Séance du 17 décembre 1998







M. le président. Par amendement n° 7, MM. de Rohan, Barnier, Gélard et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article 88-4 de la Constitution, il est inséré un article nouveau ainsi rédigé :
« Art. 88-5 . - Les projets ou propositions d'actes comportant des dispositions de nature législative visés à l'article 88-4 peuvent être déférés au Conseil constitutionnel par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale ou le président du Sénat. Le Conseil constitutionnel se prononce sur leur conformité à la Constitution dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
« II. - Dans l'article 19 de la Constitution, les références : "56 et 61" sont remplacées par les références : "56, 61 et 88-5". »
La parole est M. Masson.
M. Paul Masson. Cet amendement n'est pas révolutionnaire : il ne bouleverse pas les institutions ; il n'est apparemment pas contraire au traité ; il a, à mon sens, pour objet essentiel de protéger le Gouvernement, le Parlement et les institutions françaises de leurs contradictions internes à venir.
Il s'agit en effet d'ajouter, après l'article 88-4 de la Constitution, un nouvel article qui permet à quatre personnalités éminentes - le Président de la République, le Premier ministre et les deux présidents des assemblées - de saisir le Conseil constitutionnel avant que les directives européennes ne soient traduites dans le droit interne de sorte que nous puissions éviter, autant que faire se peut, le système paradoxal dans lequel nous nous trouvions de voir le Conseil constitutionnel en situation de devoir annuler, pour non conformes à la Constitution, des textes qui résultent d'une directive qui aurait été approuvée par le Gouvernement et transcrite dans le droit interne de ce pays.
Je souligne, mes chers collègues, que nous n'examinons plus là des matières formelles : il ne s'agit plus de monnaie, de produits, d'échanges, de fiscalité, de taux de croissance. Il s'agit ici de l'homme, de la femme, des droits de l'homme, des droits imprescritibles que nous avons souvent soulignés et sur lesquels le Conseil constitutionnel est particulièrement vigilant.
Pour être bref, je prendrai un seul exemple : le droit de rétention, c'est un sujet que connaît bien M. Badinter. Et cela nous dit quelque chose, mon cher collègue Dreyfus-Schmidt, à vous et à moi.
Sur le droit de rétention, nous savons tous que la France est en pointe, si j'ose dire. Le droit de rétention pratiqué dans les Etats de l'Union est, en moyenne, d'environ trois mois. Chez nous, à trois reprises, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il est contraire aux droits de l'homme et qu'il est impossible de priver de liberté un citoyen qui n'est pas condamné au-delà de huit jours. Ce délai a ensuite été porté à dix jours, puis à douze jours.
Chez nous : douze jours ; ailleurs : trois mois ! Pourtant, un jour, une directive de la Commission pourra fixer le droit de rétention en Europe à un mois, par exemple.
Comment réagira le Conseil constitutionnel lorsque nous proposerons d'établir ce dispositif en droit interne même si nous ne faisons qu'appliquer les décisions prises par le Conseil des ministres et que transcrire une directive qui est totalement légale ?
Le Conseil constitutionnel devrait se désavouer, lui qui, à de multiples reprises, a considéré que le droit de détention était incontournable et qu'au-delà de douze jours, l'étranger qui se trouvait en situation irrégulière devait être libéré, même si son identité ou son domicile n'avaient pas été déterminés ?
L'autre hypothèse est que le Conseil constitutionnel casse la transcription en droit interne, et nous sommes condamnés par la Cour de justice pour non-application d'un dispositif qui a force de loi dans l'ensemble de l'Union.
Pour éviter cela, on imagine, préalablement à la décision d'introduire toute disposition dans le droit interne, de consulter le Conseil constitutionnel sur les projets et propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative.
Je répète que toutes les dispositions de nature législative que nous aurons à connaître, après la ratification du traité d'Amsterdam, traitent de problèmes concernant les étrangers, recouvrent intégralement le champ de l'ordonnance de 1945, mille fois débattue dans cette enceinte, et ajoutent à cela quelques autres mesures qui touchent toutes les droits de l'homme et du citoyen.
Tel est l'objet de cet amendement que je présente avec une certaine sérennité, parce qu'il reviendra sans doute à l'esprit du président Jacques Larché que nous avions adopté une mesure similaire lors du débat en 1992, à l'époque où le Sénat refusait, lui, de voter des textes conformes et imposait à l'Assemblée nationale de le faire. Ce débat-là, nous l'avons déjà eu, disais-je, et j'ai eu le plaisir de constater à l'époque que cette orientation avait été approuvée, lors d'une première lecture, par la majorité du Sénat. En sera-t-il de même ce soir ?
Je n'ose pas tenter l'expérience parce que j'ai bien compris que l'obsession de l'adoption conforme était ancrée et que, en tout état de cause, quel que soit le talent de mes collègues, leur capacité de persuasion et même l'objectivité et le bien-fondé d'une telle disposition, il fallait à tout prix que l'on arrête aujourd'hui le dispositif pour que, demain, à l'Assemblée nationale, les députés aient enfin la satisfaction de constater que le Sénat n'avait, pour une fois, rien changé et que les dispositions qui résultent de ses travaux sont, en définitive, toutes celles que l'Assemblée nationale avait adoptées.
Je regrette un peu cette situation. Elle ne réflète pas, je crois, un sentiment qui est unanimement partagé, mais, puisque c'est une tactique qui a été organisée de telle sorte que chacun doive s'y plier, monsieur le président, je retire l'amendement. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Charles Pasqua. Beau discours !
M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.

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