M. le président. Avant de mettre aux voix la proposition de résolution, je donne la parole à M. Loridant pour explication de vote.
M. Paul Loridant. Comme le souligne le rapport de la commission des finances, la consultation du Parlement français avant le passage à l'euro n'a ni la valeur juridique ni l'importance politique de celle qui aura lieu au Bundestag, à la suite de la décision du tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe.
Néanmoins, six ans après la ratification du traité de Maastricht, il était essentiel de rouvrir un débat aussi capital. Les objections et les critiques que nous formulions en 1992, nous les renouvelons ici, ce soir, car elles restent pleinement fondées.
Malgré des tentatives méritoires de rééquilibrage de la construction européenne, l'Europe de Maastricht, au fédéralisme rampant, dominée par la toute-puissance des banquiers centraux et par les marchés, menace notre équilibre social et national et tourne le dos à une construction plus réaliste de l'Europe, la confédération.
L'euro est porteur de tensions sociales et nationales.
Comme ma collègue Hélène Luc, je suis loin de partager le satisfecit et l'optimisme du rapporteur. La réflexion économique et sociale ne se réduit pas à une série de tableaux et de courbes monétaires : elle doit d'abord s'imprégner du réel, du vécu de nos concitoyens. Aussi, je me vois mal aller expliquer à nos concitoyens des campagnes et des banlieues qui souffrent du développement du chômage, de l'exclusion, des inégalités, de l'absence de perspectives, que la convergence des économies européennes est un succès.
Ce que M. Lambert a soigneusement omis d'évaluer dans son rapport, c'est le coût économique et social de cette convergence, les conséquences des critères de Maastricht, le résultat des années de rigueur et de monétarisme.
L'approfondissement de la crise partout en Europe, y compris dans la vertueuse Allemagne, a apporté un tragique démenti aux professions de foi des tenants de Maastricht.
Les peuples, tenus à dessein dans l'ignorance des enjeux réels de ce traité, attendent encore les millions d'emplois promis.
Je maintiens que nous opposer la ratification du traité de Maastricht en septembre 1992 pour clore définitivement le débat sur la construction européenne n'est pas très sérieux, surtout si l'on se souvient des conditions dans lesquelles ce petit « oui » a été arraché aux Français.
Je n'ai malheureusement pas le temps de revenir sur ce point mais je vous renvoie à l'excellent livre d'André Halimi : Les Nouveaux Chiens de garde.
Le débat, posé dans des termes caricaturaux, biaisé par une surmédiatisation des partisans du oui, n'a été ni à la hauteur de l'enjeu ni respectueux des citoyens.
Aujourd'hui, les Français sont plus que sceptiques sur les bienfaits de l'euro ; au mieux ils y adhèrent par une espèce de fatalisme. Ils risquent demain, avec l'instauration concrète de l'euro, de connaître un réveil difficile.
Dans une étude récente, M. Patrick Artus souligne les conséquences sociales et fiscales de la mise en place de l'euro avec une banque centrale indépendante.
Il relève que, dans un régime de taux de change flexibles, contenir les salaires et la protection sociale ou réduire la fiscalité n'est pas nécessairement opérant pour les entreprises puisque les variations des parités monétaires peuvent annuler l'impact de ces mesures. En revanche, avec une zone euro placée sous la coupe de banquiers centraux, les pays n'auront plus la possibilité d'amortir les chocs par une politique contra-cyclique ou en agissant sur la monnaie ou les taux d'intérêt. La seule véritable variable d'ajustement restant à la disposition des entreprises, ce sera les salaires et, pour les Etats, ce sera la fiscalité.
Dans un environnement de liberté totale de circulation des capitaux et d'arbitrages instantanés, une concurrence brutale opposera les entreprises et les pays. L'Europe sociale n'existant pas, il ne faudra pas attendre longtemps avant de voir le chômage flamber en même temps que la Bourse. Telle est la logique dans laquelle nous entraîne l'euro.
