Séance du 30 novembre 1998







M. le président. Nous reprenons l'examen des dispositions du projet de loi concernant la recherche et la technologie.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec une progression de 1,6 %, le projet de budget de la recherche ne connaît pas la croissance que l'on aurait souhaitée, à un moment où des questions fondamentales sont posées pour la recherche, notamment la recherche publique, dans notre pays.
Au-delà des chiffres, peut-être convient-il de profiter de l'occasion qui nous est donnée pour examiner ensemble certains axes de réflexion qui peuvent se dessiner, monsieur le ministre, dans votre politique.
Les questions de l'efficacité de nos laboratoires publics, l'ouverture de ces derniers sur l'université, la mobilité des chercheurs, l'innovation et ses retombées sur la croissance économique sont des thèmes qui vous sont chers. Je crois qu'ils sont effectivement essentiels. Je serais tenté d'y adjoindre l'emploi scientifique.
A ces questions, nous n'avons pas toujours de réponse immédiate ; c'est pourquoi nous considérons qu'un débat doit être mené dans l'ensemble de notre pays, tant par les acteurs de la recherche scientifique que par la représentation nationale.
En ce qui concerne la Haute Assemblée, je renouvelle ici le souhait que j'ai exprimé au président de la commission des affaires culturelles, M. Gouteyron, de voir se dérouler très rapidement un débat essentiel pour l'avenir de notre pays.
Cela étant, un effort budgétaire important, notamment pour l'emploi scientifique, aurait permis, c'est incontestable, la tenue d'un débat plus serein sur ces thèmes.
S'agissant de l'emploi scientifique, il y a urgence pour nos jeunes docteurs et pour nos laboratoires publics qui, dès l'an prochain, verront leurs équipes amputées par de massifs départs en retraite.
Sans donner dans un triomphalisme parfois facile, il convient de rappeler que la recherche fondamentale dans notre pays, au regard des indicateurs dont nous disposons, n'a pas à rougir des résultats qu'elle obtient.
Nous ne sommes pas opposés par essence aux réformes, encore moins aux révolutions coperniciennes ou autres, encore s'agit-il de s'entendre sur un certain nombre de préalables et sur les objectifs poursuivis. Faut-il, par exemple, maintenir dans notre pays un double statut des chercheurs ?
Ainsi ce que nous dénonçons souvent pour la culture, à savoir l'envahissement du secteur marchand, la « mercantilisation », ne doit pas à présent envahir la recherche publique, notamment la recherche fondamentale, sauf à la condamner.
L'existence d'unités de recherche propres au CNRS, la mixité de la recherche universitaire, nos grands organismes, nos établissements publics à caractère scientifique et technologique, les EPCST, sont des originalités enviées et qu'il nous faut préserver.
Comment être opposé à une meilleure articulation entre développement des connaissances, développement technologique et développement économique ? Mais encore faut-il que cette articulation s'accompagne d'une analyse rigoureuse de la situation actuelle et de la participation essentielle de chacun des acteurs concernés.
Les grands organismes publics, l'université, le centre national de la recherche scientifique ne doivent pas être désignés comme les freins au développement de l'innovation dans notre pays.
Une très large part des responsabilités est davantage à rechercher, me semble-t-il, du côté d'une logique entrepreneuriale, souvent des très grands groupes, qui se développe contre l'emploi, contre le service public, et d'une manière plus générale, contre le développement et le progrès.
Comment, par exemple, ne pas puiser aux fins d'innovations technologiques dans le formidable vivier que constituent les thésards formés chaque année en France et qui sont contraints pour travailler de s'exiler ?
Le budget de la recherche de 1998 avait fait naître l'an dernier de grands espoirs, notamment pour l'emploi scientifique. La réalité d'aujourd'hui appelle quelques pondérations dans un domaine fragile, la recherche fondamentale, qui appelle des temps longs et une logique très éloignée des logiques comptables.
Aussi bien du côté des grands organismes, les EPCST en croissance budgétaire de 2,2 %, que du côté du CNRS, en progression de 1,6 %, les moyens de financement ne sont pas à la hauteur des enjeux de la recherche publique.
La création de 150 emplois, 100 de chercheurs et 50 d'ingénieurs, techniciens, administratifs, les ITA, ne permettra pas de compenser les départs en retraite.
Ces éléments, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne sont pas de nature, on s'en doute, à permettre un débat serein sur la réorientation de notre politique de recherche.
Des choix ont été faits à l'issue de la Seconde guerre mondiale pour doter notre pays d'un certain nombre d'outils au service du développement et pour soustraire du secteur marchand des activités jugées alors fondamentales. Le CNRS, nos grands organismes, l'évolution de l'université sont les résultats des choix d'alors.
Peut-être, le moment est-il venu de procéder à des réorientations nécessaires de notre recherche, mais encore faut-il, pour que ces réorientations s'opèrent, que ces objectifs soient définis en commun. Vous connaissez l'inquiétude de tous nos chercheurs sur la question. Je souhaite que vous puissiez leur répondre de cette tribune, monsieur le ministre.
Ce que je sais, c'est que les grandes structures demeurent, malgré des défauts qu'il faut corriger, porteuses d'une démarche démocratique.
La mise en cause des grands établissements peut provoquer une fragilisation de la recherche fondamentale, élément central et nourricier de toute action de recherche. Oui, la recherche doit être créatrice de richesses, mais une trop grande visée utilitariste peut à terme se retourner contre le développement lui-même.
