Séance du 19 novembre 1998







M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 289, adressée à M. le secrétaire d'Etat au logement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, la loi qui porte votre nom et qui date de 1990 n'est toujours pas entrée en application. Les plans d'occupation des sols sont de plus en plus difficiles à établir pour réserver un terrain, puis l'aménager afin d'accueillir quelques dizaines de caravanes. Les contraintes fortes exigées sur la proximité souhaitable d'équipements, d'hôpital, d'écoles pour l'implantation de l'aire de stationnement sont souvent utilisées comme prétextes pour conclure à l'impossibilité de réserver un terrain tant il y aurait de contraintes. Dans les faits, c'est aussi un manque de volonté, je le reconnais volontiers.
L'absence de solutions réalistes conduit à des difficultés croissantes. L'installation sur des parkings d'entreprise ou de surface commerciale, près des immeubles des cités, conduit à des procédures d'expulsion qui demandent souvent de dix jours à un mois, à des frais de l'ordre de 15 000 francs avec recours à un huissier de justice, à un avocat. La chambre de commerce et d'industrie du Val-d'Oise, par exemple, en arrive à demander une révision législative ponctuelle du droit d'expulsion afin de simplifier la procédure actuelle et de réduire considérablement les frais de justice engagés par les entreprises, en confiant à l'autorité préfectorale les moyens d'intervenir, en lui permettant d'ordonner et de faire exécuter l'expulsion des occupants entrés irrégulièrement à l'intérieur d'entreprises.
La rapidité d'exécution administrative est sollicitée mais, bien entendu, avec l'objectif d'une expulsion plus rapide. Voilà où nous en sommes aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat.
Effectivement, les occupations sauvages posent bien des problèmes aux collectivités territoriales, notamment d'Ile-de-France, et plus particulièrement à celles du nord-est, aux limites de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, dans une région de pénétration francilienne, avec le passage des grandes voies de circulation A1, A16, RN17, RN1, RN16... avant Paris et le long des parcours conduisant aux rassemblements périodiques de la belle culture tsigane.
Est-il vrai, monsieur le secrétaire d'Etat, que non seulement votre loi n'est pas appliquée, mais que le nombre d'emplacements disponibles est en voie de régression ?
Est-il vrai que le territoire national offrirait moins de cinq mille places, alors que le besoin est estimé à soixante mille ?
L'Ile-de-France, pour sa part, ne compterait que cinq cents places pour accueillir environ neuf mille caravanes de gens du voyage.
Le secrétaire de la mission évangélique tsigane affirme que « pour six places occupées, il y a cinquante caravanes qui tournent en rond dans un mouchoir de poche, se faisant expulser de partout ». Que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Comme contribution, je voudrais faire observer qu'il conviendrait de lever la confusion entre les gens du voyage, les itinérants réels, et ceux qui aspirent ou, de fait, s'installent dans une semi-sédentarisation.
Pour les premiers, ce sont des emplacements suffisamment vastes, avec gardiennage, équipements modernes, conditions d'hygiène et de circulation réglementaire qu'il conviendrait d'aménager le long des grands axes de pèlerinage. Le caractère régional devrait primer le caractère local. C'était d'ailleurs le sens de ma question.
Pour la seconde catégorie, le problème est plus complexe, mais nous devons, bien sûr, lui trouver une solution. Nous avons bien réussi à faire disparaître voilà maintenant trente ou quarante ans de nombreux bidonvilles de la région parisienne. Il ne faudrait pas aujourd'hui laisser se créer des espaces de semi-sédentarisation, en voie de devenir parfois des lieux de sédentarisation réelle, mal situés, mal équipés, devenant rapidement des foyers de misère où se retrouvent les plus pauvres des gens du voyage.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question est simple : ne convient-il pas de distinguer deux types de solution ?
Je souhaiterais connaître les propositions que vous êtes en mesure de nous faire aujourd'hui.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Madame le sénateur, vous posez là une question délicate et complexe, mais qui est pleinement d'actualité.
