M. le président. « Art. 10. _ Dans les douze mois suivant la publication de la présente loi, et après consultation des partenaires sociaux, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur le bilan et les perspectives de la réduction du temps de travail pour les agents de la fonction publique.
Sur l'article, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Le texte initial du projet de loi dont nous venons de débattre - et j'ose espérer que la seconde lecture à l'Assemblée nationale servira à le remettre sur ses pieds, mais je n'en doute pas - portait sur la question de l'incitation à la réduction de la durée du travail dans l'ensemble des entreprises du secteur marchand.
Un débat s'est déroulé à l'Assemblée nationale pour adjoindre à ce texte un chapitre consacré à la réduction du temps de travail dans la fonction publique, qu'il s'agisse de la fonction publique d'Etat ou de la fonction publique hospitalière ou territoriale.
La durée légale d'activité dans de nombreux secteurs de cette fonction publique est aujourd'hui de 37 heures et 30 minutes, même si un certain nombre de fonctionnaires connaissent d'ores et déjà des semaines de travail de 35 heures, notamment dans les collectivités territoriales, principal gisement d'emplois publics dans le courant des années quatre-vingt du fait de la mise en oeuvre pleine et entière des principes de la décentralisation, notamment en matière de transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités locales.
On se souvient aussi qu'en application de la loi n° 82-40 relative à la mise en oeuvre des contrats de solidarité, de nombreuses collectivités locales ont mis en place une importante réduction de la durée du travail, accompagnée de la création d'emplois publics nouveaux, dans un cadre de développement du service rendu à la population et de rajeunissement des effectifs salariés dans le secteur.
La fonction publique d'Etat connaît, pour sa part, une évolution légèrement différente, puisque le mouvement de création d'emplois y a été plus erratique, notamment durant la période 1993-1997, où les gains de productivité réalisés par nos administrations se sont bien souvent transformés en suppressions d'emplois budgétaires et en réduction du pouvoir d'achat.
Le secteur public n'a pas, de notre point de vue, vocation à rester en dehors du champ de la réduction du temps de travail, et il importe là encore de se demander selon quels critères il peut apporter sa contribution à la réduction du niveau du chômage.
Il ne s'agit pas, selon nous, de favoriser pour se faire plaisir, en quelque sorte, une progression du nombre des emplois publics, mais plutôt de mettre en oeuvre les conditions d'un rajeunissement des effectifs du secteur public, notamment dans le cadre d'une démarche concertée d'intégration des jeunes employés aujourd'hui sous contrats emplois-jeunes.
L'outil de la réduction du temps de travail peut en effet servir à offrir une telle perspective à ces jeunes.
Mais il doit aussi permettre de réfléchir plus concrètement à la nécessité d'un nouveau développement de la présence des services publics sur l'ensemble du territoire de notre pays, cette présence devenue trop fragmentaire dans certains cas nuisant, en fait, à l'efficacité même du service rendu ; cela, vous ne pouvez pas le contester.
On ne peut donc traiter isolément la question de la réduction du temps de travail dans le secteur public sans réfléchir sur l'évolution de ses missions, la mise en oeuvre des moyens nécessaires à leur accomplissement et les conséquences que la présence des services publics peut avoir sur la cohésion sociale ou l'aménagement du territoire.
Le rapport Sueur sur la politique de la ville, récemment publié, ne met-il pas en exergue que nos quartiers dits sensibles, où des dizaines de millions de Français vivent, souffrent bien souvent d'une carence des services publics - essentiellement ceux de l'Etat, d'ailleurs - particulièrement manifeste, ce qui nuit à la relation qu'entretiennent les habitants avec l'autorité publique ?
Cette carence est, de notre point de vue, un obstacle majeur au développement de la vie sociale dans son ensemble et à la citoyenneté en particulier.
Que la commission des affaires sociales aborde le sujet avec un certain point de vue en proposant que le rapport porte sur la durée effective du temps de travail dans le secteur public ne peut nous surprendre.
M. le président. Monsieur Fischer, veuillez conclure : vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Guy Fischer. Vous aurez compris que les exemples que nous avons cités, notamment celui des quartiers en difficulté, illustrent la situation à laquelle nous devons faire face.
Alors, évitons les faux procès et mettons en oeuvre, à partir des éléments que nous fournira le rapport prévu à l'article 10 de ce projet de loi, une réduction concertée de la durée du travail dans le secteur public.
M. le président. Par amendement n° 10, M. Souvet, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit l'article 10 :
« Au plus tard le 30 juin 1999, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport établissant un bilan du temps de travail effectif dans l'ensemble de la fonction publique. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. L'article 10 prévoit que, dans les douze mois suivant la publication de la présente loi et après consultation des partenaires sociaux, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur le bilan et les perspectives de la réduction du temps de travail pour les agents de la fonction publique. La commission s'interroge sur le coût d'une telle extension à l'ensemble des fonctions publiques.
