Séance du 26 janvier 1999






PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en guise d'introduction à mon bref propos, j'indiquerai que, par référence à ce qu'a dit le précédent orateur qui est intervenu avant la suspension de séance, ma révolution culturelle est faite depuis longtemps.
Dès 1971, un tiers des membres de mon conseil municipal étaient des femmes. En 1967, j'ai eu une suppléante, qui est devenue députée lorsque je suis entré au Gouvernement ; elle a siégé pendant deux législatures à l'Assemblée nationale.
Les membres de la commission des lois ont eu le privilège d'entendre, dans un silence qui, il faut bien le dire, est assez inhabituel, une grande dame, dont la force de conviction n'avait d'égale que la hauteur de vue, leur expliquer les raisons pour lesquelles elle était hostile au principe de ce qu'il est convenu d'appeler la « parité hommes-femmes ».
Professeur de philosophie à l'Ecole polytechnique, elle avait reçu, nous a-t-elle dit, mandat de ses élèves féminines de les laver de l'humiliation que représente à leurs yeux ce terme de « parité ».
Invitant les commissaires à se méfier des fausses évidences, elle a dénoncé la manipulation des concepts, la détérioration du concept d'universalité au profit d'un droit à la différence, celui-là même qui a permis à de tristes théoriciens de l'extrême droite de justifier les pires excès des régimes racistes. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Le dualisme du projet de loi constitutionnelle, a-t-elle affirmé, ouvre la voie au multidifférencialisme. A ses yeux, comme, en son temps, à ceux de Simone de Beauvoir, le remède proposé est pire que le mal et, après avoir rappelé que c'est une assemblée d'hommes qui a donné l'IVG aux femmes, d'avancer plaisamment : « Si l'on s'engage dans la voie du projet de loi, demain, dans un jury d'assises, un violeur dira : Je ne veux pas être jugé par des femmes. » (Exclamations sur plusieurs travées du groupe communiste républicain et citoyen.) Les perspectives de l'échec de la république universelle l'inquiètent : « Les lobbies sont déjà en place, qui viendront réclamer leurs quotas de noirs, de beurs, d'homosexuels... » Ne jouez pas au coup par coup, nous a-t-elle adjuré, mais voyez plutôt le coup d'après.
Les Etats-Unis ont aujourd'hui compris les méfaits de la doctrine de la Cour suprême separate but equal, qui a abouti trop longtemps à justifier l'apartheid dans les Etats du Sud. Et ce sont aujourd'hui les professeurs noirs, avec les quotas qui conduisent certains à les décrédibiliser, qui sont depuis quelque temps les premiers à demander qu'on en finisse avec ces quotas. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Mme Hélène Luc. C'est insupportable !
Mme Odette Terrade. Les femmes ne sont pas des quotas !
M. Christian Bonnet. L'évolution ô combien souhaitable se fera naturellement, On ne tardera pas à le vérifier lorsque l'on connaîtra la composition des listes pour les élections européennes. La sanction, selon moi, sera rude pour ceux qui n'auraient pas compris la nécessité de faire leur place aux femmes, et en bonne place s'entend. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Vasselle. Très bien !
Mme Hélène Luc. Qu'avez-vous fait dans vos groupes ? Il faut bien reconnaître que vous avez échoué jusqu'à présent. Il faut donc faire autre chose !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, laissez l'orateur s'exprimer. Vous ne pouvez demander à vous exprimer dans le calme si vous perturbez vous-mêmes les autres orateurs. Ecoutons donc M. Bonnet en silence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Christian Bonnet. Le principal mérite de ce débat sera d'avoir fait comprendre aux têtes des listes qui paraissent devoir prendre le départ pour le scrutin du mois de juin qu'elles ne peuvent pas ruser avec la place qu'occuperont les femmes sur leurs listes.
M. Jean-Marie Poirier. Très bien !
M. Christian Bonnet. En ce domaine, la vie politique est en retard sur l'évolution de la société - cela est indéniable - mais si la prise de conscience a été lente à venir, elle est là.
Ainsi, la semaine dernière, sur les trois nominations en jeu au CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, deux ont profité à des femmes, et Mme le garde des sceaux est, au demeurant, une brillante illustration de la place éminente que des femmes remarquables peuvent prendre dans notre vie politique. Il est donc véritablement paradoxal de la voir défendre un texte qui sacrifie à ce travers bien français qui consiste à tout prétendre régler par la loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Dominique Braye. Ça, c'est sûr !
Mme Hélène Luc. Quand ça ne fonctionne pas, on ne peut pas faire autrement !
M. Christian Bonnet. La commission des lois, dont la conviction majoritaire s'est trouvée renforcée par l'argumentation développée devant elle, a décidé, plutôt que d'amender l'article 3 de la Constitution, de procéder à une adjonction à l'article 4 qui traite de la place des partis dans l'organisation des pouvoirs publics. Cette suggestion venait - le procès-verbal de la commission en fait foi - de l'autorité à laquelle je faisais allusion en commençant mon propos.
Soucieuse de ne pas paraître indifférente au problème posé - mais mal posé - par le projet de loi et estimant que sa solution réside dans une politique volontariste à l'intérieur des formations politiques, elle a voté un amendement se décomposant en deux parties bien distinctes.
