Séance du 4 novembre 1998






ACCE`S AU DROIT

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 530, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits. (Rapports n° 41 [1998-1999]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la demande de connaissance et de reconnaissance de ses droits constitue pour chaque citoyen, et même pour tout être humain, une exigence fondamentale.
Le droit au droit, je l'ai déjà dit et je le répéterai encore ici, est un principe essentiel du pacte démocratique, parce qu'il est la conséquence du principe d'égalité, parce qu'il est consubstantiel à l'exercice effectif de la citoyenneté, parce qu'il participe de la dignité humaine.
C'est pourquoi j'ai fait du projet de loi, adopté le 29 juin dernier par l'Assemblée nationale et relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, l'une de mes priorités.
Vous savez - je l'ai déjà exprimé devant vous - que mon action à la tête du ministère de la justice s'articule autour de trois grands axes : une justice au service des citoyens, d'abord ; une justice au service des libertés ensuite ; une justice indépendante et impartiale, enfin.
A mes yeux, une justice au service des citoyens impose, en premier lieu, une justice plus accessible pour tous.
Le texte soumis à votre examen, mesdames, messieurs le sénateurs, constitue donc un aspect fondamental du plan de réforme de la justice que, dès ma prise de fonction - vous le savez - j'ai souhaité voir mettre en oeuvre.
Le présent projet de loi marque ma volonté d'instaurer une véritable politique publique de régulation sociale par le droit qui, en distinguant l'accès au droit de l'accès à la justice - sans les opposer, bien entendu - offre à chacun la possibilité de recourir à des modes alternatifs de règlement des litiges.
Vouloir régler un conflit autrement que par un procès constitue une approche qui, pour le monde judiciaire, modifie bien des habitudes et lui impose une véritable révolution culturelle.
Certains voient dans cette approche un remède à l'engorgement des juridictions et une réponse à la lenteur des procédures. Je ne crois pas qu'il faille écarter cet objectif, tant je sais combien il est difficile pour les magistrats de rendre une justice de qualité du fait de leur surcharge permanente d'activité.
Toutefois, le projet de loi qui vient en discussion devant le Sénat s'inscrit dans une perspective plus ambitieuse. J'ai en effet acquis la conviction, en écoutant les femmes et les hommes de terrain - magistrats, auxiliaires de justice, membres du mouvement associatif - que les solutions négociées peuvent souvent apporter une réponse plus adaptée à de nombreux litiges et qu'elles doivent, dans le cadre de l'institution judiciaire, trouver une place à côté de la réponse classique qu'est le jugement.
La négociation doit constituer non seulement une alternative au jugement, mais aussi, et surtout, une alternative au procès lui-même. Il faut cesser de confondre l'accès au droit et l'accès à la justice. Au-delà du projet qui vous est présenté, je m'emploie, depuis ma prise de fonctions, à faire progresser cette idée. Je crois, maintenant, que cette distinction commence à se faire dans les esprits.
En consacrant la transaction, le projet de loi en discussion lui donnera une impulsion décisive.
La réforme proposée repose sur trois volets.
Le premier volet tend à instaurer les conditions d'une politique égalitaire d'accès au droit en généralisant, grâce à un dispositif simplifié, les actuels conseils départementaux de l'aide juridique, sous une nouvelle dénomination ; ce volet contribuera aussi à rénover le contenu de l'accès au droit.
Le deuxième volet a pour objectif d'offrir à chacun, quelles que soient ses ressources, une gamme de réponses qui ne se limite pas au seul accès au droit, mais qui comprend aussi les modes amiables de règlement des conflits, en matière civile comme en matière administrative.
Enfin, le troisième volet vise, dans le même esprit, à développer la médiation pénale et les maisons de justice et du droit.
S'agissant de l'accès au droit, la loi du 19 juillet 1991, que nous devons à la volonté réformatrice de Henri Nallet, avait - nous le savons - franchi un premier pas en permettant de faire valoir leurs droits à ceux qui étaient dépourvus de moyens financiers. Cette aide sociale particulière qu'est l'aide juridictionnelle avait été alors réformée en profondeur.
La loi de 1991 a aussi instauré un dispositif nouveau d'aide à l'accès et à la connaissance du droit : le conseil départemental de l'aide juridique.
En cela, cette loi a marqué une innovation qui est essentielle, mais qui n'a pas, pour des raisons diverses, connu le succès qu'elle méritait.
Actuellement, c'est-à-dire sept ans après l'entrée en vigueur de la loi, vingt-huit conseils départementaux fonctionnent. C'est peu, même si, depuis mon arrivée, le rythme de création - j'ai demandé à mes services d'y prêter une attention particulière - s'est sensiblement accéléré.
C'est ainsi que sept conseils ont vu le jour depuis un an et que plusieurs autres devraient être créés dans les prochains mois, notamment dans les départements du Val-de-Marne, de la Seine-Maritime, de la Marne ou de l'Eure-et-Loir.
Ces progrès sont encourageants, bien sûr, mais je considère qu'ils demeurent insuffisants. Une véritable politique d'incitation doit être menée, qui doit se traduire tant par des efforts budgétaires que par une adaptation des textes en vigueur.
En un an, le budget de l'accès au droit a augmenté de 7 %. Il est clair - je m'y engage - que la généralisation de l'implantation des conseils départementaux de l'aide juridique s'accompagnera d'une augmentation budgétaire en conséquence. A cette fin, 5 millions de francs de crédits d'interventions et 6 millions de francs de crédits de fonctionnement supplémentaires ont été réservés dans le projet de budget 1999, si, toutefois, la Haute Assemblée le vote.
Mais, quels que soient les moyens financiers employés, le développement des conseils passe par une démarche impulsée par les acteurs du terrain.
J'ai souhaité aller à leur rencontre. J'ai pu apprécier leur dynamisme. J'ai écouté les présidents des conseils départementaux de l'aide juridique ; j'ai mesuré la motivation et l'action des barreaux, tels que ceux de Paris, de Lyon, de Lille et de Marseille ; j'ai voulu connaître les réalisations des associations ; j'ai pu constater, lors du colloque de la Sorbonne du printemps dernier, une volonté de renouveau de tous les praticiens concernés.
Ces rencontres m'ont convaincue de la nécessité d'adapter, sans la bouleverser, la structure des conseils départementaux, de permettre une accélération de leur implantation grâce à l'assouplissement du dispositif retenu.
L'enjeu aujourd'hui est de développer une véritable politique d'accès au droit sur tout le territoire, en créant les conditions d'une généralisation, dans un délai rapide, des conseils départementaux, car tout citoyen, quel que soit le département où il réside, a le droit de connaître ses droits.
Comment va s'organiser cette structure allégée des conseils départementaux ?
Ce n'est pas sur leur forme juridique que les adaptations doivent porter, c'est sur leur composition qui doit être simplifiée.
Tout en restant un groupement d'intérêt public, le conseil départemental me paraît devoir comporter un nombre resserré de membres fondateurs.
Il ne s'agit nullement - et je tiens à dissiper toute ambiguïté - d'écarter certains professionnels du droit, dont on sait qu'ils jouent un rôle majeur dans la politique d'accès au droit.
Mais la pratique a révélé que la création même d'un conseil départemental était parfois freinée par un trop grand nombre d'acteurs. C'est pourquoi le projet de loi a réduit à cinq le nombre des membres fondateurs.
Pour autant - et je souhaite vous apporter tous les apaisements sur ce point, monsieur le rapporteur - ne se trouvera pas exclue l'intégration, au sein du conseil, de nouveaux membres, dès lors que la convention constitutive déterminera les conditions dans lesquelles ceux-ci pourront y être accueillis.
Ensuite, le président du conseil départemental peut appeler à siéger, avec voix consultative, toute personne particulièrement qualifiée.
L'ensemble de ce dispositif a le mérite d'introduire une plus grande souplesse dans la constitution des conseils. Ils pourront ainsi s'adapter aux réalités du terrain et aux particularités des départements concernés.
Je préfère être pragmatique dans la méthode, n'exclure personne et permettre une certaine souplesse pour généraliser le dispositif.
Le dispositif retenu permet également de répondre à l'objection de votre commission des lois de voir écarter des professionnels tels que les notaires, les avoués ou les huissiers.
En centrant le mécanisme de constitution du conseil sur un « noyau dur », selon l'expression consacrée, le projet n'entend nullement limiter la participation des professionnels concernés au fonctionnement même du conseil.
Si nous divergeons sur cette approche, nous nous rejoignons, en revanche, sur la place qui doit revenir aux associations.
En l'état, leur intervention est purement facultative. Or les actions que des associations comme ATD Quart Monde ou Droits d'urgence conduisent sur le terrain désignent ces dernières comme des acteurs incontournables.
A ce titre, les associations ont vocation à siéger parmi les membres de droit.
Votre commission, tout en partageant ce point de vue, suggère une modification dans les modalités de leur désignation.
Parce qu'il est dépositaire des statuts de toutes les associations dans le département, le préfet me paraît être le plus à même d'opérer un choix avisé. Votre commission préfère lui conférer un rôle de simple proposition. Je n'y suis pas opposée dès lors que ce dispositif permet d'aboutir également à la désignation de l'association la plus appropriée et que le préfet aura pu apporter son expertise sur la « moralité » de l'association proposée et sur les conditions de fonctionnement de cette dernière.
Si la réforme de structure des conseils départementaux m'apparaît essentielle, parce que d'elle dépend la constitution de nouveaux conseils, l'instauration d'une véritable politique publique d'accès au droit impose d'en rénover aussi le contenu.
J'ai souhaité que ce projet de loi précise et enrichisse le contenu de la politique d'accès au droit.
Si essentielles que soient la consultation juridique et l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles, seules modalités visées par la loi de 1991, elles n'englobent pas toutes les missions susceptibles d'être menées au titre de l'accès au droit.
