter un TGV en cas d'obstacle sur la voie. Avec tous les
moyens dont on dispose - radars, détecteurs d'obstacles, caméras. etc. - c'est
un non-sens. »
Un autre compatriote, du Calvados, lui, déclare : « Puisque 80 % des voitures
accidentées proviennent de conducteurs ayant délibérément franchi en chicane un
passage à niveau fermé, il faut mettre deux barrières de chaque côté.
« Par ailleurs, pour qu'une voiture ne soit pas prise au piège devant une
double barrière qui se ferme, il faudrait laisser, entre la ligne du train et
les barrières, un espace assez grand pour qu'un camion puisse y stationner le
nez contre la barrière sans qu'il y ait collision avec le train qui arrive.
»
Monsieur le ministre, la vie de plusieurs centaines de nos compatriotes est en
jeu. Aussi, j'ose espérer que le Gouvernement procédera à un examen plus
qu'attentif de ce problème. Cela permettra d'éviter que nos successeurs dans
cette assemblée n'aient à l'aborder de nouveau dans trente-cinq ans !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le
sénateur, le drame de Port-Sainte-Foy - je m'étais immédiatement rendu sur les
lieux avec le président Gallois - a rappelé, une fois encore, les graves
problèmes de sécurité liés au croisement entre trafics ferroviaire et
routier.
Depuis de nombreuses années, des efforts considérables sont consentis par la
SNCF, par les collectivités territoriales et par l'Etat pour améliorer la
sécurité des passages à niveau et poursuivre leur suppression - nous en
supprimons 400 à 500 par an - car tel est bien l'objectif.
Selon les statistiques, le nombre des collisions aux passages à niveau a ainsi
baissé d'un tiers en dix ans ; mais il reste, j'en suis pleinement conscient,
encore trop important.
Indépendamment de l'enquête judiciaire diligentée par le procureur de la
République, qui établira les responsabilités dans cet accident, j'ai
immédiatement désigné une commission d'enquête technique et administrative afin
d'en analyser les circonstances et les éventuelles causes techniques. Cette
commission vient de me remettre son rapport, qui fait actuellement l'objet d'un
examen très attentif par mes services.
Il est important, à ce stade, de rappeler que le transport ferroviaire est
l'un des modes de transport les plus sûrs et que, dans la plupart des cas, les
améliorations de la sécurité aux passages à niveau sont à rechercher dans
l'aménagement routier de ces intersections et, vous l'avez dit, monsieur le
sénateur, dans le comportement des usagers.
C'est pourquoi un certain nombre d'études et d'expérimentations vont être
menées très rapidement de façon à faire évoluer le comportement de l'usager de
la route - j'ai bien entendu votre suggestion pertinente relative à la
formation des conducteurs - et à améliorer l'équipement et la « perception »
des passages à niveau, comme vous le proposez également à juste titre.
Dans le même temps, il appartiendra à la SNCF, à RFF, aux collectivités
locales et à l'Etat de se mobiliser pour mettre en place les conditions d'une
amélioration globale de la sécurité des passages à niveau et pour supprimer les
plus dangereux d'entre eux en définissant des priorités.
Il faut être conscient que cette action nécessitera un effort financier
durable et soutenu de la part des différents partenaires concernés puisqu'il en
coûtera environ 200 milliards de francs.
Afin d'engager cette politique, qui devra concerner, dans un premier temps,
les passages à niveau les plus dangereux, une enveloppe de 50 millions de
francs sera réservée à cet effet dans la programmation 1998 du fonds
d'investissements des transports terrestres et des voies navigables que je
présenterai prochainement au comité de gestion de ce fonds.
Si j'ai conscience du caractère limité de la somme, cela va néanmoins dans le
sens du souhait de plus grande sécurité que vous avez émis, monsieur le
sénateur.
M. Edouard Le Jeune.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Le Jeune.
M. Edouard Le Jeune.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Nos points de vue se
réjoignent ; mais comment pourrait-il en être autrement ?
Les vies humaines n'ont pas de prix, vous le savez. Il faut toujours
rechercher plus de sécurité dans tous les domaines, et je sais que c'est l'une
de vos préoccupations majeures.
Vous venez d'indiquer qu'il fallait tendre à plus de sécurité en mer, ainsi
que vous l'aviez annoncé, le 31 décembre dernier, à Camaret, où nous assistions
ensemble au service célébré pour les disparus en mer du chalutier
Toul-an-Trez, à plus de sécurité sur les routes, à plus de sécurité dans
les transports ferroviaire et aérien.
Beaucoup a déjà été fait, vous venez de le dire et je le sais. Mais il reste
encore beaucoup à faire. La dépense à engager, à savoir 200 milliards de
francs, est énorme. En tout état de cause, le Gouvernement, lors des arbitrages
financiers, devra respecter les priorités et surseoir aux dépenses de prestige.
Ministre combatif, nous savons pouvoir compter sur vous.
POLITIQUE DE LA SNCF EN HAUTE-SAVOIE