Séance du 17 novembre 1998







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Autain pour explication de vote.
M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, curieux cheminement que celui qu'a emprunté la Haute Assemblée depuis jeudi dernier. Nous avons cru entreprendre la discussion d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Or notre commission des affaires sociales nous demande aujourd'hui d'adopter un projet de loi de réhabilitation.
Tout a été fait, en effet, au cours de ces longues journées de travail, pour faire oublier les mauvais moments des ordonnances Juppé et pour rechercher à tout prix la réconciliation avec les professions de santé ; à tout prix et surtout au prix du sacrifice de l'équlilibre pourtant retrouvé, grâce au Gouvernement, de notre système de protection sociale.
Quand le Gouvernement nous proposait de rechercher les voies d'une maîtrise médicalisée des dépenses de santé en introduisant seulement un mécanisme serre-file destiné à inciter à la réussite de l'entreprise conventionnelle, notre rapporteur, pour oublier Juppé et retrouver les médecins et condamner l'action ministérielle, a confectionné dans la hâte une véritable usine à gaz ingérable avant trois ans et, sous prétexte d'individualisation des sanctions, absolument inapplicable.
Quel en est le résultat ? Tous les efforts engagés par le Gouvernement pour maîtriser les dépenses d'assurance maladie sont réduits à néant. Et on voudrait nous donner des leçons de rigueur ! Je vous entends encore, monsieur le rapporteur, stigmatiser l'année dernière, à la même époque, le laxisme du Gouvernement, notamment en matière de dépenses de médecine ambulatoire.
Le Gouvernement nous proposait ensuite d'engager - certes, timidement cette année, mais résolument pour l'avenir - le processus propre à garantir l'avenir des retraites dans le respect de la répartition, à laquelle sont légitimement attachés nos concitoyens.
La majorité sénatoriale a, là aussi, choisi de couper court à l'entreprise. Exit donc la constitution de réserves par le FSV. On peut s'interroger sur le choix idéologique que cela implique - est-il si idéologique que cela, d'ailleurs ? - d'une capitalisation à tout crin dont les rapports les plus sérieux nous ont pourtant montré les limites.
Le Gouvernement nous proposait enfin, après avoir entendu les familles, un nouvel équilibre dans l'attribution des prestations familiales, dans le souci d'assurer durablement l'équilibre de la branche. La majorité sénatoriale a accepté ce nouvel équilibre, mais en se gardant bien, évidemment, d'en assumer les contreparties.
Alors voilà, nous sommes partis avec un équilibre de la sécurité sociale rétabli durablement et fondé sur des choix solides et de long terme. Nous terminons notre voyage avec un déficit garanti et le refus de tout choix qui serait autre chose que la tentative maladroite d'éviter les pièges tendus par un bon projet de loi à une opposition qui a été plus d'une fois embarrassée par son incapacité à proposer une véritable alternative.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Excellent ! Quel talent !
M. François Autain. Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, le groupe socialiste ne pourra pas voter le texte qui résulte de nos débats. Il regrette qu'il n'ait pas été tenu un meilleur compte, par la majorité sénatoriale, de l'inlassable disponibilité d'un ministre et d'un secrétaire d'Etat qui ont pourtant mis tout en oeuvre, avec succès pour ce qui nous concerne, pour démontrer la justesse de leur choix. Ils n'ont jamais hésité dans les situations les plus désespérées à expliquer, à expliquer encore, à expliquer toujours qu'il n'y a pas d'autres voies que celles qu'avec courage ils nous proposent et qui, j'en suis sûr, finiront par être retenues par la représentation nationale. (Vifs applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. C'est beau, c'est magnifique, la France est sauvée !
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale dont nous venons de débattre est le premier dont l'actuel gouvernement a l'entière maîtrise.
S'agissant des orientations de santé publique, beaucoup rejoignent les préoccupations de mon groupe, celui de l'Union centriste. Ainsi, nous ne pouvons qu'approuver, par exemple, le développement des droits du malade et des soins palliatifs. Notre système de santé a trop longtemps ignoré les aspirations du patient, sa douleur, son mal-être, s'agisssant, en particulier, des plus jeunes et des plus âgés, sans oublier les autres : le cancer frappe à tout âge.
Ainsi, un récent rapport démontre que les établissements hospitaliers ont des comportements très différents face à la douleur des enfants. Certains appliquent des protocoles anti-douleur, mais beaucoup, malheureusement, n'en possèdent pas. Il faudrait donner à davantage de parents la possibilité d'être auprès de leur enfant malade. Cet accompagnement psychologique est très important et même, pourquoi ne pas le dire, essentiel.
Plus que les orientations de votre politique de santé publique, ce sont les moyens qui, par moment, nous ont posé problème. Mais toute politique est faite de choix, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétraire d'Etat, et c'est dans cet esprit que nous avons travaillé.
Tout d'abord, nous sommes toujours dans l'attente du dépôt du projet de loi sur l'assurance maladie universelle. Alors même que le montant du budget total affecté à la sécurité sociale dépasse celui du budget de l'Etat, 150 000 personnes n'ont pas accès aux prestations du régime général de la sécurité sociale, et 7 millions de nos concitoyens sont par ailleurs privés d'une couverture complémentaire. C'est une situation difficile en cette fin du xxe siècle, alors que la solidarité nationale finance désormais, à hauteur d'un tiers, la sécurité sociale. Il est donc temps que la promesse faite par le précédent gouvernement à la fin de l'année 1995 soit tenue. Nous en avons parlé au cours de ce débat.
La santé a un prix. On entendait souvent dire, il y a très longtemps, qu'elle n'en avait pas, mais nous savons qu'elle a un prix. Qui le contesterait aujourd'hui dans cette enceinte ? Nous en sommes tous conscients, ô combien ! Et cela s'est senti au cours de nos débats.
La difficulté qui était la nôtre - et aussi la vôtre, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat - était de faire les meilleurs choix au bénéfice des Françaises et des Français. Les membres de mon groupe et moi-même voterons le projet de loi amendé par la commission des affaires sociales et la majorité sénatoriale.
Les amendements sénatoriaux ont porté sur la maîtrise médicalisée, nous l'avons vu, mais aussi sur le médicament.