Je pense en particulier à tous nos concitoyens touchés par l'exclusion. Leur permettre, comme le relève Mme Geneviève De Gaulle-Anthonioz, de faire valoir leurs droits, de se défendre, c'est leur rendre leur dignité.
Nous devons mettre en place des mécanismes préventifs pour éviter que les publics les plus marginalisés ne basculent dans l'exclusion. Il faut aussi aller au-devant d'eux. A cet égard, j'ai pu mesurer personnellement l'impact de l'engagement des juristes de l'association Droits d'urgence.
L'accès au droit doit répondre aux attentes des populations les plus en difficulté par une assistance, un accompagnement personnalisé dans les démarches administratives, souvent les plus élémentaires de la vie courante, et l'orientation vers les organismes chargés de la mise en oeuvre des droits, dont bien souvent ces publics ignorent jusqu'à l'existence.
C'est bien cette spirale de l'exclusion que nous devons parvenir à briser. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il nous faut soutenir en effet les associations qui vont au-devant de ces publics en difficulté, dont on peut douter qu'ils viennent jamais dans un conseil départemental de l'aide juridique.
Cette émergence de besoins nouveaux doit figurer dans la politique d'accès au droit, tout comme d'ailleurs doit y être incluse la diversification des modes de règlement des conflits.
C'est pourquoi j'ai souhaité voir expressément mentionné dans le projet de loi que les actions menées par les conseils départementaux seront conduites de manière à favoriser le règlement amiable des litiges. Il y a là un aspect didactique qui me paraît essentiel.
C'est également pour cette raison que j'ai tenu à voir enrichir la dénomination des conseils départementaux que j'espère désormais voir appelés « conseils de l'accès au droit et de la résolution amiable des litiges ».
Si votre commission diverge sur cet aspect sémantique, elle partage les préoccupations du Gouvernement de voir développer par les conseils les actions propres à éviter que le procès soit perçu comme l'aboutissement naturel d'un différend.
J'en viens donc maintenant aux modes de résolution amiable des litiges.
La justice civile connaît depuis longtemps, nous le savons, la conciliation et la médiation. Mais force est de constater que ces modes de règlement des litiges sont encore trop peu utilisés.
Or, une justice moderne doit notamment permettre d'agir en amont du judiciaire, avant que le juge n'ait rendu sa décision ou, mieux encore, avant même qu'il ne soit saisi.
Dans ce cadre, la transaction à laquelle le projet de loi accorde une place nouvelle trouve toute son importance. En effet, la transaction précontentieuse doit devenir un instrument efficace pour les parties en lui conférant une force comparable à celle d'un jugement exécutoire, au terme d'une procédure très simple. C'est l'une des mesures prévues par le projet de décret réformant la procédure civile, actuellement soumis à l'examen du Conseil d'Etat.
Il ne faut toutefois pas le cacher : le développement de la transaction ne se fera pas sans incitation financière.
Certes, en l'état actuel des textes, l'avocat est rétribué, mais sous une double condition : qu'il parvienne effectivement à une transaction et que cette transaction soit conclue pendant l'instance. Un tel dispositif n'incite pas les avocats à favoriser entre leurs clients des négociations précontentieuses.
C'est pourquoi le projet de loi prévoit l'élargissement du domaine de l'aide juridictionnelle pour que la transaction avant procès soit rétribuée à ce titre. Il en sera de même des pourparlers transactionnels qui auront échoué malgré les diligences sérieuses accomplies.
L'égalité impose que toute personne, quelles que soient ses conditions de ressources, puisse faire valoir ses droits, avec le concours d'un avocat, sans obligatoirement assigner son adversaire devant le tribunal.
Il est clair que la réussite du dispositif retenu repose pour l'essentiel sur les avocats.
Mais, comme l'a indiqué Mme la bâtonnière Dominique de la Garanderie au cours du colloque consacré, à la cour d'appel de Paris, aux conciliateurs de justice, la profession d'avocat a connu une rapide évolution qui « a mené l'avocat d'une image presque exclusive de défenseur et d'amateur de contentieux à l'image aujourd'hui au moins égale de l'avocat qui conseille, de l'avocat qui négocie ».
Je sais que certains d'entre eux auraient souhaité que, en cas d'échec de la transaction, leur rétribution ne soit pas imputée sur celle qui leur est due pour l'instance. Ce cumul des rétributions, outre qu'il risquerait d'inciter les justiciables à tenter une transaction alors même qu'elle n'aurait aucune chance d'aboutir, alourdirait considérablement le coût de la mesure.
C'est donc dans un véritable partenariat entre les magistrats et les auxiliaires de justice que les esprits intégreront la distinction entre accès au droit et accès à la justice, et que l'évolution culturelle en faveur des modes amiables de règlement des conflits se produira dans l'intérêt des citoyens.
Je tiens, à ce titre, à souligner la force de l'engagement de l'Etat, qui offre - et c'est une grande innovation - son concours à des modes de régulation du contentieux en dehors de l'enceinte judiciaire.
L'effort financier consenti par l'Etat doit s'accompagner d'un dispositif spécifique de maîtrise de la dépense qui viendra compléter les efforts de rationalisation du bon fonctionnement des bureaux d'aide juridictionnelle et l'amélioration des procédures de récupération de cette aide, au bénéfice de l'Etat.
La commission des lois, et je l'en remercie, approuve l'ensemble de ce dispositif, tout en l'enrichissant de quelques suggestions qui me paraissent judicieuses.
J'en viens maintenant à la médiation pénale et aux maisons de justice et du droit, troisième volet de ce projet de loi.
Le développement des modes amiables de règlement des conflits concerne aussi la justice pénale.
De 11 000 en 1992, les médiations pénales ont atteint le chiffre record de 60 000 fin 1997. Des juridictions comme Lyon, Bobigny ou Pontoise y recourent quotidiennement.
Grâce à ce qu'il est convenu d'appeler désormais « la troisième voie », le ministère public apporte une nouvelle réponse judiciaire à des infractions qualifiées à tort de mineures alors qu'elles sont si présentes dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Je crois que, pour mieux lutter contre la petite et moyenne délinquance, celle qui empoisonne le plus cette vie quotidienne, il faut en effet encourager et développer ces pratiques initiées dans certains parquets.
C'est pourquoi le projet qui vous est présenté tend aussi à favoriser la médiation pénale.
Pour assurer l'effectivité du concours de l'avocat dans ce domaine, au même titre que dans celui de la transaction civile, il est prévu un régime de financement spécifique. J'évoquerai, enfin, l'institutionnalisation par le projet de loi des maisons de justice et du droit.
Il s'agit de consacrer d'une manière à la fois symbolique et solennelle une expérience maintenant bien ancrée dans notre paysage judiciaire. Lorsque, dans le ressort du tribunal de grande instance de Lyon, les formations correctionnelles jugent dans l'année 8 000 affaires, tandis que 4 000 font l'objet d'une médiation pénale au sein d'une maison de justice et du droit, cela veut dire que le stade de l'expérimentation est dépassé et que cette pratique s'inscrit désormais dans une véritable politique judiciaire.
Lieux de justice placés sous l'autorité des chefs de juridiction, les maisons de justice et du droit permettent de répondre de manière adaptée à la petite délinquance et aux litiges civils d'enjeux mineurs, matières dans lesquelles précisément la réponse judiciaire n'est sans doute pas la plus adaptée.
Le développement de ces structures porte, je crois, témoignage de leur efficacité.
Le projet de loi, qui leur reconnaît une existence juridique en leur consacrant un titre du code de l'organisation judiciaire, devrait favoriser encore leur essor, permettant ainsi à la justice de devenir plus proche des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos liminaires que je souhaitais formuler avant que vous n'entamiez la discussion du projet de loi qui vous est soumis.
Celui-ci s'inscrit, vous l'avez compris, dans une nouvelle vision de l'institution judiciaire, plus démocratique, plus accessible et plus humaine.
Votre commission des lois, à laquelle je tiens à rendre hommage - je m'adresse particulièrement à son rapporteur M. Luc Dejoie - pour la qualité de ses travaux, approuve très globalement les orientations du projet de loi et vous invite à manifester votre adhésion à ce pan fondamental de la réforme globale de la justice ; je ne puis que m'en féliciter.
C'est ensemble, je l'espère, que nous pourrons améliorer la qualité des réponses judiciaires au service de nos concitoyens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, nous sommes donc chargés d'examiner le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des litiges.
Vous venez de nous présenter ce texte, madame la ministre, comme un élément clef de la réforme de la justice en vue de son amélioration au quotidien. Permettez-moi de dire qu'il n'apporte que des aménagements limités au régime actuel de l'aide juridique défini par la loi de juillet 1991, dont j'avais eu l'honneur d'être le rapporteur.
Je ferai remarquer que ce projet s'inscrit dans le prolongement direct des différentes propositions faites depuis un certain nombre d'années pour améliorer cette loi, parmi lesquelles figurent notamment les conclusions de la mission d'information sur les moyens de la justice constituée par la commission des lois du Sénat en 1996 et dont le président était notre collègue Charles Jolibois et le rapporteur, notre collègue Pierre Fauchon.
J'ai été un peu surpris qu'il ne soit fait aucune mention de tout le travail réalisé par une commission qui avait été mise en place auprès de la Chancellerie voilà quelques années, à laquelle j'ai participé avec d'autres, et dont les réflexions semblent avoir été enfermées dans le fond d'un tiroir ; mais les tiroirs s'ouvrent toujours !
Ce projet de loi, on vient de nous l'expliquer, comporte trois volets : l'aide juridictionnelle, l'aide à l'accès au droit, les maisons de justice et du droit.
