Séance du 17 décembre 1998







M. le président. « Art. 2. - L'article 88-4 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 88-4. - Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative. Il peut également leur soumettre les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution de l'Union européenne.
« Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions peuvent être votées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets, propositions ou documents mentionnés à l'alinéa précédent. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 6, MM. de Rohan, Barnier, Gélard et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de rédiger comme suit le texte présenté par cet article pour l'article 88-4 de la Constitution :
« Art. 88-4 . - Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés ou de l'Union comportant des dispositions de nature législative, ainsi que les documents de consultation de la Commission européenne mentionnés par le protocole sur les parlements nationaux annexé au traité visé au deuxième alinéa de l'article 88-2. Il peut également leur soumettre tout autre projet ou proposition d'acte ou tout document émanant d'une institution de l'Union européenne ; il est tenu de le faire sur demande du président de l'une ou l'autre assemblée.
« Pendant les sessions ou en dehors d'elles, des résolutions peuvent être votées dans le cadre du présent article, selon des modalités déterminées par le règlement de chaque assemblée. Le Gouvernement les prend en considération lorsqu'il détermine sa position. Sauf urgence dûment motivée, les assemblées disposent d'un délai minimal de six semaines pour se prononcer. »
Par amendement n° 12, M. Barnier propose de compléter le premier alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 88-4 de la Constitution par un membre de phrase ainsi rédigé : « ; il est tenu de le faire sur demande du Président de l'une ou l'autre assemblée. »
Par amendement n° 11, Mme Luc, MM. Duffour, et Bret, Mmes Beaudeau, et Bidard-Reydet, M. Bécart, Mme Borvo, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam, Lefebvre, Loridant, Ralite et Renar et Mme Terrade, proposent de compléter le texte présenté par l'article 2 pour l'article 88-4 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement s'exprime et vote au Conseil des Communautés dans le respect des résolutions adoptées dans le cadre des deux alinéas précédents par le Parlement. »
La parole est à M. Barnier, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Michel Barnier. Je présenterai également l'amendement n° 12, qui est un texte de repli ; mais je ne veux pas renoncer à l'idée de vous convaincre qu'il vous faut voter l'amendement n° 6, mes chers collègues !
Voilà maintenant six ans que l'article 88-4 de la Constitution est en vigueur, et je veux à cet instant rendre hommage à cet égard au président de la commission des lois, M. Jacques Larché, et à notre ancien collègue M. Jacques Genton. Chacun convient que cet article a permis de mieux associer - et il était temps ! - les assemblées aux questions européennes ; chacun sait aussi, six ans après, que son application révèle de nombreuses lacunes.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative d'Henri Nallet, que je veux remercier, comble une partie de ces lacunes, mais une partie seulement. Désormais, les deux assemblées seront saisies de tous les projets ou propositions d'actes qui comportent des dispositions de nature législative, même s'ils concernent la PESC ou la coopération judiciaire et policière. C'est un progrès, mais ce n'est en somme qu'un simple retour aux sources, puisque telle était déjà l'intention du constituant en 1992, lorsque l'article 88-4 a été adopté, ce qui montre bien, une fois encore, que nous avons intérêt à adopter cette fois-ci un texte clair.
La rédaction de l'Assemblée nationale permet par ailleurs au Gouvernement de soumettre aux assemblées tout autre texte émanant d'une institution de l'Union. Mais, d'ores et déjà, rien n'empêche le Gouvernement de le faire, et les assemblées ont effectivement été saisies, à plusieurs reprises, de textes communautaires qui, selon l'avis du Conseil d'Etat, ne comportaient pas de dispositions législatives au sens strict. En réalité, il n'y a plus depuis longtemps de critère clair permettant de savoir si une proposition européenne sera ou non soumise aux assemblées.
La rédaction de l'Assemblée nationale est donc loin de régler tous les problèmes posés par l'application de l'article 88-4. Dans ces conditions, mieux vaudrait que notre débat soit l'occasion de les régler une fois pour toutes.
Je les évoquerai rapidement. Ces problèmes portent sur le champ d'application de cet article, sur la portée des résolutions que nous adoptons, et, enfin, sur le délai accordé aux assemblées pour se prononcer.
