Séance du 30 novembre 1998







Sur ces crédits, la parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la recherche scientifique est un élément déterminant de l'aménagement du territoire.
En dépit de certains efforts accomplis depuis quelques années, le Nord - Pas-de-Calais souffre toujours d'un déficit en matière de recherche, que ce soit en termes d'emplois scientifiques, d'équipements ou d'effectifs en troisième cycle.
Ainsi, la région Nord - Pas-de-Calais, qui représente 6 % du produit intérieur brut et compte 4 millions d'habitants, ne possède que 1 % de l'effectif national des chercheurs.
Cette répartition inégale des chercheurs est un manque à gagner. L'un des moyens de rattraper ce retard est l'implantation de nouveaux équipements.
La région Nord - Pas-de-Calais espère ainsi beaucoup de l'implantation du projet Soleil. Un équipement de ce type occupe quatre cents personnes par mois et est utilisé par deux mille personnes chaque année. Il attire les laboratoires privés.
J'ai noté avec intérêt, monsieur le ministre, que les scientifiques de six régions ont tenu la semaine dernière une conférence de presse à l'Académie des sciences pour dire ensemble : « Qu'importe le lieu, nous sommes dans l'urgence ! »
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles du Sénat, que l'implantation d'un équipement scientifique ne crée pas, à elle seule, des emplois et qu'il fallait attirer les chercheurs. Assurément, mais l'implantation d'un équipement ou d'un laboratoire est quand même, reconnaissez-le, la première condition pour créer des emplois scientifiques.
Quant à attirer les chercheurs, je crois que le conseil régional du Nord - Pas-de-Calais investit beaucoup pour faire de cette région une terre d'accueil où il est agréable de vivre et de travailler. Les images d'Epinal commencent à s'estomper.
Le développement de la recherche est aussi une condition d'une formation de haut niveau. Or le nombre d'étudiants en troisième cycle de l'académie de Lille représente 10 % des étudiants inscrits. Cela la classe parmi les dernières académies à l'échelle de notre pays. Pour les académies de Créteil et de Versailles, ce taux s'élève à plus de 14 % ; pour celles de Montpellier et de Marseille, le taux s'établit à plus de 15 %.
Il faut donc réaliser des efforts beaucoup plus importants pour développer les formations de haut niveau, renforcer les équipes en place par des créations d'emplois, créer de nouveaux équipements et développer l'emploi scientifique.
L'élaboration des prochains contrats de plan et la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ne doivent-elles pas être l'occasion pour l'Etat de renforcer son intervention dans une région qui a beaucoup donné à la France et qui n'a pas toujours reçu ce à quoi elle avait droit eu égard à ses besoins mais aussi aux efforts que consentent et sont prêtes à consentir les collectivités locales et, en premier lieu, le conseil régional du Nord - Pas-de-Calais, dont vous connaissez l'engagement résolu ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, le prix de tout équipement important est forcément imputé sur un budget, en l'occurrence - et il n'y a pas de mystère - sur celui de ceux qui le proposent. On ne sort pas l'argent de sa poche.
Je souhaite que la construction de tels équipements soit à chaque fois discutée librement et non par les groupes de pression de ceux qui les utiliseront. Je souhaite, par ailleurs, qu'ils soient autant que possible financés à l'échelon européen. L'expérience prouve, d'une part, qu'ils reviennent ainsi moins chers et, d'autre part, qu'ils sont mieux rentabilisés.
J'ai chargé M. le professeur Clavin, qui n'est partie prenante d'aucun lobby, de se rendre chez nos voisins puis de rédiger un rapport. Je connais déjà les réponses d'un certain nombre de mes collègues européens.
