Séance du 22 octobre 1998






PARTICIPATION DE FONCTIONNAIRES
À LA CRÉATION D'ENTREPRISES INNOVANTES

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 505, 1997-1998) de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des affaires culturelles, sur la proposition de loi (n° 98, 1997-1998) de M. Pierre Laffitte permettant à des fonctionnaires de participer à la création d'entreprises innovantes.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Adrien Gouteyron, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voici une proposition de loi dont la commission des affaires culturelles s'est saisie avec beaucoup de bonheur et de conviction. Elle émane en effet de l'un de nos collègues qui, depuis longtemps, a fait de ce sujet l'une de ses grandes préoccupations, préoccupation que partage la commission des affaires culturelles.
Cette proposition de loi répond, en effet, à une nécessité économique.
On le sait, la France, depuis longtemps - j'allais dire depuis toujours ! - souffre d'une insuffisante valorisation des résultats de la recherche publique ; c'est là un constat unanimement partagé.
Dans le rapport qu'il a remis au printemps dernier, M. Henri Guillaume, ancien président de l'Agence nationale de valorisation de la recherche, l'ANVAR, souligne une nouvelle fois le décalage qui existe entre les excellents résultats de notre pays dans le domaine de la recherche fondamentale et les résultats beaucoup moins satisfaisants, pour ne pas dire très faibles, dans le domaine de l'innovation technologique.
Les origines de ce déséquilibre sont dorénavant bien connues. Elles résident en particulier dans l'insuffisance de nos mécanismes de diffusion de l'innovation, dont un des indicateurs les plus significatifs est le faible nombre d'entreprises créées par des chercheurs issus des organismes publics de recherche pour exploiter les résultats de leurs travaux. Cette situation n'est pas satisfaisante et est à l'inverse de ce que l'on constate dans certains autres pays.
Les chercheurs, chez nous, sont par tradition peu enclins à opérer un tel transfert, et les organismes publics de recherche le sont peu également ; c'est regrettable.
Ces entreprises innovantes, dont nous voulons faciliter la création, sont susceptibles pourtant de se développer dans des secteurs où se joue l'avenir de notre compétitivité : le secteur des biotechnologies et celui des technologies nouvelles de l'information et de la communication.
De telles entreprises contribuent aussi fortement, on le sait, à la création d'emplois et peuvent dynamiser notre industrie, d'abord parce qu'elles ont un taux d'échec extrêmement faible, on le constate, ensuite, je l'ai dit, parce qu'elles se situent dans des créneaux - excusez le mot - qui correspondent aux évolutions technologiques prévisibles.
Ne traçons pas un tableau trop sombre de la situation de notre pays. Il y a déjà des organismes qui ont beaucoup fait pour faciliter la création de telles entreprises. Je pense, en particulier, à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, qui peut être pris en exemple et que nous avons d'ailleurs souvent eu à l'esprit lorsque nous avons élaboré les propositions qui vont vous être présentées, mes chers collègues.
Quels sont, chez nous, les obstacles à la création d'entreprises par des chercheurs ?
Il s'agit, en particulier, d'obstacles financiers et fiscaux, monsieur le secrétaire d'Etat. Dans ce domaine, beaucoup reste à faire, même si des avancées significatives ont été accomplies, comme la création des fonds communs de placement dans l'innovation ou la mise en place du nouveau marché.
Par ailleurs, on déplore en France l'absence, au sein des organismes de recherche eux-mêmes, de structures capables d'apporter un soutien financier, ou plus simplement logistique, aux chercheurs désireux de créer une entreprise.
Les fonds d'amorçage que le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie veut encourager en sont encore, dans notre pays, à l'état de balbutiements.
Enfin, et c'est à cet obstacle que la proposition de loi a pour objet de remédier, les règles de la fonction publique, comme celles du code pénal, sanctionnant la prise illégale d'intérêts paraissent incompatibles avec la création de telles entreprises par des chercheurs à partir des résultats de leurs travaux. Ces règles comportent en effet des dispositions très restrictives concernant les liens qui peuvent s'établir entre un fonctionnaire et une entreprise.
Je ne reviens pas sur le contenu de ces règles ; elles figurent dans le rapport distribué. Je rappellerai seulement qu'elles visent à prévenir tout conflit d'intérêts entre le service public lui-même et les fonctionnaires.
Même si ces règles ont été assouplies par les statuts afin de tenir compte de la nécessité de faciliter la mobilité entre la recherche publique et les chercheurs, il y a lieu d'adopter - je rappelle que c'est l'objet de la proposition de loi - des dispositions nouvelles pour mettre notre pays en phase avec la réalité et les besoins d'aujourd'hui.
Les règles actuelles interdisent aux chercheurs d'appartenir au service public et, en même temps, de participer à la création d'une entreprise. Un fonctionnaire ne peut en principe créer une entreprise et partir y travailler dès lors que des collaborations se seraient établies entre cette entreprise et son laboratoire ou son établissement.
Quant à la négociation des contrats de collaboration ou de licence avec les organismes de recherche, elle ne devrait intervenir théoriquement qu'une fois le chercheur mis en disponibilité, ce qui implique que les fonctionnaires doivent, avant de négocier, « faire le grand saut » ; c'est là une des difficultés majeures.
Enfin, ces règles interdisent à un chercheur de posséder une part du capital d'une entreprise de valorisation lié par contrat au service public dont il relève. Or, cet apport en capital est souvent nécessaire et l'engagement financier du chercheur est souvent exigé par les autres investisseurs comme gage de sérieux du projet envisagé.
Les dispositions législatives en vigueur sont donc à l'évidence inadaptées, d'où la raison d'être du dispositif qu'a envisagé notre collègue M. Laffitte.
La proposition de loi qu'il a déposée vise à compléter par deux articles nouveaux la loi du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche.
La commission vous proposera de reprendre ce dispositif sous réserve de quelques aménagements.
Avant de le présenter, je rappellerai qu'il s'inspire très largement d'un article du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, déposé par le précédent gouvernement en 1997.
Le texte proposé pour devenir l'article 25-1 de la loi de 1982 prévoit le cas de l'essaimage, c'est-à-dire le cas où un chercheur quitte son laboratoire pour l'entreprise en création et cesse toute activité au titre du service public de la recherche.
Ce texte précise donc les conditions de participation du chercheur en qualité d'associé à la création d'une entreprise innovante à partir des résultats des travaux de ses recherches.
La participation du fonctionnaire peut prendre la forme d'un apport en capital ou en industrie en qualité d'associé, d'administrateur ou de dirigeant. Elle est autorisée par l'autorité dont il relève, après avis de la commission de déontologie conformément à l'article 87 de la loi de 1993.