Sur le champ d'application de l'article 88-4, la rédaction de l'Assemblée nationale est finalement très restrictive, car elle donne tous pouvoirs au Gouvernement. En particulier, elle ne garantit pas que les documents de consultation de la commission européenne nous seront soumis ; comme l'a dit Mme le garde des sceaux ce matin, elle le permet simplement.
Ces documents, notamment les livres blancs ou les livres verts, sont assez peu nombreux - une dizaine par an environ - mais ils sont souvent importants : que l'on songe, par exemple, à l'Agenda 2000 ou aux documents de la Commission sur l'emploi en Europe. Surtout, ces documents se situent à un stade précoce du processus de décision, c'est-à-dire au moment où nos interventions ont le plus de chances d'être utiles.
J'ajoute que le traité d'Amsterdam lui-même prévoit que ces documents doivent être rapidement communiqués aux parlements nationaux : or, à quoi bon prévoir cela, si ce n'est pour que les parlements nationaux puissent s'exprimer en temps voulu ?
L'amendement n° 6 tend à ce que les assemblées soient saisies de plein droit de ces documents.
A côté de cela, il existe quelques propositions qui ne sont sans doute pas législatives au sens strict, mais qui sont cependant importantes pour nous : je pense, par exemple, à la directive sur l'heure d'été ou encore aux règlements sur les organisations de marché des produits agricoles, dont certains nous sont soumis et d'autres non, sans que l'on sache très bien pourquoi.
L'amendement n° 6 vise à ce que les assemblées soient saisies de ces textes lorsqu'elles en feront la demande, c'est-à-dire, en pratique, s'il s'agit, à nos yeux, de textes importants et controversés.
Nous croyons, en effet, que le Parlement doit pouvoir s'exprimer sur toutes les propositions européennes importantes, sur toutes celles qui ont des conséquences sur la vie des citoyens. Dans nos départements, nous sommes tous confrontés - et nous allons l'être encore davantage - à des textes européens élaborés sans véritable association du Parlement, adoptés par le Conseil après un examen parfois rapide - je peux en témoigner - et dont ensuite les élus locaux et les citoyens que nous sommes subissent les conséquences. Cela n'est bon pour personne, et cela ne sert pas du tout la construction européenne.
Prévoir que, pour ce type de questions, l'intervention éventuelle des assemblées doit être laissée à la discrétion du Gouvernement me paraît témoigner - je le dis très sincèrement, monsieur le ministre - d'une sorte de timidité, d'une attitude un peu craintive qu'il nous faut dépasser. Pour tout dire, il y a une sorte d'archaïsme dans les rapports entre le Gouvernement et le Parlement qui n'est plus de mise.
Sur ces questions, nous devrions pouvoir parvenir, entre le Gouvernement et le Parlement, à un rapport plus moderne, plus confiant, à un vrai dialogue, pour que nous ne voyions plus arriver tout d'un coup des textes européens que nous avons beaucoup de peine à appliquer sur le terrain.
Cela me conduit à évoquer la portée des résolutions. Comme Mme le garde des sceaux l'a rappelé ce matin, il est bien entendu qu'elles ne lient pas le Gouvernement. Mais les résolutions ne sont pas non plus quelque chose de purement platonique. Le Gouvernement doit en tenir compte, il doit les prendre en considération, ce qui signifie notamment qu'il doit rendre compte régulièrement aux assemblées des suites qui leur ont été données. C'est ce à quoi tend l'amendement n° 6, dont la formulation s'inspire, sur ce point, de la Constitution allemande, monsieur Badinter. Je donne cette précision, car nul ne dira que le Gouvernement allemand est paralysé par je ne sais quel contrôle parlementaire excessif. Plus de transparence, cela ne veut pas dire moins d'efficacité.