Le dispositif actuel de l'aide juridictionnelle est régi par la loi du 10 juillet 1991. Cette loi a constitué un moment important dans le domaine qui nous intéresse puisque le nombre de bénéficiaires est passé de 400 000 en 1992 à 700 000 en 1997, ce qui démontre son bien-fondé et son intérêt.
Par voie de conséquence - c'est peut-être moins agréable - les dépenses, qui s'élevaient à 400 millions de francs en 1991, atteignent 1,4 milliard de francs aujourd'hui - c'est la dotation budgétaire qui est prévue pour 1999.
Le présent projet de loi prévoit une extension du champ d'application de l'aide juridictionnelle au règlement amiable des conflits avant toute saisine d'une juridiction.
En matière civile, cette extension porte sur la recherche d'une transaction. J'ai d'ailleurs été amené à déposer, à titre personnel, un amendement qui ne peut qu'aller dans le droit-fil de la recherche du règlement amiable des litiges dont vous venez de nous exposer l'intérêt, madame le garde des sceaux.
En matière pénale l'extension du champ d'application de l'aide juridictionnelle concerne l'institution d'un mécanisme d'aide à l'intervention de l'avocat dans le cadre de la médiation pénale.
Le projet de loi comporte par ailleurs plusieurs dispositions destinées à assurer une meilleure maîtrise des dépenses d'aide juridictionnelle, notamment à faciliter la mise en oeuvre du retrait de l'aide juridictionnelle dans un certain nombre de cas.
Enfin, le projet de loi vise à simplifier le fonctionnement des bureaux d'aide juridictionnelle, d'une part en donnant au président du bureau d'aide juridictionnelle le pouvoir de statuer seul sur les demandes ne présentant manifestement pas de difficultés, d'autre part, en clarifiant le rôle du greffier en chef qui assure les fonctions de vice-président de ce bureau.
A ces dispositions, qu'elle approuve, la commission des lois propose d'apporter quelques compléments.
Elle a cherché à remédier à une incohérence du régime actuel de l'aide juridique concernant les anciens combattants qui s'adressent à une juridiction compétente en matière de pensions militaires ; c'est une suggestion qui nous a été formulée par M. le médiateur de la République.
La commission des lois propose également d'étendre l'aide à l'intervention de l'avocat en matière de médiation pénale, à la mise en oeuvre par le parquet de la procédure de réparation spécifique aux mineurs, qui s'apparente largement à la médiation pénale.
J'en viens au second volet du projet de loi : l'aide à l'accès au droit.
Aux termes de la loi de 1991, un conseil départemental devait être créé dans chaque département. Or, comme vient de le dire Mme la ministre, la réalité est un peu décevante puisque seulement vingt-huit de ces conseils départementaux ont été mis en place.
Vous avez dit, madame, que les raisons de cette application limitée étaient diverses, et je partage parfaitement ce point de vue. Vous en avez déduit qu'il fallait modifier quelque peu la composition de ces organes.
Tel n'est pas tout à fait l'avis de la commission des lois, qui souhaite le maintien au sein du conseil départemental des professionnels du droit qui figuraient dans le texte de 1991.
En effet, ils n'ont pas démérité, que je sache ! Il s'agit de professionnels qui, jour après jour, année après année, pendant toute leur carrière, pratiquent la résolution amiable des litiges et sont donc particulièrement bien placés pour faire partie du conseil départemental.
Je regrette donc que le projet de loi ne les mentionne qu'avec voix consultative et non pas comme membres de droit, ce qui aura sans doute pour effet de les écarter du dispositif alors qu'ils peuvent rendre de grands services, notamment en apportant un concours matériel et financier dont il serait, à mes yeux, peu raisonnable de se passer.
Les dispositions du projet de loi prévoient une nouvelle définition de l'accès au droit incluant les actions en faveur de la résolution amiable des litiges.
Il est également prévu d'élargir les compétences des conseils départementaux, sans toutefois que les moyens correspondants leur soient précisément donnés.
Enfin, un aménagement des modalités de fonctionnement de ces conseils est également envisagé.
Il faut souligner que, pour une grande part, les articles du projet de loi ne font que reprendre, sous une autre forme, des dispositions qui existent déjà dans la loi de 1991 en modifiant légèrement leur rédaction, voire en les déplaçant purement et simplement sans en modifier le contenu, ce qui ne contribue pas forcément à la clarté des nouvelles dispositions.
A propos de clarté, j'indique que la commission des lois souhaite abréger la dénomination du conseil départemental, proposant de l'appeler simplement : « conseil départemental de l'accès au droit ».
Il nous est, en effet, tout d'abord apparu que « conseil départemental de l'accès au droit et de la résolution amiable des litiges » constituait un titre fort long et un peu compliqué.
Par ailleurs, le maintien de cette dénomination pourraît donner à penser qu'en dehors de cette commission la résolution amiable des litiges n'existe pas.
Or, en tout état de cause, au moins 80 % des litiges résolus à l'amiable le seront en dehors de ce conseil départemental. Dès lors, il ne serait guère judicieux de sembler en faire l'instance hégémonique de la résolution amiable des litiges en faisant figurer ces mots dans sa dénomination.
Je viens de parler des propositions de la commission des lois sur la composition du conseil départemental. La commission, qui a bien voulu me suivre, suggère également d'y inclure l'association départementale des maires. L'association des maires de France, à laquelle j'ai soumis cette suggestion, l'a d'ailleurs approuvée.
Voilà bien une catégorie de nos concitoyens - ils sont un peu plus de 36 000 - qui est amenée à s'occuper régulièrement de résolution amiable des litiges. Le concours du représentant des maires peut donc se révéler fort utile dans le fonctionnement de ce conseil départemental.
La commission a noté que ce conseil départemental était présidé par le président du tribunal de grande instance du département. Elle n'y voit aucun inconvénient, mais elle s'est demandé s'il n'y avait pas là une charge de travail supplémentaire pour ce magistrat. Elle souhaiterait donc recueillir votre avis sur ce point, madame le garde des sceaux.
Par ailleurs, la commission des lois proposera de supprimer un certain nombre de mentions soit inutiles, soit redondantes, soit ne relevant manifestement pas du domaine de la loi, qui ne feraient donc qu'alourdir le texte.
S'agissant des maisons de justice et du droit, il convient de rappeler qu'elles se sont implantées quasi spontanément en divers point du territoire, mais plus particulièrement dans les quartiers qualifiés de « difficiles », sans qu'aucun texte de quelque nature que ce soit les ait créées.
Le présent texte, en donnant en quelque sorte une consécration législative à leur existence, met fin à un vide juridique, et la commission des lois ne peut qu'approuver cette démarche.
Cependant, au-delà de cette approbation, elle estime que les dispositions proposées sont incomplètes.
Ainsi, les modalités de création et de fonctionnement de ces maisons sont renvoyées à un décret, à propos duquel, madame le garde des sceaux, la commission souhaiterait que vous vouliez bien apporter quelques éléments de précision.
Sans aller jusqu'à manifester de l'inquiétude, elle n'a pas jugé souhaitable que ces maisons de justice et du droit se généralisent sur l'ensemble du territoire. Cela pourrait en effet aboutir à la mise en place d'un degré de juridiction supplémentaire, d'une sorte de justice parallèle, qui n'offrirait peut-être pas tout à fait les mêmes garanties que les tribunaux.
En conclusion, je dirai que ce projet de loi apporte des améliorations très intéressantes et nécessaires à la loi de 1991. La commission s'est prononcée à l'unanimité en faveur de ce texte, sous réserve de l'adoption des amendements que je serai amené à présenter. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discution générale, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique a remanié l'aide juridictionnelle, destinée à permettre aux plus démunis de faire valoir leurs droits en justice.
Elle a, par ailleurs, instauré un dispositif d'aide à l'accès au droit et à la connaissance du droit s'appuyant sur la mise en place de conseils départementaux de l'aide juridique.
Sept années après son adoption, force est de constater que les deux aspects de cette loi - aide juridictionnelle et aide à l'accès au droit - n'ont pas connu le même développement.
Si le budget de l'aide juridique est passé de 400 millions de francs en 1990 à plus de un milliard de francs aujourd'hui, il a été exclusivement consacré à la rétribution des auxiliaires de justice au titre de l'aide juridictionnelle.
En revanche, bien peu a été fait concrètement en faveur de l'aide à l'accès au droit.
Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, madame la garde des sceaux, vise à remédier à cette situation en donnant un nouvel essor à l'aide à l'accès au droit, tout en encourageant, parallèlement, le règlement amiable des litiges.
La nécessité et la volonté de développer l'accès au droit, affirmées dans la loi relative à la prévention et à la lutte contre l'exclusion, trouvent leur prolongement dans ce texte.
L'accès au droit, désormais reconnu comme un élément fondamental de la citoyenneté, nécessite un panel de mesures destinées aux publics qui sont le plus en difficulté, leur ignorance même du droit contribuant à leur exclusion.
Nul ne peut contester, pas plus aujourd'hui qu'hier, qu'un nombre sans cesse croissant de nos concitoyens se trouvent démunis face à la justice.
Quand la baisse du pouvoir d'achat, la précarisation du travail, le chômage gagnent du terrain, comment s'étonner qu'une partie de la population soit mise dans l'impossibilité d'accéder à l'usage du droit, pourtant véritable nécessité sociale ?
Paradoxalement, dans le même temps, les décisions de justice sont de plus en plus le reflet des inégalités sociales. C'est notamment le cas des expulsions, des saisies mobilières ou immobilières, des injonctions de payer, des liquidations de biens. Les contentieux s'accroissent donc considérablement.
Un véritable accès au droit pour tous est, par conséquent, une exigence démocratique à laquelle il nous faut répondre.
La généralisation des conseils départementaux d'aide juridique et le développement des maisons de justice et du droit, tels qu'ils sont prévus par le présent projet de loi, devraient nous y aider.
