Séance du 4 juin 1998






INTERDICTION DES ARMES CHIMIQUES

Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 405,1997-1998), modifié par l'Assemblée nationale, relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction. [Rapport n° 461 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction, que vous aviez amendé et adopté en première lecture, le 11 février 1998, vous est soumis en deuxième lecture, à la suite des amendements introduits par l'Assemblée nationale lors de sa séance du 23 avril dernier.
Le Gouvernement a adhéré aux amendements retenus par l'Assemblée nationale dans la mesure où ils n'altèrent pas sensiblement les dispositions que vous aviez adoptées en première lecture et n'en transforment pas l'esprit.
Au demeurant, de nombreuses modifications sont purement formelles et ne visent qu'à améliorer la clarté du texte. Il me paraît cependant utile de mettre en exergue celles qui ont une incidence pratique et d'y apporter quelques commentaires.
La première de ces modifications porte sur l'article 27. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale au troisième alinéa de cet article donne en effet pouvoir au chef de l'équipe d'accompagnement, représentant de l'Etat lors de l'inspection, de s'opposer à la réalisation d'analyses d'échantillons dans des laboratoires extérieurs.
Il s'agit bien évidemment d'une disposition qui trouve son fondement dans l'annexe à la convention portant sur la confidentialité. Elle permettrait, le cas échéant, de protéger notre industrie chimique si un abus manifeste était constaté de la part des inspecteurs ou si l'Organisation internationale pour l'interdiction des armes chimiques, ne traitant pas également toutes les installations quelle qu'en soit la nationalité, mettait certaines de nos installations chimiques en situation délicate face à leurs concurrentes.
Une deuxième modification porte sur l'article 30 bis . Elle confère au seul chef de l'équipe d'accompagnement le pouvoir d'interdire à l'équipe d'inspection de gêner ou de retarder abusivement le fonctionnement de l'installation.
Il est clair que cet amendement ne supprime pas la latitude pour l'exploitant, s'il considère que l'équipe d'inspection gêne ou retarde abusivement le fonctionnement de l'installation, de demander au chef de l'équipe d'accompagnement d'intervenir. Mais la formulation d'une telle demande par l'exploitant n'apparaît plus comme un préalable nécessaire à la décision du chef de l'équipe d'accompagnement, dont le pouvoir d'initiative se trouve ainsi renforcé, sur l'initiative de l'Assembléenationale.
Un troisième amendement porte sur l'article 38. La Haute Assemblée avait déjà modifié la rédaction initiale de cet article en renforçant le pouvoir de contrôle du juge lors des inspections internationales par mise en demeure. L'Assemblée nationale, tout en adoptant le texte ainsi modifié, a également accepté un ajout que j'ai proposé, au nom du Gouvernement.
Cet ajout prévoit que, si le juge estime que l'inspection demandée n'est pas conforme aux stipulations de la convention, il doit le faire savoir « sur le champ » à l'autorité administrative compétente, Il s'agit ainsi de mettre cette autorité en mesure de demander en temps utile à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques de corriger sa notification d'inspection afin de la rendre conforme aux stipulations de la convention.
Ainsi rédigé, cet article montre bien que, conformément à ses engagements internationaux, la France n'a pas l'intention de refuser les inspections, mais qu'au contraire, elle fera de son mieux pour accepter une inspection même si la notification initiale ne se révélait pas totalement conforme à la convention.
Une quatrième modification notable correspond au souhait exprimé par l'Assemblée nationale que les comités des établissements où sont situées des installations visées par la loi soient régulièrement informés de la liste des produits chimiques susceptibles d'être utilisés pour fabriquer des armes chimiques.
L'Assemblée nationale a ainsi adopté un nouvel article - l'article 51 bis - ainsi rédigé : « Il est régulièrement communiqué au comité d'établissement la liste des produits inscrits à l'ordre des trois tableaux. »
Ce nouvel article complète le titre IV du projet de loi relatif aux « investigations nationales » dans les établissements soumis à déclaration. Sous ce titre, il est notamment prévu que des agents nationaux assermentés sont habilités à exercer les contrôles, vérifications et prélèvements nécessaires pendant les heures de travail des services concernés de l'établissement où est située l'installation et en présence de l'exploitant.