Le statu quo en matière de stationnement des gens du voyage n'est effectivement satisfaisant ni pour les collectivités et parfois leurs habitants, ni pour les gens du voyage. Cela est particulièrement évident en région parisienne, notamment en grande couronne, ainsi que vous l'avez indiqué.
L'article 28 de la loi du 31 mai 1990 a pour origine, je me permets de l'indiquer, un amendement parlementaire, que le Gouvernement, à l'époque, n'avait pas soutenu, car il lui semblait quelque peu improvisé et mal venu dans la mesure où la loi à laquelle il était proposé de l'intégrer n'avait pas la même logique, puisque cette loi s'abstenait de classer comme public défavorisé toute une composante sociale. Par ailleurs, le Premier ministre de l'époque avait chargé un ancien préfet d'une mission d'ensemble sur les problèmes des gens du voyage, et il aurait été peu courtois de légiférer sans attendre les conclusions que cette mission était susceptible de rendre.
Il n'en reste pas moins que l'amendement a été adopté. Les intentions de ses auteurs étaient positives, constructives : ils souhaitaient apporter une solution à un problème déjà réel à l'époque, même s'il est aujourd'hui encore plus d'actualité.
L'article 28 visait donc à régler ces difficultés par l'élaboration de schémas départementaux et par une obligation de réaliser des aires d'accueil pour les gens du voyage. Mais cette réalisation ne reposait que sur la bonne volonté, car le texte ne prévoyait aucune contrainte ni aucun calendrier.
Force est de constater que l'objectif n'a pas été atteint, comme vous l'avez rappelé et comme l'avait souligné ici même le rapporteur de votre commission des lois, M. Delevoye, lors de la présentation d'une proposition de loi consacrée à ce sujet.
Seul un tiers des départements ont élaboré un schéma et un peu plus d'un quart des communes de plus de 5 000 habitants ont rempli leur obligation, ce qui représente en tout, avec les aires construites par d'autres communes, non concernées par le seuil des 5 000 habitants, environ 10 000 places, dont certaines disparaissent faute d'être gérées et surveillées.
Une évolution du cadre législatif et financier est donc nécessaire : évolution du cadre législatif puisque les conditions d'une mise en oeuvre effective des dispositions ne sont pas assurées ; évolution du cadre financier aussi, car on ne peut pas faire comme s'il ne s'agissait que de mauvaise volonté : certaines collectivités n'ont pas les moyens de faire face à l'obligation en cause.
Le Gouvernement a donc avancé, et je suis heureux de pouvoir vous l'indiquer, dans l'élaboration interministérielle de propositions qui seront soumises à une large concertation.
L'objectif est d'aboutir à un équilibre dans les droits et les devoirs de chacun : les collectivités locales doivent mieux honorer leurs obligations en matière d'accueil et les gens du voyage doivent mieux respecter les règles, en particulier les règles d'installation.
Nos travaux sont donc guidés par le souci de garantir une application effective des dispositions relatives au stationnement non seulement à travers l'évolution du cadre juridique, mais aussi par la mobilisation de moyens financiers pour faciliter la réalisation et la gestion des aires d'accueil nécessaires.
Face à la diversité des situations et des besoins, nous souhaitons apporter des réponses elles aussi diverses.
Nous distinguerons donc, comme vous l'avez fait dans votre question - car manifestement vous connaissez très bien le problème, madame Beaudeau - d'abord le séjour et le passage.
Il s'agira de rendre plus effective l'obligation de création d'aires d'accueil inscrites dans un schéma départemental d'accueil des gens du voyage, notamment en prévoyant des délais pour l'adoption de ces schémas et la réalisation des aires d'accueil. Cette mesure est liée à la question de l'itinérance traditionnelle de ces populations.
Il faut distinguer ensuite les grands rassemblements occassionnels.
