M. le président. Par amendement n° 1, M. Caldaguès propose d'insérer, avant l'article 15 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Nul ne peut se prévaloir d'un statut civil attaché à une nationalité antérieure ou coexistante si ce statut est contraire à des dispositions de la loi française. »
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Cet amendement vise, en fait, les cas de polygamie, qu'il faut prendre au sérieux. (Mme Dusseau rit.)
Je parle de la polygamie institutionnelle, afin d'éviter les plaisanteries un peu faciles qui pourraient être faites à ce sujet. Il s'agit en effet d'un sujet sérieux, parce qu'il y a un très grand écart - comme cela arrive souvent, d'ailleurs - entre les certitudes des détenteurs de l'autorité et la situation sur le terrain.
C'est ainsi, madame le ministre, que vous avez déclaré, à l'ouverture de la discussion générale, que la polygamie est contraire à l'ordre public français et qu'elle est traitée et réprimée comme telle. Il va de soi que, disant cela, vous étiez de bonne foi puisque vous avez tout simplement rappelé une disposition du droit français.
Malheureusement, nous constatons très souvent des cas de polygamie effective...
Mme Joëlle Dusseau. Oui : 10 000 cas, alors que la France compte 60 millions d'habitants !
M. le président. Madame Dusseau, laissez M. Caldaguès s'exprimer !
M. Michel Caldaguès. Nous savons parfaitement qu'ils sont nombreux. Si une enquête sérieuse était menée à ce sujet...
Mme Joëlle Dusseau. Elle l'a été !
M. Michel Caldaguès. ... elle remettrait en cause un certain nombre de certitudes.
Je vais satisfaire la curiosité de Mme Dusseau, car j'ai des documents très précis.
Mme Joëlle Dusseau. Moi aussi !
M. Michel Caldaguès. Mon amendement a pour objet de répondre à des situations tout à fait choquantes.
Il n'existe aucune raison pour que des étrangers se livrent en France à des pratiques contraires à l'ordre public, au sens où nous l'entendons, mais je vise plus précisément des cas de polygamie concernant des citoyens français, car cela existe. A ceux qui ne le croiraient pas, je précise en effet que je dispose de documents à en-tête de la République française qui décrivent de telles situations, sans s'en formaliser au demeurant.
J'ai, par exemple, un document de l'Office des migrations internationales, que j'ai déjà cité lors de la discussion générale.
J'en ai un autre, au moins aussi intéressant, qui relate un cas à Paris - parmi un certain nombre d'autres que je n'ai pas recensés - qui est tout à fait édifiant. Lorsque j'ai eu connaissance de la situation en cause, j'ai fait immédiatement procéder par le service social de la mairie du Ier arrondissement à une enquête familiale, dont j'ai ici le résultat. Je ne citerai pas de noms en séance publiques car j'incline à penser qu'une telle enquête sociale est couverte par le secret professionnel, mais je les ai sous les yeux.
Cette fiche relate la situation familiale d'un chef de famille d'origine étrangère mais de nationalité française qui a une première épouse elle aussi de nationalité française et dont les enfants sont au nombre de six, puis une deuxième épouse qui n'est pas de nationalité française mais qui a également six enfants ; quant à la troisième épouse, dont je connais l'existence car j'ai étudié ce dossier de près, elle n'est pas mentionnée dans le document parce qu'elle n'était sans doute pas présente au foyer familial lorsque cette enquête a été menée. Mais j'ai toutes les précisions.
M. le président. Mon cher collègue, il vous reste trente secondes pour conclure !
M. Michel Caldaguès. Je dois reconnaître que c'est impossible, monsieur le président. Je serai donc obligé d'y revenir, parce qu'il s'agit d'une affaire qui est, à mon avis, grave, et pour laquelle il faut produire des documents. J'étais en train de les produire, mais j'abrège.
En quelques mots, la situation polygamique de la famille intéressée résulte d'un statut étranger précédent et l'évolution de notre jurisprudence établit la reconnaissance de cette situation par le droit français.