L'idée que la société dans son ensemble est capable de construire un projet transformateur est encore une idée neuve en politique. Cette démarche est également nécessaire pour conduire les transformations de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Face aux horizons médiocres et à court terme de l'argent dominant, la recherche aide à penser le devenir du monde dans le long terme. Face à la guerre économique destructrice des solidarités, elle porte un souffle d'universalité. Face aux défis de l'épanouissement et de la qualification des individus, elle peut aider les sociétés à élaborer un développement durable et maîtrisé.
Cela étant, pour conclure, la discussion budgétaire est un moment important dans la lisibilité des choix politiques opérés. La durée de formation des chercheurs et des personnels techniques, la durée des projets scientifiques appellent perennité et durée, ce que le projet de budget que nous examinons n'exprime pas ou mal. Si l'on ajoute à cela les coupes claires et arbitraires proposées par la majorité sénatoriale, ce budget devient une caricature de lui-même, il ne pourra bénéficier de notre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le ministre, informé un peu hâtivement et de façon imparfaite de la récente manifestion d'inquiétude des chercheurs, j'ai voulu savoir si vos propos et votre projet de budget justifiaient cette inquiétude.
Effectivement, mon collègue Ivan Renar vient de l'indiquer, l'augmentation des crédits de votre ministère n'est que de 1,6 %, alors que le projet de loi de finances progresse globalement de 2,3 %.
Le budget recherche et technologie, précisément, n'enregistre qu'une augmentation de 1 %, ce qui ne compense pas les réductions régulières opérées par la droite pendant quatre ans. Il ne retrouve pas non plus les augmentations de 4 % des quatre années Curien.
Est-il correct de penser que ces perspectives justifiaient une telle inquiétude de la part des chercheurs ? Sincèrement, je ne le crois pas. Cependant, il semble quand même qu'ils peuvent aussi s'inquiéter de la volonté, qui me paraît personnellement acceptable à condition que l'opération soit bien conduite, d'associer les chercheurs publics à l'entreprise privée, notamment en orientant, si possible, ces dualités d'actions vers les PME et les PMI.
Les moyens du CNRS sont amputés d'une dizaine de millions de francs à cause de la TVA et du financement de l'IFREMER.
Apparaît aussi un crédit inhabituel de 200 millions de francs pour les créations d'entreprises innovantes.
Quelques mesures nouvelles illustrent également le souci de poursuivre le redressement de la recherche fondamentale, le soutien à l'innovation technologique et des actions fortes dans le domaine scientifique proprement dit, dans la chimie de la vie et dans les secteurs humanitaire et social.
En une conclusion peut-être un peu hâtive, devant ce non-rattrapage de retards qui placent la France au cinquième rang derrière, notamment, la Suède et l'Allemagne, on paraît peut-être s'orienter un peu trop vers une collaboration, une association entre la recherche publique, qui a pour mission l'innovation technologique et plus particulièrement la recherche de nouvelles connaissances, et la recherche privée, destinée aux applications pratiques d'entreprises privées.
Est-il facile de concilier la logique de l'entreprise publique attachée à cette recherche de connaissances et la logique de l'entreprise privée qui, elle, est essentiellement mue par le souci de produire et de commercialiser ?
De plus, la présence de mesures visant à inciter à l'essaimage des chercheurs avec le nouveau fonds national de la science, orienté sur les travaux du génome et des biomolécules, suscite aussi une certaine inquiétude de la part des chercheurs, qui craignent d'être par trop mis à disposition des entreprises industrielles, pharmaceutiques en particulier.
Le projet de budget ne prévoit pas non plus d'importantes créations d'emploi pour 1999 - à peu près le quart des créations 1998 - d'où, peut-être, un renouvellement insuffisant des chercheurs.
En conclusion de cette analyse du projet de budget, on peut donc constater que, s'il y a eu en 1998 des progrès significatifs, en 1999 le recrutement sera peut-être insuffisant pour les grands équipements.
En ce qui me concerne, je reste quand même très circonspect et j'éviterai de tirer des conclusions trop négatives quant à l'organisation et à l'activité du CNRS.
Vos propos, repris par les journalistes, témoignent en effet de votre souci de rénovation forte et de transformation sensible tant en ce qui concerne les activités que la conception même du rôle des chercheurs des services publics.
Les Echos ne se gênent pas pour écrire que Claude Allègre ouvre les laboratoires de recherche aux entreprises, qu'il est fasciné par le modèle américain et, par conséquent, qu'il fait courir au modèle français des risques peut-être inutiles, voire dangereux.
Etablissement de conventions pour les rémunérations, respect du statut des chercheurs et conditions de leur participation ne semblent pas apporter à ce journal les assurances qu'il attend.
Dans votre interview accordée au journal Le Monde , vous avez de façon assez précise, me semble-t-il, justifié vos positions. Considérant que le CNRS est trop fermé sur lui-même et ne participe pas autant qu'on pourrait le souhaiter à l'évolution scientifique et technologique du pays, vous proposez aux chercheurs une mobilité vers l'entreprise ou une orientation vers l'enseignement.
Votre conception me paraît tout à fait juste : on ne peut pas être chercheur toute sa vie. Mais peut-on pour autant décider de la durée pendant laquelle un chercheur est apte à la recherche ? Peut-on décider, par exemple, qu'au bout de dix ans, qu'il ait trouvé ou non, il doit en tout état de cause prendre place dans la vie des universités, c'est-à-dire enseigner ? On peut être un excellent chercheur, mais un mauvais enseignant, même dans son domaine. Votre conception permet-elle de ne pas être aussi abrupt ? Telle est l'inquiétude qui me paraît dominer face à la nouvelle relation étroite entre la recherche et l'université.