Nous nous réjouissons de l'adoption des amendements de notre collègue Huriet et des membres du groupe de l'Union centriste sur le droit de substitution qu'il faut mieux encadrer.
Une autre amélioration notable concerne évidemment la famille à laquelle vous savez combien je suis attaché. Il convient, en effet, de revenir sur les nouvelles économies proposées par le Gouvernement, concernant les majorations d'âge. L'effort financier global en faveur des familles doit être accru sous peine d'accentuer le vieillissement de notre pays.
Corollaire de la politique familiale actuelle, votre politique en matière de retraite suscite également nos réserves. Nous attendons évidemment les conclusions de la mission Charpin, même si des propositions vraiment innovantes sur l'avenir des régimes spéciaux sont peu probables, si l'on en croit vos déclarations, madame le ministre, devant le Sénat. Cependant, nous ne souhaitons pas condamner a priori la démarche gouvernementale.
Nous notons par ailleurs votre intérêt, madame le ministre, pour les propositions de M. Jean Arthuis, président du groupe de l'Union centriste, sur l'épargne retraite. Une proposition de loi sera déposée par nos soins sur ce sujet dans les jours qui viennent : elle viendra nourrir le débat que nous aurons très bientôt, dans cet hémicycle, lorsque votre Gouvernement aura précisé son propre projet de loi.
Il me reste à remercier nos collègues rapporteurs. M. le président de la commission des affaires sociales, Mme le ministre et M. le secrétaire d'Etat, et à adresser une mention toute spéciale à M. Charles Descours pour le travail énorme et excellent qu'il a fourni, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, sans oublier toutes celles et ceux qui, dans l'anonymat de leurs bureaux, ont également travaillé sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un des « challenges » d'une politique moderne de santé et de sécurité sociale repose sur une meilleure définition des besoins. Celle-ci n'est possible que dans le cadre d'une régionalisation, qui est d'ailleurs en voie d'organisation.
Le nombre des consultations et des actes dépend actuellement de la demande initiale de soins. Il faut prendre en considération les pathologies nouvelles ou s'amplifiant. A quoi bon polémiquer sur des médicaments tels que les antidépresseurs, trop consommés, alors que de nombreuses dépressions ne sont pas traitées ou mal traitées et que le nombre des suicides est en augmentation ?
Une éducation de la population à la demande de soins est nécessaire, sachant que l'exigence de qualité, de contrôle des connaissances a toujours une incidence financière.
Une démarche diagnostique et thérapeutique de plus en plus complexe, onéreuse, sans droit à l'erreur, est exigée de la médecine moderne.
Il faut développer la responsabilité : celle de la population face à la consommation, ce qui passe par le moindre remboursement des petits risques, sauf pour les plus démunis, la réforme des accidents et des arrêts de travail ; celle de la profession médicale, par une meilleure information intégrant les coûts de la santé et le développement de la formation continue ; celle enfin des gestionnaires dans la lutte contre le gaspillage.
Faire confiance au corps médical, c'est le rendre acteur de la politique de santé, le revaloriser, lui donner sa place, le responsabiliser sur le plan économique à titre individuel et collectif. Les exagérations et dépassements doivent être évalués à l'échelle régionale et l'opposabilité doit être individuelle.
J'aimerais insister sur les secteurs d'intervention douloureux et délaissés aux yeux des familles, même si les intentions sont présentes. En matière d'autisme, que valent les textes et les structures d'accueil si la formation est mal adaptée ou incomplète ?
Quant à la souffrance chez les adolescents, elle devient un souci majeur : problèmes de violence, troubles du comportement. La nécessaire prise en compte des pathologies de l'étudiant dépassent le stade de la réflexion.
Quant aux maladies orphelines, plongeant dans le désespoir les familles et les malades, elles nécessitent une évaluation quantitative et géographique. Des programmes de recherche spécifiques et un soutien à la personne sont indispensables. De trop rares établissements spécialisés, essaimés sur la France, sont inabordables à tout un chacun, en particulier dans le secteur comprenant soins et éducation.
L'intérêt du débat dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale est non seulement de mettre en évidence les grands chantiers de demain mais aussi les insuffisances : le développement de l'épargne retraite et le devenir du financement des retraites, comme l'a dit M. Machet, nous déposerons une proposition de loi ; les droits et devoirs dans la famille et les soutiens à la cohésion familiale. Notre groupe travaillera dans ce sens.
Cela étant dit, je voterai le texte issu des débats du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer.
M. Louis Boyer. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à féliciter les membres de la commission des affaires sociales, tout particulièrement ses rapporteurs et son président, pour les amendement qu'ils nous ont proposés et qui ont permis d'améliorer grandement ce texte.
M. Jean-Louis Carrère. Toujours les violons !
M. Louis Boyer. La réforme de notre système de sécurité sociale est, en effet, indispensable. Nous en sommes tous conscients, mais nous sommes en désaccord avec le Gouvernement sur les mesures à prendre.
Trois dossiers méritent à ce titre la plus grande attention, non seulement du fait de l'ampleur de leurs enjeux, mais aussi par l'éclairage qu'ils apportent sur la politique du Gouvernement, je veux parler des médecins, de la famille et de la retraite.
Les socialistes ont critiqué la réforme du précédent gouvernement au motif fallacieux qu'il instaurait une maîtrise comptable des dépenses. Or le mécanisme de sanctions institué à l'encontre des médecins démontre que le Gouvernement fait aujourd'hui primer la maîtrise comptable sur la maîtrise médicalisée, qui est repoussée à plus tard. Cela traduit bien le retard pris dans les réformes de structure.
Le dispositif de reversement antérieur était moins radical et plus individualisé. Le mécanisme de régulation des dépenses, proposé par notre commission, permet d'en revenir à l'esprit de ce dispositif.
En matière de politique familiale, le rétablissement des allocations familiales pour tous ne traduit pas un retour à la situation antérieure, puisque cette mesure est financée par les familles elles-mêmes.
Ainsi, l'abaissement du pladond du quotient familial conduit à prélever 4 milliards de francs d'impôt supplémentaire sur les familles. En effet, 50 000 d'entre elles verront ainsi leur impôt augmenter de 6 200 francs par an en moyenne et 400 000 familles seront perdantes lors de ce troc, puisqu'elles percevront moins en allocation et qu'elles paieront plus d'impôts.