Alors que n'ont été créés à ce jour que vingt-huit conseils départementaux, l'article 9 du texte prévoit, à juste titre, de simplifier les modalités de création et de fonctionnement desdits conseils.
Outre le changement de leur dénomination, qui permettra désormais de mieux refléter leurs missions, il est proposé de réduire le nombre des membres fondateurs aux partenaires incontournables et de rendre obligatoire la présence d'une association oeuvrant dans le domaine de l'accès au droit.
Par ailleurs, une mission nouvelle de développement des modes alternatifs de règlement des conflits est assignée à ces conseils.
Toujours dans la logique de la promotion de l'aide à l'accès au droit, vous proposez, madame la garde des sceaux, de donner un cadre légal aux maisons de justice et du droit en les intégrant dans le code de l'organisation judiciaire.
Cependant, nous regrettons d'avoir à légiférer en la matière sans connaître précisément les modalités de création et de fonctionnement de ces maisons de justice.
Celles-ci ont, d'une part, l'avantage certain de la proximité, car elles sont implantées au plus près du justiciable, au coeur même des quartiers, et, d'autre part, celui de la gratuité, en ce qu'elles proposent des consultations juridiques gratuites.
Elles sont aussi un lieu de médiation, répondant à la demande d'une justice rapide, plus accessible, plus proche.
La médiation permet en effet de confronter rapidement les auteurs de petits délits à la justice, combattant par là même le sentiment d'impunité, notamment chez les mineurs.
Toutefois, il ne faudrait pas - et nous savons combien la tentation peut être grande - que ces lieux, principalement financés par les collectivités locales, se multiplient et fonctionnent comme des substituts aux tribunaux engorgés, voire qu'ils deviennent des « tribunaux du pauvre ».
La médiation confiée à des non-magistrats ne saurait être utilisée à outrance dans le but de remédier, à moindre coût, au manque de moyens et de personnels et à l'augmentation des contentieux, au risque d'aggraver le sentiment d'une justice à deux vitesses.
La question cruciale en la matière réside donc dans le financement de l'aide à l'accès au droit.
C'est déjà ce volet qui faisait défaut dans la loi de 1991, ce qui a empêché le développement de l'accès effectif au droit, voire contribué à renforcer les inégalités.
Pour mémoire, je rappelle que mon groupe, par la voix de mon ami Robert Pagès, s'était abstenu lors du vote de la loi de 1991, dénonçant « l'insuffisance des mesures d'accompagnement financières, en dehors de celles qui consistent à s'appuyer davantage sur les collectivités locales ».
Ainsi, selon les choix financiers faits par les villes, la réalité de l'aide à l'accès au droit diffère d'un département à l'autre ; c'est bien évidemment contraire au principe, qui a valeur constitutionnelle, d'égalité des citoyens face à la justice, quels que soient le lieu d'habitation et les moyens de chacun.
La seule façon de garantir l'application effective de ce principe est de prévoir expressément le financement par l'Etat de l'aide à l'accès au droit. On va me reprocher de demander encore un effort à l'Etat, mais j'y reviendrai lors de la discussion des articles.
Le projet de loi vise, par ailleurs, à améliorer et à élargir l'aide juridictionnelle ainsi que le règlement amiable des litiges.
Désormais, le bénéfice de l'aide juridictionnelle sera étendu aux personnes qui souhaitent recourir à un avocat au lieu d'engager un procès.
Il s'agit d'un concept innovant, auquel nous souscrivons. En effet, élargir le champ d'application de l'aide juridique est une chose, éviter l'écueil de l'inflation du contentieux et de l'encombrement des juridictions en est une autre.
C'est pourquoi tout ce qui peut favoriser la conciliation et la médiation, afin d'éviter toutes sortes de dépenses, de démarches et de procès, est bienvenu, à condition, je le répète, d'avoir l'assurance que cette forme de règlement n'équivaudra pas à une justice au rabais, offrant des garanties moindres au justiciable.
Je voudrais souligner ici la faiblesse des plafonds de ressources, qui écarte du bénéfice de l'aide juridictionnelle un pourcentage important de la population. Pour tenter d'améliorer cette situation, nous avons déposé un amendement tendant à relever ces plafonds, tout en faisant expressément référence au SMIC. Là aussi, on m'a fait remarquer que cela finissait par coûter cher !
Le présent texte prévoit également, dans le souci du respect de la défense, de favoriser l'intervention de l'avocat au cours de la médiation pénale en permettant aux personnes dont les ressources sont insuffisantes d'obtenir une aide financière de l'Etat.
Nous approuvons cette disposition, mais nous aurions souhaité connaître, là encore, le contenu du décret à venir déterminant les modalités de son financement.
« Le projet de loi comporte par ailleurs plusieurs dispositins destinées à assurer une meilleure maîtrise des dépenses d'aide juridicionnelle », note M. Dejoie dans son rapport.
Il y a, à mes yeux, quelque contradiction à vouloir développer l'accès au droit tout en souhaitant faire des économies !
Aider les personnes les plus démunies à avoir accès au droit a un coût ; il convient d'y consacrer les moyens ad hoc, faute de quoi cette réforme risque fort de connaître le même sort que la précédente.
Il est enfin prévu par le texte de simplifier le fonctionnement des bureaux d'aide juridictionnelle, « afin de leur permettre de faire face plus rapidement et plus efficacement à l'afflux des demandes ».
Or accorder ou non l'aide juridictionnelle, laquelle touche essentiellement des personnes en difficulté, est une décision importante. Il conviendrait, en conséquence, de veiller à ne pas confondre vitesse et précipitation en ce domaine.
Madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se prononcent en faveur de ce projet de loi, dont ils mesurent l'importance en termes de lutte contre l'exclusion, de reconnaissance des droits de tout un chacun et de possibilité de les exercer quelles que soient ses ressources.
Toutefois, pour que ce grand projet ait sa pleine efficacité, il convient de dégager des moyens supplémentaires. Nous savons pouvoir compter pour cela, madame la garde des sceaux, sur un budget de la justice ambitieux pour 1999.
Nous ferons, par ailleurs, au cours de la discussion des articles, différentes propositions, même si elles ont toutes été rejetées par la commission des lois, pour tenter d'améliorer encore le dispositif proposé. (Applaudissements sur plusieurs travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui répond au double souci de poursuivre la réforme en profondeur de notre justice et de lutter contre les exclusions, tant il est vrai que l'exclusion ne se réduit pas à de seules considérations matérielles.
Pour comprendre l'ambition de ce texte, il convient non pas de l'étudier isolément, mais de le replacer dans une « architecture » d'ensemble visant à rapprocher la justice du citoyen.
Il est également nécessaire de l'examiner au regard de l'augmentation importante de votre budget, madame la ministre, qui dégage, depuis cette année, les moyens indispensables, tant matériels qu'humains, pour inscrire les réformes législatives dans la réalité.
Ces réformes tendent à améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien, à rendre celle-ci plus proche et plus compréhensible pour nos concitoyens, à faire en sorte qu'ils puissent se l'approprier.
En effet, le besoin de connaître ses droits va grandissant. Il suffit de lire n'importe quelle gazette, quotidien ou périodique pour constater qu'une rubrique juridique est désormais proposée aux lecteurs. Cependant, ces rubriques s'adressent à une clientèle précise, et portent donc sur des centres d'intérêt particuliers, tels que le droit successoral, le droit du travail, celui de la famille ou de la consommation. Cette vulgarisation de la loi est certes utile, mais elle ne touche pas les personnes les plus démunies, pour qui l'achat d'un journal est un luxe interdit et dont les préoccupations sont en outre, hélas ! totalement différentes.
Permettre à chacun, tout particulièrement aux plus défavorisés, d'accéder au droit répond donc à un souci d'inscrire l'égalité républicaine dans les faits.
Si le besoin de connaître ses droits va grandissant, il en est de même pour le besoin de justice. Sans tomber dans les excès américains du procès à tout-va, ce point est à prendre en compte, parce qu'il témoigne des maux d'une société, mais aussi de l'énergie que celle-ci déploie pour y remédier. Demander justice ou se défendre, c'est affirmer sa place en tant que citoyen.
Dans le même temps, la critique envers la justice reste sévère. Lenteur de la procédure, tribunaux engorgés, coûts importants, sentiment d'être confronté à une justice à plusieurs vitesses et manque d'écoute : le justiciable, dès le départ, ne fait pas confiance à la société et à sa justice pour régler ses problèmes. Ce constat est terrible. Ne pas tenter de remédier à cette situation porterait atteinte aux fondements mêmes de notre société républicaine.
Le projet de loi dont nous allons discuter aujourd'hui comporte plusieurs volets complémentaires tendant à mettre en oeuvre une politique publique renouvelée, garantissant à tous l'accès au droit et favorisant la résolution amiable des litiges.
En effet, l'accès au droit est l'un des fondements de notre démocratie. C'est ce qu'a réaffirmé récemment la loi de lutte contre les exclusions défendue avec beaucoup de conviction par Mme Aubry. L'article 1er de cette loi prévoit que tout un chacun, dans une égale dignité, doit avoir accès à ses droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la santé, de la culture et de la justice. A cet égard, nous ne devons pas oublier que l'exclu l'est doublement : de la connaissance de ses droits d'abord, des moyens qui lui permettent de les exercer ensuite.
Remédier à cette double exclusion est la mission que la loi de 1991 a dévolue aux conseils départementaux d'aide juridique. Malheureusement, force est de constater que, sept ans après leur institutionnalisation, un tiers seulement des départements ont mis en place cette instance, et ce, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, parfois très récemment. Les crédits prévus n'ont d'ailleurs pas toujours été consommés, et nous avons bien noté votre engagement s'agissant de l'augmentation à venir des crédits.
