SÉANCE DU 29 JANVIER 1998
M. le président.
« Art. 24. _ Le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 52-893 du 25
juillet 1952 précitée est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« La qualité de réfugié est reconnue par l'office à toute personne persécutée
en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu'à toute personne sur
laquelle le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés exerce son
mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par
l'Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux
définitions de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951
relative au statut des réfugiés.
« Toutes les personnes visées à l'alinéa précédent sont régies par les
dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la Convention de Genève du 28
juillet 1951 précitée. »
Par amendement n° 31, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose de
supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson,
rapporteur. Le texte gouvernemental de l'article 24 a pour objet de créer
un statut de réfugié spécifique pour les combattants de la liberté. Nous sommes
là au coeur d'un problème qui mérite une certaine attention.
Je rappelle que les dispositions concernées sont déjà inscrites à la fois dans
le préambule de la Constitution, depuis longtemps, et dans l'article 53-1 de la
Constitution, introduit à l'occasion d'une révision constitutionnelle provoquée
par le Gouvernement, faisant suite à une décision du Conseil constitutionnel
selon laquelle certaines dispositions de la loi du 24 août 1993, telles
qu'elles avaient été adoptées par le Parlement, étaient
anticonstitutionnelles.
Nous avons tenu congrès à Versailles pour une infime histoire de Schengen et
c'est à ce moment-là que nous avons repris dans la Constitution, et non dans
son préambule, les dispositions relatives aux combattants de la liberté.
Dans l'esprit du législateur, et depuis longtemps, la France est libre
d'accueillir chez elle les réfugiés qu'elle veut. C'est un pouvoir de
souveraineté absolue, respecté par le droit français tout au long de son
histoire.
Le préambule de la Constitution ne faisait que reconnaître une pratique
constante des responsables de la France au temps non seulement de la
République, mais aussi des rois. C'est l'un des fondements peut-être les plus
légitimes de notre identité nationale que de nous accorder le droit de
reconnaître ceux qui sont des amis de la France ou qui ont combattu pour la
France, quels que soient leur nationalité et leur statut extérieur. La
Constitution, dans son article 53-1, a confirmé cela.
Quel besoin le Gouvernement éprouve-t-il aujourd'hui d'introduire dans la loi
usuelle, celle que nous pratiquons tous les jours, une disposition qui est déjà
dans la Constitution sans y ajouter quoi que ce soit qui pourrait laisser
penser qu'on en précise les procédures ? On ne peut pas préciser les procédures
puisque, précisément, c'est une prérogative de la souveraineté nationale. Dès
lors qu'on précise les procédures, on restreint ce qui est depuis toujours le
droit de la France et de ses gouvernements, et on réduit par là l'espèce de
solennité qu'on a donné volontairement au traitement de cas qui restent
exceptionnels.
Permettez-moi d'évoquer les premiers combattants de la liberté de notre
génération, les combattants de l'armée républicaine espagnole, qui n'ont, pour
certains, jamais demandé le statut de réfugiés, mais qui ont été considérés par
la France comme des protégés en tant que combattants de la liberté et à qui on
a donné un statut sans avoir pour autant engagé une procédure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ils ont fait l'objet d'une rétention administrative d'abord !
M. Paul Masson,
rapporteur. D'autres ont suivi, rares, dont l'accueil n'a relevé d'aucune
procédure.
Aujourd'hui, on veut préciser les choses dans une loi. C'est en fait un
affichage, qui n'est pas sans conséquences. En effet, qui dit loi ordinaire dit
décision du Gouvernement, et qui dit décision du Gouvernement dit
contentieux.
Bien entendu, il y aura une procédure d'appel, c'est tout à fait normal
puisque nous sommes dans le droit ordinaire. Cela signifie que des personnes
ayant formulé une demande au titre de combattant de la liberté en excipant d'un
certain nombre de références historiques, récentes ou lointaines, qui ne sont
pas toujours faciles à contrôler - je ne citerai pas d'exemples mais chacun les
a présents à l'esprit -, ces personnes, dis-je, après avoir constaté que les
instances chargées d'instruire leur dossier, car il y aura un dossier sous la
forme habituelle propre à l'administration française, n'auront pas honoré leur
demande feront appel de cette décision.
Bien entendu, tout cela se fera non pas dans la discrétion que requiert
l'application de ce principe constitutionnel, mais sous l'oeil malicieux de
ceux qui pourront observer que la France, son gouvernement et ses ministres ont
des attitudes différentes selon que l'on est censé avoir combattu pour la
liberté dans un pays donné ou dans un autre ou qui pourront constater que tel
combattant de la liberté qui avait présenté une demande se trouve aujourd'hui
dans l'opposition nationale alors qu'il était membre du gouvernement ou allié
de ce gouvernement et que, demain, il se trouvera de nouveau au sein du
gouvernement après avoir appartenu à l'opposition nationale...
M. Claude Estier.
Cela arrive !