Il est dès lors naturel que les employés des établissements en cause soient régulièrement informés, au niveau de leur comité d'établissement, de la liste des substances chimiques classifiées au titre de la réglementation interdisant les armes chimiques afin d'apprécier dans quelle mesure ils peuvent être concernés par les produits qu'ils manipulent ou à la commercialisation desquels ils participent.
Le Gouvernement, pour sa part, est satisfait de la rédaction retenue, qui est de nature à concilier la nécessaire transparence vis-à-vis des personnels tout en préservant les secrets commerciaux et industriels de l'entreprise dans une activité où, chacun le sait, la concurrence est très vive, du fait notamment de la mondialisation.
Enfin, la dernière modification significative concerne l'article 79, qui tendait à ce que soient appliquées aux ressortissants français, où qu'ils se trouvent, les dispositions pénales instituées par le projet de loi.
La nouvelle rédaction de cet article permettra aux Français travaillant dans les pays signataires de la convention d'être en règle à l'égard de la loi française dès lors qu'ils le seront avec la loi de leur pays de résidence.
En revanche, notre loi nationale, notamment en ce qui concerne la définition des infractions et leurs sanctions, s'appliquera pleinement dans le cas de Français résidant dans des pays n'ayant pas signé la convention.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions nouvelles du projet de loi relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction, que j'ai l'honneur de soumettre pour approbation en deuxième lecture à la Haute Assemblée.
Ce projet de loi a bénéficié du remarquable travail de fond des commissions tant du Sénat que de l'Assemblée nationale et de la haute tenue des débats lors de son examen en première lecture par chacune des deux assemblées et par l'ensemble de leurs groupes. La qualité du travail et le sérieux ont été au rendez-vous de l'élaboration de ce texte législatif.
Le Gouvernement se réjouit que ce projet de loi assure un juste équilibre entre, d'une part, la volonté de la France d'avoir un comportement exemplaire dans la lutte pour le désarmement chimique et, d'autre part, le souci de notre pays d'apporter aux industriels de la chimie un cadre juridique leur permettant d'accomplir leurs obligations en matière de déclarations et de contrôles internationaux sans qu'il soit porté atteinte à leur savoir-faire, à leur technologie et à leur compétitivité.
La convention étant entrée en vigueur le 29 avril 1997, des déclarations ont déjà été établies par notre industrie chimique et des inspections ont déjà eu lieu sur notre territoire sans la couverture juridique adaptée de notre droit national.
A la suite de l'excellente coopération - que je me plais à souligner - entre les services de l'Etat, que je salue pour la qualité de leurs rapports, et les services de votre Haute Assemblée toujours également remarquables, je ne doute pas que vos travaux de ce jour, mesdames, messieurs les sénateurs, permettront à notre pays, qui a été l'une des premières grandes nations a ratifier la convention, de disposer prochainement de la couverture juridique nécessaire au bon accomplissement de ses engagements internationaux.
Je pense que nous pourrons, dans quelques instants, nous en féliciter unanimement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Grignon, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de la première lecture, nous avions exprimé notre totale adhésion aux objectifs de la convention d'interdiction des armes chimiques et au projet de loi qui nous était soumis, ainsi que notre souhait de voir ce texte adopté rapidement.
Je rappellerai brièvement les quatre axes essentiels autour desquels s'articulaient les quelque quatre-vingts amendements adoptés par le Sénat en première lecture, sur proposition de la commission.
Le premier axe consistait à protéger, dans la mesure du possible, les secrets industriels du secteur de la chimie. Les procédures de vérification internationale imposées par la convention sont très contraignants pour les industriels, mais elles sont nécessaires. Il importe cependant de les concilier au mieux avec l'impératif du secret des affaires.
Le deuxième axe consistait à alléger les contraintes pour les industriels, dans le respect des stipulations de la convention.
Le troisième axe consistait à doter les experts français, qui serviront d'interface entre les inspecteurs de l'organisation pour l'interdiction des armes chimiques, l'OIAC, et les industriels, d'un texte clair sur les pouvoirs dont ils disposent pour assurer leur mission d'observation, de protection des intérêts des exploitants et de participation aux activités de vérification internationale.
Enfin, le quatrième axe consistait à clarifier la rédaction du texte, pour le rendre plus facilement applicable.
La commission des lois du Sénat, saisie pour avis en première lecture, avait, quant à elle, proposé une dizaine d'amendements, dont l'un accroissait le rôle du juge français en cas de vérification internationale.