Personnellement, j'ai le sentiment que cette conception est bonne, à condition toutefois qu'elle ne soit pas aussi catégorique au sujet du temps de recherche et que l'on ne dise pas qu'au bout de dix ans, quels que soient le trajet parcouru et les perspectivies susceptibles de survenir, on abandonne forcément toute recherche.
Des exemples récents, celui de Pierre Potier, ou d'autres, ont montré que, même passé ce laps de temps, des chercheurs avaient eu la chance de faire des découvertes qui ne sont pas sans intérêt.
Vous souhaitez favoriser l'accès des jeunes aux responsabilités, donner une composition européenne aux structures d'évolution, favoriser les transferts de l'enseignement à l'industrie, débureaucratiser, faire naître des pôles préuniversitaires.
Tous ces éléments suscitent un souffle d'inquiétude qui me paraît excessif. On ne peut cependant pas le négliger ; il convient de tenir compte de ces inquiétudes, pour les apaiser.
Je vous fais confiance sans réserve. Je crois à votre attachement au service public et à la valorisation des activités des entreprises françaises et des chercheurs pour développer plus largement leurs chances de réussite.
Il faut permettre aux chercheurs - vous avez déjà développé en d'autres occasions cette perspective - de s'associer à des activités productrices, sous réserve toutefois qu'ils abandonnent pendant un certain temps la recherche publique, et d'assumer eux-mêmes les risques.
En conclusion de cette analyse des deux caractéristiques que l'on peut trouver, l'une, dans le budget, l'autre, dans vos propositions, je pense qu'au groupe socialiste nous pouvons sans hésitation voter le budget qui est le vôtre, avec les projets qui sont les vôtres. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain, Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit, la recherche n'est plus une priorité nationale. Tel est, malheureusement, notre sentiment, monsieur le ministre, à la lecture détaillée de votre budget.
Comme l'a rappelé le rapporteur spécial, l'effort de recherche en France ne cesse de diminuer. Le budget pour 1999 est en très faible progression et, nous semble-t-il, manque sérieusement d'imagination. Le poids des emplois et des dépenses ordinaires s'alourdit alors que les structures opérationnelles de recherche sont délaissées, attitude quelque peu paradoxale puisque vous ne craignez pas de bousculer le monde scientifique.
Vous affirmez haut et fort que le rendement de la recherche française est globalement insuffisant. Vous vous insurgez contre le nombre ridicule de huit transferts vers l'industrie sur les 11 000 chercheurs du CNRS. Vous fustigez le manque de mobilité entre universités et organismes de recherche.
En fait, vous critiquez beaucoup, sans doute à juste raison.
La réorganisation que vous projetez, elle, est assez mal ressentie par les chercheurs. Pourtant, cette tendance au repli sur soi du monde scientifique peut être contournée.
Le Sénat a imaginé un système simple pour encourager les chercheurs à sortir de leurs laboratoires. Voilà quelques semaines, la Haute Assemblée a adopté une proposition de loi de notre collègue M. Pierre Laffitte visant à permettre aux chercheurs de valoriser le résultat de leurs travaux en créant des entreprises innovantes ou en participant à leur création. Cette initiative apporte une première réponse aux difficultés que rencontre la recherche publique : absence de valorisation, manque de diffusion de l'innovation, insuffisance de retombées industrielles.
Le dispositif public de recherche a besoin d'une politique stratégique, élaborée en concertation avec les acteurs du monde scientifique. Car le vrai défi de la recherche, c'est de permettre à nos entreprises d'innover sans cesse pour résister à la concurrence internationale et emporter des marchés. Aujourd'hui, la part de la France dans les brevets européens est en baisse dans les domaines qui, demain, seront porteurs d'emplois : la santé, la science du vivant, les technologies de l'information.
Vous l'affirmez vous-même : les organismes publics de recherche n'assument plus leurs missions. Pour répondre à cette insuffisance, vous annoncez la création d'un Conseil national de la science.
Voilà une mesure qui nous laisse quelque peu perplexes. Elle s'inscrit dans cette tradition bien française, rodée depuis des années, qui consiste à régler les problèmes par la rédaction d'un rapport ou la création d'un organisme nouveau, conseil ou comité.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est dans le même esprit que ce qu'avait fait le général de Gaulle !
M. Jean-Louis Lorrain. Comme s'il n'y en avait pas assez ! Quoi qu'il en soit, vous assignez à ce CNS une mission lourde de responsabilité : éviter que la France ne passe à côté d'une grande évolution scientifique.
Je ne crois pas à la vertu des structures pour modifier le cours des choses. Ce dont la recherche française a besoin, c'est d'un signe fort en faveur de la libération des initiatives, un soutien à la mobilité des chercheurs entre laboratoire et université, entre laboratoire et entreprise.
Le volet majeur de votre réforme consiste en la modification des statuts des organismes de recherche. Quelques jours après l'annonce de votre projet, devant la vive émotion des chercheurs, vous l'avez quelque peu amendé : le CNRS ne sera pas tout à fait réduit à une agence de moyens, dispensatrice de crédits et dépourvue de politique scientifique autonome.
Réformer le CNRS pour développer les partenariats avec l'industrie, encourager le transfert de technologie vers les PME, valoriser les brevets : sur ces objectifs, nous sommes tous d'accord. Mais comment un tel organisme peut-il assurer ses missions avec des moyens limités ? Comment peut-il remplir ces nouvelles tâches, alors que les dépenses en personnels représentaient, en 1998, 80 % du montant total des subventions ?