La première, qui pose le principe selon lequel les partis « favorisent un égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives », n'a pas donné lieu à discussion. La seconde, en revanche, a prêté à discussion. Elle dispose en effet, depuis un vote intervenu ce matin même en commission, que « les règles relatives à leur financement public peuvent contribuer à la mise en oeuvre des principes énoncés aux alinéas précédents. »
Ces principes, ce sont la souveraineté, la démocratie et l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
Or, nous sommes un certain nombre à estimer qu'il n'est pas convenable - qualificatif à prendre dans sa plus large acception - d'introduire dans la Constitution une question relative au financement des partis politiques. Ce serait là une grande et affligeante première dans la mesure où elle abaisserait une loi constitutionnelle au niveau d'une loi ordinaire. Ne touchez aux lois que d'une main tremblante, écrivait Montesquieu.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Christian Bonnet. Et c'est avec plus de précautions encore, des précautions infinies, qu'il convient de toucher à la loi suprême, à la loi fondamentale, que des modifications incessantes n'ont, ces temps, que par trop tendance à banaliser et à fragiliser. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Grande première, disais-je, grande et paradoxale première dans la mesure où, dans le souci de faire aux femmes qui le désirent la place qu'elles méritent dans notre vie publique, on en viendrait à les humilier en faisant d'elles un enjeu financier ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Telles sont les raisons pour lesquelles, bien qu'il n'ait pas eu l'aval de la commission, mais assuré du concours de nombre de mes amis, je défendrai, lors de la discussion des articles, un sous-amendement tendant à la suppression du second alinéa du texte proposé par la commission pour l'article 4 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis cinq mille ans, depuis qu'a commencé à se mettre en place une société hiérarchisée, avec Etat, culte, armée, organisation socio-économique, les pouvoirs - tous les pouvoirs - ont été exclusivement exercés par des hommes.
Un sénateur du RPR. Et Cléopâtre ?
M. Yvon Collin. Bien sûr, mes chers collègues, nous ne pouvons sérieusement porter, à nous seuls, ici, la responsabilité de cinquante siècles d'histoire, et ce d'autant moins que les revendications des mouvements féministes en termes de pouvoir ou de place des femmes dans la vie publique n'ont véritablement pris leur essor que depuis les années soixante-dix. Notre responsabilité se limite donc à ce qui s'est passé ces trente dernières années, et force est de constater que les évolutions sont lentes - c'est le moins que l'on puisse dire ! - quels que soient les domaines.
Certes, l'accès massif à un travail salarié a donné aux femmes une autonomie financière qu'elles n'avaient pas auparavant ; mais, dans tous les pays du monde, y compris le nôtre, à travail égal, le salaire est inégal entre les hommes et les femmes. Ajoutons - circonstance aggravante - que le chômage touche davantage les femmes que les hommes.
Certes, nous dira-t-on, les femmes ont gagné la bataille du droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse. Il faut toutefois signaler que les trop nombreux signes d'atteintes à ces droits dans plusieurs pays du monde, même en Europe, nous imposent à tous une vigilance de tout instant.
Certes, s'agissant des droits politiques, les femmes, à force de courage et de détermination, les ont obtenus. Mais là aussi, le triomphalisme n'est pas complètement de mise. Si les droits sont là, il n'en est pas de même des résultats en termes d'occupation des mandats électoraux. La difficulté consiste donc, aujourd'hui, à accroître la place des femmes dans la vie publique.
Nous connaissons les chiffres. La France est caractérisée par un énorme retard dans l'accès des femmes aux fonctions politiques. Notre pays est confronté à une situation de quasi-blocage qui évolue très lentement, ce que quelques constats éclairent : il y avait autant de femmes parlementaires en 1946 au sein de l'Assemblée constituante qu'en 1993 au sein de l'Assemblée nationale. Il a fallu attendre 1983 pour atteindre le taux de 10 % de femmes dans les conseils municipaux...
Mme Danièle Pourtaud. 8 % !
M. Yvon Collin. ... et 1995 pour arriver à 20 %. Les femmes représentent moins de 10 % des maires, et, de plus, à de rares exceptions près, elles sont à la tête de communes de moins de 2 000 habitants. Très peu nombreuses au sein des conseils généraux et du Parlement, elles sont également écartées des présidences de structures intercommunales et, bien sûr, sauf un ou deux cas, des présidences des conseils régionaux et généraux.
Mme Danièle Pourtaud. Bravo !
M. Yvon Collin. Pourquoi une telle situation existet-elle ? Une explication est souvent avancée : le caractère latin méditerranéen, dont la France participerait, serait plus machiste que le caractère nordique ou anglo-saxon.
Cette explication ne peut nous satisfaire, car les pays européens du Sud - l'Italie, l'Espagne et le Portugal - dépassent largement la France, qui, on le sait, rivalise avec la Grèce... pour la dernière place ! Surtout, il faut bien constater que la Grande-Bretagne est également très en retard, phénomène qui a peut-être été occulté par la longue présence de Mme Thatcher aux affaires du pays.
On peut alors se poser la question du poids de l'histoire. La France et la Grande-Bretagne sont les deux pays qui ont mené les premiers combats démocratiques et gagné les premières victoires. La démocratie a bâti pendant des décennies - un siècle et demi pour notre pays - une image masculine qui se prévalait en plus d'universalité. On se rappelle Olympe de Gouges - c'est une fierté de mon département, puisqu'elle était montalbanaise - qui habitait non loin d'ici et écrivit la première déclaration des droits des femmes : « La femme, disait-elle, a le droit de monter à l'échafaud. Il faut qu'elle ait le droit de monter à la tribune. » On connaît son sort : elle monta à l'échafaud ! Et il fallut cent cinquante ans aux femmes, non pour monter à la tribune mais pour avoir le droit de vote.
Les autres pays ont vu les hommes et les femmes accéder plus tard, presque en même temps pour l'un et l'autre sexe, à la citoyenneté. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, qu'ils ont moins de réticences à répartir plus équitablement les responsabilités politiques ?
