Séance du 16 juin 1998







M. le président. « Art. 80 ter . - Il est créé un comité départemental de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions.
« Il comprend le préfet, le président du conseil général, des représentants des collectivités locales, des représentants des administrations ainsi que des représentants des autres catégories de membres siégeant notamment dans chacune des instances suivantes : conseil départemental d'insertion, commission de l'action sociale d'urgence, comité départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi, conseil départemental de l'insertion par l'activité économique, conseil départemental de l'habitat, conseil départemental de prévention de la délinquance, conseil départemental d'hygiène, commission de surendettement.
« Ce comité est présidé par le préfet, qui le réunit au moins deux fois par an.
« Sur la base d'un rapport établi par le préfet, le comité établit un diagnostic des besoins et examine l'adéquation à ceux-ci des différents programmes d'action pour ce qui concerne la prévention et la lutte contre les exclusions. Il formule toutes propositions visant à favoriser le développement et l'efficacité des politiques correspondantes dans le département, à renforcer la cohérence des différents programmes, plans et schémas départementaux et à assurer une meilleure coordination de leur mise en oeuvre dans le ressort géographique le plus approprié à la prévention et à la lutte contre les exclusions.
« Le comité peut proposer aux autorités compétentes des réunions conjointes d'instances intervenant en matière de prévention et de lutte contre les exclusions pour l'exercice de tout ou partie de leurs compétences. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent alinéa.
« Les règles de composition, les missions et les modalités de fonctionnement du comité départemental de coordination sont fixées par décret. »
Par amendement n° 109, M. Seillier, au nom de la commission des affaires sociales, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Je tiens à expliquer clairement les raisons pour lesquelles la commission des affaires sociales s'est opposée à l'adoption de l'article 80 ter, qui tend à créer un comité départemental de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions.
Il ne s'agit pas, pour nous, de remettre en cause la lutte contre l'exclusion ni de s'opposer à l'idée de coordination.
Nous avons simplement estimé que le mécanisme qui nous était proposé entraînait des complications administratives supplémentaires sans que nous puissions voir clairement quel était l'objectif recherché et que soit garanti un minimum de résultats concrets.
De quoi s'agit-il ? On nous propose de réunir le préfet, le président du conseil général, les représentants des collectivités locales - on ne précise pas dans quelles conditions les communes participeront à cette instance - les représentants des administrations ainsi que les représentants de pas moins de huit organismes qui traitent, sous un angle différent, à un moment ou à un autre, de la lutte contre l'exclusion à travers les questions de l'endettement, de l'habitat, de l'hygiène et de la délinquance.
Pour avoir le texte sous les yeux, l'on peut légitimement se demander comment on peut réussir à former un concert harmonieux de tant d'instances diverses aux préoccupations si différentes !
La complexité sur le terrain est parfois aggravée par le projet de loi lui-même. Même si le conseil départemental d'insertion, qui traite de l'insertion des titulaires du RMI, et le conseil départemental de l'insertion par l'activité économique, créé par le projet de loi, qui réfléchit sur l'insertion en général, ont apparemment des publics bien différents, ils risquent fort, en pratique, de connaître quelques litiges de frontière, car leur objet est le même.
Sur ce point, nous avons compris la démarche du Gouvernement, tout en estimant que, tant que nous n'aurons pas eu une réflexion d'ensemble sur la répartition des compétences entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités locales, on se heurtera à ce type d'obstacle et à la multiplication des instances en fonction des besoins et des contraintes issus des lois de décentralisation.
Pour autant, peut-on se satisfaire de la création d'un comité supplémentaire et croire qu'en rassemblant épisodiquement des intervenants aux objectifs bien différents on réussira nécessairement à harmoniser les points de vue ? Nous, nous ne le croyons pas, compte tenu surtout des conditions dans lesquelles doit fonctionner le nouveau système.
Pour qu'une concertation réussisse, il faut que les intervenants puissent se sentir motivés par la réussite autour d'un enjeu véritable.