L'autorisation est délivrée pour une durée d'un an renouvelable quatre fois, ce qui représente une durée maximale de cinq ans. Durant cette période destinée à assurer le lancement de l'entreprise, le fonctionnaire est mis à disposition de l'entreprise ou détaché auprès d'elle ou, à défaut, auprès d'un organisme concourant à la valorisation de la recherche.
A l'issue de cette période, le chercheur doit opter entre l'entreprise et le service public.
S'il choisit la première, il est mis en disponibilité ou radié des cadres. S'il choisit le second, il réintègre son corps d'origine, en conservant toutefois la possibilité de bénéficier des dispositions d'un second article qui deviendrait l'article 25-2 de la loi.
Cet article fixerait les modalités selon lesquelles un chercheur peut être autorisé à apporter son concours scientifique à une entreprise de valorisation et, éventuellement, à prendre une participation dans le capital de celle-ci. Cette disposition est apparue particulièrement opportune dans la mesure où elle permet de prévoir une position intermédiaire entre la simple consultance et le départ du chercheur vers l'entreprise.
Dans cette hypothèse, en effet, le chercheur demeure au sein du service public de la recherche, le concours scientifique devant être pleinement compatible avec le plein exercice par ce fonctionnaire de l'emploi public qu'il a à assumer. L'autorisation est accordée au terme d'une procédure identique à celle que j'ai décrite tout à l'heure, c'est-à-dire après consultation de la commission de déontologie.
Les modalités du concours scientifique sont définies dans le cadre d'une convention conclue entre la personne publique dont relève le chercheur et l'entreprise. Cela permet tous les aménagements et la souplesse désirables.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, les conclusions de la commission des affaires culturelles reprennent très largement le dispositif de la proposition de loi de Pierre Laffitte sous réserve de quelques aménagements.
Le premier d'entre eux vise à rendre plus opérationnelles les dispositions de l'article 25-1.
En effet, la commission des affaires culturelles vous propose, mes chers collègues, de prévoir que le chercheur pourra participer à la négociation du contrat conclu avec l'organisme de recherche, contrat qui devra fixer les modalités de valorisation de ses travaux, à condition, bien sûr, qu'il n'agisse pas pour le compte de la personne publique dont il relève.
Toujours dans le même esprit et avec le même objectif, la commission a précisé le dispositif de l'article 25-2 relatif au concours scientifique afin de mieux l'encadrer.
Elle a ainsi limité à 10 % la hauteur de la participation d'un chercheur qui resterait au sein du service public de la recherche et souhaiterait prendre part au capital d'une entreprise innovante.
Nous avons pensé en effet que l'objet du concours scientifique est de permettre à l'entreprise de bénéficier de compétences et non seulement d'assurer le financement de l'entreprise, la participation à ce financement n'étant, en quelque sorte, de la part du chercheur, que le signe de son engagement et de sa décision de mettre ses compétences au service d'une entreprise.
Par ailleurs, afin de prévoir le cas, fréquent dans la pratique, où plusieurs chercheurs appartenant à une même équipe de recherche apporteraient leur concours scientifique à une entreprise, la commission a proposé, sur la suggestion d'un certain nombre de ses interlocuteurs, que ces chercheurs ne puissent détenir ensemble plus de 30 % du capital de l'entreprise.
Afin de garantir le statut d'indépendance qui doit caractériser cette collaboration, la commission a précisé que le chercheur ne pourra exercer des fonctions d'administrateur ou de dirigeant au sein de l'entreprise ni être placé dans une situation hiérarchique.
Enfin, le texte que je vous soumets allège le dispositif proposé en renvoyant à des décrets en Conseil d'Etat ses modalités d'application.
Monsieur le secrétaire d'Etat, lors des assises de l'innovation qui se sont réunies le 12 mai dernier à La Villette, le Premier ministre reconnaissait la nécessité de « multiplier les passerelles entre la recherche publique et le monde économique » et que, à cette fin, il était « d'abord nécessaire de lever les obstacles réglementaires et législatifs qui freinent aujourd'hui cette mobilité ».
Ces déclarations nous paraissent rejoindre les préoccupations de notre collègue M. Pierre Laffitte, reprises par la commission des affaires culturelles.
En ce domaine, il faut agir vite et notre séance de ce matin n'a d'autre but que d'y inciter le Gouvernement.
Notre projet nous paraît déterminant pour l'avenir et le dynamisme de notre industrie. Nous pensons qu'il peut aider notre pays à tirer parti du potentiel que représente notre recherche fondamentale, dont l'excellence est unanimement reconnue. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, en particulier au nom de M. Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, et de M. Strauss-Kahn, dont relève le ministère de l'industrie, je vais, en quelques mots très cursifs, dire tout le bien que nous pensons de cette proposition de loi, qui, comme beaucoup de celles qui émanent du même auteur, est d'une très grande qualité.
Elle concerne un sujet essentiel pour le dynamisme de l'économie française. Chacun le sait, et vous l'avez rappelé, monsieur Gouteyron, le secteur des technologies modernes est en effet un important gisement d'emplois et occupe une part de plus en plus conséquente dans la croissance économique de notre pays.
Nous disposons par ailleurs, et je suis très heureux que vous ayez cité le rapport Guillaume, d'un fort potentiel en matière d'innovation, qui n'est toutefois pas assez développé et exploité en France.
Pour faire bénéficier l'ensemble de la société de ces atouts, il est important de favoriser la coopéation entre la recherche publique et le monde économique. La voie a déjà été tracée par le Gouvernement dès la fin de 1997 avec la création du réseau national de recherche en télécommunication, le RNRT, qui lie la recherche publique - j'évoquerai dans un instant un certain nombre d'instituts qui participent à cette recherche - la recherche privée, les laboratoires privés et les entreprises dans une convergence d'efforts au profit de notre économie et des entreprises.
Il faut certainement, vous le soulignez à juste titre, plus que par le passé permettre aux chercheurs de créer une entreprise à partir de leurs propres travaux ; il faut même les inciter à le faire.
Or la création d'entreprises par les chercheurs, par les enseignants-chercheurs et par l'ensemble des personnels de recherche en général reste aujourd'hui très insuffisante en France si on dresse la comparaison avec les Etats-Unis.
Le rapport Guillaume a confirmé ce diagnostic bien connu des spécialistes en le portant cette fois à la connaissance du grand public.