On peut aussi avancer l'idée que les femmes françaises disposent d'atouts qui peuvent se retourner contre elles pour l'exercice de responsabilités politiques. Ainsi, la France est le deuxième pays européen en termes de travail salarié féminin, et le premier pays en ce qui concerne le travail féminin à plein temps.
Mme Hélène Luc. Tout à fait !
M. Yvon Collin. La plus grande autonomie financière et psychologique donne une liberté que le temps consacré au travail peut à l'évidence réduire pour des activités politiques. (Protestations sur certaines travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Il ne faut pas le prendre comme ça !
M. Yvon Collin. Il est aussi permis de signaler que la prise de pouvoir passe par des rites, des méthodes façonnées par les hommes. La politique, on le sait, est un combat permanent pour s'imposer, en premier lieu, au sein de son parti politique - ce n'est pas facile - ensuite face à l'adversaire et, enfin, pour imposer ses idées. Les hommes, de tout temps majoritairement au pouvoir, ont construit des armes éloigné de la sensibilité féminine.
Mes chers collègues, quelles que soient les raisons de la faiblesse numérique des femmes dans la vie politique, si l'on se réfère au rythme de progression actuel, il faudra encore cinq cents ans pour arriver à la parité.
Parce que les évolutions naturelles sont lentes, il est nécessaire de provoquer une arrivée massive des femmes dans le champ du pouvoir politique par le biais législatif et préalablement par celui d'une révision de la Constitution.
En effet, même si, en droit, l'égale éligibilité des hommes et des femmes est établie, seule la mention explicite de ce droit dans la Constitution permettra d'adopter des lois favorisant la parité.
Le présent projet de loi constitutionnelle s'inscrit dans cette démarche qui n'est pas, c'est vrai, sans soulever des querelles juridiques.
Ceux qui s'opposent à cette modification avancent notamment le principe d'universalité. Ainsi, selon certains, la représentation des femmes « ès qualités » mettrait à mal ce principe et ouvrirait la porte à des représentations spécifiques des différentes couches, classes, catégories de la société.
Les radicaux de gauche, attachés à l'intégrité de la République, ne peuvent qu'être extrêmement sensibles à cet argument. Pourtant, ils sont favorables à cette modification de l'article 3 de la Constitution, considérant que les femmes ne sont pas une catégorie ou une couche spécifique de la population. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées socialistes.) Elles sont, comme les hommes, l'humanité même. Sans les femmes, comme sans les hommes, il n'y aurait pas d'humanité ! (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Yvon Collin. L'argument de l'universalité ne peut donc être retourné contre elles. Depuis deux cents ans, la vie politique démocratique française a vu décliner l'universalité au masculin. La conséquence en est l'injustice, mais pas seulement. Un individu ne peut bien marcher que sur ses deux jambes.
La démocratie ne peut fonctionner harmonieusement qu'en faisant participer à la décision non pas des femmes et des hommes, mais le féminin et le masculin, dans leurs différences mais aussi dans leur égalité.
Cette égalité est souvent mise en cause dans le droit, et, dans les pays développés, dans les faits.
Dire que les femmes et les hommes sont différents et que, en conjuguant ces différences, ils ne peuvent que rendre le monde meilleur, ce n'est pas s'attaquer à l'égalité ; au contraire, c'est dire que l'universalité ne peut être que mixte, féminine et masculine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Gélard. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes tous d'accord pour constater qu'il y a un problème dans la vie politique française : la sous-représentation des femmes au Parlement et parmi les titulaires des fonctions et mandats électifs.
On a même entendu dire, ce matin, que la France - triste record ! - était la lanterne rouge des démocraties quant à la représentation féminine.
M. Claude Estier. C'est vrai !
Mme Danielle Bidard-Reydet. C'est la vérité !
M. Patrice Gélard. Je crois que nous sommes tous d'accord pour porter le diagnostic, pour constater cette évidence. Toutefois, nous divergeons sur les thérapeutiques à employer.
M. Henri Weber. C'est vrai également !
M. Patrice Gélard. En d'autres termes, il y a un problème, même s'il n'est peut-être pas forcément d'une actualité brûlante, comme certains voudraient nous le faire croire.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Oh !
M. Patrice Gélard. Ainsi, la manifestation qui a eu lieu tout à l'heure devant le Sénat n'est pas tout à fait représentative. Certes, les sondages d'opinion n'ont pas encore fait état d'une exigence absolue, mais c'est politiquement correct.
M. Dominique Braye. Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet. On aura tout entendu !
M. Patrice Gélard. Je voudrais reprendre le diagnostic et évoquer les remèdes.
En ce qui concerne le diagnostic, je conviens de la sous-représentation des femmes dans la vie politique.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Il est difficile de dire le contraire !
M. Patrice Gélard. Mais relativisons quelque peu. On l'a dit, il y a une extension considérable des femmes au travail. On l'a dit également, il y a une extension considérable des femmes responsables, tant dans la fonction publique que dans le secteur privé. La France devance même, à cet égard, les pays nordiques, qui sont pourtant champions toutes catégories quant à la représentation féminine dans leur parlement.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience d'enseignant : d'année en année, j'ai vu le nombre des étudiants diminuer, tandis que celui des étudiantes augmentait. Mais cela, c'est secondaire. Ce que j'ai surtout vu, c'est que les étudiantes étaient les meilleures, qu'elles obtenaient systématiquement les meilleures places, les meilleures mentions et qu'elles étaient fréquemment majors de leur promotion. C'est un phénomène général que l'on constate non pas seulement dans les facultés de droit, mais aussi dans les écoles d'ingénieurs : on pourrait citer le cas de l'Ecole polytechnique, de l'Ecole centrale, de HEC, où les majors de promotion sont de plus en plus fréquemment des femmes qui, dès lors, obtiennent de plus en plus souvent des emplois de la plus haute responsabilité.