Or, là, le dispositif s'en tient à un grand niveau de généralités qui ne semble pas de nature à mobiliser les énergies : on nous parle ainsi de diagnostic des besoins, d'adéquation des programmes, du développement et de l'efficacité des politiques et du renforcement de la cohérence des différents programmes.
Autant la commission de l'action sociale d'urgence, prévue à l'article 80 bis, peut travailler sur un objectif concret, à savoir mieux accueillir les plus démunis dans tous les services et organismes sociaux, autant le comité départemental, institué à l'article 80 ter, semble travailler dans le flou, voire dans l'éloignement des problèmes concrets.
Au demeurant, vous nous avez indiqué, madame la ministre, lors de la discussion générale, qu'il ne devrait y avoir qu'un représentant pour chacune des instances concernées et que le comité ne serait réuni que deux fois par an.
Honnêtement, qui peut réellement croire qu'un représentant du conseil départemental d'insertion, du conseil départemental de l'habitat, de la commission de surendettement,... j'abrège la liste, connaîtra deux fois par an de l'ensemble des dossiers traités par l'organisme qu'il représente et donnera une vision d'ensemble des vrais besoins sur le terrain ?
J'ai peur qu'avec un tel dispositif on ne se donne un peu vite bonne conscience, en croyant avoir résolu un problème parce que l'on aura demandé à vingt personnes de se réunir tous les six mois pour échanger quelques généralités.
J'ai eu l'expérience - je ne suis certainement pas le seul dans cette assemblée - de la tentative de création et de fonctionnement de la commission de coordination des investissements au niveau départemental, commission qui avait été instituée pour harmoniser les investissements de l'Etat et des collectivités territoriales, notamment du département.
Aujourd'hui, plus aucune de ces commissions ne se réunit, car on y entendait simplement l'énumération des projets d'investissements du président du conseil général et du préfet.
La lutte contre l'exclusion mérite mieux sur le plan institutionnel. M. Barrot, dans son projet de loi, et nous l'avons reconnu au Sénat, n'avait pas trouvé la formule magique. Mais, symétriquement, nous ne pensons pas que ce qui nous est proposé ici apporte une réponse valable à la question de la complexité administrative de l'aide et de l'action sociale au niveau local.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Il nous faut sans doute mener une réflexion approfondie, et ce pourrait être l'objet du rapport que, conformément à l'article 82, le Gouvernement devra nous présenter dans deux ans.
Il nous a semblé enfin que le comité qui nous est proposé soulève par lui-même quelques interrogations au regard des règles actuelles de la décentralisation.
En effet, il est indiqué que le comité sera présidé par le préfet, que c'est à celui-ci de prendre l'initiative de le réunir et que c'est le préfet qui établit le rapport sur lequel seront amenés à trancher les divers représentants des organismes précités - dont on ne voit pas d'ailleurs sur quelles bases ils seront représentatifs dans l'hypothèse d'un vote à la majorité.
Alors que le département joue un rôle éminent dans la mise en place du programme départemental d'insertion destiné aux titulaires du RMI, il n'est pas prévu que le comité soit coprésidé par le président du conseil général, ce qui peut sembler étonnant, d'une manière générale, au regard des responsabilités qui pèsent sur lui.
Par ailleurs, s'agissant des communes, je crains que leur rôle ne soit pas suffisamment pris en compte à côté de l'ensemble qui sera constitué par les fonctionnaires de l'Etat et les représentants des différentes instances départementales.
Il me semble que, si le souhait du Gouvernement est de procéder à une consultation des collectivités locales sur un projet de réforme des structures administratives, il doit le faire de manière franche et claire, sur un dispositif qu'il aura établi. En revanche, dans ce qui nous est proposé, le risque ne me semble pas négligeable que les collectivités locales ne soient que des spectateurs passifs et finissent par ratifier implicitement, du seul fait de leur présence, des décisions ou des projets de réforme qu'elles n'auront pas véritablement pu juger.
