M. le président. « Art. 1er. _ Il est institué une commission consultative du secret de la défense nationale. Cette commission est une autorité administrative indépendante. Elle est chargée de donner un avis sur la déclassification et la communication, à la suite de la demande d'une juridiction française, d'informations ayant fait l'objet d'une classification en application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal relatives au secret de la défense nationale, à l'exclusion des informations dont les règles de classification ne relèvent pas des seules autorités françaises. »
Par amendement n° 1, M. Amoudry, au nom de la commission des lois, propose :
I. - De supprimer la deuxième phrase de cet article.
II. - Au début de la troisième phrase, de remplacer le mot : « Elle » par les mots : « Cette commission administrative indépendante ».
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. La commission des lois souhaite que la commission consultative du secret de la défense nationale ne soit pas expressément qualifiée d' « autorité administrative indépendante ».
Nous considérons en effet que la détention de l'autorité permet de se faire obéir. Dès lors, nous ne pensons pas pouvoir utiliser ces termes pour qualifier un simple organe consultatif.
Nous proposons donc, par cet amendement n° 1, que la future commission s'intitule « commission administrative indépendante ».
En outre, le maintien de cette notion d'autorité administrative risquerait d'entraîner une confusion avec l'autorité administrative, visée à l'article 4, qui se prononce sur la déclassification.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, même si elle estime que la notion d'autorité doit se concevoir au sens d'autorité morale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. L'enjeu ici n'est pas politique : il est strictement juridique.
Le Gouvernement n'est pas favorable à la proposition de la commission des lois, qui l'a d'ailleurs même un peu surpris.
En effet, notre droit actuel prévoit la notion d'autorité administrative indépendante. Cette expression est par ailleurs employée dans un grand nombre de textes. Si la commission des lois souhaitait revenir sur cette expression, c'est-à-dire changer la catégorie juridique, elle devrait alors demander la modification de toute une série de textes, dont certains sont récents, dans lesquels figure cette expression.
De plus, le Gouvernement ne pense pas que cette expression ait été employée à tort et que cette catégorie juridique soit trompeuse, parce qu'elle forme bien un ensemble. L'observation de la vie de notre pays montre d'ailleurs que ces autorités ont tendance à se soutenir et à s'entraider mutuellement. Cela fait partie aujourd'hui de l'équilibre de nos institutions.
L'emploi des termes « autorité administrative indépendante », dans la mesure où les trois mots sont maintenus ensemble, n'est pas, me semble-t-il, générateur de confusion. Je ne vois pas comment on pourrait dire qu'il ne s'agit pas d'une autorité administrative indépendante alors que plusieurs autres organismes, qui ont des fonctions comparables et qui se limitent à une activité consultative, ont été qualifiés de cette façon par des lois antérieures.
Je préfère donc que le Sénat ne retienne pas cet amendement, car le texte est bien ici en cohérence avec la législation générale.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Aubert Garcia. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Garcia.
M. Aubert Garcia. Il est bien écrit en toutes lettres que cette autorité ne rend que des avis. Cela situe parfaitement son rôle.
Nous ne pensons pas qu'il soit opportun d'amoindrir encore sa valeur, même par ce simple changement d'appellation, d'autant que le terme d'« autorité », comme vient de le rappeler M. le ministre, est une formulation reconnue, légitime et utilisée dans bien d'autres cas.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. A la demande de la commission des affaires étrangères, l'examen de l'amendement n° 14 rectifié, et par conséquent de l'amendement n° 2, qui est identique, est réservé jusqu'après l'examen des amendements identiques n°s 15 et 4.
Par amendement n° 3, M. Amoudry, au nom de la commission des lois, propose, dans la troisième phrase de l'article 1er, de supprimer les mots : « relatives au secret de la défense nationale ».
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. Nous souhaitons supprimer une redondance.
En effet, l'article 413-9 visé à cet article est relatif au secret de la défense nationale. Il ne paraît donc pas à la commission des lois utile ni nécessaire de le répéter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le Gouvernement y est également favorable. Il s'agit, en effet, d'un allégement de la rédaction.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 15 est déposé par M. About, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense.
L'amendement n° 4 est présenté par M. Amoudry, au nom de la commission des lois.
Tous deux tendent à compléter l'article 1er par un alinéa ainsi rédigé :
« L'avis de la commission consultative du secret de la défense nationale est rendu à la suite de la demande d'une juridiction française ou d'une commission parlementaire exerçant sa mission dans les conditions fixées par les articles 5 bis, 5 ter ou 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 15.
M. Nicolas About, rapporteur. Comme je l'ai évoqué au cours de la discussion générale, avec cet amendement, nous nous proposons d'élargir la portée du texte en permettant à une commission parlementaire de bénéficier, le cas échéant, de la procédure de saisine de la commission consultative, dans l'hypothèse où les travaux qu'elle conduirait se heurteraient au secret de la défense nationale.
En fait, ce que le Gouvernement se propose opportunément de faire avec le projet de loi au profit des juridictions, l'amendement n° 15 l'étend au Parlement dans l'exercice de son pouvoir de contrôle.