Nous envisageons, sur l'initiative du préfet, de désigner de vastes terrains temporairement mobilisables pour le bon déroulement de ces regroupements, puisque nous sommes effectivement confrontés, comme vous l'avez évoqué, à ces manifestations nouvelles dans la vie de ces communautés.
Nous devons, en troisième lieu, distinguer la sédentarisation, ou la semi-sédentarisation. Pour cela, il nous faut faciliter la réalisation non pas d'aires d'accueil pour les gens de passage mais de véritables terrains d'accueil familiaux et, parallèlement, l'offre d'un habitat adapté pour des familles optant pour la sédentarisation.
Il n'est pas question de les sédentariser d'office. En cas de semi-sédentarisation, sans doute la caravane sera-t-elle encore le mode d'habitat. En revanche, pour satisfaire à la sédentarisation définitive, pourquoi ne pas envisager un mode d'habitat en dur. Le financement dont on dispose, notamment avec les prêts locatifs aidés dits d'intégration, pour lesquels l'Etat apporte une subvention non négligeable, devrait être une réponse.
Parallèlement à ce dispositif global auquel nous travaillons, un plan d'action concernant la scolarité des enfants de ces familles et les activités économiques exercées, notamment commerciales, sera également soumis à la commission nationale des gens du voyage. Cette dernière sera réactivée et renouvelée par ma collègue ministre de l'emploi et de la solidarité.
Telles sont les mesures nouvelles que le Gouvernement proposera au Parlement dans les prochains mois afin, à la fois, d'aider à la reconnaissance de la dignité des voyageurs et d'atteindre la bonne harmonie avec les populations concernées par leur voisinage. Il s'agit de favoriser les deux objectifs que vous souhaitez légitimement concilier.
Ces éléments de réponse avaient été préparés dans la perspective d'une intervention que je ferai, en fin de matinée, devant le congrès de l'Association des maires de France. Grâce à votre question, madame Beaudeau, le Sénat en aura eu la primeur.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, d'être présent ce matin au Sénat, car je sais que vous devez ensuite participer au congrès de l'Association des maires de France et prendre part à une table ronde portant sur cette question très sensible et très préoccupante du stationnement des nomades.
Je me félicite également de ce que vous partagiez cette idée qu'il existe différents problèmes à régler, qui ne doivent pas faire l'objet d'un traitement uniforme. J'estime comme vous qu'il convient maintenant de modifier la législation, mais aussi de prévoir des financements, très certainement croisés, il ne s'agit pas, en effet, d'un simple problème de volonté.
Je vois en outre que la situation a changé depuis 1990, notamment sur la question de la semi-sédentarisation.
Les problèmes sont à mon avis assez simples en ce qui concerne les grands voyageurs, puisqu'il s'agira de les régler à l'échelon du département ou de la région, en trouvant des terrains qui ne seront utilisés que quelques jours. Il y a donc là des initiatives à prendre en matière d'aménagement d'aires régionales modernes le long des grandes voies de circulation.
S'agissant des familles en voie de sédentarisation, je crois que vous estimez vous aussi que la solution doit être cherchée en tenant compte de deux idées.
La première a été exprimée par le directeur des études tziganes, lequel juge qu'il s'agit d'une population fragilisée, en quête d'un nouvel équilibre, y compris sur le plan économique.
La seconde a été formulée par l'auteur de l'ouvrage Tziganes en France , qui estime - et je crois que vous venez vous aussi de faire la même analyse - que les familles en question sont souvent en peine d'accession à une parcelle familiale.
Je sais que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'un problème sociologique, de vie quotidienne se pose et qu'il faut trouver des solutions.
Vous annoncez qu'un texte pourrait venir rapidement en discussion devant le Parlement. Il faut faire vite, parce que de nouvelles tensions sont prévisibles dans mon département mais aussi dans d'autres. Nous devons éviter les conflits à tout prix. De plus, il y a un enjeu humain. Mais vous l'avez bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat.

RÉFORME DES FONDS STRUCTURELS EUROPÉENS
ET AVENIR DE LA FORÊT