On assiste également à une féminisation croissante, dans des proportions très élevées, de corps entiers d'activité professionnelle : nous connaissons tous la situation de l'enseignement, où 65 % des enseignants sont des femmes, de la magistrature, du métier d'avocat, des métiers sociaux et des métiers de la santé, de la fonction publique, où le nombre des femmes dépassent souvent très largement celui des hommes.
M. Dominique Braye. Eh oui !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cela dépend du grade !
M. Patrice Gélard. Nous devons aussi constater - évidemment, l'évolution est lente, mais réelle - l'augmentation croissante du nombre des femmes dans les conseils municipaux - dans le mien, il y en a 45 % - ...
Mme Hélène Luc. C'est bien !
M. Patrice Gélard. ... dans les conseils généraux, dans les conseils régionaux, parmi les députés européens et parmi les maires. Il est vrai - nous en sommes tous d'accord - que beaucoup de progrès restent à faire au niveau des conseils généraux, des conseils régionaux et, bien entendu, du Parlement.
On a dit beaucoup de choses sur la situation dans les pays étrangers, et je voudrais tout de même relativiser quelque peu les propos tenus à cet égard : exception faite des démocraties du nord de l'Europe, qui ont une tradition de représentation féminine forte et ancienne, on ne peut généraliser ce qui a été dit par les uns ou par les autres sur les autres pays européens. Les choses sont beaucoup plus compliquées qu'il ne le paraît et mériteraient souvent une analyse plus fine, notamment en ce qui concerne les lois ayant favorisé la place des femmes, ici ou là, dans les pays étrangers. On a oublié de dire, par exemple, que le Sénat américain ne compte que deux femmes sénateurs. Ce n'est pas assez, nous le reconnaissons tous.
Mme Dinah Derycke. Ce n'est pas une référence !
Mme Nicole Borvo. Bravo le Sénat français !
M. Patrice Gélard. J'estime dommage que les femmes interviennent par des protestations diverses, car, ce faisant, elles ne donnent pas un bon exemple pour la suite ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. Maîtrisez-vous, mesdames !
M. Claude Estier. Vous n'intervenez jamais comme cela ?
M. Patrice Gélard. Non, je n'interviens pas !
M. Claude Estier. Pas vous peut-être, mais les membres de votre groupe le font ! Votre collègue Dominique Braye, par exemple !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Seul M. Gélard a la parole, nous l'écoutons !
M. Patrice Gélard. Qui est responsable de cette situation ? Ce n'est pas la Constitution : celle-ci garantit pleinement l'égalité de l'homme et de la femme dans plusieurs articles, que ce soit au travers de l'article Ier ou de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - je ne vais pas les rappeler, vous les connaissez tous par coeur - ou encore de l'alinéa 3 du préambule de la Constitution de 1946, ou de l'article 1er de notre Constitution.
Nous avons dit et répété que la femme était l'égale de l'homme ou que l'homme était l'égal de la femme, et cette égalité absolue est garantie dans le texte constitutionnel.
Dans ce cas, me direz-vous, pourquoi déposer un projet de loi afin de favoriser cette égalité ou de déterminer les conditions dans lesquelles elle pourrait être mieux réalisée ? Tout simplement parce que nous reconnaissons qu'il existe des blocages dans notre société.
Qui est le responsable réel de cette situation ? Est-ce le législateur ? C'est ce qu'on voudrait nous faire croire. Mais le législateur n'est pas en cause ! En effet, dans le passé, il a pris un certain nombre de mesures pour favoriser ou aider les femmes à accomplir un certain nombre de tâches, et je n'entrerai pas dans le détail des divers aménagements qui ont été opérés dans le cadre de la fonction publique, des conventions collectives ou de la législation concernant, par exemple, les victimes de guerre ou les veuves de guerre.
Peut-être ces aménagements sont-ils insuffisants, et sans doute pouvons-nous regretter de ne pas être allés plus loin dans le statut de l'élu ou dans le statut du candidat aux élections, ce qui aurait peut-être permis aux femmes de se présenter plus librement auxdites élections. Mais rien n'a été fait pour favoriser, justement, l'égalité de situation d'une femme et d'un homme lorsqu'ils se présentent à une élection, et on peut le déplorer.
Toutefois, le législateur est resté fidèle à la conception générale de notre Constitution, il est resté attaché au principe d'égalité, au principe d'universalité, au principe d'intégration, et il a toujours été hostile, depuis la Révolution française, à toute mesure législative qui instaurerait des catégories.
Alors, si ce n'est pas le législateur, peut-être est-ce la société qui est responsable ! Il existe, en effet, une vieille règle que tous les chercheurs en sociologie et en science politique ont mise en évidence : il faut toujours un certain temps pour que les psychologies, pour que les mentalités s'adaptent à des situations nouvelles. Des études anciennes ont ainsi démontré que, sous la IIIe République, le maire aristocrate restait maire alors que l'aristocratie n'avait plus de raison d'être. Et l'on observe aujourd'hui ce même phénomène : les hommes restent là parce qu'il y a une tradition, parce que des habitudes ont été prises et que la société ne les a pas changées.
La loi n'a jamais modifié les mentalités ! Lorsqu'elle veut le faire, elle risque de s'engager dans un processus dangereux, car la loi ne fait que suivre les mentalités.
Mme Danielle Bidard-Reydet. C'est faux !
M. Patrice Gélard. Alors, qui est coupable si ce n'est ni la société ni le législateur ? Eh bien, ce coupable, montrons-le du doigt : ce sont les partis politiques.
