M. le président. « Art. 1er. - L'article 273 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 273. - La prestation compensatoire a un caractère forfaitaire. Elle ne peut être révisée qu'en cas de changement substantiel dans les ressources ou les besoins des parties. »
Par amendement n° 7 rectifié, le Gouvernement propose, dans la seconde phrase du texte présenté par cet article pour l'article 273 du code civil, de remplacer le mot « substantiel » par les mots : « imprévu et important ».
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement peut paraître n'entraîner qu'une modification de détail ; en réalité, il s'agit d'une question de fond.
Je tiens à dire tout d'abord que je suis d'accord avec la commission quant à la volonté d'assouplir la révision de la prestation compensatoire.
Jusqu'ici, aussi bien les textes que la jurisprudence de la Cour de cassation rendaient cette révision extraordinairement difficile, voire impossible. Or le développement de la crise économique et sociale, la multiplication des situations de chômage et de précarité s'ajoutant aux événements tragiques - la maladie, notamment - qui peuvent survenir à tout moment ont rendu pratiquement insurmontable le versement de la prestation compensatoire pour certaines personnes.
Toutefois, si je souscris tout à fait à l'idée de faciliter, la révision de la prestation compensatoire, je ne voudrais pas que nous en revenions à la situation qui prévalait avec l'ancienne pension alimentaire marquée par l'incertitude juridique.
Il faut prendre en compte le fait que les bénéficiaires des prestations compensatoires sont, pour une écrasante majorité, des femmes qui, souvent, ne disposent guère d'autres sources de revenus ; j'ai fait procéder à des études sur ce point. Par conséquent, le dispositif doit être suffisamment encadré.
C'est la raison pour laquelle je tiens beaucoup aux adjectifs « imprévu et important ».
En effet, autant l'on peut dire que le chômage, la maladie grave sont imprévus, autant on ne peut pas le soutenir s'agissant du remariage de l'époux. Quand on divorce, quand on accorde une prestation compensatoire, on peut s'attendre en effet à un tel événement. Grâce à la mention de ces deux adjectifs, je pense que pourront être pris en compte les cas que nous avons voulu viser, c'est-à-dire les cas fréquents de chômage, de précarité, de maladie, qui sont eux, véritablement imprévus. En revanche, je le répète, quand on divorce, il existe une forte probabilité de remariage.
Je voulais attirer votre attention sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs, car il ne faudrait pas qu'en corrigeant les abus de l'actuelle législation, nous allions trop loin en sens inverse.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien entendu, comme l'ouverture ou non de la révision est au coeur de notre débat, les termes employés sont importants.
Nous avons eu une longue discussion sur ce point. Madame le garde des sceaux, certes, votre amendement rectifié est meilleur que l'amendement initial, qui ne prévoyait une révision qu'à titre exceptionnel, ce qui ne changeait pas grand-chose par rapport à la situation actuelle.
Cependant, l'appréciation du caractère imprévu risque d'être très subjective. Vous nous avez indiqué, par exemple, que le remariage n'était pas imprévu : à ce moment-là, plus grand-chose ne l'est ! L'essentiel est de prendre en compte un changement dans la situation objective des parties.
Par ailleurs, « imprévu » ne veut pas dire tout à fait la même chose que « imprévisible ». Nous avons longuement débattu sur ce point. Avec cette rédaction, nous risquons donc de susciter des débats sans fin.
C'est pourquoi la commission des lois préfère l'adjectif qu'elle avait retenu et qui était d'ailleurs tout à fait dans l'esprit des propositions de lois « substantiel ». Certains proposaient « notable », cela ne nous a pas semblé assez fort : il faut que le changement soit substantiel.
Compte tenu de la nature de la prestation compensatoire, s'il y a une modification substantielle dans la situation des parties, cette prestation doit pouvoir être révisée.
Nous avons prévu un certain nombre de dispositifs pour favoriser le versement d'un capital, car il est certain que la prestation compensatoire a été conçue pour faire en sorte que, après le divorce, on ne revienne plus sur la situation fixée.
Néanmoins, vous l'avez noté vous-même, madame le garde des sceaux, il est un certain nombre de cas où il doit y avoir révision. Cela étant, nous souhaitons que cela reste limité : il ne s'agit pas d'ouvrir une possibilité permanente de révision.
C'est la raison pour laquelle il convient de définir un critère aussi objectif que possible. Dans cette optique, les termes « important et imprévu » ne me paraissent pas offrir une garantie juridique suffisante et donner aux juges une indication suffisamment claire.