L'action de ces conseils départementaux, très variée et très variable selon l'énergie et les moyens qui lui ont été consacrés, a surtout été orientée en direction de l'information du public et de l'organisation de consultations juridiques.
Il est vrai que l'intervention de professionnels de la justice ne permet pas seulement de traiter des cas bien circonscrits. Elle permet auissi de donner une dimension juridique à des situations complexes et d'en faire prendre conscience aux personnes concernées. Je pense par exemple aux femmes battues, qui, paradoxalement, se sentent coupables alors qu'elles sont victimes et ignorent qu'elles ont des droits. Je pense également aux personnes qui ont « basculé » à la suite d'un « accident de vie » et qui ont abandonné, en même temps que leur dignité, l'idée de se battre et d'obtenir réparation.
Tout comme elles en viennent à oublier leur corps au point de ne plus se soigner parce qu'on ne les regarde plus, les personnes exclues perdent la conscience de leurs droits parce qu'on ne les écoute plus. C'est pourquoi j'approuve totalement, madame la ministre, votre volonté de réaffirmer, dans la lettre de la loi, que les actions d'aide au droit doivent être « adaptées aux besoins des personnes en grande précarité ».
La commission des lois du Sénat a voulu y voir une précision inutile, relevant davantage de l'exposé des motifs. Je comprends le souci du législateur, mais je ne souscris pas à cette analyse. Je pense, pour ma part, que dans un texte comme celui-ci, qui traite justement de l'accès au droit, notamment pour les plus démunis, il est bon de dire précisément les choses, de les rendre lisibles et compréhensibles. En effet, la loi est perçue par nombre de nos concitoyens comme trop technique, voire abstraite. Comment, dans ces conditions, pourraient-ils se l'approprier ? C'est là, pensent-ils, affaire des seuls professionnels. Ils m'apparaît donc souhaitable que les principes qui inspirent cette loi y soient littéralement inscrits.
Par ailleurs, le statut de groupement d'intérêt public pour les conseils départementaux n'est pas remis en cause, mais chacun sait que la mise en place de tels groupements est difficile et lourde. Aussi, conformément aux propositions approuvées par le Conseil national de l'aide juridique et aux conclusions du rapport de M. Coulon, des mesures sont-elles prévues. Il s'agit de faciliter la création des conseils départementaux par un allégement du collège des fondateurs et d'assouplir les mécanismes de décision en lui conférant davantage de rapidité et de dynamisme.
La commission des lois du Sénat, tout en constatant qu'il y a bien carence en matière de création des conseils départementaux, ne souhaite pas revenir sur la composition de ceux-ci. Elle accepte qu'ils comptent en leur sein une association oeuvrant dans le domaine de l'accès au droit et elle ajoute à la liste un représentant de l'association départementale des maires. Nul doute qu'elle ne prenne ainsi le risque d'aller à l'encontre de sa propre volonté affichée de voir se développer rapidement les conseils départementaux sur l'ensemble de notre territoire. Nous ne pouvons la suivre sur ce point.
En outre, le projet de loi confie aux conseils départementaux une nouvelle mission relative à la résolution amiable des litiges, que le Gouvernement entend largement promouvoir. Vous marquez ainsi, madame la ministre, votre volonté de lier à l'accès de tous au droit, principe démocratique fondamental, une conception renouvelée de la justice, laquelle ne passerait pas nécessairement par la judiciarisation.
En toute logique, vous proposez donc que cette dimension apparaisse clairement dans la dénomination du conseil, qui deviendrait le « conseil départemental de l'accès au droit et de la résolution amiable des litiges ». Certes, ce titre est un peu long, chacun en conviendra, mais faut-il pour autant, comme le souhaite M. le rapporteur, supprimer totalement cet ajout et parler uniquement d'un « conseil départemental de l'accès au droit » ? Je ne le crois pas.
D'ailleurs, le motif invoqué pour demander le retrait du second membre du titre serait que le conseil départemental n'est pas le seul lieu où l'on pourrait effectivement obtenir une résolution amiable des litiges. Mais, en ce cas, il faudrait aussi supprimer du titre l'expression « accès au droit », puisque, et je l'espère, on accède au droit dans ce pays non pas exclusivement par le biais du conseil départemental, mais également dans d'autres lieux, nombreux, auxquels nos concitoyens peuvent s'adresser.
En aval de la prise de conscience des droits dont nous sommes tous, à égalité, possesseurs, il faut que ceux-ci puissent être mis en oeuvre au travers de l'ensemble des modes de résolution des conflits actuellement offerts. C'est ce que prévoit le présent projet de loi en développant l'aide juridictionnelle pour les plus démunis de nos concitoyens et en étendant ce dispositif aux procédures amiables. La réforme voulue par M. Henri Nallet a été couronnée de succès.
A cet égard, les chiffres sont connus, et ils ont été rappelés : le nombre des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle est passé de 400 000 en 1992 à plus de 700 000 en 1997, soit une progression de plus de 80 % en cinq ans, qui se poursuit à un rythme de 7 % par an actuellement. Il est intéressant de constater que les femmes et les demandeurs d'emploi sont les principaux bénéficiaires de cette aide. Le coût de la mise en oeuvre de cette mesure, qui est juste, a été multiplié par trois, passant de 400 millions de francs en 1991 à 1,2 milliard de francs l'année dernière.
Sept ans après cette réforme, le bilan est donc positif. Mais l'augmentation très forte du nombre des demandes a provoqué un encombrement des bureaux d'aide juridictionnelle et une hausse importante de leurs budgets. Les mesures que vous proposez vont dans le bon sens, madame la ministre. En effet, elles visent à élargir les pouvoirs du président et du vice-président, afin de permettre de meilleures conditions de fonctionnement en matière d'attribution de l'aide juridictionnelle. Elles visent à contenir les dérives financières et à moraliser la perception de l'aide juridictionnelle, en facilitant les procédures de retrait et de remboursement de l'aide et en invitant l'avocat à ne pas percevoir la part contributive de l'Etat en cas de condamnation de la partie adverse au paiement d'une indemnité.
Pour significatives et concrètes que soient ces dispositions, elles ne constituent pas l'essentiel du projet de loi. En effet, la mesure la plus importante et la plus innovante est l'extension du bénéfice de l'aide financière de l'Etat à la transaction avant procès et à la médiation pénale.
Il s'agit ainsi de promouvoir d'autres modes de règlement des conflits : c'est, en quelque sorte - et vous l'avez noté, madame la garde des sceaux - une révolution culturelle tant la tradition française est éloignée de cette approche. Déjà, au XVIIe siècle, Racine fustigeait, dans Les Plaideurs, une comédie dont l'un des protagonistes se nomme justement Chicaneau, les procéduriers excessifs et parfois abusifs. Il s'agissait, certes, d'une caricature, mais qui peut expliquer, encore aujourd'hui, le sentiment de nos concitoyens qu'il ne saurait y avoir de bonne justice sans jugement et donc sans intervention d'un juge.
C'est cette tendance qu'il nous faut aujourd'hui renverser pour garantir plus d'efficacité et pour apporter des réponses modernes à des problèmes nouveaux. Le dialogue, la recherche de l'accord, l'écoute entre justiciables participent d'une conception presque éthique de la justice. Les citoyens sont invités à se responsabiliser : cette procédure permet de faire déboucher des conflits qui auraient pu être longs et stériles sur une issue acceptable pour les deux parties.
On recourt également de plus en plus, depuis son instauration en 1994, à la médiation pénale. Dans ce cas, la résolution du conflit vient d'une réponse judiciaire sans que, pour autant, une poursuite soit engagée. Le développement de la médiation pénale, notamment dans les cas de petite délinquance, participe d'une politique de la ville moins répressive et plus pédagogique. Elle redonne à la justice toute son utilité sociale en encourageant la réparation effective du préjudice causé à la victime. Elle lève également l'impression, trop souvent exprimée par nos concitoyens, d'une impunité pour les coupables de ces petits délits qui, disons le mot, « gâchent » la vie dans les quartiers.
La promotion de ces modes de règlement des conflits doit passer - c'est là un souci du gouvernement auquel vous appartenez, madame la garde des sceaux - par l'extension à ces procédures du bénéfice de l'aide financière de l'Etat.
Aujourd'hui, la transaction avant saisine d'une juridiction n'est possible qu'avec l'aide d'un avocat : ceux qui ont des ressources suffisantes peuvent donc négocier et transiger. Mais qu'en est-il des personnes à faibles revenus ? Leur avocat, qui intervient au titre de l'aide juridictionnelle, ne sera rémunéré qu'en engageant un procès devant une juridiction. Alors que le litige pourrait être réglé plus ou moins facilement mais plus rapidement par une transaction à l'amiable, la procédure juridictionnelle est engagée de façon systématique.
Aux termes de l'article 1er du présent projet de loi, l'avocat sera rétribué en cas de réussite de la transaction au même titre que s'il avait mené l'affaire devant un tribunal. En cas d'échec, sa rétribution s'imputera sur celle qui sera due pour l'instance engagée par la suite.
De même, l'aide juridictionnelle en matière pénale ne peut actuellement jouer que si des poursuites sont engagées devant une juridiction. L'article 14 institue donc une aide à l'intervention de l'avocat en matière de médiation pénale.
Cette aide, dont le montant sera fixé par décret en Conseil d'Etat, profitera et à la victime et à la défense. Je ne peux, ici, qu'approuver la proposition de la commission des lois du Sénat, qui vise à étendre cette disposition à la procédure de réparation spécifique aux mineurs. Il s'agit, en effet, d'une procédure très proche de la médiation pénale et il serait juste que les mineurs puissent, dans ce cadre, bénéficier des mêmes garanties de défense que leurs aînés.