Il n'y a pas eu besoin de loi dans les pays scandinaves ou dans les autres démocraties européennes pour faire en sorte que la représentation féminine soit à peu près égale à celle des hommes.
Ce sont donc les partis politiques qui n'ont pas fait l'effort nécessaire pour permettre que, lors des investitures puis des campagnes électorales, les femmes puissent bénéficier d'une situation comparable à celle des hommes.
Il est vrai que le militantisme féminin a été plus tardif que le militantisme masculin, mais on peut regretter que les partis politiques français, contrairement, par exemple, aux partis politiques allemands, britanniques ou américains, n'aient pas fait l'effort que le parti conservateur et le parti travailliste en Grande-Bretagne, la SPD et le CDU en Allemagne, le parti démocrate et le parti républicain aux Etats-Unis ont pu réaliser. Dans ces différents pays, dans chaque circonscription, il y a un vice-président homme et un vice-président femme ou bien, lorsque le secrétaire est un homme, le secrétaire adjoint est une femme et inversement.
Il existe cependant chez nous une exception qu'il convient de saluer : c'est celle du parti communiste qui, depuis très longtemps, a fait dans ce domaine des efforts que les autres partis auraient intérêt à suivre, je dois le reconaître.
Mme Hélène Luc. Merci !
M. Claude Estier. Et le parti socialiste ?
M. Patrice Gélard. Le parti socialiste a fait des efforts récents, je le reconnais, mais dans un contexte très facile, celui de la dissolution, qui lui a permis, compte tenu du très petit nombre d'élus dont il disposait, de présenter dans toutes les circonscriptions des candidats nouveaux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Merci Chirac !
Mme Nicole Borvo. C'est en effet le responsable !
M. le président. Monsieur Gélard, ne distribuez pas les mérites, sinon nous n'en sortirons pas !
M. Patrice Gélard. J'arrête, monsieur le président !
La raison essentielle de la réforme qu'on nous propose, nous la connaissons : il s'agit de faire sauter le verrou des décisions du Conseil constitutionnel de 1982 et de 1999.
M. Henri Weber. Exactement !
M. Patrice Gélard. C'est la seule motivation !
M. Henri Weber. En effet, c'est la seule !
M. Pierre Mauroy. Non, il y en a d'autres !
Mme Nicole Borvo. Mettez-vous d'accord ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Il s'agit de permettre l'instauration de quotas lors des élections. (Ah ! sur les travées socialistes.) Or sans doute, à cet égard, d'autres solutions étaient-elles possibles. Mais on ne les a ni explorées, ni analysées, ni discutées.
M. Marcel Debarge. On attend !
Mme Hélène Luc. Bien sûr !
M. Patrice Gélard. Les autres formules possibles consistaient tout d'abord à modifier la Constitution en visant directement le régime des élections. Le droit électoral devenait ainsi partie intégrante du droit constitutionnel. Mais on ne l'a pas fait, car cela aurait pu nous entraîner trop loin.
La deuxième solution consistait, tout en modifiant la Constitution, à renvoyer à la loi organique pour tout ce qui concerne le droit électoral. On ne l'a pas fait non plus.
D'autres solutions ont cependant été proposées. Celle du Gouvernement consistait à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats. Mais, comme l'a justement souligné le doyen Vedel, dans un article paru dans le journal le Monde , cette solution aurait obligé le législateur à demander à chaque fois au Conseil constitutionnel si le projet de loi, quel qu'il soit, dont il était saisi était ou non conforme à ce principe. Il se serait ainsi défaussé de son pouvoir législatif sur le Conseil constitutionnel.
Quant à déterminer les conditions d'exercice de ce principe, cela implique qu'à l'occasion de l'examen de chaque nouvelle loi électorale le Conseil constitutionnel pourra estimer que la loi n'a pas assez tenu compte de la nécessité de déterminer les conditions d'égal accès des hommes et des femmes.
En d'autres termes, adopter le texte retenu par l'Assemblée nationale nous aurait obligés, à chaque modification de notre droit électoral, à intégrer la dimension d'égalité.
Mme Danièle Pourtaud. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. C'est normal !
M. Patrice Gélard. Nous aurions ainsi été contraints d'instaurer, si ce n'est des quotas du moins des mesures contraignantes pour chaque élection. Or ces mesures portent gravement atteinte à la liberté d'expression du suffrage, à la liberté de candidature et à l'égalité, donc à des principes républicains et démocratiques intangibles. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Parmi les autres solutions possibles, j'en ai déjà indiqué une tout à l'heure : favoriser, lors des campagnes électorales, les possibilités de candidature pour les femmes. Mais il en est encore d'autres, qui consistent, par exemple, à interdire brutalement la réélection. On peut utiliser n'importe quelle formule et n'importe quelle arme, mais, en interdisant la réélection, on ouvre la possibilité, à chaque réélection, à de nouveaux candidats - donc à des candidats femmes - de se présenter.
Voilà pourquoi j'estime que nous devons nous rallier au texte proposé par la commission des lois. A notre sens, en effet, les quotas sous-tendus par le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale sont contraires au principe essentiel sur lequel reposent notre République et notre démocratie, car ils portent atteinte non seulement au principe d'égalité, en particulier à l'égalité des mérites et des talents dont il est fait mention à l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais aussi à des droits et à des libertés essentiels : le droit et la liberté de suffrage, le droit et la liberté d'être librement candidat aux élections.
Analysons un peu plus en profondeur le système des quotas.
