M. le président. Mes chers collègues, nous avons, avant la suspension, abordé la discussion de l'article 1er, dont je rappelle les termes :
« Art. 1er. - L'article 1er de la loi n° 93-980 du 4 août 1993 relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit est ainsi rédigé :
« Art. 1er . - La Banque de France fait partie intégrante du Système européen de banques centrales, institué par l'article 4 A du traité instituant la Communauté européenne, et participe à l'accomplissement des missions et au respect des objectifs qui sont assignés à celui-ci par le traité.
« Dans ce cadre, et sans préjudice de l'objectif principal de stabilité des prix, la Banque de France apporte son soutien à la politique économique générale du Gouvernement.
« Dans l'exercice des missions qu'elle accomplit à raison de sa participation au Système européen de banques centrales, la Banque de France, en la personne de son gouverneur, de ses sous-gouverneurs ou d'un autre membre du Conseil de la politique monétaire, ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 16, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent de rédiger ainsi le deuxième alinéa du texte présenté par cet article pour l'article 1er de la loi du 4 août 1993 :
« Dans ce cadre, la Banque de France apporte son soutien à la politique économique du Gouvernement, sans préjudice des objectifs principaux de plus haut niveau d'emploi possible, de croissance économique et de stabilité des prix. »
Les deux amendements suivants sont présentés par MM. Sergent, Régnault, Angels, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 13 vise, dans le deuxième alinéa du texte proposé par l'article 1er pour l'article 1er de la loi n° 93-980 du 4 août 1993, à supprimer les mots : « , et sans préjudice de l'objectif principal de stabilité des prix ».
L'amendement n° 14 a pour objet, dans le deuxième alinéa du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1er de la loi n° 93-980 du 4 août 1993, de supprimer le mot : « principal ».
La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° 16.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous sommes très conscients que cet amendement diffère, pour le moins, de la philosophie générale du projet de loi qui nous est soumis. Il reprend les positions que nous avions exprimées, lors de la discussion de la loi du 4 août 1993, s'agissant des missions essentielles des banques centrales.
Nous devons garder à l'esprit que la loi du 4 août 1993, modifiée par la loi du 31 décembre 1993, reprenait quasiment mot pour mot le texte même du traité sur l'Union européenne.
Le paragraphe 1 de l'article 105 de ce traité dispose : « L'objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté... »
Telles sont les orientations qui ont été fixées à la Banque de France par l'article 1er de la loi du 4 août 1993 et qu'il nous est proposé de transférer dans le présent projet de loi.
Par notre amendement, nous nous demandons une nouvelle fois si la stabilité des prix qui serait obtenue - nous ne savons d'ailleurs pas encore tout à fait à quel prix - est l'élément le plus judicieux de mesure de la qualité d'une monnaie, fût-elle unique.
Soulignons aussi que cette interrogation sur la pertinence de l'objectif principal assigné au Système européen de banques centrales traverse également aujourd'hui l'esprit de certains de nos collègues dont, pourtant, l'engagement pro-européen n'est pas à mettre en doute.
Nous estimons donc nécessaire d'affirmer que le fonctionnement de la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales qui lui seront associées dans le SEBC doit être guidé par des critères d'efficacité économique mesurés également au travers de la croissance économique réelle et du développement de l'emploi.
Un instrument monétaire, quel qu'il soit, ne peut être qu'un outil de la croissance et du développement de la société dans son ensemble ; il ne peut être une contrainte imposée par le biais d'une parité fixée artificiellement et maintenue au travers d'orientations strictement monétaristes.
M. le président. La parole est à M. Sergent, pour défendre les amendements n°s 13 et 14.
M. Michel Sergent. L'amendement n° 13 vise à lever une ambiguïté.
Le premier alinéa du texte présenté par ce projet de loi pour l'article 1er de la loi du 4 août 1993 prévoit que la Banque de France fait désormais partie intégrante du SEBC et que, à ce titre, elle participe à ses objectifs. Ces derniers sont énoncés dans l'article 105 du traité de Maastricht ; je n'y reviendrai pas.
Le deuxième alinéa de ce même texte prévoit toutefois que la Banque de France apporte son soutien à la politique économique générale du Gouvernement. Cette précision est fondamentale. Mais il n'apparaît pas nécessaire de rappeler, dans ce deuxième alinéa, que cela s'effectue « sans préjudice de l'objectif principal de stabilité des prix » puisque cela est sous-entendu clairement dans le premier alinéa.
Cette répétition ne pose pas seulement un problème de forme. Elle dénote une ambiguïté. La politique monétaire n'est qu'un instrument de la politique économique. Elle participe donc à ses objectifs généraux. Si l'objectif de stabilité des prix est bien l'objectif spécifique principal assigné à la politique monétaire, il ne faut jamais oublier que cela se fait dans le cadre des objectifs généraux de la politique économique, qui sont la croissance et l'emploi.
Comme je l'ai dit dans la discussion générale, telle est l'interprétation qui doit être faite de l'article 105 du traité de Maastricht faute de quoi nous serions dans le cadre d'une politique économique purement monétariste, ce qui serait dangereux.
En conséquence, il me paraît maladroit de rappeler dans ce deuxième alinéa l'objectif de stabilité des prix puisqu'il laisse à penser que la Banque de France n'apporte son soutien à la politique économique générale du Gouvernement que si celui-ci ne contredit pas cet objectif de stabilité des prix, alors que, au contraire, c'est un objectif intermédiaire dans le cadre de l'objectif ultime qui est celui qui est recherché par la politique économique générale du Gouvernement, à savoir la croissance et l'emploi.
Cet amendement est peut-être redondant mais je souhaiterais connaître la position du Gouvernement à ce sujet.