Deux chiffres éclairent les propos que nous tenons : le nombre moyen de créations d'entreprises par an et pour 1 000 chercheurs est de 0,8 ; depuis dix ans - ce chiffre peut être considéré comme dramatique - cinquante entreprises seulement ont été créées par des chercheurs en provenance du CNRS, de l'INSERM, de l'INRIA et de l'INRA.
Rappelons que les entreprises « d'essaimage » créées sur l'initiative des chercheurs connaissent un taux d'échec très bas - un cas sur six seulement - alors que, dans le secteur des industries et des services, une entreprise sur deux disparaît dans les cinq ans.
Rappelons aussi que les entreprises créées sur l'initiative des chercheurs sont en moyenne trois fois plus créatrices d'emplois que les autres, avec un effectif moyen de onze salariés quelques années après leur création.
La proposition de loi dont nous discutons lève un certain nombre de freins qui paralysent la création d'entreprises innovantes.
Analysons, là aussi de manière cursive, les causes principales du retard de la France en matière de création d'entreprises.
Les premières sont d'ordre financier.
Le capital-risque et, plus encore, le capital d'amorçage, qui participe, chacun le sait, au premier tour de table des entreprises très innovantes, n'est pas assez développé en France. Par rapport à ce qu'il est en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, le capital-risque est dans une situation que l'on peut qualifier d'indigente.
Le Gouvernement a donc voulu d'emblée lutter contre cette situation. Pour ce faire, il a créé, en mai dernier, un fonds public de 600 millions de francs destinés à abonder les fonds de capital-risque, et ce dans une démarche entrepreneuriale et non pas selon une mécanique bureaucratique, qui ne serait pas de mise en l'occurrence.
Pour 1999, 200 millions de francs sont dégagés dans le projet de loi de finances initial en faveur des fonds d'amorçage, 100 millions provenant du chapitre 66-01 affecté à mon ministère et consacré à l'innovation dans les entreprises et plus particulièrement dans les PMI - je souhaite en effet réorienter les crédits de ce chapitre ; nous aurons l'occasion d'en parler prochainement, lors de la discussion budgétaire - et 100 millions de francs étant inscrits au compte d'affectation spéciale dédié à ces fonds d'amorçage.
Les secondes causes sont d'ordre culturel.
Le monde de l'entreprise et le monde de l'enseignement, voire le monde des chercheurs et des étudiants, sont séparés. Culturellement, l'aventure entrepreneuriale n'est pas suffisamment vécue comme positive par le monde des chercheurs et par le monde de l'enseignement.
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, les assises de l'innovation. Lors de ces assises, il a été décidé de développer les modules de formation à la vie de l'entreprise dans les écoles d'ingénieurs et dans les universités. J'ai, par exemple, demandé que le projet personnel de chacun des étudiants des écoles des mines et des écoles des télécommunications qui dépendent du ministère de l'industrie soit systématiquement orienté, au moins de manière informative, vers la possibilité qu'ils ont de créer leur propre entreprise. Mon collègue Claude Allègre adopte la même démarche à l'égard des autres filières de formation qui dépendent du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Il existe également des causes juridiques au retard de notre pays en matière de création d'entreprises. Les règles statutaires de la fonction publique ainsi que les dispositions du code pénal sur la prise illégale d'intérêt - vous le disiez tout à l'heure avec force, monsieur le rapporteur - rendent très difficile la création d'entreprises par les personnels de recherche, alors même que ces entreprises valorisent leurs travaux et ceux de l'équipe à laquelle ils appartiennent.
Je ne rappellerai pas le détail de ces règles, qui portent sur l'obligation, d'une part, de désintéressement et, d'autre part, d'exclusivité professionnelle des fonctionnaires, ainsi que sur l'interdiction d'avoir des intérêts dans une entreprise qui a des relations avec son organisme d'origine. J'évoquerai simplement les difficultés que crée l'application de ces règles au regard des impératifs que j'ai mentionnés plus haut.
En pratique, les personnels de recherche doivent être placés en position de disponibilité avant de créer leur entreprise et de négocier les contrats de collaboration avec leur organisme de recherche. Cette contrainte est très dissuasive et elle est en fait impossible à respecter dans la phase de création de l'entreprise.
C'est à ce problème que la proposition de loi en discussion s'attaque à juste titre.
Je n'insisterai pas sur le détail juridique et technique de cette proposition, qui reprend d'ailleurs en grande partie les dispositions de l'avant-projet de loi qu'avait préparé M. d'Aubert, sous la précédente majorité.
Je dirai seulement que le Gouvernement partage le point de vue de MM. Laffitte et Gouteyron et qu'il souhaite, comme eux, concilier les obligations résultant des règles de la fonction publique et la nécessaire participation des chercheurs au développement des entreprises de valorisation.
Le Gouvernement souhaite également expliciter, pour les chercheurs devant collaborer à des entreprises destinées à valoriser leurs travaux, les contours de l'article 432-13 du code pénal définissant la prise illégale d'intérêts, qui est objectivement aujourd'hui un élément bloquant, sur le plan juridique, de la situation que nous cherchons précisément à faire évoluer.
Il s'agit d'encadrer la prise d'intérêts des chercheurs dans des entreprises qui vont avoir ou qui ont eu des liens avec le laboratoire dans lequel ils continuent d'exercer.
J'ajoute que des dispositions analogues seront incluses dans le projet de loi sur l'innovation et la recherche que M. Claude Allègre présentera en conseil des ministres et qui sera certainement déposé au Parlement avant la fin de l'année.
Le principe comme l'économie générale des dispositions que vous avez tout à l'heure présentées, monsieur le rapporteur, ne soulèvent donc aucune objection de la part de M. Allègre, de moi-même et du Gouvernement dans son ensemble.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Sur des points de détail, quelques remarques peuvent être cependant formulées à l'encontre de cette excellente proposition de loi.
Comme je l'ai indiqué, le futur projet de loi sur l'innovation et la recherche contiendra des dispositions voisines de celles qui sont aujourd'hui débattues, mais il convient de relever un certain nombre de différences.
Concernant tout d'abord l'article 25-1 qu'il est proposé d'insérer dans la loi du 15 juillet 1982, la proposition de loi donne la possibilité aux personnels de recherche de participer en tant qu'associé administrateur ou dirigeant à la création d'une entreprise qui valorise leurs travaux et qui a des relations contractuelles avec leur organisme d'origine. Dans l'avant-projet de loi, il est spécifié que l'apport de l'associé peut se faire en capital, en nature ou en industrie, pour couvrir tous les cas de figures possibles.
De même, aux termes de la proposition de loi, l'autorisation est donnée par une commission de déontologie afin de garantir l'indépendance et la neutralité du service public. Dans l'avant-projet de loi, un avis consultatif de l'organisme de recherche est également sollicité dans un souci de transparence.
