M. le président. « Art. 4 bis . _ L'article L. 212-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur. »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 5 rectifié, M. Souvet, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Avant le premier alinéa de l'article L. 212-4 du code du travail, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions. »
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements présentés par MM. Paul Girod et Bernard Joly.
Le sous-amendement n° 65 rectifié vise, au début du texte proposé par l'amendement n° 5 rectifié pour compléter l'article L. 212-4 du code du travail, à ajouter les mots suivants : « Sans préjudice de l'alinéa suivant, ».
Le sous-amendement n° 66 a pour objet de compléter in fine le texte proposé par l'amendement n° 5 rectifié pour compléter l'article L. 212-4 du code du travail par les mots suivants : « sur le lieu de travail ».
Par amendement n° 32, MM. Valade, Revol, Mme Heinis, MM. Descours, Faure et Le Grand proposent de rédiger comme suit l'article 4 bis :
« Avant le premier alinéa de l'article L. 212-4 du code du travail, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions. »
Par amendement n° 15, M. Marini propose de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 4 bis pour compléter l'article L. 212-4 du code du travail :
« Est temps de travail effectif toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de ses activités ou de ses fonctions. »
Par amendement n° 21 rectifié, MM. Paul Girod et Bernard Joly proposent, au début du texte présenté par l'article 4 bis pour compléter l'article L. 212-4 du code de travail, d'ajouter les mots suivants :
« Sans préjudice de l'alinéa précédent ».
Par amendement n° 22 rectifié, MM. Paul Girod et Bernard Joly proposent de compléter le texte présenté par l'article 4 bis pour compléter l'article L. 212-4 du code du travail par les mots suivants : « sur le lieu de travail ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5 rectifié.
M. Louis Souvet, rapporteur. En défendant cet amendement n°s 5 rectifié, je m'exprimerai également sur les amendements n°s 15 et 32, l'amendement de la commission étant la synthèse des deux autres.
Tous ces amendements visent à transposer la directive européenne du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail plus complètement que ne l'a fait l'Assemblée nationale en adoptant cet article 4 bis nouveau.
Il s'agit en même temps de fixer la jurisprudence de la Cour de cassation, qui évolue régulièrement sur cette question de la définition du temps de travail effectif.
La définition de la directive est reprise intégralement par l'amendement n° 15 de M. Marini, qui complète la fin de l'article L. 212-4 du code du travail organisant cette notion sous l'angle du seul travail productif.
Or, il semble préférable, comme le fait M. Valade et ses collègues avec l'amendement n° 32, de placer la définition générale, celle de la directive, en début d'article, le texte de l'article L. 212-4 du code du travail qui règle, notamment, la question du temps d'habillage n'étant une illustration que sur quelques points précis. D'où l'amendement n° 5 rectifié, qui regroupe les différents textes.
M. le président. La parole est à M. Joly, pour défendre les sous-amendements n°s 65 rectifié et 66.
M. Bernard Joly. S'agissant du sous-amendement n° 65 rectifié, le projet de loi complète la définition de la durée du temps de travail effectif en ajoutant au texte actuel l'indication selon laquelle il s'agit du temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur.
Il est donc impératif de l'articuler avec la disposition qui en devient l'alinéa 1er, sinon cette disposition qui prévoit l'exclusion des temps de pause, d'habillage et de casse-croûte du décompte du travail effectif risquerait en effet de se voir privée de portée par une interprétation littérale du nouveau texte.
Quant au sous-amendement n° 66, le code du travail dispose que : « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur ».
Cette disposition, qui comprend certains temps consacrés à l'habillage, au casse-croûte et aux pauses, est faite en termes si généraux qu'ils sont susceptibles d'englober des périodes pendant lesquelles le salarié ne travaille pas, mais doit être en mesure de pouvoir être joint par l'employeur pour répondre à une éventuelle demande d'intervention.
Ces périodes, souvent appelées d'astreinte à domicile, font l'objet de modalités spéciales d'application et de rémunération définies par les accords collectifs, mais ne constituent pas un temps de travail effectif tant qu'aucune intervention n'est demandée au salarié.
Pour éviter toute ambiguïté, il convient donc de préciser que le temps visé par le texte est celui pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur dans les locaux de l'entreprise.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 65 rectifié et 66 ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Le sous-amendement n° 65 rectifié est satisfait par l'amendement n° 5 rectifié, qui fait du texte actuel de l'article L. 212-4 du code du travail une illustration du principe général.