L'amendement n° 14, quant à lui, n'est qu'un texte de repli qui s'inscrit dans la logique de ce que je viens d'indiquer.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 16, 13 et 14 ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Je tiens à souligner que le débat auquel nous avons assisté tout au long de la discussion générale a été d'un haut niveau ; c'est pourquoi l'examen des articles doit être abordé avec le souci d'éviter toute médiocrité.
Comme plusieurs orateurs l'ont souligné, la portée des articles est politique, mais les dispositions qu'ils contiennent visent, en pratique, à harmoniser sur le plan juridique les statuts de la Banque de France avec le traité de Maastricht. Nous devons ainsi veiller à ce que la volonté politique de passer à l'euro n'échoue pas pour des raisons juridiques. Ce serait un paradoxe.
Voilà qui m'amène à conclure qu'il vaudra mieux parfois ne pas voter un article, ou bien voter contre, plutôt que de le modifier au point de le rendre incompatible sur le plan juridique avec le traité de Maastricht. C'est pourquoi nous avons fait preuve d'une très grande prudence en la matière.
En revanche, nous percevons bien, à travers l'exposé des motifs des différents amendements qui nous sont proposés, le souci qui a animé nos collègues.
L'amendement n° 16 - Mme Beaudeau n'a d'ailleurs pas caché les raisons de sa proposition - est contraire à l'esprit et à la lettre du traité. Aussi, la commission ne peut qu'émettre un avis défavorable.
Par l'amendement n° 13, M. Michel Sergent a voulu montrer un aspect auquel son groupe et lui-même sont très attachés, comme d'ailleurs de nombreux autres membres de notre assemblée. Mon cher collègue, je pense que, compte tenu des apaisements que le Gouvernement pourra vous donner, vous pourriez retirer cet amendement, sinon j'émettrai un avis défavorable.
Il en va de même pour l'amendement n° 14.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je comprends bien la motivation qui est à l'origine de ces trois amendements.
Sauf erreur de ma part, cela consiste à vouloir rappeler que la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne - et cela a été exprimé de façon différente par Mme Beaudeau et par M. Michel Sergent - doit concourir à la politique du Gouvernement, en ayant à l'esprit non seulement la stabilité des prix, mais bien d'autres objectifs, d'ailleurs unanimement partagés.
Je ne suis pas en désaccord avec le sentiment qui est exprimé. Cependant, la difficulté est la suivante : nous sommes dans un processus - j'ai évoqué ce point au cours de mon intervention liminaire - de convergence juridique et il faut donc mettre le statut de la Banque de France en accord avec le texte du traité.
Dès que l'on se décale, fût-ce de façon formelle, par rapport au texte du traité - si c'est pour reprendre quelque chose qui est dit ailleurs dans le traité, on n'est pas en contradiction avec ledit traité - nous ne sommes plus assurés d'avoir cette convergence juridique. Ce qui est intéressant, c'est que, au cours du débat parlementaire, le Gouvernement donne bien son sentiment. S'agissant de cet article, le Gouvernement considère que, sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, c'est la politique du Gouvernement qui doit être soutenue.
Pour tous les gouvernements, en tout cas pour celui que vous soutenez les uns et les autres, c'est bien la recherche du plus haut niveau d'emploi possible et la croissance économique - c'est à peu près la même chose - qui est l'objectif principal.
Toutefois, l'inscrire dans ce texte nous ferait prendre un risque juridique par rapport au traité. Aussi, je souhaite, comme M. le rapporteur, le retrait de ces amendements car je ne peux émettre un avis favorable pour des raisons formelles, et non pour des raisons de fond.
Compte tenu de ces précisions, je demande à Mme Beaudeau et à M. Loridant, d'une part, et à M. Sergent, d'autre part, de retirer leurs amendements, sinon je demanderai au Sénat de les repousser.
M. le président. Mme Beaudeau, l'amendement n° 16 est-il maintenu ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Sergent, les amendements n°s 13 et 14 sont-ils maintenus ?
M. Michel Sergent. Non, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements n°s 13 et 14 sont retirés.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 16.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de votre.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. En l'occurrence, nous reprenons une partie du débat qui a eu lieu en 1993 dans cet hémicycle.
Monsieur le ministre, en quoi une banque centrale est-elle qualifiée pour assurer la stabilité des prix ? Quels sont les moyens de politique économique, les moyens réglementaires et législatifs dont elle disposerait pour assurer la stabilité des prix ? Vous me permettez de penser qu'il n'en existe aucun, si ce n'est celui qui consiste à contenir la masse monétaire.
En revanche, vous, monsieur le ministre, en tant que ministre des finances, vous disposez de divers moyens réglementaires comme le blocage des prix ou les prérogatives de la direction de la concurrence et des prix. Nous revenons là à un point essentiel, à une erreur fondamentale dans la façon dont a été élaboré le traité. L'objectif de stabilité des prix n'a, je le maintiens, aucun sens pour une banque centrale. Qu'on lui assigne un objectif de stabilité monétaire est concevable, dans la mesure où celle-ci à des pouvoirs pour ce qui est de la valeur de la monnaie de son pays par rapport aux autres monnaies.
Je le répète : une banque centrale n'a aucun pouvoir en matière de stabilité des prix, et vous le savez aussi bien que moi, monsieur le ministre. C'est pour montrer cette contradiction que notre groupe a présenté cet amendement et le maintient. Ainsi, nous avons la même cohérence qu'en 1993. J'ajoute, monsieur le ministre, sans méchanceté, que telle était la cohérence du groupe socialiste du Sénat à cette époque. Je suis bien placé pour le savoir puisque c'est moi qui défendais alors cette position.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2