Permettez-moi de lire rapidement, monsieur le président, un extrait du traité de Batifol et Lagarde - on a beaucoup cité le professeur Lagarde : « La bigamie est-elle un délit pour celui dont la loi personnelle que nous déclarons applicable à son état admet la polygamie ? Il a été longtemps répondu affirmativement au vu de la jurisprudence. Mais les décisions récentes ont donné à penser que la conciliation des attitudes impliquait le principe de la consultation de la loi civile étrangère. Cette position, qui ne présuppose pas, comme on le lui a opposé, l'application d'une loi pénale étrangère permissive, a l'avantage de mettre à l'abri de la qualification de la loi pénale française un comportement que la règle française de conflit de lois prescrit de tenir pour régulier. »
Pour simplifier, cela signifie que la jurisprudence avalise la licéité, en France, d'une situation cependant contraire à l'ordre public.
L'objet de mon amendement est tout simplement de corriger cet état de choses, qui me paraît singulièrement choquant. Franchement, si l'on ne combat pas la polygamie à Paris dans une famille dont le chef de famille est français, quelle polygamie va-t-on combattre en France ?
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission aimerait entendre d'abord l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Bien entendu, il s'agit là, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, d'un sujet très important.
La polygamie est en effet contraire à l'ordre public français et notre droit la prohibe de la façon la plus nette. Tous les Français, y compris ceux qui ont par ailleurs une autre nationalité, sont soumis aux règles du code civil pour ce qui concerne leur statut personnel et il ne peut pas y être dérogé puisque c'est une disposition qui touche à l'ordre public.
S'agissant des exemples que vous avez pris, monsieur le sénateur, je rappellerai que la polygamie est expressément prohibée par l'article 147 du code civil et que le ministère public se doit de requérir l'annulation des mariages contractés en violation de cette règle par les Français.
Dans tous les cas, quand le Gouvernement se réserve un pouvoir d'appréciation sur l'accès à la nationalité française, il exige des postulants un statut compatible avec le nôtre. Ainsi, aux termes de l'article 21-24 du code civil, nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française, ce qui exclut les polygames, comme il a d'ailleurs été rappelé dans un arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 juin 1994.
Quant à l'acquisition de la nationalité française par mariage d'un polygame avec une Française, elle est impossible, car un tel mariage est nul.
Reste la situation des jeunes. Je ne vois pas comment une telle hypothèse pourrait se produire. Il faudrait en effet imaginer qu'un jeune de dix-huit ans qui a grandi en France soit déjà marié plusieurs fois avant sa majorité, alors que les unions polygames ne peuvent pas être célébrées sur le territoire national.
Bien entendu, comme c'est le cas chaque fois que notre droit prohibe un comportement - en l'espèce, il le fait de la façon la plus nette - il y a des tentatives de fraude qui génèrent des contentieux.
Nous sommes là dans la définition du droit. L'amendement proposé est inutile au regard des dispositions de notre droit, mais, bien entendu, il faut, sur la base de notre droit, rendre plus efficaces, dans la pratique, la répression et la dénonciation de la polygamie.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission avait estimé qu'il serait bon, après avoir entendu Mme le ministre, de s'en remettre à la sagesse du Sénat.
S'il est évident que la position du Gouvernement est ferme, il est non moins évident qu'il y a des dérives du type de celles qui viennent d'être dénoncées par M. Caldaguès.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. La polygamie coutumière est une pratique habituelle de certaines ethnies d'Afrique noire extrêmement précises, bien connues et d'ailleurs bien étudiées par les ethnologues.
L'une de ces ethnies, que je ne citerai pas, a effectivement une petite immigration en France, numériquement très faible. Cette ethnie, bien connue, a fait l'objet, comme d'ailleurs l'ensemble des immigrés ou des enfants d'immigrés en France, d'un certain nombre d'études sociologiques et statistiques très précises.