Enfin, j'évoquerai rapidement les délais d'examen. En matière européenne encore plus qu'ailleurs, parce que l'information est parfois difficile à obtenir, il faut un minimum de temps pour un examen sérieux. Le traité d'Amsterdam retient le principe d'un délai de six semaines pour l'expression des parlements nationaux ; mais comme le champ d'application de ce principe n'est pas parfaitement clair, il nous a paru utile de poser cette règle dans l'article 88-4, afin que le Gouvernement ait à garantir aux assemblées ce délai de six semaines, sauf naturellement s'il y a une réelle urgence.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce matin, Mme le garde des sceaux - je le dis d'ailleurs sans aucune ironie, contrairement à ce qu'elle a pu croire - a voulu, me semble-t-il, nous donner ou me donner une sorte de leçon de Ve République. En outre, j'ai entendu M. Badinter et d'autres encore se référer tout à l'heure aux principes fondamentaux, à l'équilibre tel qu'il est prévu par la Constitution de la Ve République. Je dis « sans ironie » parce que nous sommes, de ce côté-ci de l'hémicycle (M. Barnier désigne la droite de l'hémicycle), touchés, voire émus du soutien apporté maintenant à la Ve République (Sourires sur les travées du RPR) et de la fidélité qui lui est témoignée. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mais, mes chers collègues - et je le dis en ce jour où M. le président du Sénat a dévoilé en présence de nombre d'entre nous une plaque en mémoire de Michel Debré, qui a siégé dans cet hémicycle - une constitution n'est pas figée ; elle doit vivre avec son temps, et même l'anticiper. C'est d'ailleurs ce que j'avais compris de la volonté du général de Gaulle au moment même où il a élaboré cette Ve République.
Cette constitution peut et doit évoluer, comme M. Caldaguès l'a très bien dit. Plutôt que de le faire par petites touches, à coup d'assurances verbales, comme celles que nous recevons depuis ce matin, ou d'avancées timides, le moment est venu aujourd'hui, puisque nous en avons l'occasion, de nous doter d'une règle du jeu, d'un mode d'emploi clair, fiable, moderne, pour l'association et, quand il le faut, le contrôle du Parlement sur la politique européenne de la France.
Mes chers collègues, cet amendement n° 6 présente quelques avantages que je ne voudrais pas que vous sous-estimiez.
Tout d'abord, son adoption permettrait de rassembler ce soir sur le projet de loi constitutionnelle la quasi-unanimité du Sénat, ce qui constituerait, à mon avis, un signal fort.
Par ailleurs, nous pourrions disposer d'un texte clair sur cette question de l'article 88-4. Or, monsieur le rapporteur, non seulement j'ai entendu ce que vous avez dit aujourd'hui, mais j'ai lu ce qui a été écrit dans différents rapports, et l'amendement que nous vous proposons ne contient rien d'autre que ce que vous avez vous-même souhaité - comme d'autres de nos collègues - au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
De plus, pour avoir sondé les reins et les coeurs - y compris à l'Assemblée nationale - je peux dire, sans trahir de conversations privées, que ce que nous proposons là, c'est simplement du bon sens et une mise en ordre claire et nette.
Enfin, je voudrais évoquer cet argument qui nous a été opposé - par exemple par M. Arthuis tout à l'heure, mais aussi par M. le ministre - et qui consiste à dire qu'il faut aller vite, et donc qu'il nous faut adopter le texte en termes conformes ce soir. Mais, monsieur Arthuis, je vous le dis de tout coeur : au nom de quoi et pour quelles raisons reviendrait-il au Sénat de voter conforme ce soir ? Pourquoi donc n'appartiendrait-il pas à l'Assemblée nationale d'adopter ce texte en termes conformes - c'est-à-dire dans les termes du Sénat - demain ou lundi matin ? (Applaudissements sur les travées du RPR.)
C'est ce que nous avons fait en 1992, M. le président Monory est là pour en témoigner, et d'autres encore ici. C'est nous - ou plutôt vous, car je n'étais pas encore parmi vous - c'est vous, à cette époque, qui avez introduit l'idée selon laquelle des résolutions pourraient être adoptées sur des textes communautaires. Ce progrès a été suggéré par le Sénat, et l'Assemblée nationale l'a accepté.
En quoi le vote de cet amendement retarderait-il le débat de ratification ? La réunion du Congrès aura probablement lieu le 18 janvier. Rien ni personne - et surtout pas moi - n'a l'intention de la retarder !
Encore une fois, l'Assemblée nationale peut voter ce texte en termes conformes, en acceptant l'apport du Sénat. Qu'on ne vienne donc pas nous opposer l'argument de l'urgence, parce que nous n'y croyons pas !