Quant au report des majorations des allocations familiales du fait de l'âge, il retire un milliard de francs aux familles et il ne se fonde sur aucune justification financière, puisque la branche famille est excédentaire. Ce dénigrement persistant de la famille doit être une nouvelle fois dénoncé. Et nous sommes, bien sûr, revenus sur cette mesure inéquitable.
En ce qui concerne les retraites, ce projet de loi n'est pas à la hauteur des enjeux.
Ainsi, la création du fonds de réserve est une mesure symbolique. Ce fonds n'est en effet doté que de 2 millards de francs pour 1999, soit une journée de prestation ! C'est une première étape, nous dit le Gouvernement. Certes, mais elle augure mal pour la suite.
L'engagement du Gouvernement en faveur de la création de plans d'épargne retraite démontre d'ailleurs qu'il doute de pouvoir, à l'avenir, abonder ce fonds de façon suffisante. Aussi serons-nous extrêmement vigilants sur le temps que le Gouvernement mettra pour autoriser la création de ces plans d'épargne et sur le contenu de ceux-ci.
M. Jean-Louis Carrère. Vous n'avez pas confiance en lui dans votre vote ?
M. Louis Boyer. J'ai confiance en mon vote et je dis au Gouvernement que j'aurai confiance en lui quand il m'aura montré ce qu'il est capable de faire.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. On l'a déjà montré cette année !
M. Louis Boyer. J'évoquerai, enfin, deux autres avancées importantes à l'issue de notre débat.
En ce qui concerne l'industrie pharmaceutique, le Sénat est revenu avec raison sur l'amendement de l'Assemblée nationale qui portait un coup dommageable à la politique conventionnelle.
Il convient, en outre, d'insister sur l'amendement adopté en faveur des veuves. En considérant que la majoration de pension pour un enfant constitue un avantage distinct de la pension elle-même, cet amendement autorise un cumul avec la pension de réversion et améliore la situation des veuves dans notre pays.
Sur les autres articles de ce projet de loi, la commission des affaires sociales nous a proposé des amendements qui visent à instaurer plus d'équité, une meilleure cohérence et une clarification des responsabilités. C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera le texte qui résulte des travaux de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Depuis 1996, le Parlement vote la loi de financement de la sécurité sociale. Il n'est d'ailleurs pas exagéré de dire que ce vote constitue, d'année en année, l'un des temps forts de la session parlementaire.
Pour la première fois, le Gouvernement prévoit un retour à l'équilibre des comptes du régime général de la sécurité sociale dès 1999. On ne peut que se réjouir d'une telle perspective, si elle venait à se réaliser.
Toutefois, cette annonce doit être modérée par un certain nombre de réflexions.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Certes !
M. Jacques Bimbenet. Tout d'abord, en ce qui concerne les recettes, les estimations du ministère de l'économie et des finances sont fondées sur une croissance très optimiste. Le taux de 2,7 % n'est pas celui qu'envisagent les économistes, qui, eux, tablent sur 2,4 % seulement.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce dernier ne cesse de diminuer !
M. Jacques Bimbenet. Par ailleurs, le poids de la cotisation sociale généralisée a atteint un seuil critique pour les contribuables. Chacun d'entre nous peut en témoigner.
La pression des prélèvements sociaux ne pourra pas être maintenue à un tel niveau. Il faut envisager de revenir à des normes plus acceptables.
Face à ces données, les dépenses de sécurité sociale font l'objet d'une estimation qui, par définition, reste aléatoire. En effet, comment évaluer a priori les besoins de santé de la population ? Cet exercice nous incombe et c'est pourquoi le principe d'une maîtrise dite « médicalisée » des dépenses de santé a été élaboré. Aujourd'hui, il serait cependant plus réaliste de parler d'une maîtrise comptable.
C'est ainsi que, cette année, le projet de loi de financement prévoit un mécanisme de reversement « à double détente ». Il concernerait, en effet, à la fois les médecins libéraux et les entreprises de l'industrie pharmaceutique, en cas de dépassement des objectifs économiques. Il s'agit là d'un aspect fondamental de la politique nouvelle de santé de la France.
Mais il faut rappeler le caractère particulier des professions de santé. Le médecin n'est pas un professionnel comme les autres. Celui qui voit arriver dans son cabinet vingt patients supplémentaires atteints d'une maladie due à une épidémie ne peut interrompre son travail sous prétexte que les coûts induits seraient trop élevés pour l'ensemble de la société.
Une simple épidémie de grippe peut effectivement à elle seule modifier l'évolution des coûts de la santé pour une année. Faut-il pénaliser toujours plus le médecin qui aura soigné ses patients comme il le devait ?
En réalité, il s'agit de régler par la seule voie économique le problème de la santé publique. Peut-être faudrait-il commencer par le début : moins de médecins libéraux occasionneraient moins d'actes. C'est le sens qu'avait pris initialement le MICA, en favorisant la cessation d'activité de médecins. Je regrette qu'aujourd'hui ce mécanisme subisse des modulations qui le rendent incertain et donc moins séduisant aux yeux des candidats.
De même, l'industrie pharmaceutique n'est pas une industrie comme les autres. Le fait de la soumettre à reversement en cas de dépassement du chiffre d'affaires implique des répercussions qui n'ont pas été suffisamment signalées. La décision de mettre un frein au développement de leur chiffre d'affaires implique la stagnation du marché du médicament. Tout lancement d'un produit nouveau augmentant automatiquement les ventes, l'industrie pharmaceutique va être confrontée à un choix difficile mais inéluctable. Soit elle sera obligée d'arrêter ses programmes de recherche et développement en France, soit elle se verra contrainte d'abandonner la commercialisation d'anciens produits. Dans les deux cas, le patient sera pénalisé.
Cette mesure est également dangereuse en ce qu'elle met la France en situation d'infériorité par rapport aux autres Etats dans le domaine thérapeutique. A l'avenir, les médicaments nouveaux seront trouvés à l'étranger et commercialisés depuis l'étranger par des firmes étrangères. Est-ce là ce qui est véritablement souhaité ?
Il serait nécessaire d'en revenir à une vision plus large du problème. Il ne faut pas confondre tactique et stratégie. Les mesures qui nous ont été proposées répondent à une tactique destinée à rééquilibrer un budget déficitaire depuis de longues années. En cela, le projet de loi de financement de la sécurité sociale est parfaitement louable.