Toujours à l'article 25-1, selon le texte en discussion, à compter de la date d'autorisation, la personne est mise à disposition de l'entreprise ou placée en position de détachement ; elle cesse toute participation au service public. Dans l'avant-projet, elle peut continuer à exercer des activités d'enseignement.
Je pense que, sur ce point, l'avant-projet de loi est meilleur que la proposition de loi mais qu'il ne devrait pas être très difficile de rapprocher nos points de vue.
Autre différence : dans la proposition de loi, l'autorisation est donnée pour un an et renouvelable quatre fois, soit pour cinq ans au total. Dans l'avant-projet, elle est accordée pour une durée de deux ans renouvelable deux fois, soit six ans au total, de façon que, tous les deux ans, un point puisse être fait sur l'avancement du projet et que le créateur d'entreprise puisse éventuellement être aidé.
Là aussi, parce que la philosophie est commune, je pense que l'on peut dégager une forte convergence entre la proposition de loi et l'avant-projet.
Au terme de l'autorisation qu'il a obtenue, le chercheur créateur d'entreprise doit choisir entre la mise en disponibilité et le retour au service public, auquel cas il met fin à sa collaboration avec l'entreprise dans les six mois - c'est le délai prévu par la proposition de loi - qui suivent son retour dans le service public. A cet égard, l'avant-projet prévoit quant à lui un délai d'un an, ce qui laisse plus de temps au chercheur pour se retourner et introduit une plus grande souplesse. En tout cas, cela va dans le sens de la philosophie de la proposition de loi.
J'en viens maintenant au texte de l'article 25-2 qu'il est proposé d'insérer dans la loi de 1982.
La proposition de loi donne la possibilité aux personnels de recherche d'apporter leur concours scientifique et leur capital à une entreprise qui valorise leurs travaux.
S'agissant du concours scientifique, il doit être prévu par une convention conclue entre la personne publique qui emploie la personne intéressée, d'une part, et l'entreprise, d'autre part. Dans l'avant-projet du Gouvernement, cette rémunération est plafonnée, car il ne s'agit pas d'autoriser le fonctionnaire à faire de la consultance plus d'un jour par semaine.
S'agissant du concours financier, il est limité, dans la proposition de loi, à 10 % par personne et ne peut dépasser 30 % pour l'ensemble des fonctionnaires d'un même organisme. Dans l'avant-projet, le seuil est de 15 % par personne, car c'est seulement au-delà de ce seuil qu'il y a un véritable risque juridique au regard du code pénal. Il n'y a en outre pas de seuil global, car cela rendrait plus difficile la collecte de fonds par les créateurs d'entreprise.
L'avant-projet est donc, là encore, plutôt plus souple quant à la philosophie générale de la participation des chercheurs à la vie économique.
Enfin, l'avant-projet du Gouvernement se distingue de la proposition de loi par deux dispositions importantes.
Nous prévoyons d'abord une meilleure articulation par rapport au code pénal. L'avant-projet interdit toute participation dans une entreprise avec laquelle le chercheur a négocié durant les cinq dernières années.
Cette disposition est destinée non pas à ralentir le processus, mais à protéger le chercheur contre d'éventuelles poursuites judiciaires, afin qu'il dispose de toute la sécurité nécessaire au moment où il s'engage dans une entreprise.
Nous envisageons en outre un champ d'application plus large. L'avant-projet gouvernemental concerne également des contractuels comme les ATER - les attachés temporaires d'enseignement et de recherche - ou les jeunes docteurs non titulaires, et non pas seulement les fonctionnaires. En effet, c'est aussi ce public qui créera des entreprises.
Nous pensons ainsi fertiliser le système d'enseignement en matière de création d'entreprises, et donc d'emplois.
Mon dernier point concernera les compléments qu'apportera le projet de loi sur l'innovation et sur la recherche par rapport au sujet qui est spécifiquement visé par la présente proposition de loi.
Il est, je le répète, tout à fait opportun de prévoir la participation de fonctionnaires à la création d'entreprises innovantes, mais ce n'est pas suffisant. Le futur projet de loi contiendra donc d'autres dispositions tendant à favoriser la collaboration entre la recherche et les entreprises, car c'est bien cette collaboration qui permettra la création d'entreprises innovantes.
Sans dévoiler, à ce stade, le contenu de ce projet, je citerai quatre axes essentiels.
Le premier est l'allégement des formalités administratives pour la création par les établissements de recherche et d'enseignement supérieur de groupements d'intérêt public ou de structures privées de coopération avec les entreprises.
Dans tous les domaines, le Gouvernement s'efforce d'alléger les contraintes administratives, beaucoup trop lourdes. C'est l'excellent travail que ma collègue Marylise Lebranchu a déjà réalisé dans le domaine des entreprises, en liaison avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il s'agit, pour Claude Allègre, de promouvoir le même état d'esprit d'allégement et de souplesse administrative pour les établissements de recherche et d'enseignement supérieur.
Le deuxième axe a trait à la contractualisation entre l'Etat et les organismes de recherche afin de faire apparaître des objectifs en matière de transferts de technologie. Le système contractuel est au fond le meilleur, car chacun défend à la fois son identité et son projet, et la convergence des deux interlocuteurs peut se révéler fertile pour la recherche et la création d'activités économiques.
Le troisième axe concerne la clarification des modalités d'indemnisation pour perte d'emploi des personnels contractuels embauchés pour effectuer des travaux de recherche en collaboration avec une entreprise. Il s'agira de mettre fin, dans ce domaine, à la pratique des associations par lesquelles passent trop souvent, pour des raisons de commodité, les universités et les établissements de recherche.
Enfin, le quatrième axe complémentaire vise la possibilité, pour les universités et les établissements de recherche, de créer des « incubateurs », qui apporteront une aide à de très jeunes entreprises de haute technologie, moyennant rémunération.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je répète que le Gouvernement approuve l'économie globale de la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise. Vous aurez certainement noté que les quelques remarques que j'ai formulées vont dans le même sens que cette proposition de loi et qu'elles éclairent la volonté du Gouvernement de s'engager résolument dans la voie qui est ainsi ouverte.
L'esprit de cette proposition de loi est donc totalement rejoint par le projet de loi qui est actuellement en cours d'élaboration et qui sera d'ailleurs bientôt soumis au Conseil d'Etat, ce qui témoigne de l'imminence de son dépôt au Parlement.