Je comprends que vous ayez été opposé à l'amendement précédent - celui qu'a défendu M. Gélard - parce que, posant un principe, il pouvait être interprété comme un mauvais signal en direction de nos partenaires, en ce sens qu'il donnait le sentiment d'une ratification en deux temps. J'ai bien entendu tous ces arguments.
Mais cet amendement-ci, je vous le dis en toute conscience, ne fait que reprendre ce que nous avons toujours souhaité, espéré et dit : nous souhaitons instaurer enfin un rapport moderne entre le Gouvernement et le Parlement sur le plan européen.
A partir du moment où il n'y a pas de vraie raison pour retarder le débat de ratification, je souhaiterais très sincèrement - je crois pouvoir le dire au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, que j'ai l'honneur de présider - que nous soyons le plus nombreux possible, et même unanimes, à approuver cet amendement. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Bécart, pour défendre l'amendement n° 11.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons eu l'occasion d'évoquer cet amendement lors de la discussion générale. Il s'agit, pour nous, de donner un contenu impératif aux résolutions adoptées par le Parlement sur des propositions d'actes communautaires.
Nous estimons que le débat sur l'article 88-4 de la Constitution, tel qu'il s'est déroulé jusqu'à présent, n'est pas satisfaisant et constitue un moyen de masquer une acceptation pure et simple du dispositif d'Amsterdam.
A quoi bon, par exemple, étendre le champ d'application du contrôle parlementaire aux Livres blancs, par exemple, si les propositions de résolution adoptées par l'Assemblée nationale et par le Sénat ne sont même pas prises en compte par le Gouvernement ?
Ce qui est essentiel, c'est le poids réel de l'intervention parlementaire dans la construction européenne.
A cet égard, nous ne suivrons pas notre collègue M. Badinter quand il oppose construction européenne et renforcement de l'intervention du Parlement. Pour nous, les deux aspects sont complémentaires, et nous considérons bien au contraire que cette intervention constituerait la garantie de la réconciliation de la démocratie et de l'Europe, la garantie du rapprochement de l'Europe des citoyens français.
Nous ne pouvons pas accepter que la Commission de Bruxelles, non élue, qui est à l'origine et à l'aboutissement des actes communautaires, demeure toute-puissante, sans réel droit d'intervention des peuples et de leurs représentants nationaux.
Il faut rappeler que la procédure parlementaire du Danemark offre la possibilité au Parlement de confier des mandats impératifs au Gouvernement. Pourquoi ce qui existe au Danemark serait-il considéré comme du domaine de l'absurde en France ?
Enfin, notre amendement respecte pleinement l'article 3 de la Constitution : la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je commencerai par le dernier, l'amendement n° 11, parce que c'est à son égard que la réponse est la plus simple.
Naturellement, la commission des lois n'a pas pu accepter un texte qui pose le principe selon lequel « le Gouvernement s'exprime et vote au Conseil des Communautés dans le respect des résolutions adoptées dans le cadre des deux alinéas précédents par le Parlement ».
Je n'ai même pas besoin de vous dire que le Gouvernement serait bien embarrassé si les résolutions n'étaient pas adoptées dans les mêmes termes par les deux assemblées ! Mais passons sur cette difficulté technique.
Sur le fond, on nous propose d'instituer un régime d'assemblée : ce sont les assemblées qui donneraient des consignes précises et détaillées au Gouvernement. Or, autant que je sache, les institutions de la Ve République - sur l'esprit desquelles nous sommes globalement tous d'accord dans cet hémicycle - ne vont pas dans le sens du régime d'assemblée.
Il me paraît donc tout à fait impossible d'adopter une telle disposition, et la commission des lois vous propose de la rejeter.
J'en viens à l'amendement n° 6, excellemment exposé par M. Barnier, et à l'amendement n° 12, qui n'est qu'un amendement de repli et sur lequel je n'aurai pas à m'expliquer longuement.
En réalité, cet amendement n° 6 comporte quatre propositions nouvelles par rapport à la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
Je tiens d'emblée à dire que nous avons examiné cet amendement avec beaucoup d'intérêt, car il correspond tout à fait aux préoccupations et de la délégation du Sénat pour l'Union européenne et de la commission des lois. Nous nous souvenons tous, à cet égard, du rôle spécialement joué par cette dernière et par son président, M. Jacques Larché, dans l'élaboration de l'article 88-4, innovation remarquable dans nos institutions qui mériterait bien des développements et dont, je l'espère, nous pourrons discuter un jour : je veux notamment faire allusion à la possibilité pour les assemblées de voter des résolutions.