Par conséquent, je suis, à regret, amené à émettre, au nom de la commission, un avis défavorable sur l'amendement présenté par le Gouvernement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.
M. le président. Pour explication de vote, monsieur Dreyfus-Schmidt ?...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Contre l'amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt contre l'amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous ne sommes pas des « godillots », au groupe socialiste, monsieur le président ! (Sourires.)
Bien sûr, il existe une continuité de l'Etat, mais je voudrais tout de même rappeler que ce n'est pas sous un gouvernement de gauche qu'il a été procédé à la réforme de 1975.
A l'époque, je n'étais pas parlementaire, mais j'étais praticien, et je n'avais pas très bien compris comment on pouvait croire qu'on allait régler les problèmes par le versement d'un capital. D'ailleurs, on ne l'a pas fait. Comme l'a très bien rappelé Mme la garde des sceaux, l'évolution de la situation économique du pays a fait que cela est devenu tout à fait impraticable, insupportable pour beaucoup.
C'est ce qui explique le dépôt de différentes propositions de loi et l'accord général pour permettre une révision plus facile des prestations compensatoires.
En effet, pour ceux qui font du droit et qui s'en tiennent au droit, une prestation compensatoire, c'est une dette, et il est donc normal qu'elle soit transmissible. De même, pour eux, il est normal qu'elle ne soit pas révisée puisque en principe, elle devra avoir la forme d'un capital et que la rente est représentative, en somme, d'un capital. Il y aurait donc inégalité entre ceux qui versent un capital et ceux qui paient une rente, faute, précisément, de pouvoir verser un capital.
Tout cela est bel et bon mais, dans la réalité, les gens sont malheureusement amenés à payer des rentes telles que, si l'on s'avise de les capitaliser, elles atteignent des montants astronomiques qu'aucun tribunal n'aurait jamais osé fixer.
Le problème est donc délicat.
C'est pourquoi je tiens à saluer - et il n'y a là aucune flagornerie - l'intelligence avec laquelle Mme la garde des sceaux a abordé et suivi ce débat, se félicitant du principe des propositions de loi en discussion.
Le débat est ouvert. Comme nous sommes en première lecture, la discussion va se poursuivre à l'Assemblée nationale et, à défaut de vote conforme, le texte reviendra devant nous. Notre liberté est donc totale.
Cela vous explique, monsieur le président, que j'aie demandé la parole contre l'amendement. En vérité, je l'ai surtout fait pour me réserver la possibilité de parler à nouveau, le cas échéant, pour expliquer mon vote.
M. le président. Je n'étais pas dupe ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avons beaucoup réfléchi sur cette question. L'examen de la loi actuelle fait apparaître que, tout comme une pension alimentaire, le montant de la prestation est fixé en fonction des besoins de l'époux auquel elle est versée et des ressources de celui qui la verse, compte étant tenu de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
Mais, dans des prévisions, on peut se tromper ! On peut aussi ne pas prévoir à long terme.
M. Nicolas About. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'article 272 du code civil précise les critères que le juge doit prendre en considération. J'en citerai quelques-uns : « l'âge et l'état de santé des époux ; le temps déjà consacré ou qu'il leur faudra consacrer à l'éducation des enfants ; leurs qualifications professionnelles ; leur disponibilité pour de nouveaux emplois ». Ainsi, dans le texte actuellement en vigueur, le chômage n'est pas prévu...
Quoi qu'il en soit, dans la pratique, le magistrat ne précisera pas dans sa décision quels sont les critères qu'il a pris en considération. Si l'on admet la proposition du Gouvernement, lorsqu'un des ex-époux reviendra devant le juge en invoquant un changement « imprévu » pour demander la révision, comment le ou les nouveaux magistrats saisis pourront-ils savoir ce qui avait été ou non prévu par le ou les magistrats ayant pris la décision d'origine ? Il pourra toujours être considéré qu'il était prévu que l'intéressé allait prendre sa retraite, même s'il n'était pas prévu que ce serait dans des conditions bien moins avantageuses que celles qui auraient pu être imaginées trente ans auparavant.
C'est pourquoi ce qualificatif d' « imprévu » ne nous satisfait pas.
Pour ce qui est de l'autre qualificatif proposé par le Gouvernement, moi, je préférerais « important » à « substantiel », mais il m'a été opposé en commission que « substantiel », cela laisse supposer une perte de revenus, pour l'un, ou une augmentation de revenus, pour l'autre, beaucoup plus importante que ce que connote le terme « important ».