Enfin, du point de vue de la lutte contre l'exclusion, il me semble qu'un tel dispositif ne saurait fonctionner utilement s'il ne permet pas d'entendre - comme nous le rappelle toujours de manière courageuse Mme de Gaulle-Anthonioz - la parole des plus démunis. En disant cela, je constate à nouveau que la structure qui nous est proposée est tellement globale qu'elle ne permettra pas un travail véritablement efficace.
J'ajoute que, devant la multiplication des commissions et comités de toute nature à l'échelon départemental, les élus que nous sommes sont dans l'impossibilité d'assumer une présence physique personnelle dans toutes ces structures et doivent déléguer à des permanents et à des représentants de l'administration la responsabilité de participer aux séances de ces commissions et de ces comités.
Pour toutes ces raisons, et parce que, philosophiquement, nous n'avons jamais cru qu'il suffit d'ajouter un comité à d'autres conseils ou commissions pour résoudre sérieusement un vrai problème, nous présentons un amendement visant à supprimer l'article 80 ter en considérant que ce n'est peut-être pas la dernière proposition de fonctionnement cohérente au niveau départemental en matière d'harmonisation et de recherche d'un « plus » dans la lutte contre l'exclusion. Cette proposition, en son état actuel, nous paraît ressembler plus à une fuite en avant qu'à une solution novatrice et efficace pour lutter contre l'exclusion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'avoue avoir du mal à comprendre la logique de la commission des affaires sociales et de son rapporteur.
M. Alain Vasselle. Ce ne sera pas la première fois !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. L'article 80 ter , je tiens à le rappeler, résulte d'un amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale à l'unanimité. Je ne suis donc peut-être pas la seule, monsieur le sénateur, à ne pas comprendre votre position puisque vos propres amis à l'Assemblée nationale ont voté ce texte !
Le projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale, que la majorité sénatoriale aurait sans doute voté, avait prévu une véritable usine à gaz - je cite là des voix émanant de vos rangs ! - puisqu'il visait à créer à la fois un conseil, dont la composition serait extrêmement longue à lire -, un plan départemental et des programmes annuels d'insertion et de lutte.
Le plan départemental devait établir un bilan, un recensement, une analyse, une évaluation et des moyens de coordination.
Il était enfin créé un fonds qui, effectivement, je le crois, portait atteinte à la décentralisation puisqu'il rendait quasi obligatoire la mise en commun de tous les fonds qui contribuent à la lutte contre l'exclusion et la précarité.
Nous n'avons pas souhaité, après en avoir d'ailleurs discuté avec un certain nombre d'organismes représentatifs notamment avec l'association des présidents de conseils généraux, mettre en place cette usine à gaz, qui, à notre avis, non seulement n'était pas efficace mais avait pour effet de déresponsabiliser l'ensemble de ceux qui oeuvrent sur le terrain pour lutter contre les exclusions, aussi bien en matière d'insertion par l'économique, que de désendettement, de logement, d'accès aux droits et à la formation, etc.
Ainsi, en accord avec l'association des présidents de conseils généraux, qui est bien représentée au Sénat, nous avons élaboré un texte qui, nous semble-t-il, permet, sans revenir sur les compétences des uns et des autres, de prévoir une coordination entre l'ensemble des acteurs et des fonds mis en place à l'échelon départemental.
Nous avons donc prévu un comité départemental. Il devra non pas prendre des décisions à la place des différents acteurs qui, de par la loi, ont des missions à mener en matière de lutte contre les exclusions, mais coordonner les actions à l'échelon départemental à partir du diagnostic de la situation des exclusions. Il lui appartiendra également de s'assurer qu'un type de population - les « sans domicile fixe », les femmes dans une situation de détresse - telle ou telle catégorie ou bien tel ou tel secteur - le logement, l'accès aux soins, l'endettement... - font l'objet d'un traitement approprié dans le département.