La meilleure enquête sur ce sujet - elle porte non pas précisément sur la polygamie, mais sur les différentes situations des immigrés face au mariage ou à la famille - est celle de Michèle Tribalat, qui est une des plus grandes démographes françaises. Cette enquête, qui a duré quatre ans, a été publiée en 1996, si mes souvenirs sont bons.
Le chiffre avancé d'une polygamie illégale coutumière - je dis bien « coutumière » - est d'environ 10 000.
Cela dit, Mme la ministre a parfaitement répondu à l'auteur de l'amendement. En France, la polygamie légale est interdite. Mais il existe, bien sûr, une polygamie illégale, et je ne suis pas sûre qu'elle ne concerne que l'ethnie dont je tais le nom et qui, visiblement, alimente vos propos.
Tout le débat sur la polygamie - on l'a également vu en des moments assez étonnants lors des deux discussions qui ont eu lieu ici sur la loi Debré - est surtout intéressant par le témoignage qu'il donne du regard qu'une couche sociologique bien particulière, à savoir les parlementaires, porte sur la société de son temps, en particulier sur des gens qui, effectivement, sur le plan social, sur le plan des revenus financiers, sur le plan culturel, sur le plan du vocabulaire, sont souvent extrêmement éloignés d'elle et au premier rang desquels figurent notamment les immigrés.
Je vous assure, mes chers collègues, que le jugement que l'historien peut porter sur cette lecture, cette appréciation du parlementaire n'est pas vraiment à la gloire dudit parlementaire !
M. le président. Madame Dusseau, je vous prie d'éviter de mettre en cause, même par des allusions plus ou moins ironiques, un certain nombre de collègues.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Je n'ai strictement rien compris à ce qu'a dit Mme Dusseau, mais j'ai très bien compris, pour l'avoir écoutée très attentivement, ce qu'a dit Mme le garde des sceaux !
Il est tout de même très troublant, madame le garde des sceaux, que vous ayez assuré qu'aux yeux du Gouvernement il était impossible qu'existât une situation dont je viens de donner la preuve de l'existence ! J'espère en effet qu'on voudra bien considérer comme une preuve un rapport d'un service social solennellement certifié par le maire dont dépend ce service social.
Il se pose pour le moins un problème, et si la conclusion du Gouvernement est que, le problème ne se posant pas, l'amendement n'a pas d'utilité, je rétorque à cela que, le problème se posant, l'amendement a donc bien une utilité.
Pour montrer à quel point l'ordre public est bafoué, je tiens à donner très rapidement lecture du compte rendu, paru dans un journal très sérieux il y a quelques mois, d'une réunion qui s'est tenue à l'UNESCO à Paris, le 20 mars dernier, sur le thème du « devenir de la famille sahélienne en Ile-de-France ».
Je cite cet article : « Des femmes accusent les hommes d'utiliser - cela se passe en France, je le rappelle - l'argent des allocations familiales et le salaire d'une épouse pour en acheter une autre... "Nos polygames gagnent leur deuxième femme à la sueur du travail de la première !" ironise une Africaine, sous les applaudissements des autres femmes. » Elles sont apparemment plus susceptibles, sur le sujet, que Mme Dusseau !
Je continue la lecture de l'article : « Des hommes, de leur côté, se plaignent que leurs épouses ne leur obéissent plus comme en Afrique. Les lois françaises leur sont trop favorables », disent-ils. Je le dis ici à ceux qui sont attachés aux droits de la femme !
Je poursuis : « Certains racontent comment ils ont découvert par hasard au pays qu'une de leurs épouses avait acheté une maison "avec l'argent des allocations familiales qu'elles prétendaient vouloir gérer". »
Mes chers collègues, ces exemples établissent très clairement que l'ordre public, si bien défendu par les dispositions qu'a évoquées Mme le garde des sceaux, est gravement menacé. C'est pourquoi je vous demande instamment d'adopter mon amendement, qui énonce simplement : « Nul ne peut se prévaloir d'un statut civil attaché à une nationalité antérieure ou coexistante si ce statut est contraire à des dispositions de la loi française. »
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 15 A.