Le terme « significatif » peut être aussi envisagé. L'un ou l'autre de ces qualificatifs laisse aux magistrats le soin d'apprécier. Et, après tout, toute bonne justice ne doit-elle pas laisser aux magistrats le soin d'apprécier ?
En définitive, parce qu'il n'est pas possible de savoir ce que le premier juge avait prévu ou non, nous pensons, au groupe socialiste, après en avoir discuté de manière approfondie, qu'il faut s'en tenir au terme « substantiel », proposé par la commission.
En commission, plusieurs d'entre nous ont salué la rédaction contenue dans la proposition n° 151 de notre collègue M. About, qui prévoyait : « Elle pourra être révisée en cas de modification notable... » - ou « substantielle » ou « importante » - « ... de la situation patrimoniale de l'un ou l'autre des conjoints et lorsqu'elle crée des conditions nouvelles que le juge n'avait pu appréhender lors du prononcé du divorce. »
S'agit-il là d'imprévu ? Pas exactement : les conditions de la retraite paraissent ressortir à ce que le juge pourrait ne pas avoir appréhendé. La retraite, elle, ne saurait relever de l'imprévu.
Tout bien pesé, il nous paraît préférable de s'en tenir à l'expression « changement substantiel », que les magistrats comprendront parfaitement. Contrairement au texte précédent, le nouveau texte ne leur indique pas que la révision n'est possible - ce qui prouve qu'on ne s'en tient pas à la notion de prestation compensatoire - que « lorsque l'absence de cette révision aurait, pour l'un des conjoints, des conséquences d'une exceptionnelle gravité ». Les magistrats sauront que le législateur est intervenu pour supprimer cette restriction et pour décider que la révision est possible lorsqu'il existe un changement substantiel.
Ils sauront donner à ce mot « substantiel » le sens qui doit lui être donné.
Autrement dit, madame le garde des sceaux, il n'y a pas à craindre que les juges ne soient saisis à tout moment, qu'ils ne perdent beaucoup de temps à refuser les demandes qui ne seraient pas justifiées par des changements substantiels dans les revenus de l'un ou de l'autre.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que nous préférons le texte que propose la commission à celui que propose le Gouvernement.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, après ce temps de parole substantiel, important et imprévu, il vous restera deux minutes pour expliquer votre vote ! (Sourires.)
M. Robert Pagès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Sans doute le terme « substantiel » est-il quelque peu imprécis. Cependant, il nous semble préserver l'essentiel de ce que nous avons souhaité, avec un certain nombre d'autres collègues : faire disparaître le caractère tout à fait exceptionnel de la révision.
En revanche, le terme « imprévu » nous inquiète. Que peut-on prévoir et que peut-on ne pas prévoir ? La retraite, par exemple, la prévoit-on ou pas ? Poser la question, c'est y répondre.
Même si la proposition de la commission ne nous paraît pas pleinement satisfaisante, nous la jugeons acceptable. C'est pourquoi nous ne voterons pas l'amendement n° 7 rectifié.
M. Nicolas About. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l'avenir n'est à personne. L'avenir n'appartient qu'à Dieu. Pour autant, tout peut être prévu. Ce n'est pas le médecin que je suis qui vous dira que, par exemple, la maladie n'est pas prévue. D'ailleurs, tout être bien portant est un malade qui s'ignore. Il suffit d'attendre !
M. Emmanuel Hamel. Quel pessimisme !
M. Nicolas About. J'aurais aimé pouvoir approuver la proposition de Mme le garde des sceaux, mais je l'ai entendue dire que le remariage n'était pas un fait imprévu. Il ne relève pas moins de l'imprévu que la maladie, le chômage, la retraite, la mort. Le remariage est parfois moins prévisible que la mort.
M. Charles Descours. Le remariage est certainement moins inéluctable !
M. Nicolas About. En raison de l'interprétation que vous donnez au mot « imprévu », madame le ministre, il me paraît impossible de voter votre amendement.
J'ai entendu M. Dreyfus-Schmidt dire combien il estimait la rédaction que j'avais proposée. Cependant, il a ensuite indiqué qu'il préférait finalement une rédaction moins bonne mais plus accessible aux juges ; cela me paraît un peu inquiétant.
Quoi qu'il en soit, je me replierai sur la proposition de la commission.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je souhaite souligner que la conjonction des deux adjectifs, « imprévu » et « important » peut aboutir à une contradiction.