Sur cet amendement n° 6, je vais aller du plus simple à ce qui est peut-être le plus délicat.
En premier lieu, l'amendement vise à ajouter expressément à la liste des documents qui doivent être transmis « les documents de consultation de la Commission européenne mentionnés par le protocole sur les parlements nationaux annexé au traité visé au deuxième alinéa de l'article 88-2 ».
Cette proposition a été faite en son temps par M. Lanier, et je l'avais moi-même reprise dans mon rapport.
En deuxième lieu, je rappelle que les documents qui doivent être communiqués sont les documents de portée législative des premier, deuxième et troisième piliers, ainsi que les documents préparatoires dont la communication est rendue expressément obligatoire par le traité d'Amsterdam. L'Assemblée nationale y a ajouté tous autres projets ou propositions d'actes communautaires que le Gouvernement jugerait bon de communiquer. Et M. Barnier voudrait encore que le Gouvernement soit tenu de procéder à cette communication sur la demande du président de l'une ou l'autre assemblée !
En troisième lieu, le Gouvernement devrait prendre en considération les résolutions adoptées par le Parlement lorsqu'il détermine sa position. Je me permets de dire que ce n'est pas l'élément le plus fort et le plus convaincant de l'ensemble et que cela prête même peut-être à sourire, cela dit sans porter atteinte à l'autorité si grande de celui qui vient de défendre cet amendement.
En quatrième lieu, le dernier élément de novation apporté par l'amendement n° 6 est le suivant : « Sauf urgence dûment motivée, les assemblées disposent d'un délai minimal de six semaines pour se prononcer. » Cette disposition figure d'ailleurs dans le protocole annexé au traité d'Amsterdam.
Je reprendrai ces quatre points dans l'ordre inverse.
Tout d'abord, en ce qui concerne le délai de six semaines, la commission a considéré qu'il n'était pas convenable d'indiquer ce délai dans un texte constitutionnel. Cette obligation résulte certes du traité d'Amsterdam que nous allons ratifier, mais il ne semble pas nécessaire d'ajouter cette précision dans le texte même de la Constitution.
S'agissant de l'idée selon laquelle le Gouvernement prend en considération les résolutions adoptées lorsqu'il détermine sa position, la commission n'a pas cru opportun d'inscrire une telle disposition dans la Constitution. Cela pourrait donner l'impression qu'il pourrait en être autrement et qu'il faut le dire pour qu'il n'en soit pas autrement, tout en sachant d'ailleurs qu'il ne suffit pas de le dire pour qu'il en soit réellement autrement. (Sourires.) En conséquence, cela ressemble à une sorte de placebo sur l'utilité duquel la commission n'est pas convaincue. Elle ne peut donc pas l'approuver.
Ce qui pourrait poser davantage problème, c'est le principe selon lequel non seulement le Gouvernement devrait communiquer les documents dont nous avons parlé - premièrement, ceux qui concernent les premier, deuxième et troisième piliers, dès lors qu'ils ont une portée législative ; deuxièmement, les documents de consultation ; troisièmement, les documents qu'il juge utile de communiquer - mais aussi les documents qui lui seraient demandés par le président de l'une ou l'autre des assemblées.
C'est une idée intéressante que la commission n'a pas cru devoir retenir, car elle a considéré que la liste des autres documents couvrait déjà à peu près tous les documents imaginables et qu'on ne voyait pas très bien ce qui pourrait manquer. En effet, il ne faudrait pas qu'au sein de la délégation nous soyons accablés. Il suffit pour le comprendre de consulter la liste de tous les documents que nous recevons et sur lesquels il nous est parfois bien impossible de nous prononcer. Au demeurant, cela ne ressort souvent pas véritablement de notre compétence !
Faut-il ajouter, dans ces conditions, que le Gouvernement sera tenu de communiquer des documents qu'il n'aurait pas communiqués et qui lui seraient demandés par le président de l'une ou l'autre des deux assemblées ? Nous ne voyons pas très bien à quelle hypothèse concrète cela correspond. Par ailleurs, si l'assemblée a le sentiment qu'elle n'est pas correctement informée sur tel ou tel point, elle peut toujours créer une commission d'enquête ou de contrôle ! Ce système fonctrionne ainsi depuis un certain nombre d'années déjà, et je n'ai jamais entendu dire qu'il y ait eu rétention de documents.