Votre vision de l'organisation de la recherche est un pari risqué. Peut-on transférer le standard américain sur le modèle français, caractérisé par une recherche publique structurée autour de grands organismes absorbant plus des deux tiers du budget ? J'ai bien compris : vous vous en défendez. Le dernier tiers revient aux universités et aux grandes écoles.
Cette répartition s'enracine dans l'histoire. Le CNRS a été créé après la guerre pour remédier à l'incapacité des universités à organiser la recherche scientifique ; cela a-t-il changé depuis ? Les quatre-vingt-deux universités françaises sont-elles en mesure d'impulser une politique scientifique, une stratégie de recherche sans moyens financiers suffisants, sans autonomie ?
Votre dessein se heurte à des résistances très fortes. Les chercheurs s'inquiètent de la multiplication des conseils d'orientation ou des comités de coordination, véritables instruments de pilotage et d'encadrement de la politique de recherche. Vous ne pourrez motiver les scientifiques qu'en les associant à la rénovation du système, ce que, je pense, vous ne manquerez pas de faire.
Quelles sont les priorités clairement définies, la méthode et la stratégie retenues ? Heureusement, monsieur le ministre, que nous avons la presse scientifique pour nous annoncer votre projet de loi, suite aux Assises de l'innovation, qui a pour objet de maintenir, de rapprocher la recherche publique et l'entreprise. Vous souhaitez créer les incubateurs au sein d'universités et d'organismes de recherche publics, en ouvrant les laboratoires aux petites entreprises : nous ne pouvons qu'y être favorables.
Vous annoncez la création d'une agence nationale d'essais thérapeutiques à la disposition d'entreprises privées. Nous aimerions avoir plus de précisions sur l'accompagnement : avez-vous prévu un fonds d'amorçage ou de capital à risques en cette périonde budgétaire ?
Monsieur le ministre, j'ai cru comprendre que, par ailleurs, vous ne souhaitiez pas un grand débat sur la politique de recherche publique. Est-ce très différent des états généraux de la santé ? N'est-il pas nécessaire de donner une valeur sociale à la science ? Certains pensent que la recherche fondamentale vaudrait plus par la compétence techno-scientifique collective acquise et diffusée.
La pratique de la recherche permettrait un haut niveau de qualification diffusé par les institutions, puis vers le système de production.
Les missions des chercheurs sont définies par la loi. En évoquant le besoin de débat, nous insistons sur la diffusion des savoirs, la prise en compte de la communication de l'information, du contexte médiatique, des nécessités éthiques, qui ouvrent la recherche et lui donnent une dimension à la fois culturelle et sociologique.
Jean-Marc Levy-Leblond rappelle la loi d'orientation de 1982, qui précise que les « personnels de recherche, devront pouvoir exercer successivement ou simultanément des fonctions de recherche, d'enseignement, d'administration ou de valorisation de la recherche ». Tout est dit, il reste à faire.
Le changement de mentalité doit précéder et accompagner celui des structures.
Votre politique, monsieur le ministre, nous laisse dubitatifs. Pourtant, nous savons que vous avez une grande ambition pour la recherche française, dont vous êtes l'un des plus éminents représentants.
Le budget que vous nous présentez, malheureusement, ne traduit pas cette ambition.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais être assez bref pour des raisons d'emploi du temps.
Faut-il continuer à considérer que l'augmentation des crédits suffit pour mener une politique scientifique comme on l'a fait depuis un certain nombre d'années ? Ma réponse est non !
Aujourd'hui, la France dépense à peu près les mêmes sommes que les autres grands pays industrialisés, mais plus que la Grande-Bretagne par rapport au nombre d'habitants.
Récemment, dans une revue internationale, des experts britanniques, avec des méthodes que l'on peut discuter - et je ne manquerai pas de le faire - ont procédé à une évaluation. Ils estiment qu'un franc consacré à la recherche en Grande-Bretagne est 2,3 fois plus productif que la même somme utilisée en France. Quelque chose n'est pas inexact dans une telle affirmation.
La recherche française est bonne, mais elle est inégale ; dans certains secteurs, elle n'est même pas très bonne. Il est vrai que son évaluation n'est pas très rigoureuse et qu'un certain nombre de défauts peuvent être soulignés. J'en relèverai deux essentiels.
Le premier tient au fait que, dans un monde où la création d'entreprises innovantes est devenue le principal moteur des économies modernes, notre recherche ne crée pas d'entreprises innovantes. Mieux : un récent rapport montre que les chercheurs se situent au dernier rang des catégories socioprofessionnelles qui créent des entreprises.
Le deuxième défaut provient de ce que les jeunes n'ont plus la place qu'ils occupaient auparavant dans la recherche française. L'âge moyen des organismes a vieilli ; mais, plus encore, l'autonomie scientifique est de plus en plus difficilement accordée aux jeunes. Les procédures sont telles qu'un certain nombre de chercheurs - cela se vérifie depuis quelques années - émigrent, ou plus exactement restent là où ils ont effectué leurs stages postdoctoraux, ce qui ne se produisait pas auparavant.
Que faut-il faire ?
D'abord, il ne faut imiter aucun pays globalement ; chacun a son histoire, ses traditions, ses structures, ses mentalités. Je n'admire pleinement ni le système américain, ni - encore moins d'ailleurs - l'académie des sciences d'Union soviétique, et je n'ai l'intention d'imiter ni l'un ni l'autre. Contentons-nous de retenir ce qui est intéressant et qui peut être greffé sur notre système.