Nos arguments contre la monnaie unique sont fondés et ne relèvent pas d'une hystérie contre l'Europe ou d'un comportement irrationnel. Sans projet politique consistant, sans de grandes initiatives de croissance capables de relancer les économies et de lutter contre le chômage, sans Europe sociale, vous ne trouverez pas, mes chers collègues, le soutien des peuples européens.
Il est, au contraire, fort à craindre, que toutes ces désillusions, que ne manquera pas de développer une construction strictement monétaire de l'Europe, ne provoquent une aversion à l'égard de l'Europe et n'alimentent un discours de repli pour le coup nationaliste et vraiment réactionnaire.
Nous donnons acte au Gouvernement de sa volonté de réorienter une construction européenne déséquilibrée, essentiellement d'essence libérale et technocratique. Mais, pour le parti communiste français et pour le Mouvement des citoyens, le compte n'y est pas.
J'ai eu l'occasion hier soir, lors de la discussion générale du projet de loi réformant le statut de la Banque de France, d'aborder ce point. On estime inutile de consulter à nouveau les citoyens sur l'euro, en dépit du pacte de stabilité et du traité d'Amsterdam. Dont acte !
Mais alors nous serons, qu'on le veuille ou non, contraints, de remettre l'ouvrage sur le métier et de repenser l'architecture de la construction européenne sous la pression de la question sociale.
Il faut repenser la construction européenne.
On a souvent tendance à caricaturer les propos des adversaires de l'euro en les qualifiant d'anti-européens pour mieux dénigrer toutes leurs propositions alternatives.
Le fédéralisme qu'induit l'euro ne recueille pas notre assentiment car la nation européenne n'existe pas. On peut le regretter, mais c'est une réalité : les nations demeurent encore le cadre dans lequel s'organise et se développe le débat démocratique.
C'est donc à partir de ce constat qu'il faut repenser les institutions européennes en privilégiant l'idée de confédération, de l'Atlantique à la Russie, ouverte sur le Sud, stimulée par des politiques communes.
Une telle conception serait plus réaliste et conforme aux intérêts et à la vocation océanique, continentale et méditerranéenne de la France.
L'urgence, je le répète, consiste à mettre en avant une construction européenne large préservant les souverainetés nationales, et focalisée sur la question sociale, quitte à revoir la copie de Maastricht et à repousser l'échéance de la monnaie unique. L'urgence ne consiste pas à nous enfermer dans le donjon monétaire et libéral de l'euro en contradiction avec ce qu'est la France et la diversité de l'Europe.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera contre la proposition de résolution sur laquelle il demande un scrutin public.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Le groupe socialiste avait déposé une proposition de résolution qui exprimait l'ensemble des principes qui doivent guider, selon nous, la mise en place de la monnaie unique et le renforcement de la construction européenne dans le sens d'une Union plus politique, plus sociale et plus proche de ses citoyens.
Nous avions déposé des amendements reprenant les principaux éléments de cette résolution. Certains principes ont été repris par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, d'autres par la commission des finances.
Même si le texte de la commission des finances comporte encore des nuances d'appréciation, nous estimons, aujourd'hui, que ce qui prime, c'est d'exprimer la volonté de la France d'entrer avec vigueur dans l'euro.
C'est pourquoi nous avons retiré nos amendements et nous voterons la résolution de la commission des finances, bien que nous regrettions l'adoption de l'amendement n° 1 rectifié présenté par M. de la Malène, mais je n'y reviendrai pas.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il est voté !
M. Bernard Angels. Mes chers collègues, aujourd'hui, l'heure n'est plus aux hésitations et aux remises en cause à propos de la monnaie unique. L'euro sera la monnaie de l'Europe et de la France le 1er janvier 1999 et celle des Français le 1er juillet 2002.
L'important, aujourd'hui, nous semble-t-il, est de montrer la volonté de la France d'aborder, en tête, cette étape historique de la construction européenne.
Il n'est donc plus temps de regarder derrière, il nous faut réfléchir ensemble à ce que sera cette nouvelle « Europe avec l'euro ».
Nous sommes conscients que l'euro nous impose de nouveaux débats sur sa gestion partagée. Je pense, en particulier, à cette priorité que doit être l'emploi dans toutes les politiques européennes.
