Séance du 12 juin 1998







M. le président. Par amendement n° 358 rectifié, Mme Nicole Borvo, M. Guy Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 36, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le premier alinéa de l'article L. 241-1 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée : "Les salariés des associations intermédiaires, les stagiaires de la formation professionnelle et les chômeurs inscrits à l'ANPE bénéficient de la médecine du travail".
« II. - Le taux prévu à l'article 978 du code général des impôts relatif au droit de timbre portant sur les opérations de bourse est relevé à due concurrence. »
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Cet amendement, qui tend à faire bénéficier de la médecine du travail les chômeurs inscrits à l'ANPE et les stagiaires de la formation professionnelle, s'inscrit, naturellement, dans un souci de prévention renforcé.
Comme je l'ai déjà énoncé dans mon intervention générale, il s'agit d'oeuvrer dans le sens d'un accès réel aux soins en faveur d'une population exclue de plus en plus nombreuse et connaissant de plus en plus de problèmes sanitaires et sociaux. Nombre de nos concitoyens échappent, en effet, à tout dispositif de dépistage systématique.
Notre amendement entre dans une logique qui tente de retisser le lien social en rendant possible pour tous un accès à la prévention.
Cette logique a, bien sûr, un coût. Nous en avons conscience. Mais la recrudescence de certains maux, comme la tuberculose ou les manques nutritionnels, aura, et a déjà, des conséquences infiniment plus néfastes et coûteuses en termes de santé publique.
La France est le pays d'Europe qui fait le moins travailler ses jeunes ; certains appartiennent déjà à la deuxième génération de chômeurs. Le taux de pauvreté chez les moins de trente ans est parmi les plus élevés d'Europe.
Notamment chez ces jeunes, l'accès à la prévention permettrait de répertorier, pour mieux les combattre, des affections qui sont de plus en plus graves au fur et à mesure que l'on descend dans l'échelle sociale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Nous comprenons la motivation des auteurs de cet amendement.
Pour autant, afin de mettre en oeuvre cette disposition, il faudrait d'abord une concertation avec l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'UNEDIC, et l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, car le recours à la médecine du travail a un coût qui devra être pris en charge.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit déjà que les fonds de prévention de la sécurité sociale seront prioritairement utilisés en faveur des plus démunis.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je le dis avec regret, madame, je suis également défavorable à cet amendement.
Vous souhaitez que le bénéfice de la médecine du travail puisse être étendu aux catégories de personnes que vous visez expressément.
Les personnes mises à la disposition par les associations intermédiaires dans le cadre de contrats de travail bénéficient de dispositions spécifiques concernant la médecine préventive, en vertu de l'article L. 128 du code du travail.
Je rappelle que le projet voté à l'Assemblée nationale prévoit, à ce stade, qu'elles bénéficient d'un examen de médecine de main-d'oeuvre dans des conditions d'accès et de financement prévues par décret.
Quant aux chômeurs inscrits à l'ANPE, ils ne sont pas compris dans le champ d'application de la médecine du travail. Le médecin du travail effectue une surveillance médicale en vue d'une affectation sur un poste déterminé - il est en tout cas souhaitable qu'il le fasse et il devrait le faire. Il n'entre donc pas dans sa compétence d'effectuer un suivi de l'aptitude générale à l'emploi, qui est d'une tout autre nature et qui doit être fait par les médecins de ville, les médecins hospitaliers ou autres.
En revanche, les chômeurs inscrits à l'ANPE peuvent bénéficier de visites médicales effectuées par la médecine de main-d'oeuvre chargée de confirmer l'aptitude physique du demandeur pour un emploi ou de faire constater une inaptitude avant d'entamer une démarche de reconversion.
S'agissant des stagiaires de la formation professionnelle, ils sont régis par les dispositions applicables à la formation. Selon leur statut, les stagiaires peuvent être vus par le médecin du travail, par le médecin de l'organisme de formation, par le médecin de main-d'oeuvre quand ils sont demandeurs d'emploi.
Je suis désolé de ces complications inhérentes à notre dispositif, et je comprends donc bien le sens de votre amendement. Il ne me paraît toutefois pas souhaitable, aujourd'hui, madame le sénateur, de mobiliser la médecine du travail pour des examens médicaux dans le cadre des actions de formation. Cette question, qui relève du statut du stagiaire de la formation professionnelle, sera reprise dans le projet de réforme de la formation professionnelle, sur lequel travaille Mme Nicole Pery.
Je rappelle, au demeurant, que, dans le cadre de ses missions, le médecin du travail est aujourd'hui amené à intervenir sur le milieu du travail et qu'il contribue ainsi, en tout cas théoriquement, à la prévention.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 358 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 359, Mme Nicole Borvo, M. Guy Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 36, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après la première phrase du premier alinéa de l'article L. 191 du code de la santé publique, il est inséré une phrase ainsi rédigée : "Dans ce cadre, un dépistage systématique du risque saturnin sera pratiqué". »
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Selon l'INSERM, 5 % des enfants de moins de six ans habitant Paris et sa banlieue ainsi que certains départements du centre de la France dépassent le seuil de plombémie considéré par les autorités sanitaires nationales et internationales comme dangereux, soit 100 microgrammes par litre de sang. D'autres zones paraissent également préoccupantes, comme le département du Rhône et certains départements des DOM-TOM.
