M. le président. « Art. 4. _ Une réduction du temps de travail en deçà de trente-neuf heures hebdomadaires peut être organisée en tout ou partie sous forme de jours de repos par accord d'entreprise ou d'établissement ou en application d'une convention ou d'un accord de branche étendu. L'accord collectif détermine alors les modalités de prise de ces repos, pour partie au choix du salarié et pour partie au choix de l'employeur, et, dans la limite de l'année, les délais maxima dans lesquels ces repos sont pris ainsi que les modalités de répartition dans le temps des droits à rémunération en fonction du calendrier de ces repos.
« L'accord collectif peut en outre prévoir qu'une partie de ces repos alimente un compte épargne-temps dans les conditions définies par l'article L. 227-1 du code du travail et précisées par décret. »
Sur l'article, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Pour une raison que chacun comprendra ici aisément, puisque, depuis le début de ce débat, elle s'est fait l'écho des préoccupations des entreprises - ou plutôt du patronat - la commission ne nous propose pas de modifier l'article 4 du présent projet de loi.
Je ne cacherai pas ici plus longtemps à notre Haute Assemblée que cet article 4, d'apparence anodine, pose toutefois un certain nombre de questions essentielles qui ne peuvent que nous amener, ainsi que nous le défendrons dans le cadre de nos amendements, à proposer un certain nombre de modifications.
En l'état actuel des choses, le texte de cet article nous invite en effet à faire autre chose de la réduction du temps de travail qu'une amélioration significative de la situation personnelle et collective des salariés d'une entreprise donnée.
Nous avons en effet eu l'occasion de souligner déjà, dans le cadre tant de la discussion générale que de celle des premiers articles du projet de loi, que le monde du travail était confronté à deux problèmes fondamentaux.
Le premier de ces problèmes est celui de l'accroissement de la productivité apparente du travail, induite par le relèvement de la compétence technique des salariés et qui a conduit à une modification assez sensible du circuit même de la production, générant de notre point de vue un nouveau type de pénibilité du travail, qui tend en particulier à substituer un stress nerveux à la fatigue physique traditionnelle dans un mode tayloriste de production.
Le second problème fondamental est celui qui est posé par l'inadéquation croissante entre niveau de compétence technique et technologique des salariés et niveau de rémunération.
Cette exigence d'être moins fatigué dans son travail mais aussi d'être mieux rémunéré est suffisamment forte pour que le patronat ait tenté, depuis quelques années, et en fait depuis plus longtemps, même si, dans le passé, les formes en furent différentes, de détourner ces aspirations et d'en définir des modes de résolution convenant à ses propres objectifs.
Nous reparlerons un peu plus tard de la question des heures supplémentaires qui, dans un contexte de médiocre reconnaissance salariale des qualifications et des compétences, sont utilisées bien souvent comme un palliatif par le patronat pour accrocher les salariés à ses objectifs de rentabilité.
S'agissant des repos compensateurs, on est là aussi plus ou moins dans une situation identique.
Il s'agit en fait de placer les salariés dans le faux choix des congés payés contre l'augmentation de la rémunération.
Dans le même temps, le fait que les salariés soient mis en situation de se trouver en congé permet d'alourdir la charge de travail dans la période où ils sont à la disposition pleine et entière de l'employeur.
Avec l'article 4, il s'agit donc de transformer éventuellement la réduction du temps de travail en accumulation de jours de congé.
Dans l'absolu d'ailleurs, les salariés pourraient fort bien se retrouver, sur une année, avec un cumul de plus de 200 heures complémentaires ouvrant droit à un repos compensateur, ce qui équivaut à peu près au doublement de la durée normale des congés payés légaux.
Devons-nous favoriser par ce biais un développement de telles pratiques qui, je le répète, se traduisent le plus souvent par le fait que le travail n'est plus considéré que comme un stock de matière première - je répugne à employer cette expression - dans lequel on « puise » en fonction des aléas de la production, sans que les heures supplémentaires effectuées ainsi gratuitement n'améliorent le pouvoir d'achat effectif des salariés ?