Plus précisément, la référence aux articles 5 bis, 5 ter et 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 permettra à une commission parlementaire de bénéficier de la procédure d'avis de la commission du secret de la défense nationale dans trois hypothèses : lorsqu'une commission d'enquête souhaitera obtenir la déclassification et la communication d'informations protégées au titre du secret de la défense nationale - c'est l'article 6 ; lorsqu'une commission permanente ou spéciale sera investie, pour six mois maximum, par l'assemblée à laquelle elle appartient, des pouvoirs d'une commission d'enquête - c'est l'article 5 ter ; lorsqu'une commission permanente ou spéciale souhaitera auditionner une personne sur des sujets à caractère secret, relevant notamment de la défense nationale - c'est l'article 5 bis.
La philosophie de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 n'est pas remise en cause puisque, in fine, l'autorité administrative conservera évidemment le pouvoir d'opposer, conformément ou non à l'avis de la commission, le secret de la défense nationale à la requête de la commission parlementaire, comme elle pourra le faire à la requête du juge.
Il a paru légitime à votre commission de saisir l'opportunité de ce texte pour adapter le pouvoir de contrôle du Parlement. C'est pourquoi je vous recommande, mes chers collègues, l'adoption de cet amendement n° 15.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. La commission des lois est tout à fait sur la même ligne que la commission des affaires étrangères, et n'a rien à ajouter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je suis défavorable à ces deux amendements, et je vais tenter d'expliquer au Sénat la préoccupation qui, intrinsèquement, était celle du Gouvernement dans l'élaboration du projet de loi.
Le secret défense est la règle s'agissant des informations qui nécessitent d'être protégées, et sa levée par l'exécutif après l'avis d'une commission indépendante est l'exception.
La commission s'est vu confier une mission d'arbitrage entre deux intérêts publics majeurs : d'un côté, la recherche de la vérité par un juge pour trancher un litige et éviter un déni de justice ; de l'autre, la protection du secret de la défense.
La commission a donc une échelle de mesure pour vérifier si la déclassification d'un document qui lui est demandée dans un cas particulier est directement nécessaire pour la bonne administration de la justice. Elle ne porte pas une appréciation politique. Et, si elle devait le faire, il faudrait d'abord se demander s'il faut créer cette commission. Or il est vraisemblable que l'appréciation du Gouvernement, et de beaucoup d'entre vous ici, serait défavorable. De plus, sa proposition ne serait sûrement pas celle-là.
Que cette commission se prononce à la demande d'une commission d'enquête, qui est une instance politique, qui exerce un contrôle politique et dont les textes fondateurs dans nos institutions prévoient qu'elle ne doit pas entrer dans les matières faisant l'objet d'une action judiciaire, revient évidemment à la pousser à s'entremettre dans un antagonisme politique entre le législatif et l'exécutif.
Aujourd'hui, cette question me semble tranchée par nos textes permanents, qui précisent que le secret défense s'oppose aux investigations des commissions d'enquête ou des commissions permanentes. Je ne vois pas ce qu'ajouterait le passage par cette commission consultative.
Il est du ressort de l'exécutif de déclarer si, affaire par affaire, sujet par sujet, il envisage de lever le secret défense sur telle ou telle information. Il ne peut pas être aidé sur ce point.
En outre, je dirai que la sérénité du débat public ne peut pas être améliorée par l'intervention dans un tel antagonisme d'une commission composée principalement de magistrats.
Certains pensent qu'il ne faut plus opposer le secret de la défense nationale aux commissions parlementaires. Une telle analyse suppose un changement institutionnel dont, chacun en conviendra, ce texte ne constitue pas forcément le cadre de discussion idéal.
Toutefois, penser que l'intervention de la commission du secret défense pourrait modifier la relation entre l'exécutif et le législatif dans le contexte nécessairement conflictuel où le Gouvernement entendrait opposer le secret défense aux investigations d'une commission d'enquête me semble peu réaliste, compte tenu du rôle limité de cette commission, qui consiste essentiellement à améliorer la conduite des procédures judiciaires.
Je souhaite donc convaincre le Sénat qu'il n'est guère opportun d'utiliser ce sujet pour toucher à l'équilibre de nos institutions. Les motivations qui ont été exposées tout à l'heure par M. Vinçon et qui ne me paraissaient pas cadrer tout à fait avec l'objectif et les dispositions du projet de loi me semblent aller en revanche à l'encontre de l'adoption de ces amendements.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 15 et 4, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. Alain Richard, ministre de la défense. Où est le sens de l'Etat ?
Comprenne qui pourra !
M. le président. Nous allons examiner les deux amendements identiques n°s 14 rectifié et 2, précédemment réservés. L'amendement n° 14 rectifié est présenté par M. About, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense.
L'amendement n° 2 est présenté par M. Amoudry, au nom de la commission des lois.
Tous deux tendent, dans la troisième phrase de l'article 1er, à supprimer les mots : « à la suite de la demande d'une juridiction française ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 14 rectifié.
M. Nicolas About, rapporteur. Cet amendement n° 14 rectifié est purement rédactionnel et tire la conséquence de l'adoption de l'amendement n° 15.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. Il s'agit en effet d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Défavorable : le Sénat comprendra que le Gouvernement conserve la cohérence de sa démarche.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 14 rectifié et 2, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2