SÉANCE DU 29 JANVIER 1998
M. le président.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Ma question s'adresse à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité, mais
je comprends parfaitement les raisons pour lesquelles elle ne peut être parmi
nous cet après-midi.
L'Assemblée nationale a entamé la discussion du projet de loi relatif à la
réduction du temps de travail. Au-delà de son aspect politique bien connu, ce
texte soulève des oppositions, mais bien plus encore des questions. Plus on
avance, d'ailleurs, plus il y a de questions. En raison de son impact, il
convient d'y apporter des réponses claires.
Le débat a été précédé par une campagne de presse dont la spontanéité n'était
pas évidente.
(Exclamations sur les travées socialistes.) En point
d'orgue, à la télévision, M. le Premier ministre a déclaré qu'il s'agissait
d'un « choix national qui va permettre la création de 300 000 à 700 000 emplois
».
Pour étayer son affirmation, il s'est fondé sur trois études publiées
simultanément. A y regarder de plus près, on constate que ces études ont été
quelque peu sollicitées, voire expurgées pour les besoins de la cause.
L'étude de l'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques,
présente trois scénarios : deux envisagent des créations d'emplois, le
troisième ne cache pas le risque de destruction d'emplois. On n'a parlé que des
deux premiers.
L'étude réalisée par la direction de la prévision du ministère de l'économie
reprend cette possibilité des trois scénarios.
Quant à l'étude présentée comme émanant de la Banque de France, on sait
maintenant ce qu'il faut en penser. Son gouverneur a reconnu devant la
commission des finances du Sénat que la Banque de France s'était contentée de
faire tourner ses ordinateurs à partir de données fournies par le ministère de
l'emploi.
Tout cela nous renforce dans le sentiment d'improvisation évolutive qui
entoure l'examen de ce texte. Et ce n'est pas l'intervention de Mme Aubry à
l'Assemblée nationale, voilà deux jours, qui aura contribué à y voir un peu
plus clair !
Un sénateur du RPR.
Loin s'en faut !
M. Henri de Raincourt.
Sur un sujet aussi sensible, il convient d'être sérieux, précis et prudent,
compte tenu de l'enjeu et de la situation peu enviable de notre pays en matière
de chômage.
Mme Hélène Luc.
Il a dépassé son temps de parole !
M. Henri de Raincourt.
Ma question est simple : comment comptez-vous, monsieur le ministre, nous
informer, éclairer ainsi les Français sur ce qui les attend réellement et
commencer à dissiper le flou qui, de plus en plus, entoure ce projet, par
exemple sur les salaires, les heures supplémentaires ou l'annualisation du
temps de travail, sans parler de la nouvelle trouvaille que sont les deux SMIC
?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le
sénateur, je vous réponds à la place de Mme Aubry qui, vous le comprenez, est
retenue à l'Assemblée nationale.
Je suis heureux que, dès le début de votre question, vous ayez reconnu que,
dorénavant, le projet de loi relatif aux trente-cinq heures, s'il suscitait
plus de questions, questions auxquelles nous allons répondre, susciterait moins
d'opposition. J'espère que, lorsque le projet de loi sera examiné par le Sénat,
cette moindre opposition se traduira par un vote majoritaire en faveur de ce
texte !
(Rires et applaudissements sur les travées socialistes. -
Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Vous avez, ensuite, gravement accusé la presse - je vous laisse la
responsabilité de cette accusation ! - de n'avoir publié qu'une partie des
scénarios qui auraient été, selon vous, préparés. Vous verrez cela avec la
presse elle-même ! Dans ce pays, la presse est libre et vous savez bien
qu'aucun gouvernement ne souhaite ni ne peut influencer...
(Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux.
On vous fait confiance !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Messieurs, vous
devez avoir une expérience vis-à-vis de la presse...
(Protestations sur les mêmes travées.)
M. le président.
Mes chers collègues, n'interrompez pas M. le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur le fond, je
ne comprends pas votre surprise. Plusieurs scénarios sont effectivement
possibles.
Il y a le passage vers les trente-cinq heures sans aucune aide du Gouvernement
; il y aurait sans doute peu de résultats. Il y a le scénario où l'aide serait
dix fois celle qui est prévue dans la loi ; il y aurait des résultats, mais le
coût serait exagéré. il y a, enfin, les hypothèses de la loi.
Il n'est donc pas surprenant de constater, mesdames, messieurs les sénateurs,
que ce que le Gouvernement fait étudier, c'est le scénario qui se fonde sur les
hypothèses de la loi, et que c'est donc ce que font tant l'OFCE que la Banque
de France ou le ministère de l'économie et des finances ! Pour voir ce qui se
passerait si l'on sortait des hypothèses de la loi, il faudrait étudier
d'autres cas.
D'ailleurs, comme vous le rappelez, ce que ces études montrent, c'est que,
quand on se fonde sur les hypothèses de la loi, ce sont des centaines de
milliers d'emplois qui peuvent être créés et que, bien évidemment, quand on
s'en écarte, on risque d'avoir d'autres résultats.
L'éclairage nécessaire sera donné à la Haute Assemblée en temps utile. Avec M.
Christian Sautter, qui travaille sur ce sujet avec moi, je suis à la
disposition, comme sans doute Mme Aubry, de vos commissions. D'ailleurs, M. le
président Fourcade comme M. le président Poncelet m'ont déjà saisi sur ces
questions. Je viendrai, bien sûr, avec beaucoup de plaisir.
Toute l'information vous sera donnée, précisément, grâce aux études que nous
venons fort opportunément de faire. Si nous n'avions pas fait d'études, il vous
serait facile de nous critiquer en disant que nous proposons un projet de loi
sans avoir fait tourner les modèles. Nous avons fait tourner les modèles. Ils
montrent tous, quelles que soient les hypothèses retenues - dans le champ qui
est celui de la loi ! - que ce sont des centaines de milliers d'emplois qui
sont à portée de la main si notre économie est capable de se saisir de ce
texte.
Avant cela, il faut, évidemment, que les deux assemblées votent le projet, et
je sais pouvoir compter sur la préoccupation qui est la vôtre en matière de
chômage pour soutenir l'action du Gouvernement sur ce point.
(Rires et
applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)
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