Il existe un certain nombre de synchrotrons en Europe et deux de la dernière génération aux Etats-Unis. Il faut s'assurer que l'Europe en a vraiment besoin avant de décider d'en construire un supplémentaire. Le jour où nous disposerons du rapport, où nous pourrons comparer les coûts, le Gouvernement tranchera dans le cadre de sa politique budgétaire. Mais il faut savoir que l'argent sera prélevé sur les budgets existants. Il n'y aura pas de budget supplémentaire car on ne sort pas ainsi de l'argent de la poche des contribuables.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très bien !
M. le président. Par amendement n° II-20, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de réduire les crédits figurant au titre III de 915 261 208 francs et, en conséquence, de porter le montant des mesures nouvelles à moins 5 348 144 040 francs.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le ministre, vos propos ne peuvent naturellement que réjouir le rapporteur général de la commission des finances. En effet, vous avez tenu, tout au long de ce débat, un langage rigoureux et responsable, et je tiens à vous en rendre hommage.
Que nous avez-vous dit au cours de votre intervention ? Vous avez, tout d'abord, posé une question : l'augmentation des crédits suffit-elle à faire une politique scientifique ? Vous avez répondu par la négative. Vous nous avez rappelé que la France dépense plus que la Grande-Bretagne, toutes choses étant égales par ailleurs, mais qu'un franc dépensé dans la recherche en Grande-Bretagne est peut-être deux fois plus efficace qu'un franc dépensé chez nous.
Vous avez relevé l'évaluation parfois insuffisamment rigoureuse des travaux de recherche ; vous avez rappelé que les chercheurs ne créent pas assez d'entreprises ; vous avez surtout dit qu'il fallait « débureaucratiser » un certain nombre de grands établissements de recherche et s'engager vers des réformes structurelles.
Les préoccupations que vous avez exprimées, monsieur le ministre, rejoignent bien évidemment les remarques qui ont été formulées par notre excellent rapporteur spécial. M. Trégouët a rappelé que les crédits de la recherche, comme ceux des autres budgets, doivent concourir à la maîtrise globale des dépenses de fonctionnement de l'Etat. Il a également souligné que les subventions de fonctionnement des établissements publics à caractère scientifique et technique devraient être au moins stabilisées. Il s'est interrogé, par ailleurs, sur le partage de l'effort entre la recherche publique et la recherche privée. Il a également cité le rapport très intéressant de M. Henri Guillaume, qui constitue l'une des bases du projet de loi sur l'innovation que vous allez prochainement soumettre au Parlement. Il a, enfin, exprimé le souhait de voir croître le montant des capitaux privés à destination des entreprises innovantes.
Or, monsieur le ministre, dans ce contexte, l'amendement n° II-20 a valeur de signal. Il s'inscrit dans le cadre d'une politique économique et budgétaire que nous avons essayé de redéfinir avec les moyens dont nous pouvons disposer ici et compte tenu des contraintes, rappelées opportunément cet après-midi par M. le président de la commission des finances, issues de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.
Nous ne pouvons, pour manifester nos intentions et nos préoccupations, que procéder à des réductions de crédits.
M. Raymond Courrière. Soucis politiciens !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, si nous avions de telles préoccupations, nous procéderions autrement, mon cher collègue. Nous avons le souci de l'intérêt général et de l'avenir, ce qui nous conduit, dans le cadre que j'ai rappelé et sur lequel je n'insiste pas, car tout le monde ici le connaît, à vous proposer l'amendement n° II-20, qui aurait simplement pour effet, au plan budgétaire, de stabiliser globalement à 53 milliards de francs le budget civil de recherche et de développement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je ne vais pas vous donner mon accord pour réduire le budget ! Je suis donc défavorable à l'amendement n° II-20.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-20.
M. Ivan Renar. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. La majorité sénatoriale nous invite à voter le budget de la recherche après l'avoir amputé de près de un milliard de francs, ce que M. Marini appelle « stabiliser », alors même que ce budget ne connaîtra pas la progression que l'on pourrait souhaiter pour mener l'offensive sur le terrain de l'emploi scientifique.
