Séance du 16 juin 1998







M. le président. « Art. 80. - I. - Il est créé, auprès du Premier ministre, un Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale chargé de rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux situations de précarité, de pauvreté et d'exclusion sociale ainsi qu'aux politiques menées en ce domaine.
« Il fait réaliser des travaux d'études, de recherche et d'évaluation quantitatives et qualitatives en lien étroit avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Les administrations de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics sont tenues de communiquer à l'observatoire les éléments qui lui sont nécessaires pour la poursuite de ses buts sous réserve de l'application des dispositions législatives imposant une obligation de secret.
« Il contribue au développement de la connaissance et des systèmes d'information dans les domaines mal couverts, en liaison notamment avec les banques de données et organismes régionaux, nationaux et internationaux.
« Il élabore chaque année, à destination du Premier ministre et du Parlement, un rapport synthétisant les travaux d'études, de recherche et d'évaluation réalisés aux niveaux national et régionaux. Ce rapport est rendu public.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine la composition, les missions et les modalités de fonctionnement de l'observatoire institué par le présent article.
« II. - Le troisième alinéa de l'article 43-1 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion est ainsi rédigé :
« - de réaliser ou de faire réaliser, notamment par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, toutes études sur les situations et phénomènes de précarité et d'exclusion sociale. »
Par amendement n° 322, Mmes Derycke, Dieulangard, Printz, MM. Huguet, Vezinhet, Autain et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, après la première phrase du deuxième alinéa du paragraphe I de cet article, d'insérer une phrase ainsi rédigée : « Ces travaux mentionnent la proportion d'hommes et de femmes respectivement touchés par la pauvreté et l'exclusion. »
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Notre amendement ne part pas de la volonté d'opérer une liste par catégories des personnes victimes de la pauvreté et de l'exclusion. Nous faisons simplement une observation : 60 % des allocataires de minima sociaux sont des femmes.
Les femmes sont les victimes prioritaires du travail à temps partiel contraint, avec ce qu'il entraîne de précarité, de sous-rémunération et de difficultés quotidiennes. Les familles monoparentales sont, dans l'immense majorité, placées sous la responsabilité de femmes pour lesquelles elles constituent une charge lourde. Ces familles monoparentales sont aussi les premières victimes de la pauvreté et de l'exclusion, comme l'ont rappelé plusieurs experts entendus par la commission des affaires sociales.
Or, il s'avère que cet aspect spécifique de la pauvreté n'est pratiquement jamais pris en compte, si ce n'est de façon quasi anecdotique. Des études fort intéressantes sont consacrées au chômage des jeunes, au chômage de longue durée. En revanche, il est pratiquement impossible de trouver une étude consacrée au chômage des femmes, alors que celles-ci sont majoritaires parmi les chômeurs.
Je viens même de parcourir une étude consacrée au chômage, à ses mécanismes et à ses conséquences sociales et humaines publiée en 1997 à la Documentation française, étude qui réussit le prodige de ne pas consacrer le moindre chapitre aux femmes. Mieux : le chômage des femmes n'est envisagé qu'à travers les effets sur la vie familiale et « le changement dans les rapports conjugaux conduisant parfois à la séparation du couple ».
« Si la personne au chômage est une femme, la transition entre l'activité professionnelle et les activités domestiques s'effectue sans heurts majeurs. La femme retrouve un rôle qui, sans être nécessairement celui qu'elle souhaitait exercer, est reconnu culturellement : celui de la femme au foyer. En revanche, si c'est l'époux qui devient chômeur, la femme peut être incitée à chercher un emploi afin de pallier la diminution - voire parfois l'absence - de revenu qui en résulte », peut-on lire également.
Pour caricaturaux qu'ils apparaissent, les extraits que je viens de citer reflètent un état d'esprit encore très répandu : celui qui tend à considérer les femmes non à partir de leur vie personnelle et professionnelle, mais à partir de la représentation que certains s'en font, c'est-à-dire en fonction d'une image de la famille et de la femme contribuant aux soins du ménage par un salaire d'appoint.
La réalité vécue par les femmes est infiniment plus variée et ne peut être réduite à un seul mode de vie. S'agissant des femmes en difficulté, elle est même incontestablement très différente, comme je le soulignais à l'instant : familles monoparentales, précarisation, travail à temps partiel contraint. S'y ajoutent les difficultés particulières liées au mode de garde des enfants pour les femmes isolées.
Nous souhaitons donc, à partir de cette simple mention dans les travaux de l'Observatoire des proportions d'hommes et de femmes touchés par le chômage et l'exclusion, que les femmes cessent enfin d'être ignorées par les statistiques et qu'à partir de cette information, de cette nécessaire prise de conscience, se développent les moyens de porter remède à leur situation, en prenant en compte leur spécificité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. La commission a été sensible à la préoccupation exprimée par Mme Derycke. Il lui a semblé que, dans un Etat fonctionnant normalement, les travaux devraient normalement mentionner la proportion d'hommes et de femmes. Mais, comme l'a dit Mme Derycke, le risque existe qu'il n'en soit pas ainsi. La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement est bien évidemment favorable à cet amendement. Mme Derycke a dit mieux que je ne pourrais le faire combien les femmes sont touchées à la fois par le chômage, par la précarité et par des situations de détresse.
Je ne citerai qu'un chiffre pour compléter ceux qu'a donnés Mme Derycke : 40 % des familles en difficulté sont des familles monoparentales, dont 90 % de femmes.
Si l'on souhaite mesurer et analyser la réalité de la pauvreté et des exclusions dans notre pays, il convient absolument de distinguer les hommes et les femmes.
Je remercie Mme Derycke d'avoir présenté cet amendement, qui complète efficacement le texte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 322.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Bien entendu, je voterai l'amendement n° 322. Il nous faut avoir une politique volontariste, et adopter des mesures particulières en direction des femmes en difficulté, lesquelles rencontrent, par rapport aux hommes, des problèmes tout à fait spécifiques, et trouver des instruments nous permettant de mieux cerner les réalités. Il faut donc disposer le plus possible de statistiques ou de rapports faisant apparaître les différences de situation entre les hommes et les femmes.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 322, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 80, ainsi modifié.

(L'article 80 est adopté.)

Article 80 bis