Séance du 4 décembre 1998







La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le ministre, vous venez d'insister longuement sur le problème des effectifs. Permettez-moi néanmoins d'y revenir, parce que vous savez très bien que cette question suscite un important mécontentement et inquiète de nombreux élus locaux, notamment dans les zones rurales.
Concernant ce budget, notre groupe est partagé entre un sentiment de satisfaction en constatant l'amélioration qualitative du traitement salarial du personnel et d'interrogation face à la baisse quantitative des effectifs.
Nous ne pouvons que nous féliciter de la revalorisation à hauteur de 350 millions de francs des crédits consacrés aux personnels de l'équipement.
Cet effort vient conforter, monsieur le ministre, votre politique visant à sortir de la précarisation de l'emploi et du blocage des salaires, notamment pour les plus bas d'entre eux, qu'illustre la prochaine suppression définitive du premier niveau de la catégorie C.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Absolument !
M. Pierre Lefebvre. Il est prévu, dans ce budget, la suppression de 490 emplois sur un effectif global évalué à 98 341 postes.
Notons, toutefois, que cette réduction d'effectifs est inférieure au niveau atteint en 1998 et représente la moitié des suppressions prévues par le plan triennal établi sous le gouvernement précédent.
Force est de constater que cette baisse d'effectifs repose, pour une grande part, sur les directions départementales et les subdivisions de l'équipement, c'est-à-dire qu'elle concerne en priorité les agents qui exercent au plus près de ce qui touche à la vie quotidienne des populations.
Nous sommes d'accord pour constater avec vous, monsieur le ministre, que non seulement l'hémorragie des emplois n'est pas, hélas ! une réalité nouvelle - 16 000 emplois ont été supprimés depuis une quinzaine d'années - mais qu'elle faisait l'objet d'un programme planifié de suppression de 1 000 emplois par an.
A terme, si nous n'y prenons pas garde, c'est la pérennité du service public de l'équipement qui serait gravement remise en cause.
En effet, alors que le Gouvernement s'est fixé comme priorité la lutte pour l'emploi, peut-on raisonnablement admettre que l'Etat employeur supprime des postes alors que, dans le même temps, des besoins ne sont pas satisfaits ?
A ce sujet, il n'est que de citer l'exemple du matériel de déneigement, qui reste inutilisé une partie de l'hiver faute de conducteurs suffisants ou disponibles.
La qualité des travaux d'entretien et d'aménagement du réseau routier en pâtit, le suivi en continu des opérations des directions départementales de l'équipement n'est plus assuré de la même manière et, à terme, le service public n'est plus à même de remplir ses missions auprès des usagers.
Si les DDE ne sont plus en mesure de mettre à disposition les moyens permettant de répondre aux besoins exprimés par les communes ou les départements, le risque est grand de voir ces mêmes collectivités locales, dépourvues de soutien technique mais aussi d'une assistance scientifique en matière d'aménagement urbain, se tourner, faute de mieux, vers des agences privées.
M. André Vezinhet. Très bien !
M. Pierre Lefebvre. Ensuite, connaissant votre attachement au service public, êtes-vous en mesure, monsieur le ministre, de nous indiquer quand le plan de suppression d'emplois dont vous avez hérité sera définitivement abandonné, de telle sorte que la tendance à la baisse que vous avez commencé à infléchir se traduise enfin par une création nette de postes dans ce secteur ?
Vous venez de le dire, monsieur le ministre, le processus, enclenché depuis 1983, de suppression des effectifs n'a que trop duré et il faut désormais se situer dans une perspective de création d'emplois stables. Pouvez-vous nous donner quelques assurances, à cet égard, pour le prochain projet de loi de finances ?
Enfin, la réduction du temps de travail, avec pour contrepartie la création nette d'emplois, est-elle envisagée pour le personnel de l'équipement ?
Les agents de l'équipement ont le sentiment d'être les parents pauvres de la fonction publique, à laquelle ils demeurent profondément attachés. Permettez-moi d'insister, monsieur le ministre, pour obtenir une réponse permettant d'assurer l'avenir du service public et des agents de l'équipement.
Cela étant dit, soyez assuré que nous sommes à vos côtés pour promouvoir le développement d'un service public adapté aux exigences des citoyens de l'an 2000. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, je crois avoir clairement indiqué, dans mon intervention, ma position et celle du Gouvernement en ce qui concerne les effectifs. Je souhaite néanmoins vous apporter quelques précisions.
Quand j'ai pris mes fonctions, il y avait effectivement ce plan triennal de suppression de 1 000 emplois par an, mais, si l'on y regarde bien, c'est depuis une quinzaine d'années que, plan ou pas plan, il y avait, de toute manière, 1 000 suppressions d'emplois chaque année.
La rupture intervient cette année. Donc à la question de savoir si c'est terminé, je peux déjà répondre que le fait est là : il n'y aura pas 1 000 suppressions d'emplois, et dans le contexte général que nous connaissons ce n'est pas rien.