Je n'ai pas du tout l'intention de supprimer les organismes de recherche français, hérités de l'histoire, encore que la question pourrait se poser en théorie. Il convient d'utiliser ce que nous avons pour essayer de faire du neuf, comme en génétique.
Rénover les organismes de recherche signifie d'abord les « débureaucratiser ». Les administrations de la recherche ont crû de façon extraordinaire. Pour définir des programmes et des financements, il faut remplir des tonnes de papier. Le nombre de procédures est de plus en plus développé. Bien que ce point figurât dans la lettre de mission des directeurs d'organisme que j'ai nommés, je ne vois aucun recul en ce domaine ; par conséquent, j'ai décidé de m'en occuper moi-même.
Ensuite, je crois, comme je l'ai dit tout à l'heure, lors du débat sur l'enseignement supérieur, que notre recherche doit être plus intimement liée à la transmission du savoir. Notre recherche et nos organismes de recherche doivent être plus nettement liés avec les universités et les grandes écoles,...
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. ... de manière à apporter à ces dernières leurs capacités de création et d'invention et à recevoir en retour tout ce qu'on peut recevoir de jeunes qui sont versés dans les grandes innovations.
C'est ce va-et-vient entre l'innovation traduite immédiatement dans l'enseignement et la contestation intellectuelle par les jeunes qui permet un progrès dans la science.
A cet égard, il faut donner sans hésiter leur chance aux jeunes, c'est-à-dire leur faire de la place et leur permettre d'accéder, dès qu'ils en ont les talents et la volonté, aux responsabilités. Il est anormal que les jeunes ne soient pas responsables de leurs programmes de recherche, comme cela se passe dans d'autres pays.
Voilà des objectifs simples, doublés, bien sûr, d'une véritable évaluation, c'est-à-dire d'une évaluation comparative dans tous les domaines avec les principaux pays concurrents, parce que c'est ainsi que la recherche progresse aujourd'hui. Dans un contexte de mondialisation, toute recherche qui n'est pas une recherche d'excellence ne sert à rien. C'est terrible, mais c'est comme ça !
Il faut donc spécialiser les équipes, rechercher l'excellence partout et se faire une place sur le plan international. Nous pouvons le faire ; certains l'ont fait, d'autres le font et le feront.
Il faut mettre en oeuvre à cet effet un processus permettant de définir les priorités. Et ce n'est pas facile !
A partir du moment où les dépenses de recherche se mesurent en pourcentage du PNB, il est clair que les priorités ne peuvent être fixées que par l'ensemble du pays et par le Gouvernement.
A ce propos, et en réponse à un intervenant, je tiens à dire que je suis prêt à débattre à tout moment de la politique de recherche avec le Parlement, que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale. J'en ai déjà fait la preuve. Chaque fois que vous m'avez invité, je suis venu.
Il n'y a aucune hésitation à cet égard : le Parlement et le Gouvernement sont responsables vis-à-vis du pays.
A l'évidence, il faut tenir compte de l'avis des chercheurs. Cependant, si nous demandions aux chercheurs de voter pour définir les priorités de la recherche, par définition on aboutirait à une moyenne, et on n'innoverait pas.
M. Ourisson, dans un excellent article, a écrit récemment : « Tout processus strictement démocratique dans la recherche conduit à l'absence d'innovation. »
Il est donc extrêmement important de prendre des risques dans la recherche et de pratiquer une évaluation a posteriori.
La recherche s'inscrit dans la démocratie intellectuelle, mais une démocratie différée : au moment où l'on fait une découverte, on est généralement minoritaire ; on n'est majoritaire que plus tard. Si l'on fait voter dans l'actualité, des phénomènes de mode jouent et tout le monde dit la même chose.
Il y a là un problème très difficile à résoudre.
Le fait de sélectionner des personnes de qualités, d'origines et de nationalités diverses pour définir des priorités scientifiques d'un certain type est un processus qui permet de contourner en partie cet inconvénient.
Ma propre conception, qui a été validée par le Gouvernement, consiste à croiser deux démarches.
Les organismes de recherche fondamentale doivent faire remonter leurs propositions. Il m'arrive d'entendre ou de lire que j'ai l'intention de « piloter » des organismes de recherche. C'est exactement à l'opposé de ma volonté.
Je le répète, je considère que les organismes doivent faire remonter leurs propositions. Je leur ai d'ailleurs demandé, pas plus tard qu'il y a trois jours, de préparer une lettre pour formuler leurs priorités. Je ne leur ai donné qu'un mois de délai pour le faire car, s'ils ne sont pas capables de répondre dans ce laps de temps, cela signifierait qu'ils n'ont pas réfléchi au problème des priorités ; les choses seront claires.
Pour un organisme tel que le CNRS, c'est encore plus compliqué que cela. Il s'agit pour lui de définir les grands secteurs de recherche et, ce qui n'a pas été fait dans notre pays, de changer les priorités.
Aujourd'hui, un grand débat a lieu en Grande-Bretagne parce que le nouveau ministre de la recherche a décidé, comme nous le déciderons probablement au mois de février pour l'ensemble du pays, que la grande priorité, ce sont les sciences de la vie, la médecine et la recherche médicale, les technologies de l'information et de la communication venant ensuite.
Il faut changer les priorités traditionnelles de la recherche.
Naturellement, un certain nombre de secteurs ne seront pas de cet avis, ceux qui bénéficient de la priorité depuis longtemps.
