M. le président. « Art. 10. _ Il est inséré, après l'article 225-16 du code pénal, une section 3 bis ainsi rédigée :

« Section 3 bis

« Du bizutage

« Art. 225-16-1 . _ Hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, par contrainte ou pression de toute nature, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants, notamment lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire, éducatif, sportif ou associatif, est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 F d'amende. »
« Art. 225-16-2 . _ L'infraction définie à l'article 225-16-1 est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende lorsqu'elle est commise sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur. »
« Art. 225-16-3 . _ Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des infractions commises lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire, éducatif, sportif ou associatif prévues par les articles 225-16-1 et 225-16-2.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« 1° L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 ;
« 2° Les peines mentionnées aux 4° et 9° de l'article 131-39. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 15, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 37, Mme Dusseau propose, dans le texte présenté par l'article 10 pour l'article L. 225-16-1 du code pénal, après le mot : « sportif », d'insérer les mots : « militaire, professionnel ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 15.
M. Charles Jolibois, rapporteur. En l'occurrence, nous reprenons la discussion sur le bizutage.
Comme je l'ai dit dans mon intervention liminaire, la commission des lois, comme d'ailleurs le Sénat en première lecture, est tout à fait opposée aux excès du bizutage, dont certaines dérives ne peuvent qu'inspirer l'horreur. Par conséquent, il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point.
Cependant, le Sénat a estimé que le code pénal comporte déjà de solides dispositions permettant de faire front et de sanctionner les dérives que l'on peut constater quand un bizutage tourne mal, donne lieu à des exagérations qui doivent être réprimées.
Au sein de la commission des lois, une quasi-unanimité s'était dégagée au début contre l'introduction d'un nouveau texte, au motif que le code pénal devait être un droit précis. J'avais même indiqué qu'il ne fallait pas transformer le code pénal en un code comportemental. La théorie pénaliste française veut que le juge soit lié par des éléments précis.
Si vous n'admettez plus cette théorie, vous aurez un droit pénal souple, à géométrie variable, au nom duquel des magistrats décideront dans un sens ou dans l'autre, au nom duquel des juridictions condamneront et d'autres ne condamneront pas. C'est là un autre type de code pénal. Le code pénal, le nôtre, ce sont des éléments précis de description du délit, c'est une définition précise des faits constituant des infractions.
Les personnes qui étaient favorables à la création du délit de bizutage nous ont dit qu'elles allaient nous proposer un texte qui répondrait à notre inquiétude en faisant précisément apparaître les éléments du délit.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui est très proche de celui qui avait été rédigé ici même par M. Dreyfus-Schmidt, est le suivant : « Hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, par contrainte ou pression de toute nature » - nous retrouvons la fameuse notion de « pression de toute nature » - « à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants, notamment lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire, éducatif, sportif ou associatif, est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende. »
Il ne répond pas à notre inquiétude.
J'ai eu l'honneur d'exposer à la commission des lois que ce texte me paraissait inutile, voire, dans certains cas, dangereux.
Il est inutile parce que le code pénal comporte des dispositions pour condamner les dérives. Je rappellerai notamment la jurisprudence sur le choc émotif qui est celle de la Cour de cassation et qui est appliquée au bizutage. Quand une personne place une autre personne dans une situation telle qu'elle entraîne chez celle-ci un choc émotif, la Cour de cassation considère qu'il y a violence au sens du code pénal. Par conséquent, la Cour de cassation a résolu le problème.
Je ne reprendrai pas, comme je l'ai fait en première lecture, tous les textes du code pénal qui couvrent la dérive du bizutage.
Ce texte - cet aspect m'inquiète beaucoup plus - peut aussi être dangereux.
