Séance du 14 décembre 1998
M. le président.
« Art. 14. - I. - Sous réserve des décisions de justice passées en force de
chose jugée, les impositions en matière d'impôts directs locaux et de taxes
perçues sur les mêmes bases, calculées à partir de tarifs ou d'éléments
d'évaluation arrêtés avant le 1er janvier 1999, sont réputées régulières en
tant que leur légalité est contestée sur le fondement de l'absence de preuve de
l'affichage en mairie de ces tarifs ou éléments d'évaluation.
« II. - La publication de l'instruction générale du 31 décembre 1908 sur
l'évaluation des propriétés non bâties au bulletin officiel des contributions
directes de 1909 a pour effet de la rendre opposable aux tiers.
« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, ces
dispositions s'appliquent aux litiges en cours. »
Par amendement n° 9, MM. Ballayer et Maman proposent de supprimer cet
article.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Le Gouvernement insère régulièrement des dispositions portant validation
législative à l'occasion de l'examen de textes à caractère financier et
fiscal.
Une telle pratique ainsi généralisée doit être condamnée, en dépit des
impératifs d'intérêt général qui sont invoqués.
En l'espèce, il s'agit de couvrir une regrettable négligence de
l'administration, qui a omis d'afficher des tarifs ou éléments servant à la
détermination des bases d'impôts fonciers.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général. Il est tout à fait utile d'appeler l'attention, comme
le fait M. Maman, sur les validations législatives demandées par le
Gouvernement, car il ne s'agit pas, loin s'en faut, de pratiques anodines.
Deux validations sont ici proposées.
Il s'agit, d'une part, de valider les taxes foncières sur la propriété non
bâtie qui seraient contestées parce que l'instruction ministérielle - écoutez
bien, mes chers collègues ! - du 31 décembre 1908, sur laquelle elles
s'appuient, a été publiée non pas au
Journal officiel de la République
française, mais seulement au
Journal officiel des contributions
indirectes. Or un excellent plaideur a découvert cette particularité et a
fait annuler par une cour les taxes foncières sur la propriété non bâtie
acquittées par un certain nombre de contribuables.
Il s'agit, d'autre part, de valider les impositions directes locales qui
seraient contestées sur le fondement de l'absence de l'affichage en mairie des
tarifs ou éléments d'évaluation servant à la détermination des bases de ces
impositions.
Vous savez que la jurisprudence du Conseil constitutionnel encadre la
validation législative. Nous nous sommes interrogés, au sein de la commission
des finances, sur le respect par l'article 14 de ces règles de portée
constitutionnelle.
La validation des impositions sur les propriétés non bâties qui seraient
contestées sur le fondement de l'absence de publication au
Journal officiel
de l'instruction du 31 décembre 1908 apparaît indispensable, sous peine de
remettre en cause l'ensemble des impositions sur les propriétés non bâties de
1997 et 1998.
En revanche, monsieur le secrétaire d'Etat, l'intérêt général de la validation
des impositions en matière d'impôts directs et des taxes perçues sur les mêmes
bases calculées à partir de tarifs ou d'éléments d'évaluation arrêtés avant le
1er janvier 1999 et dont la légalité serait contestée sur le fondement de
l'absence de preuves de l'affichage en mairie de ces tarifs ou éléments
d'évaluation nous semble moins évident.
En effet, je n'ai pu obtenir aucune information claire sur le nombre de tarifs
ou d'éléments d'évaluation qui n'auraient pas été affichés ou dont la preuve de
l'affichage n'aurait pas été conservée par l'administration fiscale.
Dans mon rapport écrit, j'ai précisé que je vous demanderais, monsieur le
secrétaire d'Etat, des précisions complémentaires en séance publique : le
moment est venu de le faire !
Quoi qu'il en soit, monsieur Maman, la commission des finances considère que
la validation dont il s'agit vise, en principe, à régulariser un simple vice de
forme. Il ne serait donc pas simple d'assumer les conséquences d'un refus de
cette validation, refus qui pourrait conduire bien des contribuables à échapper
indûment à l'impôt.