Nous considérons qu'il vaut mieux engager la discussion sur un projet de loi global comprenant un ensemble cohérent de dispositions lorsque nous aurons achevé la consultation des différents partenaires concernés. La procédure du projet de loi sur l'innovation et la recherche va donc se poursuivre et le Parlement sera saisi de ce texte au plus tard au début de l'année 1999.
Je veux dire à nouveau la satisfaction du Gouvernement de voir avec quelle profondeur, une fois de plus, le Sénat a abordé un sujet majeur au regard de l'avenir économique et social de notre pays, ainsi que de la création d'emplois et d'entreprises. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est pour moi un grand plaisir de voir aboutir cette proposition de loi, qui n'est ni de droite ni de gauche, qui est d'avenir.
Je suis également très heureux de la part qu'a prise dans ce processus la commission des affaires culturelles du Sénat, présidée par mon ami Adrien Gouteyron.
Il s'agit d'un sujet qui est au coeur de mon activité professionnelle depuis plus de trente ans. Voilà en effet plus de trente ans que j'ai créé au sein de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris une dynamique de liaison entre la recherche publique et la recherche privée. Bien entendu, comme tout le monde, je suis passé par le système des associations.
Toutefois, cette structure est celle d'une association véritable, dotée d'un statut du personnel, de délégués du personnel, reconnue d'ailleurs comme telle à différentes reprises par la Cour des comptes, qui, sur ce point, est très sourcilleuse.
Aujourd'hui, l'association Armines gère des milliers de contrats passés entre la recherche publique et la recherche privée pour le compte d'un certain nombre d'opérateurs, tels que les écoles des mines de Paris, de Saint-Etienne, de Nancy, d'Alès, de Douai, de Nantes et d'Albi, mais aussi l'Ecole polytechnique, ainsi que d'autres grandes écoles et universités.
Par conséquent, la démonstration est faite que la création de telles structures est techniquement possible. C'est délicat car il subsiste toujours le soupçon d'une éventuelle prise illégale d'intérêts de la part de fonctionnaires ou d'agents de l'Etat. Aussi des problèmes spécifiques me paraissent-ils subsister, comme l'ont souligné M. le secrétaire d'Etat et mon ami Adrien Gouteyron.
Ces problèmes sont, d'abord, de nature culturelle. Traditionnellement, dans l'université française, dans les centres de recherche français, il était d'usage de considérer que tout ce qui touchait à l'utilisation pratique de la science avait un mauvais renom et sentait un peu le soufre. Cela sentait l'industrie et, l'industrie, pensait-on, c'était le profit, donc c'était mauvais. Telle était l'opinion partagée par certains !
Je suis heureux que nous puissions parler au passé, du moins au niveau politique supérieur. Je suis heureux qu'il soit actuellement reconnu que nous ne saurions nous passer de l'industrie, de l'économie au sens large, ne serait-ce que pour garantir le fonctionnement des services publics et la rémunération des fonctionnaires.
Un grand progrès a été accompli et je m'en réjouis. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que ce problème dépasse les clivages politiques. J'en veux pour preuve le fait qu'à l'heure actuelle, l'ensemble du Gouvernement, notamment Claude Allègre, Dominique Strauss-Kahn et vous, Christian Pierret, considère qu'il faut en France développer les créations d'entreprises, surtout de celles qui sont fondées sur l'innovation.
Nous venons de loin, mais nous n'avons pas encore atteint le but fixé parce qu'il subsiste toujours, venant du passé, des adhérences - en général, les adhérences, du point de vue médical, ce n'est pas très bon - qui correspondent à l'état actuel de notre droit.
Il est certain qu'il nous faudra régler des problèmes juridiques importants. Et il conviendrait de modifier certaines pratiques internes au système de la recherche et de l'enseignement supérieur.
Je pense en particulier à la grande différence entre le fonctionnement de certaines des meilleures universités américaines et celui de nos établissements d'enseignement supérieur. Dans une université américaine, il existe un ensemble de services qui, en matière de propriété industrielle, sont comparables à ceux d'une grande firme. Or je ne connais pas d'université française ou de grande école française qui soit pourvue d'un service comparable, capable de gérer une politique de protection intellectuelle et industrielle : brevets, licences, gestion dynamique des droits et devoirs liés à la valorisation du produit des recherches. C'est un simple exemple. En matière de transfert de technologie et de valorisation, nous sommes en retard.
Pourtant, s'agissant du pourcentage du produit intérieur brut consacré à la recherche publique, nous sommes le numéro un mondial. Je m'en réjouis parce que, grâce à la recherche publique, nous pouvons envisager l'avenir lointain en intégrant un certain nombre de paramètres qui ne sont pas pilotés par le court terme. On ne peut toutefois s'en réjouir que dans la mesure où plus d'efforts seraient consentis pour que le transfert de compétences vers l'utilisation par l'économie, par les forces vives de la nation, soit effectivement réalisé ; malheureusement, malgré les progrès accomplis, ce n'est pas le cas.
D'autres préoccupations, au premier rang desquelles se situent celles qui sont d'ordre financier, doivent être prises en compte. Je me félicite de fait que, sur ce point aussi, le Sénat s'en soit inquiété. En effet, c'est par l'intermédiaire du groupe « Innovation et entreprise », créé sur l'initiative de la commission des affaires culturelles, groupe que j'ai l'honneur de présider, qu'a été lancé le mouvement tendant à la création du « nouveau marché ».
Ce dernier constitue une structure qui permet enfin aux sociétés de capital-risque de trouver une possibilité de sortie grâce au marché boursier pour les capitaux qu'elles ont investis dans les entreprises innovantes et d'avoir donc des liquidités qu'elles peuvent réinvestir. Cela existait dans les pays anglo-saxons, notamment outre-Atlantique.
Le nouveau marché, innovation en Europe, a été suivi par une opération analogue en Allemagne avec le Neuer Markt et en Belgique. A l'ensemble coordonné sous le nom d'Euro NM s'ajoute un équivalent potentiel du NASDAQ américain.
Pour progresser dans cette voie, sans doute faudra-t-il promouvoir une meilleure coordination des législations en Europe : il n'existe pas actuellement d'entreprises de droit européen.
Certes, un GIE européen, sur l'initiative de la France, existe, mais il n'y a pas encore de sociétés européennes. Si cette question peut sembler quelque peu marginale, il n'en demeure pas moins que le financement correspondant revêt un caractère tout à fait essentiel.
Le Sénat a également renforcé la possibilité d'investissement sous forme de fonds communs de placement innovation. Nous saisirons, monsieur le secrétaire d'Etat, l'occasion du débat budgétaire pour conforter le système des stocks options, indispensable au fonctionnement d'une économie moderne qui se doit de s'appuyer sur les sociétés innovantes.
La proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui témoigne parfaitement de cet état d'esprit. Il a été rappelé que ce n'était pas une innovation puisque, sous le précédent gouvernement, un projet analogue avait déjà été élaboré.
Pour ma part, en 1980, j'avais été nommé président du comité de la recherche du VIIIe Plan par MM. Raymond Barre et Valéry Giscard d'Estaing. A cette époque qui n'est donc pas toute récente, j'avais insisté sur la nécessité de modifications juridiques en vue de faciliter la mobilité des chercheurs, source d'un transfert phénoménal de compétences et de savoir-faire vers le monde économique.
La possibilité pour les chercheurs fonctionnaires de créer des entreprises a été évoquée ici au Sénat lors d'un débat budgétaire à l'occasion duquel j'avais déposé un amendement. M. Sautter m'avait alors conseillé d'attendre les assises de l'innovation. Elles nous ont effectivement permis de constater que la volonté gouvernementale est forte ; M. le secrétaire d'Etat et M. Gouteyron l'ont rappelé. Aujourd'hui, nous recommençons. La persévérance est une vertu, lorsqu'il s'agit de l'intérêt général.
Vous venez, monsieur le secrétaire d'Etat, de mentionner l'accord du Gouvernement sur le fond de notre proposition de loi telle que modifiée par la commission. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec M. Claude Allègre, qui m'a indiqué que son accord était d'autant plus fort que, selon ses termes, notre proposition de loi représentait 30 % du projet de loi d'innovation qu'il allait bientôt présenter.
Pour ma part, je ne souhaite pas que l'adoption de cette proposition de loi soit à nouveau retardée, sous prétexte qu'il existe un projet de loi analogue.
Je suis, en revanche, extrêmement sensible, monsieur le secrétaire d'Etat, à vos propos s'agissant de modifications éventuelles. Je vais même jusqu'à me demander - voyez jusqu'où va mon outrecuidance - si vous ne pourriez pas nous proposer quelques amendements qui permettraient de prendre d'ores et déjà en compte les desiderata gouvernementaux dans cette proposition de loi, soit maintenant, soit au cours de la navette parlementaire.
Je partage tout à fait votre opinion quant au seuil : vous avez parfaitement raison de juger préférable de fixer celui-ci à 15 % plutôt qu'à 10 %, voire d'envisager de retenir un seuil global qui serait défendable s'il arrivait qu'une équipe de six ou sept chercheurs quitte le service public pour fonder une entreprise.
Je pense à ce propos à la création récente, à Sophia-Antipolis, d'une entreprise appelée Realize. Fondée sur l'initiative de chercheurs de l'INRIA - l'Institut national de recherche en informatique et en automatique - cette entreprise deviendra probablement l'une des majors à l'échelon mondial, en particulier en matière d'images de synthèse et d'images virtuelles, en tout cas, une entreprise à croissance très rapide. En effet, elle est en train de conquérir le marché mondial, et elle a déjà obtenu, après seulement quelques mois d'existence, des contrats avec les grands de Hollywood.
Son innovation, qui permet de diminuer très fortement le temps nécessaire pour réaliser des images virtuelles, engendre, par conséquent, une très importante diminution des coûts de ces applications particulières. On connaît les budgets de films tels Jurassic Park ou Titanic et l'on voit qu'il s'agit de conséquences financières non négligeables.
Il y a ici, indiscutablement, urgence. Il faut bien reconnaître que les quelques centaines de chercheurs qui participent actuellement à la préparation de ce type de société travaillent à la limite de la légalité. Bien des travaux qu'ils réalisent en la matière pourraient, sous l'effet d'un juridisme excessif, les rendre passibles des tribunaux. Le monde de la recherche, le monde de l'innovation, bref le monde de tous ceux qui construisent une part considérable de notre avenir économique seraient conduits à abandonner ou à émigrer.
Par conséquent, il est urgent d'agir. Vous nous avez parlé de la présentation d'un projet de loi devant le Parlement avant la fin de la session. Je crains toutefois, et je vous prie de m'excuser de cette réticence, que les consultations encore nécessaires ne soient pas aussi aisées que nous l'espérons tous, je pense, sur ces bancs. Des retards ne sont pas à exclure. Evitons-les ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, même si je reconnais tout l'intérêt du texte présenté par M. Laffitte, mon propos sera légèrement moins enthousiaste que le sien.
Il ne saurait s'en étonner car il sait que les socialistes sont attachés, de façon peut-être trop consubstantielle, au service public pour ne pas manifester quelques réticences à l'égard de ce mouvement de rapprochement du service public et du secteur privé dans de nombreux domaines.
Il n'empêche que ce texte est d'importance, même s'il subsiste quelques incertitudes, voire quelques inquiétudes quant à son devenir et à ses conséquences.
Tout le monde l'a dit mais je le répète, il est issu du travail qui avait été fait par Alain Juppé dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, ainsi que du travail qui avait été fait par M. d'Aubert.
C'est un précédent dans la mesure où il pourrait constituer la matrice d'un projet de loi dont la présentation nous a été annoncée tout à l'heure.
Il s'inscrit tout à fait dans le mouvement d'ouverture du service public dont, dès son arrivée au Gouvernement, M. Lionel Jospin a reconnu l'intérêt.
Lors de sa prise de fonctions, le Premier ministre a dit qu'il fallait savoir « cultiver le goût du risque et le désir d'entreprendre ».
C'est peut-être un moyen indirect pour dire qu'il faut savoir oser quitter la tranquillité et la sécurtié du service public.
M. Pierre Laffitte. Très juste !
M. Franck Sérusclat. Pour sa part, le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, M. Claude Allègre, a indiqué qu'il fallait favoriser la création d'entreprises innovantes par des chercheurs issus de la recherche publique. Quant à M. le secrétaire d'Etat, il vient de présenter tout ce que le Gouvernement prévoyait d'entreprendre en ce domaine. Il s'agit de mesures d'essaimage, peut-être avec l'intention, non dite, d'atténuer les charges de l'Etat dans d'autres domaines du service public. Il s'agit aussi de la mise en place d'un fonds d'amorçage pour la création d'entreprises, d'une orientation de la recherche publique sur l'innovation technologique et d'une utilisation de l'ANVAR - Agence nationale de valorisation de la recherche - et des fonds consacrés à la recherche technologique.
Cependant, selon moi, à travers les propos tenus par M. Philippe Lazar en 1993, une difficulté essentielle demeure, à savoir concilier, sans les altérer, la logique de la recherche du service public, qui vise à découvrir des connaissances pour les mettre à disposition d'autres personnes, et la logique de l'entreprise privée, qui a pour objet de produire un bien commercialisable.