Par ailleurs, je souhaite que les procédures devant le tribunal départemental des pensions et la cour régionale des pensions restent gratuites pour tous les justiciables envers qui la nation a contracté une dette. Mais je conçois qu'il n'est pas totalement juste que l'expression de cette solidarité nationale soit à la charge exclusive des avocats. J'espère donc que nous pourrons trouver une solution.
Enfin, le dernier volet de la présente réforme concerne les maisons de la justice et du droit. Elles ont été mises en place ici ou là, souvent grâce à la détermination des élus, dans des villes ou des quartiers en difficulté. Ces expérimentations ont donné des résultats très satisfaisants.
Ces structures offrent en effet un cadre privilégié pour mettre en oeuvre des mesures alternatives aux poursuites pénales, comme la médiation pénale, la réparation pour les mineurs, le rappel à la loi, le classement sous conditions. Elles jouent aussi un rôle important dans la mise en oeuvre de l'aide à l'accès au droit, notamment grâce aux permanences tenues par des travailleurs sociaux, des avocats, des associations d'aide aux victimes ou des associations d'information sur les droits, comme les centres d'information sur les droits des femmes. Elles assurent ainsi un lien entre le monde judiciaire et les quartiers difficiles, dans lesquels elles réalisent concrètement un ancrage du service public de la justice.
Il est toutefois nécessaire de donner à cet outil, qui a prouvé à maintes reprises son efficacité, un cadre juridique clairement défini, faute de quoi on risquerait de voir se développer toute une série d'initiatives qui n'auraient de maison de la justice et du droit que le nom.
Certes, le projet de loi renvoie au Conseil d'Etat le soin de définir les modalités de création et de fonctionnement des maisons de la justice et du droit. On peut le regretter. Mais on ne peut être que satisfait de leur reconnaissance pleine et entière par la loi. Cette institutionnalisation sera la garantie d'une bonne justice au quotidien, d'un accès au droit pour tous, en particulier pour les personnes les plus démunies. Elle encouragera également la résolution extrajudiciaire des conflits.
En conclusion, madame la ministre, nous apprécions très positivement votre détermination, votre volonté de faire de la justice au quotidien votre première priorité.
Une société plus juste, qui garantit à tous l'accès au droit et à la justice, une société pacifiée, qui donne au dialogue et à la conciliation leur importance presque éthique, c'est le premier objet du présent projet de loi. C'est pourquoi le groupe socialiste approuvera ce texte. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le présent projet de loi est important puisqu'il compte dix-neuf articles. Il comporte trois volets.
Le premier vise à améliorer le dispositif de l'aide juridictionnelle, en l'étendant, notamment, à la médiation pénale et, en matière civile, aux transactions intervenant avant toute saisine d'une juridiction. Ces dispositions s'inscrivent dans le droit-fil de la législation en vigueur depuis plusieurs années et que l'on améliore au fil des ans pour permettre une résolution non juridictionnelle des conflits. Il était nécessaire d'adapter le dispositif de l'aide juridictionnelle. Aussi est-il tout à fait normal que de telles dispositions soient incluses dans le projet de loi qui nous est soumis.
Comme l'a dit Mme Derycke, nos concitoyens aiment bien faire des procès. On le constate quotidiennement. Devant un litige de voisinage, il n'est parfois pas facile de trouver une solution transactionnelle, car, derrière le litige, il y a mésentente entre les parties, et c'est pourquoi elles souhaitent saisir la justice.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les servitudes de passage, c'est ce qu'il y a de pire !
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement !
Quand on est maire d'un village, ce qui est très intéressant, force est de constater qu'il est très difficile de trouver des solutions de transaction, par exemple en invitant les personnes concernées à rencontrer un conciliateur. En effet, les protagonistes veulent aller jusqu'au procès, pour lequel ils demandent d'ailleurs l'aide juridictionnelle.
M. Raymond Courrière. Il fallait maintenir les juges de paix !
M. Jean-Jacques Hyest. J'y reviendrai, monsieur Courrière, mais laissez-moi poursuivre mon propos.
Par ailleurs, comme l'a noté le président Jacques Larché, nombre de procès n'ont pas de véritable fondement. C'est d'ailleurs tout le problème du sérieux de la contestation qui se pose aux bureaux d'aide juridictionnelle et aux juridictions. La plupart du temps, celles-ci n'osent pas dire qu'il n'y avait pas lieu d'engager un procès. Les procéduriers abusifs devraient être sanctionnés. Selon moi, on ne le fait pas assez. Or, ce serait parfois utile. Chacun connaît des personnes dont la principale occupation consiste à faire des procès. A cet égard, le dispositif qui nous est proposé améliore la situation.
Le deuxième volet du projet de loi concerne l'aide à l'accès au droit.
Je voudrais dissiper une confusion. Certes, le droit a une place de plus en plus importante dans notre société. D'ailleurs, certains bons esprits considèrent que, aujourd'hui, au-delà de l'instruction et de l'éducation civiques, il faudrait, donner une certaine formation juridique dans les écoles et les lycées. Il est tout de même paradoxal que de nombreuses informations soient données sur des multitudes de sujets et qu'il n'en aille pas de même pour le droit, qui est nécessaire à la vie et qui concerne tout le monde.
M. Guy Allouche. A la base !
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement !
De nombreux organismes s'efforcent de permette l'accès au droit.
Il en est ainsi en matière de logement. Il existe - hélas ! pas dans tous les départements - des associations départementales d'information sur les logements, les ADIL, au sein desquelles des personnes compétentes peuvent renseigner à la fois les locataires et les accédants à la propriété. Bien souvent, quand ils survient des catastrophes, notamment en matière de surendettement, c'est parce que les personnes concernées ne sont pas allé voir préalablement ceux qui étaient capables de les informer. Je le constate régulièrement, si les personnes avaient pris la peine de se renseigner auprès d'une ADIL, elles ne se seraient pas retrouvées devant le juge ; encore qu'en matière de surendettement on s'efforce d'éviter la procédure contentieuse.
Il en va de même pour le droit de la consommation. Dans tous les départements, il est possible de se renseigner, d'obtenir des avis juridiques émanant de personnes compétentes. Il en va aussi de même dans le domaine de l'assurance et du crédit.
Mais on ne recourt pas assez aux possibilités qui existent. D'ailleurs, on le constate en ce qui concerne l'aide à l'accès au droit. En effet, depuis 1991, seulement vingt-huit départements ont mis en place un conseil départemental de l'aide juridique. La lourdeur du GIP, le groupement d'intérêt public, n'a peut-être pas incité à la mise en place de ce dispositif. Au-delà de cet aspect, il faut noter la difficulté de rendre effectif l'accès au droit.
Dans une maison de la justice et du droit, se côtoient des travailleurs sociaux et des personnes compétentes en matière de droit. Il est impératif que ceux qui donnent des conseils juridiques soient des personnes qualifiées en ce domaine. Au cours du long débat sur l'exercice des professions judiciaires que nous avons eu dans cette enceinte, et dont chacun se souvient, nous avions d'ailleurs veiller à le souligner. Rien n'est plus dangereux, notamment pour les personnes les plus démunies, que de se confier à n'importe quelle bonne volonté qui n'a pas de qualification juridique.
En fait, les travailleurs sociaux permettent non pas l'accès au droit, mais l'accès aux droits. « Accès aux droits », cela signifie : « A quoi avez-vous droit ? » Bien souvent, les personnes les plus démunies ne savent pas à quoi elles ont droit, notamment en matière de prestations sociales. On le constate quotidiennement. L'accès au droit, c'est tout de même autre chose. Il ne faudrait pas que s'établisse une confusion.
S'agissant du troisième volet, le projet de loi va dans le bon sens. Il vise à améliorer un certain nombre de possibilités, notamment pour les personnes les plus démunies. Récemment, nous avons voté une loi relative à la lutte contre les exclusions. L'exclusion, c'est aussi l'exclusion du droit. Il est donc souhaitable d'offrir des possibilités nouvelles à cet égard.
Le dernier point, celui qui me gêne le plus, concerne les maisons de la justice et du droit. Je suis favorable à la résolution amiable des conflits. Cependant, les maisons de la justice et du droit ne doivent pas devenir des supermarchés du droit. D'une part, nous ne connaissons pas très bien leur mission. D'autre part, la justice doit garder une certaine solennité. Il ne faudrait pas que la justice soit à deux vitesses : une justice que l'on rend dans les quartiers et une justice solennelle qui serait rendue dans les palais de justice. Tout le monde a droit à la solennité de la justice. Nous devons être très vigilants. Nos concitoyens sont eux aussi et à juste titre attachés à ce que la justice soit rendue d'une manière solennelle. Il ne faut pas banaliser l'acte de justice.
Les dispositions proposées comportent des aspects positifs. Pour un certain nombre de litiges, on peut recourir aux maisons de la justice et du droit, qui sont des maisons de proximité.
Toutefois, comme l'a dit l'un d'entre nous, en fin de compte on réinvente ce qui a été supprimé voilà quelques décennies : les juges de paix. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'an dernier, dans mon rapport, au nom de la commission des finances, sur les crédits du ministère de la justice, j'abordais la question de l'Etat de droit et j'insistais sur la nécessité de mettre en place un dispositif de résolution amiable des conflits. Dans une approche visant à une meilleure utilisation des crédits des services judiciaires, je rappelais qu'aucune réforme de l'institution judiciaire ne pourrait échapper à la question fondamentale de la redéfinition des missions de la justice, car la judiciarisation croissante des questions de société conduit la justice à élargir à l'infini le champ de ses interventions.
J'insistais aussi sur le fait que l'accès au droit ne signifie pas nécessairement - et heureusement - accès à la justice ; c'est d'ailleurs ce qui est indiqué largement dans le présent projet de loi. Au contraire, le recours au juge dans certaines affaires doit être subsidiaire, lorsque toutes les autres voies de médiation et de conciliation ont été épuisées, et doit servir uniquement à trancher un conflit en disant le droit. Parallèlement, il faut mieux informer nos concitoyens de leurs droits et de leurs devoirs, et permettre aux plus défavorisés d'avoir accès au droit.