Cela étant, j'admets que l'on puisse s'interroger légitimement, notamment au regard des besoins pour l'entretien et l'exploitation.
A ce sujet, j'ai dit que, si une réduction d'emplois était encore prévue pour 1999, elle était, pour l'entretien et l'exploitation, divisée par trois par rapport à ce que l'on connaissait dans le passé.
J'ai été sensible à votre discours sur les travaux indispensables. Dans certains cas, la situation est telle que l'on dispose des matériels mais non des agents pour les faire fonctionner, ce qui est aberrant !
Ceux qui n'ont que l'efficacité économique à la bouche devraient donc y réfléchir à deux fois lorsqu'ils proposent une réduction des dépenses de personnels. Les agents du service public ont également pour vocation d'être efficaces !
En divisant la réduction par trois, nous faisions donc en sorte que l'entretien et l'exploitation ne soient pas les plus touchés, comme ce fut le cas par le passé.
Vous me demandez, monsieur Lefebvre, si je peux vous garantir qu'il en sera ainsi à l'avenir. L'an dernier, j'ai réuni les services, l'administration mais aussi les organisations syndicales pour discuter de ces questions. J'ai ainsi pu rassembler des éléments qui, au moment des arbitrages, ont montré que l'on ne pouvait pas continuer ainsi. Je suis décidé à pratiquer la même politique de concertation et de discussion pour voir ce qui peut être fait à tel endroit, ce qui ne doit pas l'être à tel autre, de façon à s'engager dans une politique réellement positive, où l'on sorte du dogmatisme qui consiste à penser qu'il suffit de tailler dans les effectifs des personnels et les services publics pour favoriser l'avancée économique de notre pays ou, inversement, à refuser de prendre en considération tout ce qui peut favoriser une meilleure organisation du travail.
Voilà la démarche que j'entends poursuivre !
M. le président. Par amendement n° II-27 rectifié, M. Pelletier, au nom de la commission des finances, propose de réduire les crédits du titre III de 326 500 719 francs et, en conséquence, de porter le montant des mesures nouvelles à moins 232 312 451 francs.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Pelletier, rapporteur spécial. Cet amendement entre dans le cadre des mesures décidées par la majorité de la commission des finances pour réduire le déficit budgétaire.
Il porte exclusivement sur le titre III, c'est-à-dire sur les dépenses de personnels, qu'il vise à réduire de 1 %, et les dépenses de fonctionnement, qu'il tend à réduire de 5 %, soit une réduction d'environ 326 millions de francs, à raison de 206 millions de francs pour les dépenses de personnels et de 120 millions de francs pour les dépenses de fonctionnement.
Cet amendement de portée générale n'est dirigé ni contre vous, monsieur le ministre, ni contre vous, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous le savez, la représentation nationale, dans sa grande majorité, et tout particulièrement le rapporteur spécial de ce budget au Sénat, apprécient votre action en faveur du logement, secteur économique et social ô combien important. Ne voyez donc, dans cet amendement, aucun acte de défiance à votre égard.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je vais non seulement donner l'avis du Gouvernement, mais encore ajouter une précision : votre proposition, monsieur le rapporteur spécial, conduit à la suppression de 1 800 emplois.
M. Jacques Pelletier, rapporteur spécial. Non !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Comment non ? J'ai fait les calculs !
M. Guy Fischer. Nous le lui ferons savoir !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. La démarche n'est pas nouvelle ; l'an dernier, c'était pareil ! On propose systématiquement de réduire de 1 % les dépenses de personnel. Après quoi - ayez le courage de voir les choses honnêtement - sénateurs, députés et conseillers régionaux, toutes tendances confondues, m'écrivent pour protester contre les suppressions d'emplois dans leur département.
M. Jean Chérioux. C'est facile !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. L'avis du Gouvernement est donc, bien évidemment, défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Vezinhet applaudit également.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-27 rectifié.
M. Pierre Lefebvre. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. En proposant cet amendement, qui tend à supprimer plus de 326 millions de francs de crédits, la majorité de la commission des finances reste évidemment fidèle aux politiques qui ont été menées par les précédents gouvernements, et que les Français ont majoritairement rejetées.
En effet, il nous est proposé de porter un coup sévère aux dépenses de fonctionnement, c'est-à-dire aux rémunérations des personnels, aux retraites des anciens de l'équipement, à la gestion au quotidien des services déconcentrés, mais aussi, par exemple, aux crédits destinés à la recherche puisqu'on prive l'Ecole nationale des ponts et chaussées de plus de 7 millions de francs de crédits.
Comment pourrions-nous voter un tel amendement et expliquer, ensuite, dans les communes et les départements, l'absence de moyens suffisants pour répondre aux besoins des usagers ?
Il faut être logique avec soi-même et avec sa politique. En fait, on l'a compris, cet amendement a un caractère idéologique évident : il correspond à la volonté de la majorité sénatoriale d'appauvrir la fonction publique.
Pour ce qui nous concerne, vous l'aurez bien compris, nous sommes opposés à un service public au rabais. Aussi, nous voterons, bien évidemment, contre cet amendement.