Par amendement n° 16, M. Bonnet, au nom de la commission, propose d'insérer, avant l'article 15 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Est tenue pour établie la nationalité française d'origine du descendant né en France d'une personne elle-même née sur le territoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin ou de la Moselle avant le 11 novembre 1918. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cet amendement a pour origine une préoccupation de nos excellents collègues Daniel Hoeffel et André Bohl.
Il s'agit d'insérer dans le projet de loi un article additionnel qui concerne le problème particulier de la preuve de la nationalité française auquel sont souvent confrontés les habitants d'Alsace et de Moselle.
Le Gouvernement, je le sais, pense que, là encore, les textes suffisent. Mais des hommes aussi sérieux que nos collègues MM. Hoeffel et Bohl, qui ne sont pas des plaisantins, nous affirment qu'il y a encore des cas de refus.
Telle est la raison d'être de l'amendement n° 16.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je me suis préoccupée de ce problème. S'il se présentait des cas, cela soulèverait un vrai problème ; or, mes services me disent qu'ils n'en ont jamais eu connaissance. Par conséquent, mon opinion est, en effet, que le dispositif existant suffit pour répondre aux inquiétudes dont il a été fait état.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je ferai simplement observer que les Journaux officiels regorgent de questions écrites de parlementaires sur le sujet qui nous préoccupe, ce qui prouve bien l'existence du problème.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 16.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je me contenterai de lire un témoignage. C'est beaucoup plus simple et cela montre bien que le problème n'est pas réglé.
« Je suis né après 1918 en Moselle alors bien française, de parents à souche sans faille mosellane, réintégrés de plein droit après quarante-huit ans de nuit noire allemande. Je me pose la question. Suis-je français par le jus soli (droit du sol), étant né en France, ou selon le jus sanguinis (droit du sang), étant issu de père et mère français ? Ou serais-je encore citoyen de mon pays par mon engagement dans l'armée française en 1944, dont je suis colonel ? Serais-je donc trois fois français, homme combien heureux ?... Bien que né en France, il me fallait prouver que mon père était bien français. Mesure combien vexatoire encore mal digérée. Autre ennui pour ceux nés sous l'annexion de fait de 1940 en notre coin de Lorraine, juridiquement de droit français, qui restent affublés du prénom allemand imposé par l'occupant... Est imposée dans ce cas une procédure judiciaire pour rétablir la consonance française par l'intermédiaire d'un avocat, d'où honoraires et nouvelle vexation. Quand serons-nous vraiment français, malgré le sang versé pour la France par nombre d'entre nous ? »
Je pense qu'il s'agit, madame le garde des sceaux, d'un certain nombre de demandes qui sont formulées par les juridictions pour qu'il soit bien prouvé que les parents étaient français, alors que l'Alsace-Moselle était sous annexion allemande.
Je crois que le problème n'est pas réglé, et cette disposition me paraît répondre tout à fait aux cas signalés par nos collègues d'Alsace-Moselle.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 15 A.
Par amendement n° 103, M. Plasait et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'insérer, avant l'article 15 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 23 de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 complétant et modifiant le code de la nationalité française et relative à certaines dispositions concernant la nationalité française est complété par les mots : "et ayant sa résidence habituelle en France au moment de l'attribution de la nationalité française à son enfant". »
La parole est à M. de Bourgoing.
M. Philippe de Bourgoing. Cet amendement a pour objet d'éviter les abus et de donner des gages d'intégration. Il est en effet essentiel de poser la condition de la résidence en France des parents et des enfants concernés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je souhaiterais que M. de Bourgoing acceptât de retirer son amendement, comme l'a fait M. Hyest pour un amendement qui avait exactement le même objet.
M. le président. Monsieur de Bourgoing, acceptez-vous la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Philippe de Bourgoing. Je me rallie, bien sûr, à la proposition de M. le rapporteur et je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 103 est retiré.

Chapitre II

Dispositions diverses et transitoires

Article 15 A