D'abord, je rappelle que, si nous avons parfois pratiqué dans notre pays le système des quotas, nous n'en sommes pas glorieux pour autant. Ainsi, lorsque nous avons établi le système du double collège en Algérie ou en Afrique noire, il s'agissait bien de quotas puisqu'il s'agissait alors de favoriser la population métropolitaine. (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
C'est bien ce que nous avons fait sous la IVe République, et nous n'avons pas à en être fiers !
M. Marcel Debarge. Aucun rapport !
M. Patrice Gélard. Si, il y a un rapport : ce sont des quotas !
Mme Dinah Derycke. Non, cela n'a aucun rapport !
Mme Hélène Luc. Et pourquoi pas les quotas laitiers ?
M. Patrice Gélard. Notre droit administratif et notre droit du travail comportent aussi, ou ont comporté, certaines dispositions s'apparentant aux quotas. Il en est ainsi de certains emplois réservés pour les veuves de guerre, ou encore de la législation sur les handicapés.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Elle se défend !
M. Patrice Gélard. Nous savons que la réglementation européenne autorise ce type de dispositions dans la vie professionnelle ; mais, là, nous sommes dans la vie politique !
Où a-t-on pratiqué les quotas dans la vie politique ? Le rapport présenté par M. Cabanel mentionne un certain nombre d'Etats, mais sa liste est incomplète et imparfaite. En effet, outre l'Argentine, le Brésil et la Corée - ce dernier pays les a d'ailleurs supprimés dans sa nouvelle Constitution -, le Népal, le Bangladesh et le Pakistan pratiquent les quotas. Mais quelle sorte de quotas ? Au Bangladesh, au Pakistan et au Népal, étant donné que les femmes ne peuvent pas être élues députées, ce sont les députés hommes qui élisent les députées femmes, ce qui est assez extraordinaire ! (Murmures sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo. Quelle comparaison !
M. Patrice Gélard. En d'autres termes, lorsque des quotas ont été imposés dans une Constitution, ils ont le plus souvent été le fait de régimes non démocratiques, de régimes qui ne respectent pas les droits de l'homme, notamment en matière d'égalité entre l'homme et la femme. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Claude Estier. Vous n'avez pas de meilleures références ?
Mme Nicole Borvo. C'est triste !
Mme Hélène Luc. Oui, c'est vraiment triste !
M. Patrice Gélard. Ajoutons que, autrefois, les pays communistes avaient tous établi un système non officiel de quotas pour organiser leurs élections.
M. Dominique Braye. On a vu ce que cela a donné !
M. Patrice Gélard. Il y avait ainsi 35 % de femmes, 25 % de jeunes, 22 % de vieux, 14 % de kolkhoziens, tant d'ouvriers, etc., afin que la représentation politique soit la plus proche possible des statistiques officielles de la composition de la population.
M. Dominique Braye. Officielles !
M. Henri Weber. Nous sommes en démocratie !
M. Patrice Gélard. Justement, monsieur Weber, j'y viens : le système des quotas a été supprimé lorsque ces pays sont devenus démocratiques.
M. Lucien Lanier. Très bien !
M. Patrice Gélard. Résultat, on s'est aperçu que, systématiquement, les règles qui avaient été imposées avant cette suppression ont été remises en cause.
Mme Hélène Luc. J'en ai assez d'entendre parler de quotas à propos des femmes !
M. Patrice Gélard. J'ajoute que toute discrimination positive consistant à favoriser un groupe au détriment d'un autre est dégradante et dévalorisante pour ceux qui en bénéficient. (Nouveaux applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Claude Estier. Mais les femmes ne sont pas un groupe !
M. Patrice Gélard. Partout où des quotas ont été mis en place, que ce soit dans la vie professionnelle, dans la vie militaire ou dans la vie politique, ceux qui en ont bénéficié ont été dévalorisés.
Mme Hélène Luc. Les femmes sont une catégorie, pas un quota !
M. Patrice Gélard. Ensuite, toute discrimination positive est attentatoire à la liberté de choix, à la liberté d'expression des suffrages, à la liberté de candidature et à la théorie du mandat représentatif.
Je suis donc favorable au choix de la commission des lois, qui considère qu'il est nécessaire de trouver une solution à la sous-représentation féminine dans nos assemblées ; je suis également favorable à l'alinéa supplémentaire que M. le rapporteur nous propose d'insérer dans le texte, parce qu'il permet de donner une consistance charnelle à un principe que nous voulons affirmer dans la Constitution.
Mme Nicole Borvo. Charnelle ? C'est intéressant !
M. Claude Estier. Le fric !
M. Patrice Gélard. Pas forcément : cela peut prendre d'autres aspects !
Enfin, nous sommes tous convaincus qu'un problème existe, et qu'il faut le résoudre. Mais les partis politiques sont en première ligne dans cette affaire !
Mme Odette Terrade. Certes !
M. Patrice Gélard. Il n'appartient pas au législateur, au nom de ce problème, de jouer avec les principes fondamentaux de la République et de la démocratie en remettant, même partiellement, même temporairement, ces principes en jeu. Ce serait alors trop dangereux, et cela risquerait de conduire rapidement à toutes les dérives, comme ce fut le cas chaque fois que des quotas ont été imposés ici ou là. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour exprimer mon soutien aux revendications exprimées par les manifestants qui se sont réunis à midi devant le Sénat (Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants) à l'appel des associations et du collectif « Droit des femmes » pour protester contre la décision de la commission des lois du Sénat de modifier totalement la philosophie du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis aujourd'hui.
Je crois d'ailleurs savoir que M. le président du Sénat a reçu tout à l'heure, avant la séance, une délégation de ces manifestants.