M. Christian de La Malène. Vous n'avez pas fini d'en baver !
M. Bernard Angels. Je pense également à la nécessité de travailler désormais à une harmonisation sociale et fiscale, qui, bien sûr, dans notre esprit, ne peut se faire que par le haut, dans le sens d'une plus grande solidarité et d'une meilleure cohésion sociale, dans le sens de la préservation et du développement de notre modèle social.
Je pense, enfin, à l'exigence d'une plus grande coordination des politiques économiques, à un meilleur contrôle démocratique du pôle monétaire de la monnaie unique, ce qui implique un gouvernement économique fort.
Le Gouvernement français a déjà obtenu des premiers résultats. Le rééquilibrage de la construction européenne est engagé. Le groupe socialiste du Sénat fait confiance au Gouvernement pour qu'il poursuive ses efforts dans ce sens. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Au terme de ce débat, nous avons donc un ensemble cohérent : d'une part, le texte rénové, européanisé, relatif au statut de la Banque de France, qui a été adopté cet après-midi même en commission mixte paritaire, et, d'autre part, la résolution sur la mise en place de l'euro.
Nous apportons notre soutien à cette résolution équilibrée, qui a été modifiée par l'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Christian de La Malène, et qui affirme la volonté de mettre en place l'euro de manière contrôlée et volontaire en prenant toutes les dispositions nécessaires pour mettre la politique monétaire au service du bien-être, de la croissance et de l'emploi.
Monsieur le ministre, vous avez estimé que certaines déclarations de M. Fourcade, qui est intervenu au nom du groupe des Républicains et Indépendants, du président de la commission des finances ou de M. le rapporteur étaient des piques à votre égard. Non, monsieur le ministre, ce n'en sont pas. Les propos qu'ils ont tenus traduisent en fait une conviction forte et la volonté d'être vigilant.
Ils reprennent également les mises en garde solennelles que nous avons déjà formulées l'année dernière lors de l'examen du projet de loi de finances et que nous réitérerons lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, ainsi que lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1999.
Si nous avons exprimé ces mises en garde, c'est parce que nous voulons réussir l'euro. Nous abordons un défi difficile. Nous voulons que la France soit exemplaire...
M. Claude Estier. Nous aussi !
M. Jean-Philippe Lachenaud. ... non seulement au regard des critères de convergence mais aussi en termes d'endettement et de niveau de la dépense publique.
Nous voulons aussi que la France soit le moteur de la mise en place de l'euro. Tout au long des débats, notre vision des choses a été caricaturée. La Banque centrale et les responsables de la majorité sénatoriale ont été présentés comme les tenants d'une politique exclusivement monétariste. Mais telle n'est pas notre vision des choses. Nous sommes pour une croissance durable et créatrice d'emplois.
Le Gouvernement dispose encore, et heureusement, d'instruments importants de la politique économique ; il doit les utiliser dans ce sens pour que la mise en place de l'euro soit une véritable réussite. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua. Depuis quarante-huit heures, s'est engagé dans cette enceinte, un débat sur l'Europe au travers de la modification des statuts de la Banque de France, d'une part, et de la proposition de résolution qui nous est présentée ce soir, d'autre part. Il s'agit en réalité d'une autre vision globale de l'Europe sur laquelle nous avons commencé à débattre ; je dis bien « commencé » car le débat qui s'est engagé ici hier ne s'arrêtera pas avant au moins un an. Nous aurons d'autres occasions d'expliquer notre vision des choses.
Nous aurons une révision constitutionnelle qui est rendue nécessaire par la ratification du traité d'Amsterdam, par lequel nous abandonnerons à nouveau une part de notre souveraineté. Puis, nous aurons les élections européennes. Quel que soit le mode de désignation choisi, le débat de fond doit avoir lieu et il aura lieu.
J'estime que le débat, tel qu'il s'est déroulé dans notre enceinte, a été d'un très haut niveau. Les arguments qui ont été échangés, même s'ils font apparaître entre nous certaines divergences ...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est nécessaire en démocratie !