Il est bien évident qu'il faut concilier ces deux logiques, c'est-à-dire faire en sorte qu'elles se supportent et se complètent. C'est le pari qui sous-tend la présente proposition de loi.
Comme vous l'avez indiqué clairement, monsieur le secrétaire d'Etat, celle-ci aura des incidences sur les textes en vigueur, en particulier l'article 25 du code de la fonction publique, qui interdit à tout fonctionnaire d'exercer une activité privée, et les articles 432-12 et 432-13 du code pénal, qui prévoient une sanction en cas de prise illégale d'intérêts.
Tout cela montre que, si l'intention peut être considérée comme positive, des difficultés sont à vaincre pour que cette proposition de loi entre dans la vie pratique tant des chercheurs du service public que des entreprises privées.
Je ne reviendrai pas sur les différences entre ce texte et le projet de loi, car vous l'avez fait très largement et de façon très claire, monsieur le secrétaire d'Etat. Je ne reviendrai pas non plus sur tout ce qu'a dit M. Laffitte, qui a détaillé, mieux que je n'aurais pu le faire moi-même, le contenu de l'article unique de cette proposition de loi.
Si ce texte suscite quelques réserves de notre part, nous sommes tout à fait conscients que les expériences de partenariat, qui sont menées actuellement, en particulier avec Rhône-Poulenc - Rorer, dans le cadre du CNRS et d'autres organismes d'Etat, présentent un réel intérêt tant pour les chercheurs qui sont parvenus à des résultats que pour ceux qui utilisent ensuite ceux-ci dans le secteur privé.
Ce texte ne constitue pas, pour nous, un danger pour l'évolution de la société, même si, personnellement je suis très inquiet devant une trop grande référence au modèle américain. En effet, les Américains ne font pas passer le respect de l'individu avant le désir de faire du profit. Certes, je ne voudrais pas comparer cette situation à la tentative de McDonald's visant à modifier complètement les conceptions de la nutrition en France. C'est son pari. Je crains que, comme l'a écrit Paul Virilio, auteur connu dans le domaine de l'informatique et qui vient de publier La Bombe informatique, les Etats-Unis ne mènent un combat pour s'imposer par l'informatique, où il n'y a plus d'attente et où tout est immédiat. Ainsi, l'idée qui sous-tend l'AMI, l'accord multilatéral sur l'investissement, n'est pas de nature à nous rassénérer sur les bonnes intentions des Etats-Unis.
Certes, il convient sans doute de se référer à ce pays, comme vous le disiez tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, mais il ne faut pas déférer à ses oukases.
En conclusion, je m'inscris dans ce que l'on peut sans doute déjà considérer comme une démarche du passé, à savoir l'attachement presque consubstantiel des élus socialistes au service public.
Pendant longtemps, le service public a été indispensable au développement d'un pays qui d'analphabète est devenu majeur et qui a pris, notamment dans le domaine de l'enseignement, une part déterminante dans la formation de nos concitoyens. Par conséquent, les socialistes sont attachés à la protection du service public afin qu'il n'éclate pas et que tout ne devienne pas privé, peut-être aussi par crainte des Etats-Unis.
Aussi est-il inconcevable que le groupe socialiste vote contre ce texte, mais il hésite à voter pour, ...
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Allez-y !
M. Franck Sérusclat. ... car il donne tout de même priorité au projet de loi qui nous sera soumis prochainement.
M. Philippe Nogrix. Cessez d'hésiter !
M. Franck Sérusclat. Aussi, notre groupe s'abstiendra.
M. Pierre Laffitte. Encore un petit effort ! (Sourires.)
M. Franck Sérusclat. Je rappelle que cette proposition de loi a de grandes qualités. En effet, elle a permis de déblayer le terrain, de mener une réflexion et elle a donné au Gouvernement, j'en suis persuadé, des idées pour parfaire son propre texte. Monsieur Laffitte, vous aurez au moins eu le mérite, en ce domaine comme en tant d'autres, d'avoir été un pionnier. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bravo !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a un objet bien précis : elle vise à faciliter la création et le développement d'entreprises par des chercheurs. Son auteur, M. Pierre Laffitte, qui connaît parfaitement ce secteur, affirme que les entreprises créées sur l'initiative des chercheurs et des professeurs des grandes écoles ou d'universités ont un taux d'échec remarquablement faible et sont, en moyenne, trois fois plus créatrices d'emplois que les autres. Dès lors, pourquoi ne pas encourager la valorisation des résultats de la recherche publique dans le secteur privé ?
Nul n'ignore la qualité de nos chercheurs. Ils sont souvent montrés en exemple dans le monde entier pour leurs travaux scientifiques. Les prix Nobel attribués à Jean-Marie Lehn, à Pierre-Gilles de Gennes ou à Georges Charpak témoignent de la vivacité et de l'excellence de la recherche française. M. Allègre lui-même n'est-il pas l'un des meilleurs représentants de la communauté scientifique ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que vous trouverez dans l'initiative de M. Pierre Laffitte une solution pour que le secteur de la recherche, dont on a souvent dit qu'il était renfermé sur lui-même, valorise ses résultats dans des applications commerciales pas nécessairement capitalistiques et participe au développement de notre pays.
J'estime, pour ma part, que cette proposition de loi, en mettant en oeuvre des dispositions simples et équilibrées, est de nature à donner une bouffée d'oxygène à l'innovation. Elle tend à encourager toutes les audaces technologiques, tous les talents qui peuplent nos laboratoires. Elle peut également être un moyen d'éviter la fuite de matière grise vers l'étranger.
Vous connaissez mieux que moi, monsieur le secrétaire d'Etat, l'univers hypercompétitif mais extrêmement stimulant de la recherche aux Etats-Unis, même si cela ne doit pas être, j'en conviens, notre seul credo. Ainsi, les professeurs de Stamford financent eux-mêmes leurs travaux grâce au capital-risque. Dès lors, il n'est pas étonnant que les résultats de ces travaux soient immédiatement utilisés dans des applications commerciales. L'utilisation des protocoles de transferts de données sur Internet a, par exemple, suivi cette voie.
Pour autant, les chercheurs français du Centre national d'études des télécommunications, le CNET, ou de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA, ne sont pas moins en avance que leurs homologues américains. C'est là que la vocation ou l'esprit positif doit nous animer, car nous ne devons pas avoir de complexe vis-à-vis de nos homologues américains. Le seul handicap de nos chercheurs résidait jusqu'à présent dans la difficulté à valoriser leurs travaux.
