M. le président. La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 159, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
Mme Nicole Borvo. Je souhaite interroger Mme la ministre de la culture sur un problème qui me tient particulièrement à coeur, celui de l'avenir des cinémas d'art et d'essai, en évoquant plus particulièrement la situation du studio Accatone, ex-studio Cujas, créé voilà dix ans par Kazik Hentchel, et celle de l'Entrepôt, créé en 1975 par Frédéric Mitterrand.
L'avenir de ces deux salles est en effet gravement menacé, comme celui de beaucoup de cinémas d'art, d'essai et de recherche, à Paris comme ailleurs.
Ainsi, l'espace Accatone, véritable ciné-club permanent, risque de disparaître faute de subventions. Celle que lui accorde le Centre national de la cinématographie, le CNC, diminue sensiblement : de 550 000 francs en 1995, elle est passée à 250 000 francs en 1997, soit moitié moins, et elle ne serait plus, en 1998, que de 160 000 francs.
De plus, et malgré une programmation qui couvre Arrabal, Pasolini et Robbe-Grillet, cette salle vient de perdre un rang dans le classement « Art et essai ».
Pour contester la baisse de 50 % de la subvention du CNC, l'espace Accatone a annoncé des « Journées noires de la culture » et a fait flotter sur sa façade un drapeau noir portant ce slogan : « La culture est trahie ». Je crois savoir que nombre de cinéphiles se sont mobilisés pour soutenir ce studio.
Quant à l'Entrepôt, situé dans le quatorzième arrondissement de Paris, il est aussi en grande difficulté. Le montant de sa subvention n'aurait été que de 180 000 francs en 1997, contre 225 000 pour 1996. Et cette subvention risque de diminuer encore en 1998.
L'Entrepôt souhaite reprendre son activité. Il convient d'aider à ce redémarrage, car il serait tout à fait dommage que ce studio disparaisse.
Parallèlement, on assiste à Paris à l'installation d'énormes multiplex. Or ces équipements s'ouvrent sans qu'ait été préalablement menée une étude sérieuse sur leur impact en termes de fréquentation cinématographique globale ou de disponibilité de films, et sans analyse approfondie de la structuration de la ville que leur activité implique.
J'ai d'ailleurs souvent attiré l'attention des ministres de la culture successifs sur l'effet à mes yeux très néfaste des multiplex.
Cette situation inégalitaire est d'autant moins acceptable que l'exploitation indépendante constitue un atout considérable pour le cinéma, particulièrement pour le cinéma français, qui a quand même des atouts. Le comparatif sur une semaine type montre que le choix des films proposés par les salles indépendantes y est, avec moins d'écrans, presque deux fois plus important que dans les grands circuits.
Depuis 1980, une centaine de petits écrans parisiens ont périclité, et le processus risque fort de se poursuivre. C'est pourquoi il est urgent de définir, en partenariat avec le ministère de la culture, la direction régionale des affaires culturelles, le CNC, et aussi avec les professionnels parisiens du cinéma qui se battent pour défendre le cinéma indépendant, une conception du développement du cinéma à Paris dans tous ses aspects : diversité de l'offre, des lieux et des animations, qualité de la projection, confort général, actions ciblées en direction du public, etc.
Quelles mesures entend prendre le Gouvernement afin que les cinémas d'art, d'essai et de recherche puissent vivre et assurer une programmation indépendante, donnant toutes leurs chances à des oeuvres exigentes ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, porte-parole du Gouvernement. Madame le sénateur, à compter de l'année 1997, l'aide accordée à certaines salles d'art et d'essai parisiennes, intitulée « aide aux salles d'édition », a été modifiée pour tenir compte de l'évolution de la structuration du parc de salles à Paris.
Si l'enveloppe financière destinée à cette procédure a été augmentée, le rôle de ce dispositif a été, en parallèle, mieux défini.
Il s'agit désormais d'une subvention destinée aux salles indépendantes qui maintiennent, face à la concurrence, une programmation de qualité.
L'attribution des subventions fait l'objet d'un examen préalable par une commission d'experts qui prend en compte différents critères : la qualité et l'originalité de la programmation, le nombre de spectateurs qu'elle induit, la qualité technique de la salle et les efforts de modernisation déployés, l'évolution de sa fréquentation globale, tant en valeur absolue que par rapport aux autres salles du quartier d'implantation. Le dernier critère pris en compte concerne la gestion de la salle et l'adéquation de celle-ci à l'économie de son exploitation.