Le sous-amendement n° 66 est partiellement satisfait par l'amendement n° 5 rectifié, mais est beaucoup trop restrictif. Que va-t-il se passer, par exemple, lorsqu'un cadre signera un contrat à l'étranger ?
Dans ces conditions, je souhaite que ces deux sous-amendements soient retirés. Dans le cas contraire, la commission y serait défavorable.
M. le président. Monsieur Joly, maintenez-vous ces deux sous-amendements ?
M. Bernard Joly. Le sous-amendement n° 66 n'est qu'en partie satisfait.
Néanmoins, je retire ces deux sous-amendements. Dans mon intervention générale, j'avais dit en effet que je suivrais l'avis de la commission.
M. le président. Les sous-amendements n°s 65 rectifié et 66 sont retirés.
La parole est à Mme Heinis, pour défendre l'amendement n° 32.
Mme Anne Heinis. Nous l'avons vu : cet article introduit par l'Assemblée nationale tend à redéfinir la notion de temps de travail pour, selon l'exposé des motifs des auteurs de l'amendement, tenir compte du droit communautaire et de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Cette nouvelle définition risque de poser de sérieux problèmes à un certain nombre de professions, particulièrement dans le secteur nucléaire, où les entreprises ont une activité de service, de maintenance ou de chantier nécessitant des temps d'habillage et de déshabillage, d'attente et d'astreinte sur site et de déplacements entre les lieux de travail ou sites clients. Elle conduirait à considérer comme travail effectif tous les temps de présence et donc à augmenter le nombre d'heures supplémentaires, pénalisant ainsi les entreprises du secteur.
En outre, il apparaît que le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui complète, sans l'abroger, l'article L. 212-4 du code du travail, est contradictoire avec les dispositions actuelles de cet article qui subsistent, puisque le même article, simultanément, reconnaît la possibilité de « périodes d'inaction », notamment liées à l'habillement et aux casse-croûte, tout en définissant le travail effectif comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur.
Nous aimerions savoir, madame le ministre, comment ces nouvelles dispositions vont s'articuler avec les pratiques actuellement en vigueur dans les branches où des conventions collectives ou accords de travail existent. Ces temps qui ne sont pas du travail effectif pourront-ils continuer à être rémunérés sur la base des accords déjà conclus ?
Ainsi, dans le secteur nucléaire, les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, et votre ministère admettent la possibilité de décompter une heure par jour de « temps d'inaction », essentiellement le temps d'habillage et de déshabillage et d'attente, pour les personnels d'intervention. Ces périodes sont notées sur des feuilles d'attachement remises à vos services qui en vérifient ainsi la nature et la durée. Que deviendront ces pratiques ?
En outre, la nouvelle rédaction de l'article L. 212-4 du code du travail ne risque-t-elle pas d'aboutir à un important contentieux en conduisant les salariés à demander au juge d'interpréter cet article ?
Pour limiter ce risque, nous vous proposons donc un amendement tendant, d'une part, à revenir au strict texte de la directive en en faisant le principe de base, figurant au premier alinéa de l'article L. 212-4 du code du travail et, d'autre part, à faire figurer, dans le second alinéa de ce même article, les dispositions précisant les modalités de prise en compte du temps de présence dans l'entreprise dans la définition du temps de travail.
M. le président. L'amendement n° 15 est-il soutenu ?...
Les amendements n°s 21 rectifié et 22 rectifié n'ont plus d'objet, leurs auteurs ayant retiré les sous-amendements n°s 65 rectifié et 66 dont le texte était similaire.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 5 rectifié et 32 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Avec le temps de travail effectif, nous abordons l'un des éléments majeurs du code du travail qui a donné lieu, comme cela a été indiqué, à une large jurisprudence. Elle est d'ailleurs saine puisqu'elle prend en compte les conditions de vie particulières, l'état réel des astreintes et des contraintes qui pèsent sur les salariés dans chaque cas.
Ainsi, madame le sénateur, lorsque des salariés du bâtiment sont obligés de passer sur leur lieu de travail avant de se rendre sur un chantier, la jurisprudence considère ce temps de trajet comme du temps de travail. Mais si ce n'est qu'une possibilité qui leur est offerte et qu'ils peuvent se rendre directement sur le chantier, ce temps de transport n'équivaut pas à du temps de travail.
La jurisprudence a pris en compte les situations concrètes et la réelle dépendance ou non du salarié.