Il est cependant opposé à toute stratégie qui consisterait, au contraire, à développer une grande industrie française, riche en emplois, en bien-être et favorisant le rayonnement de la France.
In fine , sur le plan économique, si la maîtrise de la création et du développement des médicaments n'était réservée qu'aux laboratoires étrangers, la France perdrait la maîtrise du prix des médicaments. Elle s'exposerait également au risque bien réel que certains médicaments ne soient plus distribués sur le sol français.
Sur le plan des retraites également, les moyens de gestion proposés dans le projet de loi manquent singulièrement de cohérence.
Comment comprendre la revalorisation exceptionnelle des pensions alors même que tous reconnaissent l'urgente nécessité de procéder à la constitution d'importantes réserves ? D'ores et déjà, on avance l'année 2005 comme point de départ d'une modification des rapports entre les actifs et les retraités. Six années seulement nous séparent de ce tournant. Il nous faut l'anticiper dès maintenant en prenant les mesures nécessaires, en préservant notre système de retraite par répartition.
Enfin, alors que la branche famille demeure excédentaire de 4 milliards de francs, le Gouvernement propose de ne revaloriser les prestations familiales que du minimum légal. Il s'agit d'une contradiction difficilement soutenable. Ici comme ailleurs, la politique familiale fait décidément figure de parent pauvre du projet gouvernemental.
Mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous venons d'examiner, s'il se veut rassurant, ne résout certes pas tous les problèmes. Il ne présente pas les grandes orientations de politique sociale nécessaires à la survie de notre système. C'est un débat à dominante trop comptable qui nous a été proposé.
Cependant, de nombreuses améliorations ont été apportées au texte de l'Assemblée nationale par la commission des affaires sociales - j'en profite pour remercier notre excellent rapporteur M. Descours - puis adoptées par notre assemblée. C'est pourquoi la majorité du groupe du Rassemblement démocratique social et européen votera ce texte, ainsi modifié. (« Très bien ! » et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Au terme de ces trois jours de débat, nous nous sommes longuement exprimés sur ce projet de loi.
Pour commencer, je tiens à vous livrer mon sentiment sur la teneur des débats qui se sont déroulés.
Alors que se joue l'avenir de notre protection sociale, que se décide la politique de santé, les discussions sur ce texte majeur se sont déroulées entre spécialistes, presque à huis clos à certains moments.
Pour leur part, les parlementaires communistes ont eu à coeur de démontrer que nos régimes de retraite, notre politique familiale et notre système de soins devraient non seulement être préservés, mais développés pour prémunir chacun de nos concitoyens contre les aléas de la vie.
Nous pensons sincèrement qu'une solution autre que le plan Juppé pourrait permettre de réformer la sécurité sociale. Elle réside dans la recherche de nouvelles formes de financement.
Trois ans après l'adoption du plan Juppé qui, loin d'avoir tout réglé, bien au contraire, a réduit peu à peu la couverture de notre protection sociale, générant ainsi des inégalités croissantes, nous attendions, au regard des engagements pris l'an dernier par le Gouvernement, que ce projet de loi s'inscrive pleinement en faux contre la logique antérieure de maîtrise comptable des dépenses de santé.
Malheureusement, étant donné le contenu du projet de loi, notre groupe s'est abstenu à l'Assemblée nationale. Je le rappelle pour mieux faire comprendre la tonalité de mes propos.
Il est vrai que le projet de loi tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale ne nous satisfait pas entièrement.
M. Dominique Leclerc. Ah !
M. Guy Fischer. Il n'en demeure pas moins, et nous l'avons déjà dit, qu'il apporte de réelles améliorations sur un certain nombre de points, notamment en matière de prestations familiales.
Le Gouvernement a eu le courage de prendre des décisions, il a ainsi tenu compte de l'opposition que nous avions exprimée l'an passé. Peu nombreux sont les gouvernements qui ont agi de la sorte.
En outre, le problème des retraites, qui constitue un enjeu capital, a également fait l'objet d'un débat. La loi Thomas va être abrogée et Mme la ministre a annoncé qu'un projet de loi viendrait sous-tendre une réforme des cotisations patronales au cours du prochain semestre.
En outre, après que le chemin a été ouvert l'an passé, une réponse très importante est donnée aux demandes longtemps ignorées du monde des handicapés. Les décisions prises sont significatives des progrès accomplis. Il reste évidemment à mettre en oeuvre les moyens dégagés.
Vous le savez, madame la ministre, selon nous, la question centrale du financement de la protection sociale n'a jusqu'à présent pas été traitée. Dès maintenant, convenez tout de même qu'il n'est pas juste et pas viable que les seuls salariés supportent l'essentiel du poids du financement de la sécurité sociale alors même que la part des salaires dans la richesse créée diminue et que la part des profits s'accentue. Nous sommes persuadés qu'ensemble nous parviendrons à élaborer un projet de réforme des cotisations patronales, qui répondra aux besoins grandissants de l'ensemble des Français.
Nous poursuivrons ce débat au cours des prochains mois, notamment lors de la discussion du projet de loi relatif à la couverture maladie universelle et du débat sur les retraites.
Si de telles propositions trouvent un écho favorable auprès du Gouvernement, force est de constater que la faiblesse des recettes de la sécurité sociale n'inquiète guère la droite sénatoriale. (Protestations sur les travées du RPR.)
Elle l'a montré en sortant et ressortant rapidement les vieilles recettes : ainsi, l'amendement de M. Arthuis faisait entrer par la fenêtre les fonds de pension qui venaient de sortir par la porte. On sait fort bien que la fiscalisation du financement de la sécurité sociale vous satisfait.
Comme le MEDEF, vous préférez préconiser des exonérations massives de cotisations patronales qui ne créent pas d'emplois durables et qui privent la sécurité sociale de ressources considérables.
C'est le premier point d'opposition avec votre démarche.
Sur les différents volets du texte, l'attitude de la commission des affaires sociales a été sans grande surprise.
Vous acceptez l'idée d'un fonds de réserve, pour tout de suite le priver d'une précision apportée par l'Assemblée nationale quant à la gestion de ce fonds ; je n'y reviens pas. C'est là la deuxième attitude que nous ne pouvons cautionner, car on voit bien que les fonds de pension sont « en embuscade ».
