Séance du 21 janvier 1999







M. le président. La parole est à M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègue, ma question concerne La Hague.
Les écologistes allemands, depuis des années, s'opposent au retour dans leur pays des matières nucléaires recyclées à La Hague.
Dans le même temps, les écologistes français portent plainte contre la Cogema et obtiennent sa mise en examen parce que lesdits déchets n'ont pas été renvoyés en Allemagne dans les délais prévus par l'article 3 de la loi de 1991, dite « loi Bataille ».
Le ministre allemand de l'environnement, M. Jurgen Trittin, vient dire en France que l'Allemagne ne respectera pas les engagements signés.
Pour couronner le tout, M. Cohn-Bendit (Huées sur les travées du RPR), écologiste franco-allemand, annonçait à la fin de la semaine dernière : « La France achève son épopée nucléaire. Le nucélaire, c'est fini ! »
Dans tout cela, monsieur le Premier ministre, essayons de remettre un peu de sérieux.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'indépendance énergétique de la France a été une des constantes de la politique de notre pays. La filière électronucléaire est un élément majeur de cette indépendance : elle nous a permis, entre autres, de nous dégager de la crise pétrolière et de ne pas être dépendants des producteurs de gaz.
M. Alain Gournac. Merci de Gaulle !
M. Jean-François Le Grand. Monsieur le Premier ministre, mes questions sont relativement simples, d'autant que quelques éléments de réponse y ont été apportés lors du débat qui a eu lieu ce matin à l'Assemblée nationale. Je me permets d'ailleurs de rappeler au passage que les collègues de mon groupe et moi-même avons demandé voilà plus d'un an qu'un tel débat soit organisé au Sénat sur ce sujet.
La France va-t-elle renoncer à cette indispensable indépendance énergétique sous la pression des diktats écologistes ?
La France va-t-elle renoncer à une technologie du traitement-recyclage qui en fait le numéro un mondial et qui a notamment contribué à créer des milliers d'emplois dans des bassins économiques en difficulté, tout particulièrement dans l'arrondissement de Cherbourg, touché par la crise de la construction navale au même titre que Brest ou Lorient ?
La France va-t-elle renoncer à construire la nouvelle génération des centrales nucléaires « EPR » et à utiliser du mox, seul combustible aujourd'hui capable de faire disparaître à terme de la planète le plutonium civil ?
La France entend-elle, au titre de la protection de l'environnement du globe, interdire à l'Allemagne l'usage du lignite et du charbon noir, combustibles qui contribuent très fortement à accroître l'effet de serre ? Je rappelle que 52 % de l'énergie allemande est produite à partir du lignite et du charbon noir.
Enfin, monsieur le Premier ministre, le Gouvernement entend-il se plier aux injonctions du gouvernement allemand pour seulement privilégier l'équilibre politique de sa majorité plurielle...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. ... ou bien entend-il oeuvrer pour que la France reste un grand pays indépendant et debout ? (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, je vais m'efforcer de répondre à l'ensemble des questions que vous venez de poser.
M. le président. En deux minutes ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. N'ayez crainte, monsieur le président !
La France a-t-elle l'intention de renoncer à son indépendance, qui provient très largement, vous l'avez rappelé, de la filière électronucléaire ? La réponse est non ! (Très bien ! sur les travées du RPR).
La France a-t-elle l'intention de renoncer au retraitement, qui crée nombre d'emplois, qui est une industrie d'exportation, qui nous met à la pointe de la technologie dans ce domaine ? La réponse est non ! (Très bien ! sur les mêmes travées.)
La France a-t-elle l'intention de renoncer à la construction de l'EPR, réacteur du futur, intrinsèquement sûr ? C'est une affaire qui concerne des entreprises et non pas des gouvernements. Néanmoins, rien ne donne à penser aujourd'hui qu'il faille renoncer au travail que Framatome et Siemens réalisent en commun. (Très bien ! sur les mêmes travées.)
Quant au « moxage », il constitue en effet une technique qui, même si elle est parfois contestée, permet d'éliminer le plutonium. Dans ces conditions, le « moxage » d'un nombre suffisant de tranches se poursuivra. D'ailleurs, la décision vient d'être prise de « moxer » quatre tranches de plus. La réponse à votre question sur ce point est donc également tout à fait claire.
Vous me demandez ensuite si nous allons interdire au gouvernement allemand de suivre la politique qu'il a choisie. Là, monsieur le sénateur, pardonnez-moi, mais vous y allez un peu fort ! (Sourires.)
M. Jean-François Le Grand. Eux aussi !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En revanche, ce qui est clair, c'est que l'utilisation du lignite, plus encore que celle du charbon, est, en Allemagne, à l'origine d'une très forte pollution, qui fait que les Allemands émettent environ 5,8 tonnes de carbone dans l'air par unité de PIB alors que, grâce au nucléaire, nous en sommes à 1,5.
C'est pourquoi, dans toutes les enceintes européennes ou internationales où ces questions sont débattues, nous montrons que la France est non seulement un pays qui est devenu énergétiquement indépendant grâce au nucléaire, mais aussi est un des pays qui contribuent le plus à la sauvegarde de l'environnement.
Si nous ne pouvons interdire, nous pouvons du moins essayer de convaincre.
Je peux donc maintenant répondre à votre dernière question, qui était de savoir si, pour des raisons que je n'ose imaginer et que vous-même n'avez pas totalement formulées, le Gouvernement avait l'intention de changer de politique en matière énergétique : non, le Gouvernement n'a pas cette intention ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE.)
Le gouvernement que soutient la majorité plurielle a une politique et il la maintient. Il n'empêche que, à chaque instant, cette politique doit être réexaminée, que la diversification de nos sources d'énergie doit être étudiée, que tel ou tel progrès scientifique doit être incorporé. Ainsi, à tout moment, nous devons écouter ceux qui nous disent qu'il peut y avoir des difficultés dans tel ou tel domaine. Nous les écoutons, nous travaillons, nous tenons compte des objections, mais, pour le moment, nous considérons que nous n'avons pas de raison de changer l'orientation de notre politique.
Quant au débat que vous avez appelé de vos voeux, monsieur Le Grand, si le Sénat souhaite en organiser un débat analogue à celui qui s'est tenu à l'Assemblée nationale sur la politique énergétique,
le Gouvernement y est prêt. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Il ferait un bon Premier ministre ! (Sourires.)

CRISE PORCINE