La précision souhaitée ne nous semble donc pas nécessaire.
Il subsiste un point qui nous paraît tout à fait justifié, mais dont nous croyons pouvoir penser qu'il est satisfait par le texte voté par l'Assemblée nationale tel qu'il a été interprété par le Gouvernement tout à l'heure.
Comme cette interprétation peut donner lieu à des difficultés - les interprétations sont toujours elles-mêmes sujettes à interprétation - je voudrais vous dire comment la commission des lois a compris ce texte et je demande au Gouvernement, s'il ne l'a pas compris comme nous, de nous le dire afin que les choses soient claires : dans ce cas, il deviendra peut-être nécessaire de voter l'amendement, ou du moins une partie de l'amendement qui nous est proposé.
Mme Guigou a pris un exemple précis et il est vrai qu'un exemple est toujours plus concret qu'une phrase. On peut toujours discuter une phrase, un exemple est plus évident.
Selon vous, madame le garde des sceaux, il est clair que, dans le cadre de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, le Gouvernement aurait sans hésitation - je propose pour ma part de supprimer ce « sans hésitation » - transmis, au titre de l'article 88-4, des documents tels que l'Agenda 2000 ou le Livre vert sur La Poste.
L'Agenda 2000, le voici. (M. le rapporteur montre un document.) Il comprend des chapitres fort intéressants, c'est probablement l'un des documents les plus importants qui soient sortis des travaux de la Commission au cours des dernières années. En effet, c'est à sa lecture que l'on comprend ce qui va se passer, que l'on est informé sur l'état de la problématique dans les différents domaines et que l'on commence à pouvoir avoir une appréciation de la réalité des problèmes et de leurs solutions possibles.
C'est aussi au moment où ces documents sont diffusés que le Gouvernement commence à réfléchir à l'attitude qu'il adoptera. Nous avons donc intérêt à démarrer alors nous-mêmes notre propre réflexion afin qu'elle ait des chances d'être prise en compte, parce qu'elle sera arrivée assez tôt dans le processus de réflexion des instances gouvernementales.
Cet exemple, en tant que tel, nous donne pleinement satisfaction. J'étais en effet un peu embarrassé parce que j'avais cru entendre que vous aviez compris, madame le ministre, qu'il s'agissait de communiquer les documents préparatoires à des actes législatifs. Or on ne peut pas considérer l'Agenda 2000 comme un document préparatoire à des actes législatifs ! Y aura-t-il ou non par la suite des actes législatifs et, dans l'affirmative, lesquels ? Nous n'en savons rien !
Nous respectons donc strictement les définitions qui sont données par le traité d'Amsterdam, que vous nous invitez d'ailleurs à ratifier et que nous sommes tout disposés à ratifier : tous les documents de consultation de la Commission - Livres verts, Livres blancs et communications - sont transmis rapidement aux Parlements nationaux des Etats membres.
Cela nous convient, étant entendu que cette transmission, encore une fois, se feront en application de la dernière phrase de l'alinéa 1er de l'article 88-4, que je vous demande de me dispenser de relire. Tous ces documents pourront donc faire l'objet de résolutions.
C'est dans cet esprit que la commission a compris le texte de l'Assemblée nationale, à la suite de vos déclaration. (Mme le garde des sceaux fait un signe d'approbation.) J'en conclus, madame le garde des sceaux, que vous souscrivez à cette interprétation. Dans ces conditions, notre préoccupation est satisfaite...
M. Jean Chérioux. Tu parles !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... et c'est pourquoi, dès lors que cet amendement n'a plus d'objet, la commission des lois invite le Sénat à le repousser.
M. Adrien Gouteyron. Mais le Gouvernement n'a encore rien dit !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 6, 12 et 11 ?
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je répondrai de façon globale aux auteurs des trois amendements, qui concernent tous l'article 88-4 de la Constitution tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, en relevant les quatre points que vient d'évoquer M. le rapporteur.