M. Paul Masson,
rapporteur. Bref, sans prolonger mes commentaires, je dirai que cet
article 24 me semble non seulement inutile, mais éminemment dangereux parce
qu'il banalise le titre de combattant de la liberté, qui, dans notre esprit,
doit conserver son caractère sacré, exceptionnel, rare et précieux, qui doit
garder toute sa pureté et dont l'attribution ne supporterait pas, à mon sens,
de dépendre de procédures, aussi normales fussent-elles.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous suggère
d'adopter l'amendement n° 31 que vous propose la commission des lois.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur. Il s'agit d'un grand débat, et M. le rapporteur
a eu raison de le souligner.
La tradition républicaine confère en effet au droit d'asile une valeur
sacrée.
Ainsi, le Préambule de la Constitution de 1946 dispose que : « Tout homme
persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur
les territoires de la République. »
Cela me paraît relever du meilleur de notre tradition. C'est à ce titre que la
France pratique l'asile depuis des siècles, naturellement depuis la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen.
Nous tenons particulièrement à ce que cette notion d'asile, assortie de toute
la force souhaitable, soit inscrite dans la loi.
Pour clarifier totalement les choses, le Gouvernement avait d'ailleurs
souhaité que l'ensemble des dispositions relatives à l'asile soient regroupées
dans une grande loi.
Après avoir inscrit le droit d'asile dans la Constitution, la France en a
curieusement donné, depuis 1952, une interprétation restrictive : en effet,
n'ont pu bénéficier du droit d'asile que les hommes et les femmes qui ont pu
apporter la preuve qu'ils étaient persécutés par leur Etat au titre de leur
action en faveur de la liberté.
Or, la marche du temps a fait évoluer les choses. Avec les événements qui se
déroulent actuellement sur le territoire de la République algérienne, nous
assistons à l'explosion de persécutions qui ne sont pas le fait de l'Etat
lui-même mais le fait de forces obscurantistes, fanatiques et violentes. Cela
pose naturellement un problème.
A la suite du débat intervenu sur une certaine interprétation de la loi
Pasqua, le droit d'asile a été reconnu par le Conseil constitutionnel comme un
principe de valeur constitutionnelle, que nous étions tenus de respecter.
Il faut donc bien faire figurer dans la loi cet élément, qui se distingue de
la Convention de Genève telle que nous l'appliquons.
En effet, jusqu'alors, nous avions fondé le droit d'asile sur cette seule
convention, telle que l'interprétaient les tribunaux français.
Nous ne faisons donc qu'inscrire dans la loi une extension reconnue par la
jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Il est clair que la situation d'un homme ou d'une femme persécutés en raison
de leur action en faveur de la liberté doit répondre à des critères bien
précis. Il ne s'agit pas de quelqu'un qui lutte pour une liberté individuelle ;
il s'agit du combat pour la liberté républicaine, qui lie à la fois la liberté
individuelle et la liberté démocratique, c'est-à-dire le combat pour un régime
démocratique, un régime de souveraineté populaire ; il s'agit de quelqu'un qui
prend une position claire sur un sujet aussi déterminant.
A cet égard, on peut se demander si le fait de donner asile sur le territoire
de la République à un opposant iranien célèbre, à la fin des années
soixante-dix, relevait bien de cette conception du droit d'asile. Le
Gouvernement ne le pense pas.
Il en va différemment de tel pianiste persécuté en Amérique latine par un
régime de dictature et qui aurait dû pouvoir bénéficier de ce droit d'asile.
Dans le système que nous mettons en oeuvre, nous n'avons pas voulu faire de
doublon, nous n'avons pas voulu inventer une procédure nouvelle distincte de
celle qui existe pour celles et ceux qui se réclament de la Convention de
Genève. Il appartiendra aux demandeurs d'être explicites et de dire s'ils se
réclament de la Convention de Genève telle qu'elle est interprétée ou du droit
constitutionnel français tel qu'il est formalisé.
J'ajoute - mais j'anticipe là sur la notion d'asile territorial - que, dans un
certain nombre de cas, une personne qui aurait à craindre pour sa vie, dans la
mesure où cela serait compatible avec les intérêts de notre pays, pourrait
également se voir accueillie sur notre sol.
Je pense, monsieur le rapporteur, que nous ne devons pas avoir une
interprétation frileuse et restrictive du droit d'asile, même si nous devons
naturellement l'appliquer dans le souci des intérêts de notre pays.
Je me suis aperçu que, dans ma galerie de portraits, tout à l'heure, j'avais
omis le grand homme d'Etat qu'était Colbert.
Monsieur Masson, Colbert acceptait de faire venir en France - il est même allé
en chercher à l'étranger - un grand nombre de spécialistes éminents dans des
domaines manufacturiers comme le tissage, par exemple. Il a été l'artisan d'une
politique d'immigration utile au pays.
MM. Serge Vinçon et Jean Chérioux.
Oui, utile !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur. Naturellement, le Gouvernement a à l'esprit
cette considération d'utilité pour notre pays. Nous jugeons une politique à
l'aune des intérêts de notre pays, c'est bien la moindre des choses !
Et, puisque Colbert a aussi fait planter des forêts - M. Vinçon me le faisait
observer - je dirai qu'il faudrait tout de même que le bûcheron apprenne à
retenir son bras !
(Sourires. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu).
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
73:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés
| 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption
| 218 |
Contre | 98 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 24 est supprimé.
Article 25