Sur l'assurance maladie, vous entendez « utiliser les marges disponibles à l'adaptation de l'offre de soins ». On s'est largement exprimé, voire contredit sur le niveau de l'ONDAM.
En revanche, et c'est là une autre contradiction, vous êtes prêts sur le terrain à défendre avec force l'hôpital de vos villes, alors que, paradoxalement, aucune des dispositions introduites ne change la démarche des restructurations hospitalières.
Enfin, et c'est peut-être le point le plus surprenant, vous vous opposez aux dispositions gouvernementales de sanction des médecins et pharmaciens. Certes, la discussion a évolué à cet égard, mais nous serons très attentifs notamment à l'attitude des laboratoires pharmaceutiques, à la part qu'ils prendront finalement dans cette solidarité qui doit se manifester pour asseoir notre protection sociale. Nous avons tous en mémoire la démarche rigide et autoritaire à l'époque de la réforme Juppé.
Un rapport annexe réécrit, des amendements auxquels nous nous sommes opposés pour la plupart, vous comprendrez que pour toutes ces raisons nous ne voterons pas le texte tel qu'il a été amendé par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat qui s'est déroulé au sein de la Haute Assemblée depuis jeudi dernier nous a permis de réaffirmer notre attachement à notre système de protection sociale.
Dans cette optique, nous craignons que le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne soit pas à la hauteur des enjeux et se révèle insuffisant pour assurer la sauvegarde du système général de la sécurité sociale.
En effet, l'équilibre global du régime général repose, pour 1999, sur des hypothèses de croissance et de progression de la masse salariale qui sont dénuées de fondement et qui méconnaissent les effets de la conjoncture mondiale.
En outre, l'absence de volonté politique du Gouvernement a eu les conséquences que l'on sait en 1998, avec un dérapage des dépenses de santé. En 1999, on risque de constater les mêmes effets néfastes, à moins que la mise en place de mesures de rétorsion vis-à-vis des professionnels de santé ne vous permettent, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, d'atteindre vos objectifs.
Ce texte n'est pas non plus à la hauteur s'agissant du régime général de l'assurance vieillesse. On connaît en effet depuis des années l'impasse démographique vers laquelle nous nous dirigeons. Vous niez cette évidence et annoncez la création d'un pseudo fonds de réserve, tout en refusant aux Français de pouvoir épargner pour leur retraite par le biais de fonds de pension. A force de tourner le dos à la réalité, vous allez détruire ce que vous prétendez vouloir protéger.
Ce projet de loi est encore moins à la hauteur en ce qui concerne les familles. Que de contradictions dans la politique que vous menez !
Vous avez décidé de supprimer la mise sous condition de ressources des allocations familiales ; heureuse prise de conscience de votre erreur. Mais attention, c'est pour mieux plafonner ailleurs : vous réduisez l'avantage procuré aux familles par le quotient familial.
Les mesures dites « en faveur des familles » apparaissent bien fades en comparaison de cette mesure absurde et injuste. Il est quand même très regrettable, par exemple, que, du fait de ce dispositif, les personnes seules avec enfant à charge paient plus que les couples de concubins !
Ce projet de loi n'est pas à la hauteur concernant l'aspect conventionnel.
Vous prétendez avoir renoué le dialogue avec les professionnels de santé. Pour le moment, permettez-moi d'en douter.
Vous mettez en place un mécanisme de sanction collective qui ne pourra qu'être inefficace et déresponsabilisant pour les professions de santé.
Vous parlez de « serre-file » qui ne devrait s'appliquer qu'en dernier recours, pour ceux qui n'auraient pas su « rentrer dans les clous ». Les médecins n'ont pas l'air très convaincus.
M. Jean-Louis Carrère. Les pharmaciens !
M. Dominique Leclerc. Ils n'ont pas l'air, non plus, d'apprécier le système des lettres clés flottantes qui va les placer dans une situation impossible.
Pourquoi les rendez-vous donc seuls et collectivement responsables des multiples causes de la hausse des dépenses de santé ?
Je voudrais réaffirmer notre attachement au système libéral de la pratique de la médecine et à la nécessité de construire entre tous les acteurs du secteur un partenariat où chacun se sente responsable avec pour seul but l'amélioration de la qualité des soins à un coût maîtrisé.
M. Jean-Louis Carrère. Comme Juppé !
M. Dominique Leclerc. De même pour l'industrie pharmaceutique, il est paradoxal de parler de politique conventionnelle tout en instituant la clause de sauvegarde telle que vous l'avez créée dans votre texte. Encore une fois, vous risquez fort de pénaliser un secteur de notre industrie qui a de plus en plus de difficultés à rester innovant.
La liste des insuffisances du texte initial est donc longue, et je félicite les commissions et leurs rapporteurs, MM. Descours, Vasselle, Oudin et Machet, de l'excellent travail de réécriture qu'ils ont, avec le président de la commission des affaires sociales, effectué.
Le Sénat a pu adopter durant ses travaux de nombreuses améliorations. Ainsi, il a renvoyé la définition du fonds de réserve à un futur projet de loi, afin d'en redéfinir les modalités et d'arrêter une réforme complète et cohérente, assurant l'équilibre de la branche vieillesse et clarifiant la situation des régimes spéciaux.
De même, il était important que nous supprimions la disposition diminuant les exonérations de charges sociales dont bénéficient les personnes âgées de plus de 70 ans pour l'emploi d'une aide à domicile.
Ce débat a également permis de réaffirmer le principe de la compensation par l'Etat des exonérations des cotisations patronales décidées par le Gouvernement, notamment dans le cadre de la loi sur les 35 heures.
En outre, nous avons remplacé le mécanisme des lettres clés flottantes et des reversements collectifs des médecins libéraux par un dispositif de maîtrise médicalisée des dépenses qui garantit le respect de l'objectif annuel.
Bien d'autres améliorations ont été apportées.
Ainsi modifié, ce texte prépare mieux l'avenir que le projet de loi tel qu'il nous avait été transmis par l'Assemblée nationale. Il respecte l'autonomie des branches, l'autorité des contrats signés, la réalité des chiffres, les familles, les retraités, la santé des Français et ceux qui y contribuent.