Chaque organisme doit fixer ses priorités. Mais en outre, une coordination interorganismes, qui faisait défaut jusqu'ici, doit se mettre en place. A cette fin, nous avons créé un comité de coordination des sciences du vivant, présidé par Mme Le Douarin, professeur au Collège de France. Il existe déjà une coordination pour les sciences humaines et bientôt nous aurons une coordination pour les sciences de la terre et de la planète.
D'un autre côté, nous devons fixer des priorités obéissant à des impératifs nationaux. Nous allons nous y employer avec le Fonds national de la science et le Fonds national de la recherche technologique, car il faut conforter à la fois la recherche fondamentale, qui demeurera la priorité de base, et la recherche technologique.
Quant au CNRS, à lui d'établir ses grandes priorités, à l'intérieur desquelles il doit laisser ses équipes - et surtout les jeunes - faire eux-mêmes leurs propositions. Je ne souhaite pas qu'il soit procédé à une programmation interne à l'organisme. Laisser des jeunes faire des propositions de recherches, les sélectionner, les aider, avec une marge d'erreur indispensable, telle est la bonne manière de faire naître l'innovation, ce qui est notre préoccupation principale.
Voilà la ligne qui est suivie et sur laquelle je m'exprimerai le moment venu.
Pour ce qui concerne le Fonds national de la science, nous avons discuté, avec le Conseil national de la science, d'un certain nombre de priorités : ce qui touche au génome, l'association de la technologie et de la médecine, que ce soit en télémédecine, en instrumentation médicale ou en imagerie médicale. Nous aurons l'occasion de discuter de tout cela, car je viendrai devant l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour en parler avec vous et écouter vos suggestions.
Le projet de loi sur l'innovation viendra en première lecture au Sénat, normalement, le 18 février. J'espère qu'il aboutira assez vite.
Ce n'est pas, comme on l'a écrit ici ou là, un projet de loi qui vise à vendre la recherche au secteur privé. Il permettra aux chercheurs du secteur public d'être plus libres, dans le cadre de la réglementation actuelle, c'est-à-dire d'exploiter plus librement leurs propres découvertes, de nouer des contacts avec des entreprises sans être toujours suspectés de faire je ne sais quelle manipulation...
Il instaurera aussi un certain nombre de facilités dans la gestion des organismes, qui sont soumis à des règles administratives parfois invraisemblables.
Ce projet de loi donnera la possibilité de créer des entreprises beaucoup plus librement.
Cela étant, les choses avancent et, comme le disait M. Laffitte tout à l'heure - lui qui a présenté une proposition de loi sur l'innovation qui se retrouve pour partie dans notre projet de loi - on ne peut pas attendre.
C'est pourquoi le concours de création d'entreprises innovantes sera lancé dans quinze jours, selon les modalités suivantes : il y aura un concours d'idées et des jurys se prononceront, car ce n'est pas le ministère de la recherche qui va décider, bien sûr ! A partir de la décision des jurys, des sommes d'argent seront délivrées aux chercheurs pour qu'ils préparent leur projet définitif, lequel devra comportera un business plan, des plans de financement, etc., étant entendu qu'un certain nombre de règles seront fixées.
Nous parlions tout à l'heure des liens avec le privé. J'ai décidé de cesser, me conformant aux conclusions du rapport Guillaume, de financer directement les grandes entreprises.
Jusque-là, la France distribuait 85 % de son budget de recherche entre huit groupes industriels. Les évaluations que j'ai demandées sont très sévères sur cette procédure. A l'exception de l'aéronautique, nous avons décidé de mettre fin à cette aide, au profit d'une aide aux PME et PMI innovantes.
Ce choix est clair. Je l'ai assumé en face de patrons de grandes entreprises et, paradoxalement, bien qu'ils aient été plutôt contre au début, ils ont décidé, par la suite, de verser eux-même des sommes dans les fonds d'investissements communs. Je préfère cela plutôt que de verser directement cet argent. Pourquoi ? Pour une double raison.
Lorsqu'une entreprise finance sa propre recherche, on est sûr qu'elle examine avec soin les débouchés que cette recherche aura, en particulier les débouchés commerciaux. Lorsque le financement est assuré par l'Etat, il s'agit souvent de fonctionnaires du ministère qui projettent leurs propres idées plutôt que celles de l'entreprise, et cet investissement donne rarement des résultats.
Or, autant la recherche fondamentale doit être libre de toute contrainte et réfléter l'imagination des chercheurs, autant la recherche appliquée a une finalité : gagner de l'argent. Au départ, elle est programmée avec un résultat commercial. Telle est la trame générale.
Je ne crois pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que la recherche s'effectue à partir du ministère. Elle est le fait de laboratoires publics ou privés. Mais c'est la recherche publique qui est le moteur. Je vous citerai un chiffre.
Dans le domaine de l'invention des médicaments, voilà vingt ans, la France était le deuxième pays du monde. Elle se place maintenant au septième rang. On a cru, pendant très longtemps, que cela était dû à l'absence de grands groupes industriels. Mais l'étude qui a été réalisée récemment par une célèbre firme française - demain, elle sera plus célèbre encore - montre que 85 % des médicaments ont d'abord été inventés dans des laboratoires de recherche fondamentale, puis commercialisés.
Cette firme en a déduit ipso facto qu'elle devait supprimer un certain nombre de ses laboratoires de recherche fondamentale pour financer la recherche publique. Je regrette qu'elle ait commencé par financer deux laboratoires américains, avec force argent !
J'ai pris cet exemple pour vous montrer que, tout en restant dans son rôle, la recherche fondamentale, constitue un élément essentiel dans la dynamisation économique.