L'Assemblée nationale souhaitait intégrer cette jurisprudence et aller de l'avant par rapport à une rédaction ancienne de notre code du travail. Certains pensent que cela pourrait poser des problèmes d'interprétation, mais pas par rapport aux conventions collectives et à la situation dans les secteurs de la chimie ou du nucléaire que vous évoquez. Cette dernière est bien connue ; elle permet, lors d'astreintes de nuit en cas d'accident, d'obtenir une prime prévue dans la convention collective, sachant que ce n'est pas réellement un risque parce que les cadres ou les techniciens qui sont d'astreinte savent qu'ils ont peu de chance d'être appelés et que la convention collective prévoit des modes de rémunération.
Je suis perplexe s'agissant des débats ouverts par la rédaction à l'Assemblée nationale qui me semblait conforme à la jurisprudence actuelle. Aussi, à ce stade de la discussion et en attendant le résultat des travaux juridiques que nous sommes en train de faire et des propositions de divers juristes, je m'en remets à la sagesse de l'assemblée, considérant que la transposition de la directive, par définition, ne peut être qu'une bonne chose. Chacun a d'ailleurs considéré qu'elle constituait une avancée par rapport au texte antérieur.
Je me réserve, si vous le permettez, d'ici à la deuxième lecture, de vérifier qu'il n'existe pas de cas prévus par la jurisprudence qui vont au-delà de la rédaction de la directive et qui nécessiteraient, par conséquent, un aménagement de la rédaction.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5 rectifié.
M. Adrien Gouteyron. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Madame la ministre, j'ai bien entendu ce que vous venez de nous dire et il m'a semblé relever dans vos propos un certain embarras, en tout cas une incertitude ; vous l'avez quasiment avoué.
Cet embarras et cette incertitude sont une raison largement suffisante pour voter l'amendement de la commission, car s'il est un domaine dans lequel on ne peut accepter une telle situation, c'est bien celui-là.
Je voudrais, moi aussi, vous poser une question, madame la ministre.
Vous avez fait état de la situation des entreprises du bâtiment en prenant le cas des salariés qui passent par le siège de l'entreprise pour aller sur leur lieu de travail. Mais qu'en est-il des sociétés de construction, par exemple, dont les salariés sont parfois astreints à de longs déplacements ? Il s'en trouve une dans mon département. Que se passe-t-il à ce moment-là ? Les temps de trajet, notamment les longs trajets de début et de fin de semaine, doivent-ils être inclus dans le temps de travail ? S'il en était ainsi, ce serait redoutable pour l'entreprise, mais aussi pour les salariés, qui y perdraient beaucoup. En effet, les temps de trajet sont rémunérés à des tarifs variables, certes, mais ils sont rémunérés.
Madame la ministre, dans ces conditions, pour que les choses soient très claires, je crois qu'il est sage que notre assemblée vote dès à présent l'amendement de la commission. Cela ne vous empêchera pas de procéder aux recherches dont vous avez parlé, mais c'est le moyen d'affirmer une position forte pour éviter des dérives qui seraient extrêmement dangereuses.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce qui m'embarasse, ce n'est pas le texte voté par l'Assemblée nationale, c'est le texte que vous vous proposez d'adopter ce soir.
Monsieur le sénateur, nous sommes tous d'accord pour reconnaître, dans un texte, les avancées de la jurisprudence qui prennent en compte la réalité de l'entreprise. Personne ne souhaite remettre en cause les conventions collectives, les pratiques parfois ancestrales qui fixent des règles particulières pour certaines professions. Je pense au bâtiment, par exemple, où des primes sont octroyées lorsque les déplacements dépassent dix kilomètres. On considère en effet que, même s'il ne s'agit pas totalement d'un travail effectif, une partie du temps doit être rémunérée par l'employeur. Aussi, nous souhaitons tous trouver une rédaction qui aille au-delà de la rédaction actuelle du code du travail, laquelle est en deça de la jurisprudence, rédaction qui permettrait de tenir compte de l'état du droit actuel défini par la jurisprudence et par les conventions collectives.
Nous sommes donc engagés dans une recherche qui n'est pas facile. En effet, on ne peut pas tout traiter dans la loi. Mais je crois, je le répète, que le texte de la directive est un progrès par rapport au code du travail actuel.
Je veux simplement vérifier qu'il ne se situe pas en deça d'une partie de la jurisprudence. C'est ce que nous sommes en train de faire. Je crois, pour ma part, qu'il n'y a sur le fond aucun désaccord entre la commission, les sénateurs qui ont pu s'exprimer ce soir et le Gouvernement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 bis est ainsi rédigé et l'amendement n° 32 n'a plus d'objet.

Article 4 ter