D'ailleurs, dans la loi, l'adjectif laisse toujours planer la menace d'une jurisprudence incertaine et parfois contradictoire. Il suffit de se souvenir de ce qui est advenu de la faute légère, très légère, grave ou lourde. Ce concept a suscité des torrents de jurisprudence destinés à l'éclairer.
Mais je reviens au sujet qui nous occupe.
Il est clair que ce qui a inspiré un changement de notre législation, c'est la nécessité de prendre en compte une modification « substantielle » dans la situation des parties : une telle modification commande, en équité, une révision de la rente viagère.
Pour ce qui est de l'imprévu, j'appuierai ma démonstration sur un exemple.
Soit un jeune cadre qui épouse une jeune femme. Quelques années plus tard, ils divorcent. L'époux ne disposant pas de capitaux, il versera une rente. Les années passent et le père de la femme décède, lui laissant une fortune importante. Celle-ci s'est constituée entre le moment du divorce et le moment du décès ; nous sommes dans un domaine où il y a réserve. Etait-ce imprévu ? Et si la fortune existait déjà au moment du divorce, car la mort est certaine, était-ce imprévu ? La réserve existe.
Par conséquent, vous le voyez, on peut aboutir à des cas dans lesquels interviendra un changement très important de situation pour la bénéficiaire de la rente viagère, comme dans le cas que j'ai évoqué, mais où l'événement lui-même était prévu. Dès lors, on ne pourrait pas réviser, ce qui ne serait pas conforme à l'inspiration qui est la vôtre, à juste titre, madame le garde des sceaux.
C'est la raison pour laquelle je rejoins l'opinion unanime de la commission.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je vous prie de m'excuser de prolonger ce débat mais celui-ci me paraît mériter qu'on s'y attarde. Il s'agit de tant de cas particuliers passés, présents et à venir que nous devons à tout prix donner à nos réflexions un caractère aussi lumineux que possible.
Je souscris à ce qui a été dit sur l'adjectif « imprévu ». Je suis d'ailleurs de ceux qui auraient préféré la rédaction originelle de M. About, qui était, me semble-t-il, meilleure. Il y aura déjà bien des discussions autour du « substantiel ». N'y ajoutons donc pas des discussions sur l'« imprévu » !
Et d'ailleurs, ce serait « imprévu » par qui ? Car il y a trois personnes concernées : le demandeur, qui a une idée de son avenir, le défendeur, c'est-à-dire le futur débiteur, qui a une idée de ses propres possibilités, et puis le juge.
J'imagine, en tant que professionnel, tout le contentieux - merveilleux pour certains mais désastreux pour ceux qui auront à le supporter - que cet adjectif « imprévu » fera naître, en plus du ferment de contradictions que vient de signaler M. Badinter.
Pour toutes ces raisons, et bien que je ne sois pas totalement satisfait par cette formule, je crois qu'il faut en rester au mot « substantiel ». Je ne pourrai donc pas, à mon grand regret, voter l'amendement du Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Aux termes de l'article 273 du code civil, la prestation compensatoire ne peut être révisée même en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties. Par conséquent, le fait qu'elle puisse être révisée en cas de changement imprévu constituerait déjà un progrès certain. Toutefois, cela ne suffit pas ; il faut aller plus loin.
Je souhaite saluer l'évolution de notre collègue Robert Pagès - j'attends la même du Gouvernement - qui, dans sa proposition initiale, avait suggéré que la prestation compensatoire puisse être révisée en cas de « changement imprévu et important ». C'est le texte même de l'amendement du Gouvernement. Mais notre collègue Robert Pagès a poussé plus loin la réflexion, qu'il a entamée, il est vrai, avant le Gouvernement et, finalement, il en est parvenu à la solution qui consiste à retenir le mot « substantiel ».
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 4, M. About propose de compléter in fine le texte présenté par l'article 1er pour l'article 273 du code civil par une phrase ainsi rédigée : « La prestation compensatoire cesse de plein droit d'être due si le conjoint qui en est créancier contracte un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire. »
Par amendement n° 5, M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter in fine le texte présenté par l'article 273 du code civil par une phrase ainsi rédigée : « En cas de remariage ou de concubinage notoire de l'époux créancier, la charge de la rente disparaît. »
La parole est à M. About, pour défendre l'amendement n° 4.