M. Charles Pasqua. ... auront en tout cas fait ressortir notre ambition commune et notre attachement à la France, quelle que soit la démarche que nous choisissons. Aussi, tout en reconnaissant que l'amendement n° 1 rectifié présenté par notre collègue et ami Christian de La Malène a le mérite d'apporter des précisions, je ne voterai pas cette proposition de résolution, ce qui n'étonnera personne.
En fait, comme un certain nombre d'entre nous l'ont souligné, nous nous inquiétons de l'absence de contrepoids politique et nous éprouvons quelques craintes à l'égard de l'objectif prioritaire assigné à la Banque centrale européenne par le traité. Je ne suis pas en train de prêcher pour le monétarisme ; je ne crois pas que ce reproche puisse m'être adressé. Je suis, au contraire, préoccupé de voir que l'Europe qui se met en place ne va pas dans le sens que nous souhaitons, c'est-à-dire dans celui de l'intérêt des peuples qui la composent.
Je reconnais que l'amendement n° 1 rectifié de notre collègue Christian de La Malène a le mérite d'apporter certaines clarifications et d'inciter le Gouvernement, par exemple, à faire en sorte que le Conseil de l'euro soit plus vigilant. Je ne veux pas être désagréable envers le Gouvernement mais je ne le surprendrai pas en lui disant que je ne lui fais pas confiance. C'est la raison pour laquelle, avec regret mais sans aucune hésitation, je ne voterai pas la résolution.
M. le président. La parole est à M. Genton.
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je souhaite demander à M. le rapporteur de bien vouloir me confirmer que l'amendement A après le cinquième alinéa, l'amendement B, tendant à compléter le neuvième alinéa, et l'amendement C, après le treizième alinéa, sont bien intégrés dans le texte final que nous allons voter.
Si la réponse est favorable, je voterai bien évidemment la résolution qui est proche du texte de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Alain Lambert, rapporteur. La réponse est positive.
M. le président. Je crois pouvoir vous rassurer, mon cher collègue, car la lecture attentive du texte de la résolution rectifiée montre bien que ces amendements ont été intégrés.
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je suis content de l'avoir entendu dire.
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Depuis deux jours, nous participons à des débats d'une très grande qualité. Les interventions des différents orateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, ont témoigné d'une réelle profondeur. Au moment où le Sénat est mis en cause d'une façon que je qualifierai d'immodérée, la démonstration est faite de la qualité du travail accompli par notre assemblée s'agissant d'un sujet particulièrement sensible pour les Français.
M. Philippe de Gaulle. Très bien !
M. Lucien Neuwirth. Comme plusieurs orateurs l'ont indiqué, notamment M. Charles Pasqua, nous aimons tous profondément notre pays.
C'est la raison pour laquelle, après le vote émis sur l'amendement n° 1 rectifié, après les déclarations du Président de la République à propos de la nécessité d'une Europe des nations que nous avons, pour notre part, toujours voulue et toujours souhaitée, la partie la plus importante du groupe du RPR votera la résolution telle qu'elle a été amendée par notre collègue M. de La Malène.
Je veux en profiter pour remercier les différents présidents de séance : ils ont en effet permis à ce débat de se dérouler dans d'excellentes conditions, nous permettant de disposer du temps d'expression et de parole nécessaire pour aller au fond des choses. Enfin, je tiens également à féliciter la commission des finances pour la qualité de son travail. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Le groupe de l'Union centriste a toujours été favorable à la réalisation de la monnaie unique, aboutissement logique du grand marché que la France a construit depuis de nombreuses années.
Je tiens à indiquer, après Lucien Neuwirth, que nous avons beaucoup apprécié la qualité du débat et que nous éprouvons le plus profond respect pour toutes les idées qui ont été émises ce soir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Les sénateurs non inscrits, à une exception près, voteront la résolution de la commission des finances, avec l'impression que nous sommes arrivés à un grand moment de notre vie publique : nous assistons en effet à la constitution d'un empire qui, peut-être pour la première fois dans l'histoire, s'est fait non par la voie des armes, mais par la libre volonté des hommes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste, l'autre, du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 88:

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 281
Contre 31

6