J'ose espérer que ce travail effectif sera retenu par l'Assemblée nationale.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République votera ce projet de loi tel qu'il a été amendé par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, et de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pourquoi cacherais-je qu'à la fin de ce débat j'éprouve un certain sentiment d'insatisfaction ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Moi aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ceux qui, comme moi, se sont battus pendant très longtemps pour que le Parlement soit finalement l'arbitre sur le problème du financement de notre protection sociale et examine chaque année à la fois les résultats des années passées et les perspectives des années prochaines pour le financement de nos quatre branches conviendront que le débat qui vient d'avoir lieu, s'il a été intéressant compte tenu des arguments utilisés de part et d'autre, ne répond pas aux trois grandes questions auxquelles la représentation nationale devra répondre, au cours des prochaines années.
La première porte sur notre régime d'allocations familiales et de prestations familiales qui est compliqué et auquel plus personne ne comprend rien. Il faut même créer des annexes partout pour expliquer aux bénéficiaires la façon dont ils peuvent faire valoir leurs droits.
Pourtant, nous sommes en Europe le seul pays à avoir une politique publique d'aide aux familles, et tous les problèmes que nous connaissons dans notre société, aussi bien l'incivilité et la délinquance que l'éclatement de la cellule familiale et d'autres encore, passent par un renforcement de la politique familiale.
L'impression que donnent le texte et la politique gouvernementale en général depuis un an et demi est une légère modification de cette politique, avec le report d'un certain nombre de mesures. Or il est clair que, si nous voulons conserver à notre société un certain nombre d'éléments de stabilité, il vaudrait mieux, au lieu de se lancer dans des textes juridiquement compliqués et aux effets imprévisibles - comme le PACS ! - (Exclamations sur les travées socialistes) renforcer la politique familiale, simplifier les prestations, en partant de l'enfant et non pas du couple, et essayer de mener une politique familiale qui soit sérieuse et de longue durée.
Nous ne pourrons échapper à ce problème et, pourtant, le texte qui nous est soumis ne porte pas en lui-même les germes de cet objectif à long terme.
S'agissant de la politique de santé, je crois, madame la ministre, qu'il n'y aura pas de solution entre la maîtrise médicalisée et la maîtrise comptable tant que l'on voudra organiser cette maîtrise sur le plan national et de manière centralisée. La vraie solution du problème réside dans l'activation des unions professionnelles régionales, dans la décentralisation de la responsabilité des acteurs.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est ce que l'on fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. La solution réside aussi dans l'examen, près du terrain, des problèmes posés par la demande de soins de nos concitoyens et par la réponse apportée par les professionnels.
Ce n'est pas par la loi, le règlement, le décret ou la convention nationale que l'on y arrivera. On ne pourra le faire que si l'on accepte de jouer le jeu de la décentralisation que, hélas ! je ne vois pas venir. Au contraire, je vois venir plus de recentralisation !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mais non !
M. Jean-Pierre Fourcade. Enfin, en matière de retraites, nous allons sur l'obstacle les yeux bandés !
Nous savons tous que notre régime général, les régimes annexes, les régimes spéciaux et les régimes complémentaires connaîtront des difficultés du fait de l'allongement de durée de la vie humaine, du raccourcissement de la période de travail et de l'amélioration de l'état sanitaire de la population.
Or nous refusons, pour des raisons idéologiques - M. Fischer vient de le dire - tout système de capitalisation.
Nous avons perdu du temps pendant un certain nombre d'années, et, aujourd'hui, nos concitoyens cotisent pour des caisses de retraite américaines, suisses, canadiennes ou anglaises ! Finalement, on est en train de faire payer à toute une série de porteurs d'actions français le financement de fonds de pension dirigés de l'étranger. Et ce sont ces fonds de pension américains, suisses, britanniques ou canadiens qui achètent la plupart de nos activités industrielles, la plupart de nos sociétés. Nous assistons donc, impuissants, à ce déferlement de fonds de pension parce que nous sommes contre les mécanismes de capitalisation, parce que nous voulons protéger le mécanisme de répartition. Cela s'appelle se bander les yeux en allant sur l'obstacle.
On peut se féliciter de l'abrogation de la loi Thomas, mais, dans dix ou quinze ans, nos successeurs ne nous féliciterons pas d'avoir été aussi aveugles et de ne pas avoir été capables de prendre, quand il le fallait, des mesures de sauvegarde de l'ensemble de nos systèmes de retraite.
Telles sont les trois questions de fond que, à mon sens, ce texte soulève.
Bien sûr, comme l'a dit mon excellent collègue M. Bimbenet, je voterai le texte tel qu'il ressort de nos débats, mais je souhaiterais que, de part et d'autre de l'hémicycle, au lieu de se référer à des idéologies passées, à des habitudes anciennes de conventions et de négociations, l'on s'occupe un peu de l'avenir : ce sont les nouvelles générations qui risquent de payer le prix de nos impérities. Tel est l'appel que je voulais lancer à la fin de ce débat. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées de l'Union centriste, du RPR, ainsi que sur celles des Républicains et Indépendants.)
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Monsieur le président, je voudrais adresser mes remerciements d'abord à la présidence pour la manière dont elle a conduit les débats, ensuite à l'ensemble de nos collègues, sur quelque banc qu'ils siègent et, naturellement, aux membres de la majorité sénatoriale, qui ont soutenu les propositions de la commission des affaires sociales...
M. Jean-Louis Carrère. Encore les violons !
M. Alain Gournac. Cela fait du bien, de temps en temps !
M. Charles Descours, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère. Ici, c'est toujours comme ça !
M. le président. S'il vous plaît, nous ne sommes pas dans une séance musicale ! (Sourires.)
M. Charles Descours, rapporteur. Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue, cher collègue Carrère, à vous qui venez d'arriver dans ce débat qui dure depuis trois jours.
M. Jean Chérioux. Mieux vaut tard que jamais !
M. Jean-Louis Carrère. Eh bien, continuez le violon !
M. Charles Descours, rapporteur. Je tiens à remercier également Mme la ministre et M. le secrétaire d'Etat, même s'ils n'ont pas toujours été d'accord avec moi, mais cela fait partie du débat démocratique.