Une véritable politique de dépistage des enfants est donc urgente et nécessaire.
Il faut, à cet effet, redynamiser le pilotage national des actions de dépistage, qui existe, c'est vrai, depuis 1995. En effet, seuls quelques départements ont entamé un dépistage en conformité avec la circulaire de la direction générale de la santé. Le nombre d'enfants ayant bénéficié d'un dépistage est ridiculement faible - environ 14 000 pour l'ensemble de la France - en comparaison du nombre d'enfants potentiellement exposés de manière excessive. De plus, aucune évaluation des performances des stratégies de dépistage n'a été effectuée : on ne connaît pas le taux d'enfants intoxiqués non repérés par le dépistage.
Les mesures d'urgence contre le saturnisme ne seront pleinement efficaces que si elles sont accompagnées d'une stratégie judicieuse de dépistage, afin d'agir le plus en amont possible.
C'est l'objet de notre amendement, qui prévoit un dépistage du risque saturnin dans le cadre de la médecine scolaire. Celui-ci pourrait être mis en place massivement par des procédures diverses, dont certaines, sous réserve de validation, ne sont pas traumatisantes pour l'enfant.
En tout état de cause, il est urgent d'éradiquer ce mal d'un autre âge dans les prochaines années, afin de ne pas avoir à le gérer encore pendant au moins une génération. Les résultats positifs que l'on doit aux mesures de réduction de l'utilisation d'essences plombées démontrent que c'est possible.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Si l'on est nécessairement d'accord avec son exposé des motifs, qui indique qu'il convient de dépister le saturnisme de manière précoce, on ne peut souscrire à un dépistage systématique. En effet, un tel dépistage serait inutile et très coûteux.
Inutile, car le saturnisme est, par essence, une maladie liée aux conditions de logement et qu'il est, dès lors, assez simple de cerner ses possibilités d'existence.
Un dépistage ciblé constitue donc la meilleure formule. Je rappelle qu'un amendement de la commission propose l'institution d'une visite médicale annuelle dans les zones où le recours aux soins est insuffisant. Le dépistage du saturnisme peut ainsi fort bien être réalisé de manière ciblée et efficace.
Le dépistage systématique serait, de surcroît, très coûteux, si l'on considère que le coût d'une plombémie est d'environ 200 francs. Mieux vaut donc utiliser les crédits de la médecine scolaire de manière plus utile pour la santé des enfants.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Il est également défavorable, presque pour les mêmes raisons que la commission.
Je suis, bien évidemment, pleinement convaincu de la gravité des conséquences humaines et sociales de la pathologie, que Mme la sénatrice a évoquées.
Aussi l'article 64 de ce projet de loi est-il consacré aux mesures d'urgence à prendre en matière d'habitat dès qu'un cas de saturnisme est identifié ; d'ailleurs, je vois sur ces travées un homme qui a travaillé avec nous à sa rédaction.
L'article 64 du projet de loi intègre les dispositifs permettant de répondre à des mesures d'urgence lorsqu'il est constaté qu'un enfant est intoxiqué et qu'un immeuble présente un risque d'intoxication au plomb.
Tout médecin dépistant un cas chez une personne mineure doit, sous réserve de l'accord des parents, bien entendu, en informer le médecin de la DASS, qui en informe le préfet.
Le préfet fait réaliser un diagnostic dans l'immeuble et fait vérifier le risque avéré d'intoxication au plomb. Il notifie son intention de faire exécuter les travaux. Il peut se substituer au propriétaire à défaut d'engagement sous les dix jours. Il fait ensuite procéder au contrôle des travaux afin de vérifier que le risque d'intoxication est supprimé.
Je rappelle, par parenthèse, que les examens sont remboursés à 100 %.
Les expériences de dépistage du saturnisme infantile montrent que seuls des dépistages ciblés, notamment sur des critères liés à l'âge du logement, bien entendu, à son mode de confort, à son mode d'occupation, paraissent efficaces.
C'est pourquoi une circulaire élaborée conjointement par les ministères chargés du logement et de la santé sera prochainement diffusée pour demander une cartographie des zones à risque. Des dépistages pourront alors être organisés, avec l'accord parental, dans les écoles de ces zones à risque.
Cette circulaire prévoira également, si cela n'a pas déjà été fait, la constitution d'un groupe de coordination des actions de prévention du saturnisme, intégrant notamment les services de promotion de la santé en faveur des élèves.
Vous le voyez, le Gouvernement est vraiment décidé à lutter contre ce qui est sans doute la plus insupportable des pathologies de la précarité, notamment en raison de ses séquelles neurologiques, parfois irréversibles, et parce qu'elle peut même entraîner des décès chez les jeunes enfants.
La réponse ne nous paraît donc pas être dans un dépistage systématique, d'abord, parce que le coût en serait énorme et, ensuite - pardonnez-moi, madame - pour des raisons d'efficacité.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, madame Borvo ?
Mme Nicole Borvo. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 359 est retiré.

Article 36 bis