D'ailleurs, tout le monde sait que le Massachusetts Institute of Technology, le MIT, a créé, à lui seul, environ quatre mille entreprises au cours des trois dernières années. Le MIT n'est pas une université gigantesque de cent mille étudiants : il n'en compte que cinq mille !
Nous avons donc, me semble-t-il, les moyens de restructurer notre recherche : autour des universités en tissant des liens avec l'industrie. Je ne souhaite pas du tout que l'université, la recherche soit vendue, comme on dit, à l'industrie. Au contraire, chacun doit rester lui-même. Par exemple, en cas d'attribution de bourses par l'industrie aux universités, il faut laisser ces dernières choisir les élèves qui en bénéficient. Mais il faut nous orienter vers une telle structure.
Je souhaite répondre maintenant à quelques questions ponctuelles qui m'ont été posées.
En ce qui concerne tout d'abord le domaine spatial, notre situation est tout à fait particulière. La France est, en effet, le moteur de l'Europe spatiale, ce qui n'est pas très bien supporté de l'autre côté de l'Atlantique, pas plus que ne l'est notre compétition en aéronautique.
Dans le même temps, nous avons à définir une nouvelle politique spatiale, parce que la technologie évolue considérablement. Aux satellites de type SPOT, qui sont de gros satellites aux nombreuses fonctions, se substituent maintenant des constellations de petits satellites, qui seront de plus en plus bon marché, donc à la portée du plus grand nombre, à condition d'avoir les moyens de les lancer.
Avec ses partenaires européens, la France a développé un très bon lanceur, Ariane 5, ce qui représente un exploit considérable. Toutefois, le coût d'un lancement d'Ariane est trop cher d'un facteur 2 par rapport à l'évolution des prix. Chaque lancement d'Ariane coûte 800 millions de francs. Or, pour des raisons d'assurance, on ne peut pas en lancer plus de treize satellites avec Ariane, alors que, techniquement, on pourrait probablement, dans le futur, lancer trente à quarante petits satellites ; mais les compagnies d'assurance ne les assureront pas. Par conséquent, premier problème : l'Etat va-t-il accepter d'assurer les lancements d'Ariane ? Il s'agit d'une question importante.
Il est un deuxième problème : nous n'avons pas de lanceur en orbite basse. Alcatel vient d'en faire la cruelle expérience en utilisant un lanceur russe qui a détruit d'un coup douze satellites du programme Globalstar, laissant du même coup le champ complètement libre à l'autre consortium, Iridium dont, le chef de file est Motorola.
C'est la raison pour laquelle la France est favorable au projet italien, auquel d'ailleurs elle participe, de construction d'un lanceur en orbite basse.
Derrière cette politique technique se trouve une politique scientifique.
Je me suis opposé à la politique des vols habités - et ce qui se produit aujourd'hui sur la station spatiale me donne raison tous les jours - surtout parce que cette politique nous arrimait définitivement aux Etats-Unis d'Amérique et que nous n'aurions plus, alors, d'indépendance spatiale.
Cela dit - et je crois que cette position a été comprise - il faut définir une politique spatiale.
La première chose est d'observer la terre - observation qui présente de multiples intérêts - avec des appareils puissants, performants, non seulement pour faire des images, mais également pour analyser ces images, ce que nous ne faisons pas suffisamment.
Pour ce qui est des télécommunications et des processus de navigation, la France se doit de disposer d'un système de satellite opérationnel non seulement pour ce qui est visible, mais également pour ce qui ne peut être détecté qu'au moyen du radar ou de l'infrarouge.
L'Europe doit disposer d'un GPS indépendant. On ne peut pas, dans un domaine aussi sensible, dépendre éternellement de nos amis américains !
Nous avons là, me semble-t-il, un champ d'action qui est clair. Mais il nous faudra gagner la guerre des prix. Je le dis en toute quiétude, l'une des grandes choses qu'a faites M. Goldin, administrateur général de la NASA, qui venait de l'industrie spatiale, c'est d'avoir su faire baisser les prix d'un facteur 5 en disant : « Je veux cela pour tel prix. »
Nos industries sont très habituées à fixer elles-mêmes les prix, qui sont trop élevés. Elles cèdent souvent à la facilité, parce que, finalement, il s'agit d'un marché captif. Mais, demain, nos partenaires européens se moqueront éperdument de savoir si le fabricant est français ou américain et choisiront le moins cher.
Notre industrie spatiale doit donc parvenir à s'adapter et à baisser ses prix : elle doit réaliser des satellites plus petits, plus performants et moins chers.
Tel est le défi auquel nous sommes confrontés en France, et l'Agence européenne, devra probalement, elle aussi, évoluer dans ce sens. Je crois que nous avons des possibilités d'action dans ce domaine.
La deuxième priorité - mais son coût sera bien moindre, grâce à Ariane 5 - c'est de réussir la grande aventure extraterrestre de demain, qui, vous le savez, sera l'exploration de Mars. Nous avons signé un accord avec les Américains pour procéder à un retour d'échantillons de Mars en 2005, le lancement étant assuré par Ariane 5. La participation financière française tiendra donc essentiellement au lanceur.
Les études sont très encourageantes et nous serons donc présents dans cette grande aventure que constituera le retour d'échantillons de Mars. Pour ma part, je souhaite que d'autres partenaires européens se joignent à nous ; je crois que tel sera le cas.