M. Nicolas About. Cet amendement tend à rendre caduque la prestation compensatoire versée par le débiteur lorsque le créancier se remarie ou vit en état de concubinage notoire.
Certes, cette situation n'était pas forcément imprévisible ou imprévue. Toujours est-il qu'elle va contribuer à modifier un certain nombre de relations. Je n'ose même pas parler du cas où, une fois la prestation compensatoire attribuée, l'ex-époux qui la perçoit reprend une activité alors que, auparavant, il ne travaillait pas. C'est aussi un changement imprévu et important qui intervient au lendemain de la décision sur la prestation compensatoire.
En tout cas, en ce qui concerne le remariage, des liens nouveaux, donc des obligations, se créent entre les nouveaux époux. Par conséquent, il n'y a pas de raison pour que l'ex-époux continue de verser la prestation compensatoire.
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour présenter l'amendement n° 5.
M. Robert Pagès. Avant d'entamer la défense de cet amendement, je souhaite faire allusion aux travaux qui ont précédé notre débat. Ils ont été extrêmement importants et très intéressants.
Nous partions d'un texte qui semblait d'une très grande simplicité. Mais, au fil de la discussion, il s'est révélé qu'il nécessitait des changements. C'est ce qui m'a conduit, effectivement, à modifier ma position.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un hommage que je vous rendais !
M. Robert Pagès. Les discussions que nous avons aujourd'hui me conduiront peut-être également à opérer d'autres changements. L'intérêt de la séance publique est, précisément, de pouvoir mener une meilleure réflexion.
L'amendement n° 5 a pour objet de remédier à ces situations ubuesques, que nous connaissons tous, où le débirentier se retrouve, par exemple, au chômage, mais reste dans l'obligation de verser la prestation compensatoire à son ex-conjoint, même si celui-ci est remarié et se trouve dans une situation beaucoup plus confortable que le débiteur.
Ces exemples, qui sont plus courants qu'on ne le pense, aboutissent, dans les faits, à l'inverse du but recherché à l'origine par la loi de 1975.
En effet, le débiteur, dont la rente a été calculée sur la base d'un salaire qu'il ne perçoit peut-être plus, se retrouve paradoxalement dans une situation matérielle beaucoup plus difficile que la personne à qui il apporte son soutien financier.
Au surplus, le créancier qui contracterait un nouveau mariage verrait non seulement sa situation s'améliorer, mais il pourrait également, en cas de nouveau divorce, percevoir une deuxième prestation compensatoire, et ainsi de suite. La vie, nous le savons, n'est pas simple !
Par ailleurs, dans le cas d'un nouvelle union, on peut considérer que le devoir de secours qui incombait à chacun des deux ex-époux est transféré au nouveau conjoint ou concubin, qui doit prendre à sa charge le nouveau ménage.
C'est pourquoi nous proposons, avec notre amendement, que la charge de la rente disparaisse en cas de remariage ou de concubinage notoire.
Le fait de prévoir que la prestation compensatoire cesse de plein droit d'être due dans ces deux cas précis a l'avantage d'éviter une nouvelle saisine des tribunaux compétents, ainsi que de nouveaux frais aux personnes concernées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 4 et 5 ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ces amendements, qui ont la même finalité, nous semblent méconnaître le fait que, aux termes de l'article 270 du code civil, la prestation compensatoire repose non pas sur le devoir de secours entre époux, mais sur la volonté de compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives.
Le remariage ou a fortiori l'état de concubinage notoire, avec des problèmes de preuves qui sont quelque peu difficiles à régler, ne sauraient justifier à eux seuls la disparition de la prestation compensatoire.
En revanche, le remariage pourrait constituer un motif de demande de révision de cette prestation, compte tenu de l'assouplissement prévu dans la proposition de loi : si le remariage du créancier entraîne un changement substantiel de ses ressources, le débiteur pourra demander la révision, voire la suppression de la prestation compensatoire qu'il verse à son ex-époux.