Parmi les vingt-quatre exploitations qui avaient bénéficié du soutien du CNC en 1996, treize ont vu leur subvention augmenter de façon significative en 1997, six ont bénéficié d'une aide comparable à celle de l'année précédente et seuls quatre établissements se sont vu attribuer des subventions inférieures à celles de l'année 1996.
S'agissant de l'Accatone, la subvention accordée en 1997 atteint 250 000 francs, contre 300 000 francs en 1996 et en 1995, soit une baisse de 20 % et non de 50 %. Ce montant a été établi sur la base des critères que je viens d'évoquer, en tenant compte par ailleurs du montant accordé aux autres salles.
Il faut noter en effet que cette subvention est relativement élevée par rapport à celles que reçoivent d'autres salles : elle est supérieure à 6 francs par spectacle, alors que la majorité des salles se sont vu accorder une aide inférieure à 4 fancs par spectateur.
En ce qui concerne l'Entrepôt, le montant proposé par la commission a été fixé à 180 000 francs en fonction de l'examen des mêmes critères. La commission n'a pas souhaité dépasser ce montant compte tenu de l'état des salles, qui doivent absolument être rénovées pour que soit assurée leur pérennité.
Le montant des travaux ne pouvait pas être pris en compte par cette instance du fait, d'une part, qu'il s'agit d'une subvention de fonctionnement et, d'autre part, que ces travaux ont déjà fait l'objet d'un financement par le CNC.
Les décisions du directeur général du CNC sont donc strictement conformes à l'avis de la commission, qui a porté une attention toute particulière aux deux cas que vous avez mentionnés, madame le sénateur.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais convenez avec moi que nous sommes face à un cercle vicieux dans la mesure où ces deux salles vont nécessairement se trouver dans des difficultés encore plus grandes du fait de la baisse de leur subvention.
A l'heure où l'accord multilatéral sur l'investissement menace la liberté des citoyens de déterminer la politique ainsi que les choix économiques, sociaux et culturels de leur propre nation - vous êtes bien placée pour le savoir - je pense que l'avenir des salles d'art et d'essai mérite une attention particulière.
Je veux insister sur l'avantage démesuré qui est donné aux multiplex par rapport aux autres salles, ce qui contribue à favoriser le cinéma dominant, c'est-à-dire le cinéma américain - et je tiens à préciser que j'aime le cinéma américain - au détriment des cinémas nationaux des pays d'Europe, qui risquent de disparaître.
Certes, en France en particulier, nous n'en sommes pas là, grâce à la qualité, que je crois très grande, de notre production cinématographique, mais nous ne sommes pas à l'abri d'une telle évolution. Les études réalisées dans d'autres pays, notamment en Grande-Bretagne, sont à cet égard tout à fait révélatrices.
Je vous sais, madame le ministre, très attentive à ces questions. J'espère donc vous convaincre de la nécessité de donner, dans la durée, leur chance aux oeuvres afin qu'elles puissent rencontrer le public. On sait qu'il existe en France un public curieux de tous les cinémas pour peu qu'un travail de fond et persistant soit mené.
Je suggère que soit également envisagée une réforme du système français de soutien public. Cette réforme pourrait passer par le refus de la mise en communauté d'intérêts du fonds de soutien aux exploitants. Celui-ci permet aujourd'hui aux grands circuits de concentrer les sommes issues d'un très grand nombre de salles pour la modernisation d'un seul équipement, ce qui revient à encourager la concentration grâce à des fonds publics !
Une réforme de ce même fonds pourrait en outre inclure le prélèvement d'une taxe sur les recettes des multiplex, afin de soutenir les salles indépendantes et les salles municipales.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Madame le sénateur, il faut aussi prendre en compte la nécessité d'une certaine équité dans la manière dont sont distribués les fonds publics de soutien aux salles. Certaines ont fait l'effort de se transformer, de se moderniser. Dès lors, il ne serait pas légitime que d'autres salles, qui n'ont pas accompli cet effort dans de semblables proportions, puissent percevoir une subvention par spectateur au moins 50 % plus élevée. L'usage des fonds publics doit répondre à certains critères.
S'agissant du soutien à l'exploitation, nous avons engagé une refonte du système de façon à établir une meilleure répartition ; il s'agit de permettre de faire basculer, dans la grille des pourcentages de soutien appliqués aux salles, des sommes depuis les multiplex vers les salles moyennes et petites. Cela répond, je crois, à votre souhait - tout à fait justifié et que je partage - et démontre notre volonté, déjà concrétisée, de soutenir les salles indépendantes et les salles d'art et d'essai.

DÉLAIS DE PAIEMENT APPLIQUÉS
AUX PRODUITS CUISINÉS