La proposition de loi tend à remédier à cet inconvénient en assouplissant, sous certaines conditions, les règles statutaires de la fonction publique, dont je ne vois pas la mise en danger immédiate.
Dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les perspectives de valorisation sont considérables. Les Français, vous le savez, possèdent des atouts potentiels pour faire émerger leurs technologies de l'Internet. C'est d'ailleurs l'un de nos compatriotes qui a été nommé en 1996 à la tête du World Wide Web Consortium, l'organisme chargé de piloter les évolutions de « la toile » dans le monde entier.
Alors que toutes les technologies clés pour l'Internet sont aujourd'hui disponibles, il faut sans plus attendre permettre à nos chercheurs de valoriser leurs travaux sur le marché. Cela aura des répercussions en matière de stimulation de l'innovation et, surtout, en matière d'emplois. Aujourd'hui, la maîtrise des innovations est aussi stratégique que la création des contenus ou le partage des connaissances. A quoi sert un nouveau procédé de transfert de données s'il reste au stade expérimental dans un laboratoire ? Il est impératif que les chercheurs puissent le développer, le commercialiser en participant à la création d'une entreprise, en y apportant leur soutien scientifique. C'est le seul moyen de faire face à la concurrence, notamment américaine.
L'initiative de M. Pierre Laffitte constitue une passerelle entre deux mondes qui, trop souvent, s'ignorent : celui de la recherche scientifique et celui de l'entreprise. Pour autant, il ne faut pas que le marché soit le seul régulateur des choix technologiques. Le soutien public à la recherche fondamentale - j'insiste sur ce point - doit demeurer une priorité nationale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis un peu inquiet du parcours parlementaire de la proposition de loi de M. Laffitte. Cependant, je suis heureux, pour lui et pour nous, de votre volonté de prendre à bras-le-corps le problème en proposant une réforme de notre approche de l'innovation et de la recherche.
Je me permets d'insister - nous y reviendrons sans doute plus tard - sur le statut des chercheurs dont la fonction d'enseignant doit être valorisée. Il ne doit plus s'agir d'une obligation ; ces chercheurs ne devraient pas être soumis en permanence à la notion de publication. Il faudrait aussi résoudre le problème de leur parcours. Mais ils doivent être aussi, comme ils peuvent être au service de l'entreprise, au service de l'étudiant et de sa formation. Nous serons donc attentifs au fait que les propositions de M. Laffitte puissent bénéficier du transfert idées-actions.
C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste votera cette proposition de loi telle qu'elle a été en partie réécrite par la commission des affaires culturelles, car elle apporte un nouveau souffle à l'initiative privée et encourage les talents. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Laffitte applaudit également.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat permet de mesurer l'ampleur du chemin parcouru dans la société française. M. Laffitte a rappelé tout à l'heure que ces sujets avaient déjà été abordés voilà dix ou quinze ans. Aujourd'hui, nous les abordons dans un esprit constructif, dynamique, qui converge avec ce que M. le Premier ministre a souhaité impulser au sein de la société française lorsque, en organisant les assises de l'innovation, il a donné à ce dernier mot une sorte de contenu, d'impératif catégorique pour l'évolution de l'économie et de la société de notre pays. Le chemin parcouru est gigantesque.
Je voudrais, en trois points extrêmement brefs, réaffirmer à la suite de M. Sérusclat que nous n'avons pas à suivre de modèle étranger pour notre marche en avant s'agissant de la création d'entreprises, de la création d'activités, de valeurs et d'emplois. Ce n'est pas le modèle américain que nous suivons, et M. Sérusclat a tout à fait raison sur ce point ; c'est un modèle que nous créons nous-mêmes, qui témoigne de la richesse de la capacité française à créer ses propres voies. Ce modèle est le modèle français de créations d'entreprises par l'innovation.
Il s'agit donc bien de s'inspirer de notre tradition, de notre système d'enseignement et de notre relation à l'entreprise. Réaffirmons ici de manière très nette qu'il s'agit d'un modèle français (M. Sérusclat applaudit) auquel chacun des orateurs a contribué dépuis des années et qui, aujourd'hui, doit s'imposer à nous comme étant une ligne autonome, indépendante, originalement française.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. J'en viens à ma deuxième idée : je ne pense pas que ce dont nous discutons met en cause le service public. L'esprit du service public - et je relie cela à ma première proposition qui visait le modèle français - peut être parfaitement servi par l'idée que peuvent naître au sein de celui-ci suffisamment d'esprit de créativité, de responsabilités et d'initiatives pour nourrir, par des voies originelles, l'esprit d'entreprise et la responsabilité de la création de valeurs à partir de ses membres.
Nous devons donc veiller, comme l'a indiqué tout à l'heure M. Sérusclat, à ce que ces valeurs-là, auxquelles nous sommes fondamentalement attachés, puissent constituer le socle d'un nouveau départ, un tremplin en quelque sorte vers l'esprit d'entreprise. Il n'y a pas opposition entre service public et esprit d'entreprise.
J'en viens à ma troisième et dernière remarque. Ce qui est en jeu, aujourd'hui, s'étend à mon avis bien au-delà de la recherche et de l'entreprise. C'est une conception de la société, une conception de l'économie que nous défendons les uns et les autres, à savoir une économie fondée sur l'initiative, sur la création d'entreprises et sur la responsabilité de celui qui assume le risque.
Comme l'a souligné mon collègue Claude Allègre, lors des assises de l'innovation, comme je l'avais moi-même indiqué lors de ces mêmes assises et comme M. Dominique Strauss-Kahn le confirme très souvent, notamment au Sénat, nous sommes des partisans résolus d'une bonne assomption du risque dans la société. Quel plus bel exemple pourrait-on trouver que celui d'hommes et de femmes issus du système d'enseignement et de la recherche assumant pour eux-mêmes, en vue de créer de la valeur dans la société, donc, en fin de compte, pour créer de l'emploi, le risque de la création d'entreprise ?
Tel est l'objet de notre débat d'aujourd'hui. Et c'est à mon avis le message que nous devons donner aux jeunes chercheurs, qui, parce qu'ils sont jeunes, sont souvent plus productifs que d'autres dans l'acte de recherche, aux jeunes élèves de nos écoles d'ingénieurs, entre autres, et aux jeunes fréquentant l'université : assumons pour la société, pour l'emploi, pour l'économie, donc pour la croissance, le risque de la création d'entreprise.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Faisons-le en préservant nos valeurs, qui sont celles de la société française et qui répondent de manière très intime et très dynamique au modèle français de développement et d'innovation. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.