M. le président. Le président est très démocrate, madame !
Mme Odette Terrade. Par l'annulation de la modification constitutionnelle initialement prévue à l'article 3 et en proposant de modifier, cette fois, l'article 4, la Haute Assemblée, si elle suit l'avis de la majorité de la commission des lois, assignerait aux seuls partis politiques la responsabilité de « favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ».
C'est dire combien des résultats significatifs pour une juste représentation des femmes dans les assemblées politiques seraient plus longs à obtenir !
C'est dire également combien le Sénat, comme par le passé, adopterait une position passéiste et figée et prendrait la responsabilité d'être en décalage avec la vie réelle !
Nous avons, au contraire, je le pense, le devoir d'offrir de notre chambre une image moderne, ouverte sur la société, attentive aux aspirations populaires, qui, sur ce sujet de la parité, sont très largement unanimes.
Au travers de la commission des lois, la droite sénatoriale entend, en fait, minimiser la portée du projet de loi constitutionnelle.
Au-delà de l'effet d'annonce, qui pourrait paraître séducteur, il s'agit bien de dénaturer le texte initial en portant gravement atteinte à la possibilité de mettre en oeuvre des dispositions législatives futures qui feraient vivre le principe de parité.
C'est, bien sûr, également une manoeuvre pour tenter de reporter à une date ultérieure la réunion du Parlement en Congrès.
Les associations féministes et féminines, les citoyennes et les citoyens, les élus qui déplorent la sous-représentation des femmes et veulent y remédier l'ont d'ailleurs bien compris. Depuis l'annonce de la proposition de la commission des lois, la mobilisation ne s'est pas fait attendre pour rappeler l'exigence que les femmes occupent dans la vie politique une place proportionnelle à celle qu'elles occupent dans la société.
Vendredi dernier, au Sénat, sur l'initiative de mon groupe et du groupe communiste de l'Assemblée nationale, s'est tenue une « rencontre pour réussir la parité » qui a réuni près de cent personnes. Cette initiative a donné lieu à une motion, signée par l'ensemble des participants, ayant pour objet de témoigner de la détermination des femmes, face à la décision de la commission des lois, de soutenir l'appel au rassemblement lancé par plusieurs associations, ce mardi, devant le Sénat, et de faire connaître leur colère à M. le Président de la République et à M. le Premier ministre, qui s'étaient formellement engagés à faire aboutir la parité pour moderniser réellement la vie politique et renforcer la démocratie.
De plus, les participants à cette rencontre ont réaffirmé leur volonté de voir adopté conforme le texte voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, afin de permettre la tenue du Congrès de Versailles le 8 mars, ainsi que leur détermination à veiller à l'application de la loi constitutionnelle par l'adoption de lois et la publication de décrets d'application nécessaires à la concrétisation de l'objectif de parité.
Ces revendications sont claires. Elles traduisent l'aspiration à un plus juste accès des femmes dans la vie politique, aspiration aujourd'hui partagée par près de 80 % de nos concitoyens, las de constater, une fois encore, un écart aussi important entre les principes et les faits.
En effet, personne ne peut nier, pas même la commission des lois du Sénat, l'écart « choquant », pour reprendre l'expression du Conseil d'Etat, entre la part des femmes dans la population et leur représentation dans les assemblées politiques.
La France est, avec la Grèce, - cela a été dit - le pays européen où les femmes sont le moins représentées au Parlement. Nos assemblées sont respectivement à 90 % et à 94,1 % masculines. Nous ne sommes que 10,9 % de femmes à l'Assemblée nationale, et 5,9 % au Sénat.
Comment une assemblée qui compte seulement 19 femmes sur 321 membres peut-elle prétendre être représentative de la société ? Au rythme du dernier renouvellement triennal de septembre, où une seule femme sur 102 sénateurs a été élue - il s'agit de notre collègue socialiste Yolande Boyer - c'est en siècles qu'il nous faudra compter pour noter une évolution significative !
Il faut également souligner les différences de traitement de l'égalité des sexes par chacun des groupes représentés. En effet, sur dix-neuf sénatrices, cinq sont membres du groupe communiste républicain et citoyen, qui ne compte que seize élus. La présidence de celui-ci est assurée par une femme, mon amie Hélène Luc, sénatrice du Val-de-Marne.
Au total, le Parlement compte 82 femmes parmi ses 893 élus, soit 9,18 %, alors que les femmes représentent 51 % de la population et 53 % du corps électoral.
Mme la garde des sceaux l'a rappelé ce matin, la situation n'est guère plus brillante pour les autres mandats : 21 % de conseillères municipales, mais seulement 7 % de femmes maires ; aucune femme dans 23 conseils généraux, une seule présidente de conseil général sur 104 ; deux femmes à la tête de conseils régionaux. Et l'on pourrait continuer encore longtemps cette énumération !
Au-delà de ces chiffres, peu glorieux, il y a un autre constat, à mon sens plus fondamental : ce déficit de femmes dans notre vie politique constitue un déficit majeur pour la démocratie. Combattre ce déficit revêt l'importance d'un véritable enjeu de société puisque cela permettra de corriger une situation qui a figure de démocratie inachevée du fait du choix, qui a jusqu'à présent prévalu, de se priver de la moitié de l'humanité.
Le principe d'égalité existe depuis longtemps dans notre droit, et pourtant, dans les faits, on est loin du compte. Il est par conséquent grand temps d'avoir une démarche volontariste. Modifier notre Constitution, qui, certes, contenait déjà ce principe, est une étape afin de passer d'un principe de proclamation à un principe de réalité.
Dans ce contexte, la parité devient un objectif, un instrument à faire de l'égalité. Car le concept fondamental est, bien entendu, l'égalité des sexes dans tous les domaines : politique, certes, mais également social, économique et familial.