Nous avons pensé que le préfet, le président du conseil général, les représentants des collectivités locales et des administrations ainsi que des représentants de chacune des commissions qui travaillent dans les secteurs correspondant à l'exclusion - l'insertion, l'action sociale d'urgence, la formation professionnelle et l'emploi, l'insertion par l'activité économique, le logement, la prévention de la délinquance, le surendettement, l'hygiène... - pouvaient se réunir deux fois par an pour faire un diagnostic de la situation des exclus, vérifier la cohérence des divers plans mis en place et s'assurer que certaines catégories, dans certains secteurs, n'étaient pas oubliées.
Je crois respecter le souhait de tous, notamment des collectivités locales, sans négliger pour autant la volonté de l'Etat de vérifier que la coordination est effective.
Nous nous sommes efforcés de satisfaire le désir unaninement exprimé d'une meilleure coopération à l'échelon départemental, qui nous paraît constituer effectivement le meilleur niveau pour mesurer l'exclusion et, donc, pour lutter contre celle-ci.
Dans ces conditions, je ne comprends absolument pas la position de la majorité sénatoriale sur cet article.
Evidemment, le Gouvernement est tout à fait défavorable à l'amendement n° 109.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 109.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. A l'instar de Mme la ministre, je ne comprends pas non plus les raisons de cet amendement, et j'avoue que les arguments de M. le rapporteur ne m'ont pas convaincue.
Tout au long de la discussion du projet de loi, chacun s'est accordé à dire que la coordination de l'ensemble des acteurs locaux, institutionnels ou associatifs, était nécessaire, indispensable, ainsi que la cohérence des divers programmes, plans et schémas départementaux.
Cet amendement vise à supprimer le comité départemental de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions, outil, selon nous, très utile. Nous voterons donc contre.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. L'argumentation de M. le rapporteur m'étonne quelque peu.
Certes, je partage ses réserves quant à certaines structures départementales ; mais, s'agissant de lutte contre les exclusions, un comité départemental qui, deux fois par an, réunit les principaux intervenants en ce domaine me paraît être d'une grande utilité.
Chacun le sait, il y a une extrême diversité des cheminements vers l'exclusion, et donc une diversité des réponses que l'on peut y apporter. Que ceux qui, souvent, tâtonnent chacun dans leur secteur puissent coordonner leur réflexion et leur action en se réunissant deux fois par an me paraît utile, d'autant plus que ce comité, comme le texte le précise, doit, d'une part, établir un diagnostic et, d'autre part, inciter à la coordination des programmes.
M. Seillier avance deux arguments qui me paraissent quelque peu contradictoires.
D'une part, il dit que l'insertion mérite plus. Certes ! Mais si l'insertion mérite plus, monsieur Seillier, quoi de plus en termes de coordination ?
D'autre part, il ajoute - ce qui bien sûr tempère son propos - que M. Barrot n'avait pas trouvé la formule magique. Je crois qu'il a raison. La proposition gouvernementale me paraît meilleure à ce sujet.
Il émet ensuite des réserves qui ne me paraissent pas très satisfaisantes.
Il souhaiterait que le comité soit coprésidé par le président du conseil général. Mais alors, il fallait amender l'article !
De plus, M. le rapporteur affirme que les décisions seraient imposées aux communes. Je ferai deux remarques : d'abord, le comité départemental comporte des représentants des collectivités locales ; ensuite, il présente des propositions mais n'impose pas de décisions.
Enfin, M. Seillier conclut en soulignant qu'il ne suffit pas de créer un comité pour résoudre les problèmes.
Si la seule réponse qu'apportait ce texte de lutte contre les exclusions consistait à créer un comité pour résoudre les problèmes, nous serions tous d'accord avec lui, évidemment. Mais chacun sait que ce texte est infiniment plus vaste et plus ambitieux.
La création de ce comité départemental, qui devra se réunir deux fois par an, me paraît donc très raisonnable. Je ne comprends donc ni la position du rapporteur, qui propose de supprimer l'article, ni certains de ses propos, où je ne retrouve pas sa sagesse habituelle.
Je voterai donc, ainsi que les radicaux de gauche, contre l'amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 109, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 107:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 218
Contre 97

En conséquence, l'article 80 ter est supprimé.

Article 80 quater