Imaginons que des extrémistes, de quelque bord que ce soit, accèdent au pouvoir et qu'ils veuillent réprimer certains rites associatifs pouvant par exemple se dérouler dans le cadre confessionnel. Ils qualifieraient ces rites, pourtant exécutés de plein gré, d'atteinte à la dignité de l'homme. Il y aurait alors des magistrats pour appliquer ce texte - dont on souhaite d'ailleurs étendre le champ d'application puisqu'un amendement, qui sera examiné dans un instant, tend à viser les milieux professionnel et militaire.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture était limité au milieu scolaire. La rédaction de deuxième lecture est extrêmement large puisqu'elle englobe les réunions se déroualnt en milieu scolaire, éducatif, sportif ou associatif, cette énumération n'étant d'ailleurs pas limitative. Le milieu associatif couvre toutes sortes d'associations. La vie associative est très variée. Toutes les associations pourront être visées par ce texte.
Le danger réside donc en particulier dans le champ d'application du nouveau délit. Dans un premier temps, on a essayé de le limiter au milieu scolaire. Désormais, il n'est plus limité à ce périmètre.
Le champ d'application de ce texte me paraît trop large et sa définition trop vague, puisqu'elle comporte de nouveau la notion de « pression de toute nature ».
Je comprends parfaitement que l'on veuille réprimer les abus du bizutage. Mais ce sont les recteurs, les autorités qui sont chargées du milieu scolaire ou universitaire, qui doivent intervenir. Il est dangereux de retenir un texte souple, vague, qui, je le crains, pourrait être utilisé dans des circonstances que vous n'auriez pas voulu viser.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois a estimé qu'elle devait maintenir son point de vue et m'a chargé de vous demander, mes chers collègues, de supprimer ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau, pour défendre l'amendement n° 37.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le rapporteur, cet amendement étant identique à celui que j'avais déposé en première lecture, vous ne pouvez être réellement surpris.
Je suis bien sûr en désaccord avec vos propos, car il me paraît nécessaire de créer un délit pour les excès du bizutage. Je me rappelle très bien les circonstances dans lesquelles cette rédaction a été proposée en première lecture.
Elle comporte trois notions.
La première, c'est le fait que la personne agit contre son gré ou non. La deuxième idée, c'est la notion de « pression de toute nature. » Je sais à quel point elle vous chagrine, mais elle correspond à une réalité vécue et sociale. Aussi, il me semble bon qu'elle figure dans le texte de loi. La troisième idée concerne les différents milieux visés, à savoir les milieux scolaire, éducatif, sportif ou associatif.
Je propose d'y ajouter les milieux militaire et professionnel. Si je souhaite aussi viser le milieu professionnel, c'est parce que j'ai eu connaissance de cas très précis, s'agissant en particulier de CES embauchés par des collectivités locales, de phénomènes de bizutage qui, c'est le moins que l'on puisse dire, n'étaient pas « piqués des hannetons » !
Cela étant dit, je l'avoue, le fait de viser le milieu militaire me paraît le plus important. En effet, l'armée a été, est souvent encore, le lieu où, sous le prétexte de bizutage, un certain nombre d'actes extrêmement violents et dégradants sont commis. Aussi, il ne me paraît pas normal, dès lors que l'on crée un délit d'excès de bizutage, de laisser les actes perpétrés au sein de l'armée hors du champ d'application de la loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 37 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Si des actes très violents et dégradants sont commis au sein des armées, l'autorité militaire doit intervenir. Par ailleurs, il y a la loi.
Vous ne souhaitez pas laisser ces actes hors du champ pénal, dites-vous. A l'heure actuelle, de tels actes sont-ils hors du champ pénal, alors même que le délit de bizutage n'existe pas encore ? Ils ne le sont pas. En effet, si de tels actes sont commis, le parquet peut d'ores et déjà poursuivre.
Je comprends très bien votre préoccupation, mais elle n'a pas besoin de votre amendement pour qu'il y soit répondu. Aussi la commission émet-elle un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 15 et 37 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 15.
Je me suis longuement expliquée sur ce point en première lecture. Je redirai simplement que, selon nous, certains cas ne sont pas aujourd'hui couverts par le code pénal. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il faut créer un nouveau délit.