Mes chers collègues, il n'y a pas d'incongruité à débattre, même vigoureusement, entre nous et, ensuite, à nous réjouir que la démocratie ait fonctionné convenablement. Il y a tellement de pays où elle est bafouée !
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 qui nous a été transmis nous a paru - nous l'avons dit lors de la discussion générale - fragile dans ses équilibres, peu cohérent dans ses propositions et inabouti dans ses analyses.
Comme les propos de M. Jean-Pierre Fourcade l'ont mis en évidence, ce texte fait penser à un peu En attendant Godot : on attend le rapport Charpin, on attend l'épargne retraite, on attend la cotisation maladie universelle, on attend, on attend ... mais on ne voit rien venir !
M. Jean-Louis Carrère. Et vous, qu'est-ce que vous attendez ?
M. Charles Descours, rapporteur. De reprendre le pouvoir !
M. Jean-Louis Carrère. Cela, on le sait bien !
M. Charles Descours, rapporteur. Qu'en est-il du texte adopté par le Sénat ?
En ce qui concerne les équilibres généraux, nos propositions ont majoré les prévisions de recettes par des amendements de sincérité comptable, qui visent à clarifier les relations entre l'Etat et la sécurité sociale ; conformément à une attitude constante de la commission des affaires sociales depuis bien longtemps.
Les deux principes posés par la loi du 25 juillet 1994, à savoir la compensation financière des exonérations de charges sociales et la séparation des branches, ont été réaffirmés avec force par le Sénat ; ils le seront à l'avenir, je l'espère, quel que soit le Gouvernement.
S'agissant de la politique familiale, il est vrai que nous avons essayé de défendre une politique la plus dynamique possible, ce qui nous a conduits à refuser - M. Machet l'a rappelé voilà un instant - le décalage de la majoration pour âge s'agissant du versement des allocations familiales, à refuser les mesures qui nous paraissent défavorables aux personnes âgées touchées par le drame du veuvage et à rejeter le plafonnement drastique de l'exonération de charges sociales accordée aux personnes de plus de soixante-dix ans pour les emplois à domicile.
S'agissant des retraites, nous avons conservé le fonds de réserve. Vous avez dit, madame la ministre, qu'il s'agissait d'une création symbolique. Nous vous avons donc écoutée. Dans la rédaction adoptée, les excédents de la C3S continuent bien d'être affectés au fonds de solidarité vieillesse et ne le seront donc pas au BAPSA, comme vous avez pu le croire ; nous nous étions sans doute mal exprimés. Nous avons simplement refusé d'affecter 2 milliards de francs à un fonds dont toutes les caractéristiques en définitive apparaissaient comme transitoires, selon votre propre expression.
Nous avons pensé qu'il méritait mieux et qu'un projet de loi devrait nous être soumis dans les prochains mois : ce fonds de réserve destiné à sauver les régimes de retraite par répartition, auxquels nous sommes attachés, nécessite en effet un véritable débat pour savoir comment il sera alimenté, contrôlé et géré.
Je le répète pour que l'on ne nous fasse pas de procès d'intention : le Sénat est favorable aux régimes de retraite par répartition.
M. Jean-Louis Carrère. Oh ! Oh !
M. Charles Descours, rapporteur. Mon cher collègue, ces régimes ont été fondés par le général de Gaulle en 1946. Je m'affirme gaulliste : ce n'est donc ni par moi, ni par mon parti qu'ils seront mis en danger. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Le Sénat souhaite que le Gouvernement propose une vraie réforme des régimes de retraite, notamment des régimes spéciaux, et ce n'est pas pour dresser les Français les uns contre les autres. En fait, nous souhaitons que le rapport Charpin nous donne les éléments d'information nécessaires pour que nous puissions débattre dans la plus grande clarté possible des mesures qui, nous le savons tous, sont indispensables.
C'est vrai, l'introduction d'un troisième étage est urgente, car nous n'opposons pas répartition et capitalisation. Nous voulons sauver les régimes de retraite par répartition et instaurer une dose de capitalisation nécessaire à nos retraites et à notre économie. Aujourd'hui, la plupart de nos grandes entreprises sont pour 15 % à 40 % de leur capital aux mains de fonds de capitalisation étrangers. Aussi, je me réjouis que M. Strauss-Kahn, mesdames, messieurs de la majorité, ait dit qu'il allait instaurer - je ne sais pas si c'est avec l'accord de Mme Aubry - des fonds de retraite par capitalisation. J'attends avec impatience le projet de loi qui doit nous être soumis au cours du prochain semestre ; je l'examinerai avec intérêt.
S'agissant du tabac, nous avons créé une taxe de santé publique car je crois qu'il faut sortir de l'ambiguïté qui consiste à alimenter le budget général au moyen de taxes sur le tabac qui, ensuite, ne profitent pas à l'assurance maladie.
En ce qui concerne l'assurance maladie précisément, nous avons supprimé le système de reversement et de sanctions collectives.
Je le répète, ce sont les sanctions collectives prévues dans les ordonnances Juppé, qui ont provoqué l'opposition des médecins. Les sanctions collectives qui sont inscrites dans le projet de loi de financement actuel ne sont pas mieux comprises par les médecins. Mais c'est à cause de ces sanctions collectives que le plus grand syndicat de médecins a claqué la porte dès le premier jour de la négociation avec la CNAM, que le CSML refuse de participer aux discussions et que les deux autres syndicats restent à la porte. (M. Autain s'exclame.)
Oui, j'ai écouté les professionnels de santé, monsieur Autain, et je n'en ai pas honte : il faut sortir des sanctions collectives sinon le système de santé sera bloqué. Nous ne pouvons rien faire sans les médecins et, si nous voulons sauver, comme vous le dites dans la majorité plurielle, le système de santé par répartition, il est temps que nous reprenions le dialogue avec les médecins, ce qui a été tenté mais, selon moi, sans succès par le gouvernement actuel comme d'ailleurs, je le reconnais, par le gouvernement d'hier.
On nous a présenté un système en équilibre et nous revenons avec un autre système, lui aussi, en équilibre.
Nous avons voulu améliorer les conditions de la maîtrise des dépenses pharmaceutiques et le bon usage des médicaments, et je me réjouis que l'excellent amendement présenté par M. Autain et le groupe socialiste (Ah ! sur les travées socialistes.) ait été voté par la quasi-totalité de l'hémicycle,...