Mais je ne saurais formuler un avis définitif, mes chers collègues, sans avoir
entendu M. le secrétaire d'Etat sur le sujet et sans savoir s'il peut
m'apporter les précisions que j'ai sollicitées.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat. M. Maman a mis le doigt sur un point qui fait mal,
puisque l'article 14 comprend deux mesures de validation.
Je crois que le comptable qui est coupable de la non-publication de
l'instruction du 31 décembre 1908 doit contempler aujourd'hui nos débats avec
une certaine sérénité, mais il n'en reste pas moins vrai que, cette instruction
n'ayant pas été publiée, nous courons un risque, quatre-vingts ans après, qui
porte sur des dizaines de milliards de francs d'impôt. Or je pense que, ce
risque, vous ne voulez pas le courir.
Sur le deuxième point, à savoir le principe selon lequel il doit être procédé
à un affichage en mairie des tarifs ou des éléments d'évaluation servant à la
détermination des bases des impositions directes locales, M. le rapporteur
général me demande si les services vérifient bien si ces publications ont
lieu.
Nous avons fait un sondage auprès de la quasi-totalité des directions des
services fiscaux. Il apparaît que, dans près de la moitié des communes, les
certificats d'affichage des éléments d'évaluation n'ont pu être retrouvés. J'en
profite donc pour lancer un appel au Grand Conseil des communes de France,
puisque c'est parfois ainsi que l'on appelle le Sénat, pour inciter à ces
publications.
L'Etat a donné des instructions fort claires afin que le droit soit appliqué.
Mais si vous pouviez relayer ce message de l'Etat auprès des maires de France,
je suis sûr que vous apporteriez votre pierre à la sauvegarde de l'intérêt
général.
Je crois en tout cas qu'il serait très périlleux, après les informations que
je vous ai données sur l'une comme sur l'autre de ces deux validations, que
vous mainteniez, monsieur Maman, l'amendement de suppression de l'article 14.
Il s'agit en effet d'un amendement dont le coût peut être évalué à plusieurs
dizaines de milliards de francs par an, ce qui me paraît très élevé.
Je suggère donc à M. Maman, qui a défendu cet amendement n° 9 afin de «
marquer le coup », en quelque sorte, de bien vouloir le retirer, pour ne pas
exposer la collectivité nationale à des dégâts financiers très importants.
M. Philippe Marini,
rapporteur général. C'est la dissuasion nucléaire !
M. le président.
L'amendement est-il maintenu, monsieur Maman ?
M. André Maman.
Je souhaiterais tout de même obtenir une explication de la part de M. le
secrétaire d'Etat quant à la procédure qui sera suivie. Après avoir attendu
pendant quelque quatre-vingts ans, cela deviendrait urgent ?
Vous me dites, monsieur le secrétaire d'Etat, que j'ai « marqué le coup » avec
cet amendement, mais je ne vois pas très bien la solution que vous nous
proposez.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat. La solution est très claire, monsieur le sénateur :
nous nous proposons de faire comme si l'inscription avait été publiée le 31
décembre 1908 et, par conséquent, de procéder à un acte rétrospectif de très
grande portée, afin que tous les recours qui pourraient être effectués par des
contribuables - tels que celui qui a fait surgir cette question - soient
considérés comme non valides pour la bonne raison que vous aurez entre-temps
publié, grâce à l'acte d'une machine à remonter le temps, en quelque sorte,
cette fameuse instruction du 31 décembre 1908.
Ainsi, si vous acceptez l'article 14 proposé par le Gouvernement, tous les
recours fondés sur l'absence de publication tomberont.
M. le président.
Compte tenu de ces éclaircissements, monsieur Maman, acceptez-vous de retirer
votre amendement ?
M. André Maman.
Je veux bien faire plaisir à M. le secrétaire d'Etat, mais je ne suis pas
encore complètement satisfait. En effet, j'ai peur que cela ne continue. Cette
exigence existe depuis quatre-vingts ans...
M. Philippe Marini,
rapporteur général. Quatre-vingt-dix !
M. André Maman.
... et nous nous contenterions aujourd'hui de l'annuler purement et simplement
?
J'aurais donc aimé obtenir des indications plus précises et des assurances de
votre part, monsieur le secrétaire d'Etat.
Quoi qu'il en soit, je retire cet amendement.
M. le président.
L'amendement n° 9 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
Articles 14 bis et 15