Premier point, l'amendement central, l'amendement n° 6, vise à étendre le champ des actes transmis systématiquement en application de l'article 88-4 de la Constitution aux documents dits de consultation, et ce conformément au protocole sur les parlements nationaux.
Je note au passage que, s'agissant de ces documents de consultation, il n'est plus fait référence au critère législatif. Je souligne en outre que le protocole annexé au traité n'impose pas que ces documents soient transmis pour examen ; il dispose que, pour information, « tous les documents de consultation de la Commission - livres verts, livres blancs et communications - sont transmis rapidement aux parlements nationaux ». Cette exigence est d'ores et déjà satisfaite puisque cette transmission est posée par la loi Josselin.
Comment le Gouvernement entend-il ce texte, monsieur le rapporteur ?
S'agissant de la transmission de tels documents au titre de l'article 88-4, la clause permettant au Gouvernement de transmettre tout document d'une institution qu'il juge important peut, à notre sens, parfaitement servir de base juridique.
Le Gouvernement - c'est ce qu'a dit ce matin Mme Guigou - est d'accord pour transmettre à ce titre les documents de consultation les plus importants, c'est-à-dire ceux de préparation ou d'orientation, notion qui doit être entendue au sens large. Il reviendra à la circulaire d'application de l'article 88-4 de préciser - dans un esprit qui est, vous le voyez, extrêmement ouvert - les modalités de mise en oeuvre de cet engagement.
Deuxième point, le texte prévoit que le Gouvernement est tenu de soumettre au Parlement tout document émanant d'une institution de l'Union européenne si une demande en ce sens est formulée par le président de l'une ou l'autre des deux assemblées. La possibilité qui serait ainsi donnée aux présidents des assemblées de demander que certains documents soient soumis au Parlement constituerait une innovation.
Nous respectons bien évidemment le rôle politique éminent des présidents des deux assemblées, dont nous savons qu'ils ont un pouvoir de nomination à de très hautes fonctions dans la République, mais en même temps il s'agit là d'introduire une forme d'intervention auprès du Gouvernement qui n'est pas conforme, jusqu'à nouvel ordre, à la tradition constitutionnelle de la Ve République.
J'ajoute que la mise en oeuvre de l'article 88-4 de la Constitution repose sur une logique de confiance entre le Gouvernement et les assemblées, et à cet égard je veux donner quelques exemples qui démontrent la bonne volonté du Gouvernement. Depuis le mois de juin 1997, celui-ci a répondu favorablement cinq fois à six demandes de transmission formulées par l'un ou l'autre président des deux assemblées, au titre de l'article 88-4, de textes n'entrant pas dans le champ d'application de ce dernier. Tout récemment encore, le Gouvernement a tenu à respecter ses engagements en transmettant, au titre de l'article 88-4 et par anticipation sur l'adoption définitive de la révision constitutionnelle en cours, le programme de travail annuel de la Commission. En outre, j'ai indiqué ce matin, en réponse à M. Masson, qu'il fera de même s'agissant de la répartition de l'acquis de Schengen, également par anticipation. Je voulais préciser ce point.
Cela signifie, dans mon esprit, que si les problèmes existent - mais ils sont très rares - il faut souligner que l'actuelle révision donne très exactement les moyens d'y porter remède, et vous comprenez là encore quel esprit animera le Gouvernement.
Troisième point, le texte prévoit l'inscription d'un délai minimal de six semaines comme délai de réserve parlementaire.
Je serai extrêmement bref sur ce point pour dire qu'il ne me paraît pas juridiquement satisfaisant d'inscrire un tel délai dans la Constitution. On comprendra en outre que la nécessaire souplesse liée aux exigences de la négociation communautaire justifie pleinement que le Gouvernement s'oppose à cette proposition.
Enfin, quatrième point, l'amendement tend à préciser la portée des résolutions votées par les assemblées, en indiquant que le Gouvernement les prend en considération lorsqu'il détermine sa position.
Le texte de l'amendement n° 6 introduit une ambiguïté. Les circulaires Balladur de 1993 et, surtout, de 1994 précisent justement la façon dont le Gouvernement doit tenir compte des résolutions votées par le Parlement : on ne peut pas les assimiler à des avis contraignants, car c'est totalement contraire aux principes d'automie de négociation de l'exécutif, et donc à l'équilibre des pouvoirs inscrits dans la Constitution.