La commission ayant proposé de supprimer l'article 1er, cette extension n'a plus de raison d'être. Toutefois, il demeurerait intéressant de connaître le bilan du temps de travail effectif dans l'ensemble des fonctions publiques.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Bien entendu, le Gouvernement souhaite communiquer les éléments demandés, mais ceux-ci seront, à l'évidence, fournis par la mission spécifique qui a été confiée à M. Jacques Roche, personnalité reconnue, pour faire le point du temps de travail effectif aujourd'hui dans l'ensemble des fonctions publiques nationale, territoriale et hospitalière.
Le Gouvernement s'est engagé à consulter le Conseil supérieur des trois fonctions publiques sur cet audit pour faire des propositions en vue de la réduction de la durée du travail.
Bien sûr, nous sommes favorables à une totale transparence sur ces données - et ce sera le cas - mais nous souhaitons aussi que la formulation retenue étende la réduction du temps de travail dans le secteur public.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 10.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 10.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Cet amendement aurait pu être intéressant s'il s'était appliqué à la rédaction proposée par l'Assemblée nationale.
Il est en effet nécessaire, avant toute initiative dans le domaine de l'aménagement et de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, de disposer d'un état des lieux qui prenne en compte l'extrême variété des métiers des trois fonctions publiques et les différences qui en résultent.
Le Gouvernement - Mme la ministre vient de le rappeler - a fort judicieusement décidé de confier cette expertise préalable à un haut magistrat, M. Jacques Roche, qui remettra prochainement ses conclusions. Il est sage d'attendre ces conclusions avant de faire des propositions aux fonctionnaires et aux partenaires sociaux. Il est sage, surtout, d'éviter les propos définitifs et dépourvus de fondement que l'on peut entendre ici ou là sur le temps de travail dans la fonction publique.
L'amendement de la commission manque, cependant, de la dimension essentielle qu'est la perspective de la réduction du temps de travail. Aucune raison ne justifie que la fonction publique ne bénéficie pas de ce mouvement historique et reste à la traîne des autres secteurs de l'économie. Ce serait, en quelque sorte, un autre aspect de la société duale dont nous voulons éviter qu'elle se constitue définitivement : d'une part, des fonctionnaires qui devraient continuer à travailler 39 heures, par exemple, en bénéficiant de la sécurité de l'emploi ; d'autre part, des salariés du secteur privé et des contractuels de la fonction publique dont le temps de travail diminuerait, mais qui ne bénéficieraient d'aucune garantie d'emploi. Un tel système ne serait pas durablement viable.
Nous devons donc, dès à présent, offrir à l'ensemble des salariés, sans discrimination, la perspective de bénéficier de la réduction du temps de travail, et nous devons, pour la fonction publique, inscrire cette perspective dans l'amélioration du service public et des services rendus à la population. En la matière, le champ des possibilités est donc vaste.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ce que je viens d'entendre, madame la ministre, mes chers collègues, montre bien la dérive du texte à laquelle nous assistons.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Quel est l'objet du projet dont nous débattons depuis hier ? Inciter les entreprises à négocier pour réduire la durée du travail, en aménager le rythme et ainsi créer des emplois nouveaux.
Et quel est le point sur lequel nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen et ceux du groupe socialiste se rejoignent ? La volonté de faire bénéficier la fonction publique, où l'emploi est garanti, de cet aménagement du temps de travail.
Nous sommes à cent coudées de ce qui se pratique dans l'Union européenne. Nous savons tous que, des Quinze, c'est la France qui compte le plus d'emplois publics dans les trois fonctions publiques : le taux d'emplois publics y est de 24 % de la population active, alors que la moyenne européenne est de 18 % et que nos principaux partenaires sont à 15 %.
Eh bien ! on continue, comme si de rien n'était, à augmenter les effectifs de la fonction publique sous prétexte qu'ils bénéficient, eux aussi, de la réduction du temps de travail ! Cela montre bien la dérive dans laquelle nous sommes.
Ou bien nous pensons que les entreprises du secteur marchand sont capables de se réorganiser, de créer des emplois en gardant leur capacité concurrentielle - c'est le thème général qui nous réunit depuis hier ; ou bien nous voulons faire bénéficier un certain nombre de fonctionnaires et d'agents des fonctions publiques territoriales ou autres d'une réduction du temps de travail. Mais dans ce cas, est-ce que ce sera 35 heures payées 39 heures ? Est-ce que ce sera 35 heures payées 35 heures ? C'est toujours le même problème.
Autrement dit, on va majorer les coûts de fonctionnement de l'ensemble des fonctions publiques de notre pays, moyennant, sans doute, quelques perspectives de création d'emplois, alors que nous nous distinguons déjà de l'ensemble de nos voisins européens par l'importance de nos emplois publics. C'est la dérive classique.
Finalement, on élabore un texte qui sera réservé aux fonctionnaires, comme en témoignent les interventions tant de M. Fischer que de Mme Derycke.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 10 est ainsi rédigé.

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