J'insistais aussi sur le fait qu'il fallait encourager le développement des modes alternatifs de résolution des conflits. Je regrettais par ailleurs que l'aide juridictionnelle, comme M. le rapporteur l'a d'ailleurs fort bien dit, absorbe la quasi-totalité des crédits mis à sa disposition, au détriment de l'aide à l'accès au droit, qui devait être encouragée davantage.
Votre projet de loi, madame la ministre, répond à ces préoccupations. L'ambition affichée est bien de « mettre en oeuvre une véritable politique publique d'accès au droit et de résolution amiable des conflits, avant même la saisine du juge et en alternative au procès », selon vos propres propos.
Le bilan de l'aide juridictionnelle n'est pas satisfaisant, ainsi que l'a indiqué M. le rapporteur. L'an dernier, je le soulignais également, considérant que la montée en puissance des crédits de l'aide juridictionnelle était devenue tout à fait inquiétante et que cette évolution avait entraîné une véritable explosion des dépenses d'aide juridictionnelle, ces dernières étant passées de 1 401 millions de francs en 1991 à 1 209 millions de francs en 1997, soit tout de même une augmentation de 201 %.
Notons que le projet de loi de finances pour 1999, que j'examine actuellement, prévoit une dotation budgétaire de 1 443 millions de francs contre 1 228 millions de francs en 1998, soit une progression de 17,5 % par an.
Vous soulignez fort justement, monsieur le rapporteur, que le bilan des trois premières années d'application de la loi de 1991 réalisé par l'inspection générale des services judiciaires en 1995 a fait ressortir une amélioration de l'accès des plus démunis aux juridictions par rapport au régime antérieur de l'aide judiciaire. Il a également fait apparaître la nécessité de parvenir à une meilleure maîtrise des dépenses des juridictions et à une meilleure organisation des bureaux d'aide juridictionnelle pour faire face à l'afflux de demandes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et alors ?
M. Hubert Haenel. Fort justement, le texte qui nous est soumis prend en compte ces difficultés pour y remédier.
Rappelons aussi que diverses propositions ont été faites en vue d'améliorer le fonctionnement du régime de l'aide juridictionnelle.
La mission sénatoriale d'information Jolibois-Fauchon sur les moyens de la justice a suggéré que soit améliorée l'information des justiciables bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, notamment sur les conséquences d'un rejet de leur demande, et que soit assuré un meilleur contrôle des demandes d'aide juridictionnelle afin d'éviter les abus. Elle a aussi proposé la généralisation et la valorisation des tentatives de conciliation au civil comme au pénal.
Les dispositions de ce projet de loi s'inscrivent dans le prolongement direct tant de ces propositions - nous devons le souligner - que de celles qui ont été formulées par M. Jean-Marie Coulon, président du tribunal de grande instance de Paris, dans son rapport sur la procédure civile remis au garde des sceaux en octobre 1995.
Les aménagements prévus par le projet de loi ont trois objectifs : le développement du recours au mode amiable de règlement des conflits, une meilleure maîtrise des dépenses d'aide juridictionnelle et une simplification du fonctionnement des bureaux d'aide judiciaire.
Mais, avant d'aborder le fond du projet de loi, madame la ministre, permettez au rapporteur spécial des crédits de la justice que je suis de vous poser une question relative à la fiche d'impact budgétaire réalisée par vos services, fiche dont les conclusions me paraissent presque trop précises, et en tout cas un peu trop optimistes. Pourriez-vous nous indiquer comment procèdent les services de la chancellerie pour établir une telle fiche ? Certes, nous pourrons revenir sur ce point lors de l'examen des crédits de la justice. Mais je me permets de vous demander dès à présent si l'avis de certaines juridictions types sur l'application de ce texte - entraînera-t-elle une surcharge de travail ou, au contraire, dégagera-t-elle des plages de travail ? - a été sollicité. Les différentes directions concernées se concertent-elles sur ce point ?
Je proposerai d'ailleurs à la commission des finances, à l'occasion, la vérification des procédures d'études d'impact. En effet, quand une réforme a des conséquences sur le fonctionnement de la justice, sur l'utilisation des crédits tant au niveau matériel qu'au niveau des ressources humaines, il faut y faire très attention.
Mais revenons-en à la réforme. Moins symbolique que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ou du parquet, mais touchant de près au fonctionnement quotidien de la justice, ce projet de loi, élaboré parallèlement au projet de loi contre l'exclusion présenté par Mme Aubry, vise, selon l'exposé des motifs, à « assurer le droit au droit pour tous, particulièrement aux plus démunis », et à permettre que « l'accès au droit ne se transforme pas mécaniquement en accès à la justice ».
La distinction opérée entre l'accès au droit et l'accès à la justice constitue incontestablement la clé de voûte du texte. Ce dernier vise, dans un contexte de judiciarisation croissante de la société française au sein de laquelle la régulation des rapports sociaux tend à se décliner sur le mode juridique, à privilégier dans tous les cas ou presque le règlement amiable des conflits.
Ce texte est au moins aussi important - sinon plus - dans sa portée que d'autres textes sur lesquels on s'attarde trop souvent. Il s'agit de la justice et du droit de tous les jours et de tout le monde.
Le texte, face à l'engorgement des tribunaux et à la lenteur de la justice dénoncée par la Cour de justice européenne, privilégie la médiation avant la saisine de la justice.
J'en viens au deuxième grand axe du projet de loi : ce dernier a été voulu pour aider les plus défavorisés de nos concitoyens. Il vise en priorité à régler les situations de grande précarité, ce qui est fondamental et vital.
Telle est l'ambition du texte, mais aussi l'une de ses faiblesses. En effet, si ce projet de loi complète le service public de la justice, impulsé largement par la loi du 10 juillet 1991, il n'a pas l'ambition de créer une sécurité sociale judiciaire et exclut pas moins de 13 millions de foyers fiscaux. Ainsi, la volonté du projet de loi de revisiter, de réaffirmer et d'actualiser le principe d'égalité, pierre angulaire des principes républicains ne va pas toujours jusqu'au bout de sa logique.
Dans la conception d'une justice négociée que consacre le projet de loi, le rôle de l'avocat devient central. Ainsi son intervention en dehors de tout procès sera-t-elle rémunérée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle. C'est une avancée non négligeable qui a le mérite d'associer et d'impliquer de manière beaucoup plus étroite les avocats dans les modes alternatifs de règlement des conflits, objectif nettement déclaré du texte.
Enfin, ce projet de loi vise au développement d'une culture de compromis. En aucun cas l'aide juridictionnelle à la tentative de règlement amiable ne recouvre une dimension de « justice au rabais » destinée aux plus démunis. Ce texte s'inscrit dans une logique d'apaisement social à l'heure où la société française entre dans une tendance lourde de judiciarisation.
Si l'aide juridictionnelle a été une avancée incontestable dans l'accès à la justice, elle présente cependant des limites.
L'aide juridictionnelle, instituée par la loi du 10 juillet 1991 et succédant à l'aide judiciaire, instaurée par la loi du 3 juillet 1972, a consacré une avancée décisive en termes de mise en oeuvre du principe d'égalité, ce que n'avait pas manqué de souligner à l'époque M. Luc Dejoie, alors rapporteur de la commission des lois.
En effet, lors de la promulgation de la loi du 10 juillet 1991, la France accusait un retard très net sur ses principaux partenaires en termes d'aide juridictionnelle : selon la commission Bouchet, réunie en 1989, la France consacrait à l'époque 7 francs par habitant à l'aide juridique, contre 98 francs en Grande-Bretagne, 30 francs en Allemagne, 34 francs aux Etats-Unis et 48 francs aux Pays-Bas. De plus, les plafonds d'admission à l'aide judiciaire totale ou partielle se révélaient être particulièrement insuffisants.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils le sont toujours !
M. Hubert Haenel. Le corollaire de la réforme de 1991 a été l'accroissement très sensible des dépenses de l'Etat en matière d'aide juridictionnelle. On peut mesurer ainsi une explosion des dépenses, passant de 401 millions de francs en 1991 à 1 209 millions en 1997 ; pour 1999, ces dépenses sont évaluées à plus de 1 400 millions de francs. D'ailleurs, la maîtrise des dépenses en matière d'aide juridictionnelle constitue l'une des ambitions de ce projet de loi.
Néanmoins, notre collègue Luc Dejoie dénonçait déjà l'exclusion de plus de 13 millions de foyers sociaux de ces mécanismes d'aide. Notons cependant que la loi de 1991 a permis à 11,8 millions de foyers d'être couverts contre 7 millions auparavant. Ce pas en avant s'est d'ailleurs accompagné d'une hausse très sensible des demandes d'aides, qui atteignent la barre des 700 000 par an, plus de 87 % des demandes étant acceptées ; notons également que les mécanismes de retrait ou de refus de l'aide juridictionnelle présentent une évidente complexité.
Ce projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits s'articule autour de trois orientations majeures : une extension du champ d'application de l'aide juridictionnelle au règlement amiable des conflits avant la saisine d'une juridiction, un développement de l'aide à l'accès au droit et une consécration législative tout à fait souhaitable des maisons du droit et de la justice. Ces dernières sont, à mon avis, plus que de simples antennes du palais de justice, et elles doivent avoir une mission pluridisciplinaire. J'ai eu l'occasion de visiter une telle maison dans la banlieue lyonnaise : cette formule, qui m'a paru très satisfaisante, mériterait, je crois, d'être largement répandue et pourrait servir de modèle pour d'autres départements.