Lors de la première lecture au Sénat, j'ai cru que nous pourrions trouver un terrain d'entente à partir des suggestions de M. Dreyfus-Schmidt, que M. le rapporteur a rappelées. Chacun avait pu en effet exprimer sa volonté de lutter contre les excès du bizutage.
Nos avis divergent non pas sur les objectifs à atteindre, mais sur les moyens juridiques qui doivent permettre de le faire. Or, c'est bien sur ce point que les députés ont manifesté la volonté évidente de se rapprocher de certaines positions prises au sein de cette assemblée. La commission des lois de l'Assemblée nationale avait même proposé de modifier l'intitulé de cette nouvelle division du code pénal en ne retenant que les termes « des excès du bizutage ».
C'est la raison pour laquelle la nouvelle rédaction du texte issue des travaux de l'Assemblée nationale me paraît convenir parfaitement. Elle correspond en effet aux objectifs que s'était fixé le Gouvernement, en définissant avec plus de mesure les comportements inacceptables qui ne sont actuellement pas couverts par une autre incrimination.
S'agissant de l'amendement n° 37, je m'en remets à la sagesse du Sénat. Comme je l'ai dit lors de la première lecture, je ne suis pas opposée à ce que les dispositions relatives aux excès de bizutage couvrent plus généralement toutes les catégories de comportements adoptés au sein de communautés particulières, sans pour autant citer chacune de ces dernières.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. M. le rapporteur affirme que le dispositif législatif existant est suffisant pour réprimer les exactions commises dans l'armée.
Je lui ferai néanmoins remarquer que, s'agissant non pas de l'armée, mais de la police, la France vient d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour un fait commis en 1991 dans un commissariat ! Par conséquent, arsenal législatif ou non, nous savons bien qu'un certain nombre de faits extrêmement répréhensibles se déroulent également de manière régulière dans l'armée, sans que des poursuites soient engagées.
Je voterai donc l'amendement n° 15, car je suis favorable au texte issu des travaux en deuxième lecture de l'Assemblée nationale, laquelle s'est d'ailleurs inspirée des propositions de M. Dreyfus-Schmidt. En effet, dans l'état actuel des choses, tous les actes d'excès de bizutage ne sont pas couverts. De plus, la notion de victime consentante n'est pratiquement pas envisageable. De surcroît, la plupart des plaintes ne sont pas suivies d'effet. Surtout, je crois que, comme pour le harcèlement sexuel, il faut parvenir à une prise de conscience de l'opinion publique, des auteurs de bizutage et des victimes des excès de bizutage. Ce texte me paraît nécessaire pour hâter cette dernière.
M. Robert Pagès. Je demande la parole pour explication de texte.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Nous nous trouvons dans une situation un peu étrange : alors que nous sommes tous favorables à la disparition rapide de tout excès de bizutage, nous ne sommes pas parvenus, malgré de longs débats, à un accord global au sein de notre assemblée. Au terme de la discussion, il nous faut cependant trancher maintenant.
Notre désaccord porte sur la forme : M. le rapporteur nous dit que tous ces cas sont déjà couverts par le dispositif législatif et qu'il n'est donc pas nécessaire d'y faire référence explicitement, alors que Mme le garde des sceaux affirme le contraire.
Pour ma part, je crains, s'agissant de situations toujours blessantes pour les victimes, que des brèches ne permettent à certains individus peu intéressants de poursuivre leurs agissements.
Par conséquent, faute d'avoir la certitude que tous les cas sont couverts, je préférerais que nous nous en tenions au texte adopté par l'Assemblée nationale. C'est pourquoi je voterai contre l'amendement n° 15.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par le Gouvernement.
M. Guy Allouche. Le groupe socialiste vote contre.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 10 est supprimé et l'amendement n° 37 n'a plus d'objet.

Articles 12 et 12 bis