De plus, on peut craindre d'un tel dispositif qu'il ne conduise à minorer le niveau des créations d'emploi découlant d'une réduction conventionnelle de la durée du travail, ce qui ne permettrait pas de répondre à l'objectif essentiel de cette loi : la restauration du droit au travail pour ceux qui en sont aujourd'hui privés et pour ceux qui souffrent du chômage et de la précarité.
Un dernier mot sur la question du compte épargne-temps qui est, à y bien regarder, une sorte de pis-aller pour combler quelques-unes des insatisfactions auxquelles est confronté le salarié dans sa vie professionnelle.
Force est en effet de constater que la mise en place de ce dispositif correspond aux freins dont souffre aujourd'hui le droit à la formation permanente des salariés et qu'il a aussi comme particularité, lorsque le salarié en congé sabbatique s'engage dans une structure associative, par exemple, de mettre en évidence les limites encore posées à l'exercice de la citoyenneté dans l'entreprise.
Que n'aurions-nous besoin des congés sabbatiques si le droit à la formation et le droit d'expression des salariés étaient partout respectés !
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 57, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, proposent de rédiger comme suit le premier alinéa de l'article 4 :
« Une réduction du temps de travail en deçà de 35 heures hebdomadaires peut être organisée en partie sous forme de jours de repos, en application d'une convention ou d'un accord de branche étendu. L'accord collectif détermine alors les modalités de prise de ces repos dans la limite de douze semaines, les délais maxima dans lesquels ces repos sont pris ainsi que les modalités de répartition dans le temps des droits à rémunération en fonction du calendrier de ces repos. »
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Par cet amendement n° 57, nous proposons une rédaction alternative de l'article 4 du présent projet de loi, en limitant la mise en oeuvre des dispositions relatives au repos compensateur aux entreprises dans lesquelles des accords collectifs mettent en place une réduction d'horaires allant plus loin que celle qui est prévue dans le projet de loi.
Sont concernées très concrètement les entreprises où les accords collectifs pourront conduire à mettre en oeuvre des horaires hebdomadaires de 30, 32 ou 34 heures en moyenne et qui mettront en place les repos compensateurs.
Il s'agit d'une incitation nouvelle accordée à ces entreprises, d'une sorte de prime à l'innovation sociale, le principe des 35 heures hebdomadaires étant conservé.
Dès lors, libre aux parties prenantes à la négociation de fixer les conditions d'application des repos compensateurs, notamment de leur application à l'ensemble des personnels exerçant des activités d'encadrement, de conception, d'organisation ou de contrôle et de suivi des activités de l'entreprise.
C'est donc en bonne intelligence entre partenaires sociaux que nous devons aborder cette proposition de mise en oeuvre des repos compensateurs. Nous évitons ainsi que le principe retenu dans l'article 4 initial ne conduise, éventuellement, à minorer le nombre des créations effectives d'emplois ou à solliciter un recours trop important au travail à temps partiel ou au travail intérimaire.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Pour la commission, ce dispositif est trop restrictif, car il ne joue qu'en deçà des 35 heures. Or, la commission a approuvé tel quel l'article 4, qui prévoit d'appliquer cette possibilité dès 39 heures, ce qui constitue le seul véritable élément de souplesse du projet de loi.
La commission a donc émis un avis défavorable sur l'amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable, parce que cette modalité s'applique en dessous des 35 heures et, surtout, parce que, pour un certain nombre de catégories, dans certaines fonctions, notamment pour les cadres commerciaux, ce sera peut-être la seule façon de réduire la durée du travail.
Il lui paraît souhaitable de maintenir cette possibilité qui est subordonnée à un accord des partenaires sociaux. Il faut en effet leur faire confiance, dans l'entreprise comme dans la branche.
M. Emmanuel Hamel. Nouvelle convergence avec le Gouvernement !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Légère !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 57, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux : nous les reprendrons à vingt et une heures trente,
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)