Le principal mérite de ce projet de loi est incontestablement d'opérer une distinction entre l'accès au droit et l'accès à la justice. Si, sur le principe, nous ne pouvons que manifester notre approbation, nous n'en relevons pas moins de nombreuses limites, que M. le rapporteur a d'ailleurs déjà soulignées, considérant que le projet de loi n'est pas toujours à la hauteur des ambitions affichées : il souffre d'un manque de visibilité, du fait de sa subdivision en sept textes, ce qui interdit toute vision d'ensemble. Mais il suffira de faire un peu de pédagogie pour le présenter aux élus locaux et aux personnes qui s'intéressent à ces domaines.
En outre, la consécration législative des maisons du droit et de la justice n'est pas accompagnée d'une répartition toujours claire et nette des compétences avec les conseils départementaux d'accès au droit, mis en place par la loi de 1991. Par ailleurs, ceux-ci ne se sont pas développés de la manière souhaitée : en 1997, seulement vingt-huit départements s'étaient dotés d'un conseil départemental d'accès au droit. De plus, ces conseils gagneraient en légitimité et en efficacité s'ils associaient d'autres professions juridiques.
La justice doit pouvoir sortir des palais de justice : la situation de grande précarité dans laquelle se trouvent nombre de nos concitoyens implique de créer une justice de très grande proximité. L'ouverture de consultations juridiques au sein des ANPE et des centres de sécurité sociale serait un moyen efficace de créer cette proximité.
Nous regrettons, par exemple, que ce texte exclue de l'aide juridictionnelle une personne gagnant 7 000 francs par mois, qui n'a donc pas forcément les moyens de se faire assister dans le règlement des conflits. Je pense qu'une autre étape sera franchie dans quelque temps car, aujourd'hui, lorsque l'on gagne 7 000 francs, une fois payés les impôts nationaux et locaux,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les dettes !
M. Hubert Haenel. ... et les dettes - vous avez raison de le souligner, mon cher collègue ! - il ne reste pas grand-chose pour vivre !
Nous ne pouvons qu'approuver les principales modifications présentées par la commission des lois, modifications qui visent à remédier à une incohérence du régime actuel de l'aide juridique concernant le cas particulier des instances devant les juridictions compétentes en matière de pensions militaires, à étendre l'aide à l'intervention de l'avocat en matière de médiation pénale prévue par l'article 14 du projet de loi à la mise en oeuvre par le parquet de la procédure de réparation spécifique aux mineurs prévue par l'article 12-1 de l'ordonnance du 2 février 1945, à simplifier la dénomination du nouveau conseil départemental appelé à se substituer à l'actuel, à élargir la composition de ce conseil départemental aux représentants de l'ensemble des professions concernées par l'aide à l'accès au droit, par exemple les notaires ou les huissiers.
Sous le bénéfice de ces observations, monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les membres du groupe du Rassemblement pour la République voteront ce texte ainsi amendé. En effet, sans accès au droit et à la justice, il n'y a ni véritables droits de l'homme ni Etat de droit.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je tiens à remercier l'ensemble des orateurs d'avoir apporté leur soutien à ce projet de loi et d'avoir souligné, avec beaucoup d'intelligence, de finesse et de compétence, combien ce texte est important dans l'architecture d'ensemble de la réforme de la justice que je conduis au nom du Gouvernement.
Vous avez, certes avec des nuances mais avec beaucoup de force, souligné les uns et les autres que ce projet de loi est un texte clé en matière de justice au quotidien, de justice de proximité. Ce projet est en effet, à mes yeux, aussi important, voire plus, que certains autres qui ont peut-être fait écrire davantage mais qui sont sans doute moins immédiatement urgents pour les justiciables.
Je ne veux pas allonger les débats, mais permettez-moi seulement d'apporter quelques réponses aux questions précises qui ont été posées au cours de ce débat.
Ainsi, monsieur le rapporteur, vous avez émis la crainte que la présidence des conseils départementaux ne soit une charge nouvelle pour les présidents des tribunaux de grande instance. Or, actuellement, l'article 55 de la loi de 1991 prévoit déjà que le président de tribunal de grande instance préside le conseil d'administration, qui est, de fait, l'organe clé. Dans ces conditions, je ne pense pas que le dispositif proposé impose davantage de charges aux intéressés. Certes, nous suscitons une demande supplémentaire, mais la politique d'ensemble qui est menée est destinée à permettre à un plus grand nombre de nos concitoyens d'avoir accès aux conseils juridiques.
Par ailleurs, j'espère que le dispositif des emplois-jeunes pourra être davantage utilisé par les conseils départementaux d'aide juridique, apportant ainsi des moyens en personnels non négligeables. Ce dispositif me semble, en effet, particulièrement adapté à ce type d'activité.
A M. Bret, je voudrais dire que je comprends tout à fait ses interrogations sur le mode de fonctionnement des maisons de la justice et du droit. Je vais tenter brièvement - mais nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des articles - de lui apporter quelques éclaircissements.
Le décret d'application prévoit que les maisons de justice seront créées sur la base d'une convention constitutive signée par plusieurs partenaires - chefs de juridiction, préfets, administrations concernées, associations, maires, avocats, ainsi que différentes professions - et que l'animation en sera assurée par un comité de pilotage, l'accueil et le secrétariat étant effectués par des fonctionnaires de justice. Nous réalisons ainsi un bon mélange entre l'expertise dont peuvent faire preuve les fonctionnaires et l'apport d'autres professionnels.
Vous avez manifesté, monsieur le sénateur - comme d'autres après vous - le souci que les maisons de la justice et du droit ne constituent pas un cadre où serait rendue une justice au rabais. Or les services traditionnels de la justice sont loin de se désengager de la justice au quotidien, et les maisons de la justice et du droit ne sont évidemment pas destinées à délivrer une « sous-justice ». En favorisant la diversification des lieux de justice grâce aux juridictions, aux maisons de la justice et du droit et aux antennes de justice, nous pourrons faire face de façon plus appropriée à la diversité croissante des besoins et des demandes de justice de nos concitoyens.
A Mme Derycke, je veux dire à quel point j'ai apprécié les développements qu'elle a spécialement consacrés à la lutte contre l'exclusion et à l'apport de ce projet de loi en la matière. Vous avez tout à fait eu raison de le souligner, madame, lorsque nous avons travaillé avec Martine Aubry sur la loi contre les exclusions, nous y avons inclus un certain nombre de dispositions, notamment en matière d'expulsions. Nous avons effectivement besoin de manifester que la lutte contre l'exclusion ne se réduit pas au fait de pouvoir subvenir aux besoins matériels immédiats, mais que l'accès à la dignité de la personne humaine dans toutes ses composantes, de l'accès au droit à l'accès à la culture, par exemple, constitue un aspect extrêmement important.
Il ne s'agit pas de faire des phrases pour le plaisir de faire des phrases, encore faut-il inscrire les principes qui guident nos actions dans les textes législatifs pour permettre à chacun une meilleure approche du sens de notre travail. La remarque vaut malheureusement surtout dans le domaine de la justice, où interviennent des lois et des réglementations qui, par nécessité, concernent des domaines très techniques. Il me paraît particulièrement important de pouvoir rappeler constamment le sens de ce que nous faisons !
La disposition qui prévoit notamment que les modalités de l'aide à l'accès au droit sont adaptées aux besoins des personnes en situation de grande précarité ne se réduit pas à une position de principe. Tous nos concitoyens doivent avoir droit au droit, et c'est encore plus vrai pour ceux qui cumulent les « sans » : sans domicile, sans travail, sans famille, sans conseil. Il nous appartient donc de manifester à leur égard un devoir de solidarité et de les prendre véritablement en compte, tant il est vrai que l'accumulation des exclusions ne peut que miner le fonctionnement de notre démocratie. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater que les publics concernés par la justice sont souvent des publics d'exclusion : ainsi, en prison, beaucoup des jeunes délinquants ont derrière eux toute une série de handicaps.
J'ai déjà répondu en partie aux questions et aux observations formulées par M. Hyest, qui a souhaité lui aussi que les maisons de la justice et du droit ne délivrent pas une justice au rabais. Il n'en est évidemment pas question, mais il s'agit, je l'ai dit tout à l'heure, de diversifier l'offre de justice pour mieux répondre à la demande. Cela n'empêchera pas - au contraire, me semble-t-il - les tribunaux de continuer à rendre la justice de façon solennelle ! Toutefois, si les maisons de justice nous permettent de traiter, ou même de prévenir certains contentieux, alors les tribunaux pourront d'autant mieux rendre une justice de qualité, en disposant du temps nécessaire pour le faire. Tous les magistrats que je rencontre me disent en effet qu'ils souffrent, souvent, de ne pas avoir le temps nécessaire pour rendre une justice de qualité.
Enfin, je remercie M. Haenel de l'intelligence avec laquelle il a analysé ce texte, en reconnaissant sa place dans l'architecture de la réforme de la justice.
Il m'a posé une question précise sur l'élaboration des fiches budgétaires. Elles sont élaborées en plusieurs étapes : d'abord, établissement annuel de l'activité des juridictions à partir des données fournies par elles ; ensuite, exploitation statistique par la direction de l'administration générale et de l'équipement pour dégager des évolutions ; à partir de cette exploitation statistique, simulations et évaluations, avec hypothèse haute et hypothèse basse ; enfin, chiffrage de chaque hypothèse.
En conclusion, si je n'ai pas répondu à toutes vos questions, je vous aurai au moins donné mon point de vue sur les remarques les plus importantes que vous avez présentées au cours de ce débat. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DISPOSITIONS MODIFIANT LA LOI NO 91-647
DU 10 JUILLET 1991
RELATIVE À L'AIDE JURIDIQUE

Chapitre Ier

De l'aide juridictionnelle

Articles additionnels
avant l'article 1er et après l'article 3