Le projet de loi modifié par le Sénat a été renvoyé à la commission de la défense de l'Assemblée nationale, qui a estimé, lors de sa réunion du 7 avril, que le texte amendé par le Sénat « avait atteint son équilibre ». Les amendements présentés par la commission de la défense vont d'ailleurs, d'après son rapporteur, M. André Vauchez, dans le même sens que les décisions du Sénat.
L'accord entre les deux assemblées s'exprime au travers d'un chiffre : seuls vingt-cinq articles restent en discussion après une lecture dans chaque chambre, sur les quatre-vingt-quatre articles que comportait le texte après son adoption par le Sénat.
Les principaux apports de l'Assemblée nationale ont été les suivants.
A l'article 7, relatif au régime d'autorisation des produits chimiques du tableau 1, l'Assemblée nationale a adopté deux amendements précisant une modification introduite par le Sénat pour mieux tenir compte des règles de l'Union européenne.
A l'article 9, relatif au régime d'autorisation des installations, elle a adopté un amendement tendant à soumettre à déclaration les laboratoires fabriquant des produits inscrits au tableau 1 en petite quantité. Elle a fait de même à l'article 10, pour les installations de stockage de ces mêmes produits.
A l'article 27, l'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant la possibilité pour le chef de l'équipe d'accompagnement de s'opposer à ce que les échantillons de produits chimiques soient analysés non pas sur place mais dans un laboratoire désigné par l'OIAC.
Je rappelle que le prélèvement et la manipulation des échantillons de produits chimiques sont particulièrement stratégiques vis-à-vis de la concurrence, notamment pour certaines molécules sophistiquées. Il importe donc de veiller à la confidentialité des informations qu'ils contiennent.
A ce propos, lors de la ratification de la convention par les Etats-Unis, le Sénat américain avait posé vingt-huit conditions à l'approbation du texte international, parmi lesquelles un engagement de la part du Président américain qu'aucun échantillon prélevé ne quitterait le territoire américain, exigeant ainsi que les analyses soient effectuées dans des laboratoires américains.
J'avais soulevé ce problème de confidentialité lors de la première lecture et je pense que l'amendement de l'Assemblée nationale, qui donne un droit de regard accru au chef de l'équipe d'accompagnement sur le devenir des échantillons, va dans le bon sens.
Sur les dispositions pénales, l'Assemblée nationale a souhaité préciser le caractère intentionnel de certaines infractions.
Elle a adopté, sur proposition de la commission de la défense, une modification de l'article 79, relatif à la dérogation au principe de territorialité de la loi pénale. En effet, elle a estimé que la rédaction proposée par le Gouvernement risquait de s'appliquer à l'exercice sans autorisation mais de bonne foi par des citoyens français à l'étranger d'activités qui, bien qu'autorisées par les pays ayant signé la convention, seraient toutefois soumises à autorisation en France. On peut penser, par exemple, au courtage.
Il apparaît donc plus raisonnable de prévoir que le droit pénal français ne s'applique aux ressortissants français que dans les Etats non partie à la convention. Dans les Etats partie à la convention, ce sont les sanctions du pays qui s'appliqueront.
Tous ces changements vont dans le sens du travail du Sénat en première lecture. Je vous proposerai donc d'y souscrire sans réserve.
Au cours de la séance publique à l'Assemblée nationale, un texte de compromis a été inséré après l'article 50, résultant d'une initiative d'un groupe de la majorité de l'Assemblée nationale et modifié après l'intervention du ministre et du président de la commission de la défense. Cet article 51 bis dispose : « Il est régulièrement communiqué au comité d'établissement la liste des produits inscrits à l'ordre des trois tableaux. »
Ce texte apparaît superfétatoire par rapport aux dispositions qui existent déjà dans le code du travail et qui prévoient l'information des salariés. Il apparaît aussi difficilement applicale, car il est assez imprécis. En effet, il n'énumère pas les établissements concernés. Ses modalités d'application devront, en tout état de cause, être définies par les textes réglementaires.
Eu égard au caractère mineur de ce désaccord avec le texte issu de l'Assemblée nationale, qui reprend dans son intégralité le travail du Sénat en le prolongeant, et face à l'urgence qu'il y a à disposer, plus d'un an après l'entrée en vigueur de la convention, comme vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, d'un cadre légal opérationnel pour les vérifications qui ne manqueront pas d'intervenir prochainement, la commission des affaires économiques a adopté ce texte sans modification. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 2