La même remarque vaut pour l'amendement n° 11, qui tendrait également à remettre en cause l'autonomie de l'exécutif dans la négociation internationale en conférant un contenu impératif aux résolutions adoptées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.
Le Gouvernement, monsieur Barnier, ne fait donc pas preuve de « timidité » et il n'oserait en aucune façon donner à qui que ce soit, et surtout pas à vous, une leçon sur la Ve République. Il est favorable à l'extension du contrôle parlementaire, et il oeuvre en ce sens.
Il me semble d'ailleurs que la disposition votée par l'Assemblée nationale sur proposition de M. Nallet - disposition qu'approuve votre commission, comme vient de l'exposer M. Fauchon - donne toute satisfaction de ce point de vue et correspond à un équilibre parfait.
Mais, dans le même temps, le Gouvernement ne veut pas que, de façon subreptice et sans en avoir débattu de façon approfondie, des équilibres assez fondamentaux de notre Constitution soient modifiés, qu'il s'agisse du partage entre la loi et le règlement ou encore du pouvoir de négociation de l'exécutif, au premier chef, de celui du Président de la République.
Vous dites que la Constitution n'est pas figée. Nous en sommes bien d'accord. Il n'y a pas de tabous, et nous en viendrons peut-être les uns ou les autres à des remises en cause profondes de telle ou telle constitution, en l'occurrence la nôtre, mais ces remises en cause ne peuvent intervenir à l'occasion d'une révision de circonstance qui, je le rappelle pour la troisième fois, n'a qu'une justification : préparer la ratification du traité d'Amsterdam.
Peut-être y aura-t-il un grand débat sur ces points, mais je ne crois pas qu'aujourd'hui soit le jour ; ce serait, je le répète encore, profiter d'une révision de circonstance sans avoir tout à fait approfondi les tenants et les aboutissants des modifications proposées. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Je veux m'adresser au président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Barnier, et lui dire que je regrette comme lui que le Gouvernement, qui a signé le traité d'Amsterdam au mois d'octobre 1997, n'ait pu prévoir dans le calendrier parlementaire une discussion plus précoce de ce projet de loi préalable à la ratification.
Cela étant dit, cher Michel Barnier, Il n'y a de notre part aucune précipitation frénétique. Si nous avons décidé de voter conforme ce texte - plusieurs orateurs de notre groupe sont intervenus hier soir, vous y avez été attentif, je pense, pour justifier notre position - c'est parce que, comme vous, nous voulons que le Parlement puisse exercer ses prérogatives.
Nous entendons respecter la hiérarchie entre les traités et la loi. Nous avons acquis la conviction que nous étions en mesure, sur la base du texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, d'exercer nos prérogatives de contrôle parlementaire.
Dans ces conditions, et parce que M. le ministre chargé des affaires européennes vient de le confirmer en réponse au rapporteur M. Pierre Fauchon, nous considérons que l'amendement n° 6 n'a maintenant plus d'objet.
Je voudrais aussi vous remercier, cher Michel Barnier, d'avoir exprimé mieux que je n'aurais pu le faire les réserves que suscitait l'amendement n° 5, défendu par M. Gélard.
Je voudrais dire enfin à M. Caldaguès que, si nous n'avons pas voté l'amendement prévoyant qu'une loi d'habilitation devrait être soumise au Parlement dans cinq ans, voire plus tard, au moment où basculera le dispositif de prise de décision de l'unanimité à la majorité qualifiée, c'est parce qu'un acte sera soumis au Parlement. Il y aura donc vote d'une résolution, et, à ce moment-là, il appartiendra à la majorité de l'Assemblée nationale, si elle le juge opportun, de la faire connaître au Gouvernement, avec toute la force de ses moyens juridiques.
Nous avons les moyens que nous souhaitons. C'est pour cette raison que le groupe de l'Union centriste ne pourra pas voter l'amendement n° 6.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant l'une du groupe socialiste, l'autre du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 59:

Nombre de votants 300
Nombre de suffrages exprimés 300
Majorité absolue des suffrages 151
Pour l'adoption 100
Contre 200

L'amendement n° 12 est-il maintenu, monsieur Barnier ?
M. Michel Barnier. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 12 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article additionnel après l'article 2