Toutefois, pour vous donner un ordre de grandeur, la station spatiale représente 500 milliards de francs, contre 2,5 milliards de francs environ pour le retour d'échantillons de Mars. Nous jouons donc dans la cour dans laquelle nous pouvons jouer, en restant fidèles à ce que nous représentons.
A cet égard, je dis toujours, et je le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, que nos ingénieurs développent des engins compétitifs avec ceux des Américains pour cinq fois moins de dépense. C'est tout à leur honneur de dépenser cinq fois moins pour faire aussi bien !
Nous n'avons donc pas l'intention d'être autre chose que les leaders en Europe et, finalement, de rester nous-mêmes dans cette compétition spatiale.
Dans le domaine de la communication et de l'information, nous avons un problème plus difficile à résoudre. Je l'esquisserai simplement, car il est des problèmes industriels qui ne doivent pas être mis sur la place publique.
Sans être privatisée - la majorité se trouve toujours entre les mains de l'Etat - France Télécom est devenue une entreprise. A la suite de ce changement de statut, le Centre national d'études des télécommunications, qui comprend de nombreux chercheurs valeureux, est devenu le laboratoire de recherche d'une entreprise. En conséquence, si nous ne faisons rien, nous n'aurons plus de centre de télécommunications.
L'existence de ce centre national d'études des télécommunications avait entravé le développement, par les autres organismes de recherche, de réalisations très puissantes dans ce domaine. Nous devons donc probablement favoriser une nouvelle orientation. Un certain nombre de chercheurs du Centre national d'études des télécommunications souhaitent ne pas être confinés dans France Télécom.
Naturellement, il nous faut régler d'autres problèmes de concurrence avec Cegetel et autres ; la situation ne peut rester en l'état.
L'Institut national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA, qui effectue un excellent travail sur les parties théoriques, est probablement beaucoup moins tourné que les ingénieurs du CNET sur les problèmes expérimentaux. Il n'est donc pas interdit de penser, si ce n'est à une fusion, du moins à une certaine synergie entre ces organismes. En tous les cas, le Gouvernement oeuvre dans ce sens.
Il en est de même pour l'Office national d'études et de recherches aérospatiales, l'ONERA, qui est sous statut militaire. Il se trouve dans une situation un peu difficile. Il serait dommage que la France se prive d'un tel organisme.
Sur tous ces domaines, je peux vous assurer que nous réfléchissons. Le moment venu, quand la situation sera mûre, nous vous ferons part des évolutions qui seront intervenues. Des problèmes restent à résoudre sur l'avenir de l'aéronautique française, que je qualifierai « de pointe ».
Enfin, dernier point, monsieur Laffitte, il existe effectivement un groupe de coordination entre le ministère de la défense et celui de la recherche. Mais, pour des raisons évidentes, ces réunions ne font pas l'objet d'une grande publicité. Nous essayons simplement de coordonner les efforts des recherches militaire et civile, de manière à assurer la plus grande rentabilité possible de l'argent public. Par conséquent, les contacts existent entre les deux ministères, comme ils ont lieu avec les autres ministères, tout à fait normalement.
Je ne crois pas, encore une fois, aux bouleversements structuraux. Mais je crois à des évolutions vigoureuses et nécessaires. Je prendrai le temps qu'il faudra, mais j'agirai dans ce sens, parce que notre recherche ne peut pas rester figée.
Tous les intervenants ont souligné la nécessité pour nos chercheurs d'être mobiles. Le concept de chercheur à temps plein pendant une période de la vie, tel que les Français l'ont développé, me semble une bonne idée. Il ne faut pas que les chercheurs, dans leur période de créativité, soient soumis à une tension excessive comme ils le sont dans d'autres pays. Il est bon de leur donner une sécurité de l'emploi. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils doivent rester chercheurs toute leur vie. A un certain moment, ils doivent pouvoir exercer d'autres activités dans d'autres secteurs. Ils peuvent partir dans l'enseignement - mais tous ne sont pas capables d'enseigner - dans l'industrie ou dans d'autres secteurs.
M. Beffa me disait qu'il avait commencé à embaucher des chercheurs hors des laboratoires de recherche, et il trouvait qu'ils excellaient dans le management et dans d'autres activités.
La formation par la recherche est très féconde.
Cela ne signifie pas pour autant que les chercheurs ne peuvent pas revenir, après un certain temps, à la recherche. Nous avons apporté, me semble-t-il, une certaine mobilité, et ce pour deux raisons sur lesquelles je voudrais insister parce qu'elles sont symétriques.
Tout d'abord, si la mobilité est plus importante,un plus grand nombre de jeunes seront embauchés et le turnover sera plus élevé. C'est une bonne chose. Ensuite, en changeant de secteur, les chercheurs transmettent leurs connaissances. S'ils vont dans l'industrie, ils apportent leurs connaissances. S'ils restent dans leur organisme, ils publieront au mieux des publications qui s'ajouteront à celles qui existent déjà.
Dès que nous estimerons que la recherche est structurellement en ordre de marche - je pense notamment aux jeunes - elle redeviendra une priorité sur le plan budgétaire. Elle est une priorité intellectuelle du Gouvernement ; elle reste le ferment essentiel de notre essor économique. Mais il ne suffit pas de le dire, encore faut-il le prouver. D'autres l'ont fait ; j'espère qu'il en sera de même pour nous. Ainsi, ce qui se passe actuellement en France sur le génome est susceptible de changer assez radicalement le paysage dans ce secteur. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE. - M. le rapporteur général et M. le rapporteur spécial applaudissent également.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C, et concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et technologie.

ÉTAT B

M. le président. Titre III : moins 4 432 882 832 francs. »