Si certains exemples ont été donnés dans un sens, d'autres exemples pourraient être apportés dans un autre sens, monsieur Pagès. S'il existe des femmes qui épousent en secondes noces le patron de leur ex-époux, il est difficile d'en faire un cas général !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je partage le point de vue de M. le rapporteur. Il faut se garder, me semble-t-il, de toute solution systématique, car les situations peuvent s'inverser. La prestation compensatoire a pour objet de compenser une disparité par rapport à une situation antérieure. Par conséquent, je préfère qu'on laisse au juge le soin d'apprécier si un changement « imprévu et important » - je persiste dans cette formulation, bien que vous ayez préféré le terme « substantiel » ; nous verrons quelle rédaction sera retenue à l'issue de la discussion parlementaire - justifie la révision de cette prestation.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes de l'avis de la Seine-et-Marne, c'est-à-dire de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des lois, qui, d'ailleurs, nous l'avons remarqué, sont toujours d'accord. Je suis sûr que notre collègue Robert Pagès, dont on connaît la parfaite bonne foi, va reconnaître, ainsi qu'il l'a fait dans la discussion générale, que, finalement, le problème n'est pas de savoir si l'on se remarie ou non.
Comme vous l'avez souligné, madame le garde des sceaux, si l'on retenait, à l'article 273 du code civil, l'adjectif « imprévu », la prestation compensatoire ne pourrait pas être révisée à l'occasion d'un remariage qui est prévisible.
Or, je le répète, le problème est de savoir non pas s'il y a remariage ou non, s'il y a concubinage ou non, mais si le mariage ou le concubinage entraîne un changement substantiel dans les revenus de l'un ou de l'autre. Lorsque notre collègue Robert Pagès nous dit qu'il pourrait y avoir une deuxième prestation compensatoire, il oublie d'ajouter que, bien évidemment, les magistrats qui rendront le jugement lors du deuxième divorce devront tenir compte de la situation de l'intéressé, donc de la première prestation compensatoire à laquelle, par hypothèse, il serait astreint.
En tout état de cause, l'objet de la prestation compensatoire est de compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage créé dans les conditions de vie respectives. Il faut donc pouvoir réviser cette prestation dès lors que la disparité n'existe plus ou diminue. C'est ce que vous avez décidé tout à l'heure, en retenant le texte proposé par la commission pour l'article 273 du code civil.
Nous sommes donc radicalement opposés aux amendements n°s 4 et 5 qui conduiraient les couples à ne pas vivre en état de concubinage notoire ou à ne pas se remarier, alors qu'ils en auraient le désir, afin d'éviter de perdre une prestation compensatoire. Où allons-nous ?
Il est vrai que, lorsqu'on se remarie, les frais fixes sont souvent partagés par les époux au lieu d'être supportés par une seule personne, ce qui peut entraîner un changement substantiel dans les ressources du débirentier. Mais on peut aussi épouser quelqu'un qui n'a pas un sou, qui est au chômage, simplement parce qu'on l'aime. Dans ce cas, il serait paradoxal que, du seul fait de ce remariage, la prestation compensatoire soit supprimée.
M. Nicolas About. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Je serais tenté, en écoutant M. Dreyfus-Schmidt, de retirer mon amendement. Toutefois, je connais de nombreuses femmes, notamment des veuves de guerre, qui ne se sont pas remariées de peur de perdre la pension de réversion qu'elles touchaient. Ces situations existent !
Vous semblez découvrir que la révision de la prestation compensatoire pourrait créer un précédent scandaleux ! Il est curieux de ne pas avoir entendu les mêmes cris pour ce qui est des veuves de guerre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous les avons entendus !
M. Nicolas About. Ces personnes méritaient, peut-être même avant d'autres, le soutien de la loi !
L'argument développé par M. Dreyfus-Schmidt est recevable et je pourrais envisager le retrait de mon amendement n° 4 à condition que la mesure prévue par l'amendement n° 7 rectifié du Gouvernement, qui rendait le remariage prévisible, ne soit pas réintroduite dans le texte par l'Assemblée nationale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En l'état actuel des choses, vous pouvez le retirer !
M. Nicolas About. En l'état actuel, je le retire, quitte à en reparler lors d'une autre lecture.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.
Monsieur Pagès, l'amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Robert Pagès. Il est vrai que le rejet de l'amendement n° 7 rectifié nous donne satisfaction. La seule inquiétude qui subsiste est celle que souligne mon collègue Nicolas About.
J'ai été conduit à voter contre le terme « imprévu », que j'avais moi-même proposé d'introduire dans la loi. Le mariage serait prévisible. C'est l'argument qui m'a été opposé ! Est-il prévisible ou non prévisible ? Je ne peux pas répondre à cette question !
Ma position est donc la même que celle de M. About : dans l'état actuel du texte je retire mon amendement, quitte à le reprendre dans la suite du débat, si nous perdions cette certitude de l'imprévision.
M. le président. L'amendement n° 5 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Articles additionnels après l'article 1er