M. Jean Chérioux. C'est cela l'objectivité !
M. Charles Descours, rapporteur. ... avec seulement quelques abstentions...
M. François Autain. Il avait l'accord du Gouvernement.
M. Charles Descours, rapporteur. Je me réjouis de ce moment de consensus sympathique que nous avons pu dégager au cours de ces deux jours.
Enfin, nous avons affecté certaines marges disponibles aux bonnes conditions d'une adaptation de l'offre de soins, suivant en cela les recommandations du conseil d'administration de la CNAM et, je le souligne, monsieur Fischer, sans diminuer les dotations de l'ONDAM.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous avez annoncé des réformes imminentes. Si elles ont des incidences sur les conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale et si les prévisions de croissance et d'inflation ne sont pas au rendez-vous, il faudra bien remettre l'ouvrage sur le métier.
Je terminerai cette intervention en souhaitant qu'on ne fasse de procès d'intention à personne, ni à la majorité sénatoriale, ni à l'opposition, ni au Gouvernement.
La sécurité sociale, comme je le disais tout à l'heure, touche aux conditions de vie fondamentales de nos concitoyens, à la famille, à la vieillesse, à la maladie, aux accidents du travail, et n'oublions pas que, au-delà de nos divergences qui sont légitimes en démocratie, au-delà de nos discussions parfois vives, il n'y a de querelle qui vaille que celle de l'homme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous arrivons au terme d'un débat qui nous a permis, sur un texte important, difficile, mais intéressant, d'adopter cinquante-cinq amendements. Il s'agit essentiellement, bien sûr, d'amendements de la commission, mais également d'amendements émanant des groupes de la majorité, de quelques amendements du Gouvernement, ainsi d'un amendement important - Charles Descours vient d'en faire état - qu'avait présenté M. Autain, au nom du groupe socialiste, et qui nous a permis de nous rassembler en un moment qui était d'ailleurs plus un moment de pragmatisme qu'un moment de grâce.
M. Jean-Louis Carrère. On vous laisse la grâce et on garde le pragmatisme ! (Sourires.)
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur Carrère, votre jeu relevant plus du cirque que de l'orchestre, je vous prie de bien vouloir me laisser parler ! (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Cet amendement a donc rassemblé majorité, opposition et Gouvernement.
Ce fut un débat riche et animé, parfois même très vif. Que chacun de ceux qui y ont participé en soit remercié, à commencer par les trois rapporteurs de la commission des affaires sociales et le rapporteur pour avis de la commission des finances.
Mais permettez-moi, au risque de vous déplaire, de vous en remercier aussi, madame la ministre, ainsi que vous, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous vous êtes, l'un et l'autre, efforcés de répondre à nos interrogations et vous avez, comme il est normal, argumenté contre bon nombre de nos propositions.
Pour mener ce débat à son terme, non seulement nous avons dû nous plier à un calendrier un peu particulier, ce qui nous a conduit à siéger le lendemain du 11 novembre, puis un lundi, mais nous avons dû nous soumettre à des exigences constitutionnelles qui nous ont contraints à faire diligence, car ce projet de loi a été déposé tardivement, pour des raisons qui sont d'ailleurs totalement indépendantes de votre volonté, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ce ne sera une surprise pour personne, nous ne vous « rendons » pas ce texte en l'état dans lequel l'Assemblée nationale nous l'a transmis. Mais c'est le rôle du débat démocratique que de permettre, là à la majorité, ici à l'opposition, de faire valoir son point de vue et de tenter de convaincre de son bien-fondé.
Personne ne peut avoir la prétention d'atteindre à la perfection absolue dans un domaine aussi important et complexe que celui de la protection sociale. Comme je l'avais fait voilà quelques années au début de mon rapport sur le projet de loi relatif à la lutte contre le tabagisme et l'acoolisme, je citerai Portalis, qui nous domine ici : « Une loi ne doit pas être plus parfaite que les hommes auxquels elle s'adresse. »
C'est un appel à la modestie du législateur, que ce soit celui qui propose la loi ou celui qui la vote.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous pensons donc modestement que le texte issu des délibérations du Sénat est amélioré et clarifié, même si demeure le sentiment qu'il faudrait rapidement remettre ce projet de loi en chantier. En effet, si nous sommes largement d'accord sur les objectifs, au premier rang desquels le bien-être de nos concitoyens, nous divergeons sur les moyens d'y parvenir.
Nous serons appelés à tirer les conséquences des nombreuses réformes que le Gouvernement renvoie au premier semestre 1999 : réflexion sur l'avenir des retraites, réforme des cotisations patronales, couverture maladie universelle, réforme d'ensemble de l'aide à domicile. Tout cela devra aboutir non à une sédimentation supplémentaire, mais à des simplifications compréhensibles par tous.
Nous devrons aussi vérifier si les prévisions de recettes retenues par le Gouvernement sont avérées. Ces prévisions reposent sur des hypothèses économiques - en termes de croissance et d'inflation - qui sont toutes favorables aux recettes. Nous souhaitons sincèrement que ces prévisions optimistes soient confirmées par les faits, parce que ce serait le signe que notre pays va bien, mais nous nourrissons quelques interrogations.
Naturellement, la commission des affaires sociales restera très vigilante sur l'ensemble de ces dossiers, notamment sur celui de l'avenir des retraites.
Sur ce dernier point, elle a pris acte de vos déclarations, madame la ministre, selon lesquelles le bilan dressé par le Commissariat général du Plan sur notre système de retraite était prêt. Aussi la commission souhaite-t-elle entendre M. Jean-Michel Charpin, commissaire général au Plan, avant l'interruption de fin d'année de nos travaux, afin qu'il lui présente ce bilan et le commente devant elle.
Nous ne pensons pas, en effet, que le Parlement puisse rester absent des grands débats que le Gouvernement entend ouvrir en dehors des échéances législatives. Nous ne pensons pas que la représentation nationale puisse être tenue à l'écart d'une réflexion fondée sur des rapports d'experts, auxquels succéderaient de grands débats publics.
Le Parlement est le lieu privilégié du débat. Le Sénat, dans ses différentes composantes, y sera toujours prêt. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 5:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 216
Contre 99

5