Voilà à peine quelques semaines, la Haute Assemblée examinait de manière consensuelle une proposition de loi de notre collègue Pierre Lafitte visant à permettre aux chercheurs des laboratoires publics de mener à bien des expériences innovantes.
Combien de fois, ici même, n'avons-nous entendu des doléances justifiées quant aux départs de nos jeunes chercheurs à l'étranger ?
Pourtant, c'est cette même logique comptable du très court terme qui conduit, ici, à l'amputation de un milliard de francs de crédits et, là, aux difficultés des laboratoires, à l'exode des « post-doctorants ».
Rien ne serait plus inadapté que de réduire dans la période d'intenses mutations scientifiques et technologiques qui est la nôtre, l'effort de l'Etat en matière de recherche et notamment de recherche publique.
L'absence de quelques millions de francs peut avoir des incidences dramatiques sur l'existence des laboratoires et des équipes de recherche.
Comment peut-on faire siens des sujets comme l'innovation et l'emploi scientifique et proposer, dans le même temps, des coupes drastiques et « arbitraires » dans le budget de la recherche ?
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s'oppose catégoriquement à l'amendement n° II-20 de la majorité sénatoriale qui fait de ce budget un budget étriqué, un budget de sacrifices, non conforme aux exigences de civilisation et de progrès.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Dans mon intervention, j'ai fait remarquer que ce budget était déjà un peu juste et un peu inférieur au budget de l'année précédente.
Par conséquent, rejoignant tout à fait l'argumentation de M. Ivan Renar, le groupe socialiste s'opposera également à l'amendement n° II-20.
M. Philippe de Gaulle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai pu manquer d'être sensible au rappel, par mes collègues Lucien Lanier, Pierre Laffitte et René Trégouët, en particulier, de l'action volontariste, clairvoyante et dynamique de l'Etat en un temps où celui qui le dirigeait était qualifié par certains d'« homme du passé ». Cette action s'est traduite par nos développements remarquables en matière nucléaire, informatique, électronique, aéronautique, spatiale, chimique, routière, ferroviaire, et j'en passe, qui sont nos crédits d'aujourd'hui. On avait en effet compris que la recherche et la technologie feraient la place et la différence du niveau de vie des Français avec les pays émergents et pas seulement eux.
La commission des finances du Sénat marque, par son amendement symbolique, qu'elle n'est pas d'accord avec votre orientation, votre organisation et votre gestion actuelles. Bien que l'éducation nationale possède naturellement des laboratoires et que ses universitaires fournissent assurément de nombreux chercheurs, mais pas tous - il y a beaucoup de composantes - je pense, comme la commission, que la recherche et la technologie devraient être distinctes de l'éducation nationale, dont l'objectif est différent.
Vous devriez, monsieur le ministre, être ministre d'Etat, ou au moins ministre délégué rattaché au Premier ministre pour la recherche et la technologie, et rien d'autre ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Laffitte. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je pourrais reprendre mot pour mot les arguments développés par M. Guy Cabanel lors de son explication de vote sur un amendement précédent.
Je soulignerai simplement que, à mon avis, ainsi que je l'ai exprimé tout à l'heure à la tribune, concevoir et developper la recherche est une des missions régaliennes de l'Etat. J'avais même indiqué que, pour ce qui me concerne, je préférerais augmenter les crédits de la recherche, plutôt que les diminuer.
Je conçois parfaitement la stratégie adaptée à la gestion globale du budget par la commission des finances, mais je ne peux, sur ce point particulier, partager son avis.
Par conséquent, la majorité des membres de notre groupe votera contre cet amendement et les autres s'abstiendront. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-20, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi de trois demandes de scrutin public émanant de la commission des finances, du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 31:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 309
Majorité absolue des suffrages 155
Pour l'adoption 199
Contre 110

M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifiés, les crédits figurant au titre III.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 32:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 308
Majorité absolue des suffrages 155
Pour l'adoption 199
Contre 109

M. le président. « Titre IV : 4 999 256 000 francs. »