M. André Vezinhet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet. Il me sera difficile de ne pas être quelque peu redondant, tant je souscris aux propos de M. le ministre et de notre collègue M. Lefebvre.
C'est vrai, il y a quelque acharnement à vouloir nous proposer, cette année encore, une mesure à laquelle nous nous étions déjà opposés l'an dernier.
Si l'on veut réduire les dépenses de personnels, il faut avoir le courage de dire que ceux qui seront touchés par la mesure sont à la fois inutiles et improductifs. Si l'on nous fait la démonstration de leur inutilité et de leur improductivité, nous nous rangerons, alors, à l'argument de la majorité sénatoriale. Mais, que je sache, personne, ici, ne pense cela !
Le groupe socialiste s'opposera donc à cet amendement, en indiquant, au passage combien il a apprécié ce qu'a dit M. le ministre sur l'aide aux catégories de personnels relevant du ministère et des services de l'équipement les plus défavorisées. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je tiens d'abord, après M. le rapporteur spécial, à dire à M. le ministre et surtout à M. le secrétaire d'Etat au logement - nous avons toute la nuit devant nous, monsieur Gayssot ! - qu'ils ne doivent pas prendre les amendements de la commission des finances comme une marque de défiance à leur endroit.
Mes chers collègues, une fois de plus, je veux rappeler que, lorsque nous discutons d'un amendement, nous discutons sur les mesures nouvelles et que vous allez, sans même le remarquer - franchement, cele ne doit pas manquer d'étonner tous ceux qui nous observent ! - adopter, à l'article 44, les services votés, soit 23 milliards de francs au titre du budget dont nous discutons.
Sont donc en discusssion en ce moment, 326 - j'allais dire « petits... ! - millions de francs, à comparer aux 23 milliards de francs sur lesquels vous ne direz pas un mot.
Or, monsieur le ministre, sur ces 23 milliards de francs de service votés, pas plus M. Pelletier que moi-même n'avons la possibilité de toucher au moindre centime. Vous seul en avez la faculté.
Et vous ne me ferez pas croire que, habile comme vous l'êtes, vous ne pourrez pas trouver 300 millions de francs d'économies sur 23 milliards, sauf à en conclure que vous n'êtes pas un bon gestionnaire, ce que je ne veux pas faire, à cet instant de mon propos en tout cas !
Donc, monsieur le ministre, ne laissez pas croire au Sénat - la ficelle est un peu grosse ! - que nous voulons « sabrer » des crédits sur des mesures nouvelles, alors que vous avez toute latitude pour procéder à des redéploiements sur les 23 milliards de francs, somme sur laquelle j'ai le sentiment que M. le secrétaire d'Etat au budget ne vous laisse guère de marge de manoeuvre non plus.
S'agissant de l'accord salarial dans la fonction publique, qui a abouti à une augmentation, si je ne me trompe, de 3,2 %, nous vous proposons de limiter cette croissance. Lorsqu'on décide une augmentation, il faut savoir comment la financer.
Mes chers collègues, lorsque vous financez des augmentations par une majoration des impôts, c'est critiquable, mais c'est au moins loyal parce que la génération qui décide est bien celle qui assume les dépenses nouvelles qu'elle décide.
Or, ce qui n'est pas sain dans votre système, c'est que vous majorez des crédits aujourd'hui et que vous les faites payer pendant quinze ans à vos enfants. Cela, nous ne l'acceptons pas !
Autrement dit, monsieur le ministre, vous devez courageusement écheniller chaque chapitre budgétaire de votre budget et trouver, dans les 23 milliards de francs que j'ai évoqués, les 300 millions de francs visés dans l'amendement que M. Pelletier, au nom de la commission des finances - j'en suis, naturellement, tout à fait solidaire - vous propose.
Lorsque, au cours de la soirée, le Sénat vous proposera, en effet, de limiter les augmentations, vous lui direz, bien sûr, qu'il est inhumain, qu'il veut réduire le nombre des emplois, que c'est impossible. Mais, chaque année, on procède subrepticement à des annulations de crédits par décret. A ces occasions, vous manifestez-vous ?
Aussi, pour aider le Gouvernement, nous procédons à cette régulation avant qu'il ne le fasse. (Protestations sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Bernard Piras. C'est facile ! La ficelle est un peu grosse !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Croyez-moi ! Elle est de toute façon annoncée. (Démago ! sur les travées socialistes.)
Monsieur le ministre, la proposition qui vous est faite est parfaitement raisonnable : elle a pour effet de ne pas décider de dépenses dont nous ferions supporter le poids aux générations futures. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur Lambert, la période actuelle, contrairement aux précédentes, n'a pas été marquée par des annulations de crédits ! Peut-être faudrait-il que vous intégriez cette différence dans vos réflexions. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-27 rectifié, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 37:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 303
Majorité absolue des suffrages 152
Pour l'adoption 204
Contre 99

Personne ne demande la parole ?...
Le vote sur les crédits figurant au titre III est réservé.
« Titre IV : 2 699 901 146 francs. »