Certains objectent que la parité remettrait précisément en cause l'égalité des citoyens puisqu'elle introduirait une discrimination positive. Mais force est de constater que, au fil du temps, l'universalisme n'a servi que les hommes et leur pouvoir ! Aussi, la mixité de l'humanité me paraît plus garante de démocratie que la neutralité de sexe que certains prêtent à la citoyenneté.
Par ailleurs, la dérive de catégorisation ne me semble pas planer sur notre droit fondamental, tant il est vrai que l'on ne pourrait réduire les femmes à une catégorie sociale, et encore moins à une minorité. Elles sont, je le rappelle, au même titre que les hommes, une composante de l'humanité qui traverse toutes les catégories.
Notre attachement à voir un plus grand nombre de femmes participer à la vie publique ne tient ni du paternalisme ni de l'idéalisme. La féminisation de notre vie politique ne se substituera pas au débat d'idées nécessaire à une démocratie. Elle renforcera cette dernière en la rendant plus représentative de la société. C'est, à notre sens, une mesure de justice.
J'entends également certaines voix s'élever pour dire que c'est aux électeurs qu'il appartient de choisir. Je partage, pour ma part, l'avis de M. Carcassonne, professeur de droit public auditionné par la commission des lois, qui considère qu'on ne peut invoquer la liberté de l'électeur pour s'opposer à la parité puisque, en l'absence de possibilité de panachage, l'électeur est d'ores et déjà privé de liberté dans la plupart des scrutins.
M. Henri Weber. C'est exact !
Mme Odette Terrade. Quant à l'argument selon lequel l'instauration de la parité conduisant à l'augmentation du nombre de femmes élues aboutirait, en fait, à leur dévalorisation, voire à une fragilisation de leur situation, permettez-moi de retourner quelque peu la remarque. En effet, celle-ci est alors valable pour les hommes, qui, durant de longues années, ont été les seuls à avoir accès aux assemblées politiques.
Veuillez m'excuser cette liberté de langage, mes chers collègues, mais il est bien malheureux que la peur de « l'homme potiche » n'ait jamais hanté les esprits, alors qu'elle semble devenir une préoccupation majeure, y compris dans notre éminente assemblée, dès qu'il s'agit de femmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Oui, il est urgent de mettre un terme à l'exclusion des femmes de la représentation politique. C'est pourquoi le Gouvernement a saisi les deux assemblées d'un projet de loi constitutionnelle.
A cet égard, madame la ministre, le choix de la voie référendaire n'aurait-il pas été plus judicieux que celui de la saisine du Parlement ?
L'un des objectifs majeurs du projet de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui est de faire sauter le verrou posé par le Conseil constitutionnel depuis sa décision du 18 novembre 1982, confirmée plus récemment par celle du 14 janvier dernier.
Le débat à l'Assemblée nationale a, de notre point de vue, enrichi le texte initial, en rendant la marge d'appréciation du juge constitutionnel plus infime. Il laisse ainsi au législateur la responsabilité du choix des moyens pour mettre en oeuvre l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
Cette mesure me paraît, de plus, offrir davantage de garanties pour mettre en oeuvre les autres réformes législatives qui contribueront, effectivement, à l'égalité des femmes et des hommes.
C'est pour les mêmes raisons que le groupe communiste à l'Assemblée nationale avait voté avec enthousiasme ce projet de loi constitutionelle ainsi amendé, en appelant de ses voeux des réformes ultérieures assurant un égal accès des femmes et des hommes à la représentation politique.
En effet, la meilleure des lois, fût-elle constitutionnelle, ne permettra pas, à elle seule, un plus grand accès des femmes à la vie politique, aux fonctions et mandats électifs. D'autres lois seront nécessaires pour que cette réforme constitutionnelle ne reste pas lettre morte et ne s'en tienne pas seulement à une portée symbolique. Des mesures volontaristes sont indispensables, telles que celles qui portent sur le statut de l'élu, le non-cumul des mandats et la révision des modes de scrutin. On constate en effet que les scrutins à la proportionnelle facilitent, de fait, l'élection de femmes.
Notre souhait de réformes complémentaires vise non pas à remplacer une élite masculine par une élite féminine, mais à faire qu'un plus grand nombre de nos concitoyens et de nos concitoyennes participent à la vie politique et investissent les lieux de décision.
Au-delà de la sphère du politique, il y a aussi, bien sûr, toutes les pistes de lois à envisager pour lutter efficacement contre les discriminations dans le monde professionnel, tant du point de vue du salaire que du point de vue de la carrière. C'est la première attente des Françaises interrogées dans une toute récente enquête d'un magazine féminin. Notre rôle de parlementaires est d'apporter des solutions concrètes à ces problèmes majeurs.
Madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse d'avoir pu m'exprimer, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, sur ce sujet de l'égalité des femmes et des hommes, qui, vous l'avez compris, me tient particulièrement à coeur.
Les embûches et les étapes ont été nombreuses dans la lutte des femmes pour conquérir leurs droits et parvenir à l'égalité. Je pense notamment au droit de vote, au droit à l'IGV, à l'accès à la contraception, aux luttes pour l'emploi, aux luttes pour l'égalité professionnelle.
Aujourd'hui, tout n'est pas réglé, loin s'en faut. Pourtant, cette modification constitutionnelle peut être un levier pour la conquête d'une plus grande égalité des sexes, à la hauteur d'une société moderne et démocratique du troisième millénaire. Le groupe communiste républicain et citoyen est fier d'y prendre sa part.
Aussi, nous nous opposerons aux amendements de la commission des lois, préférant la version issue des travaux de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Madame Luc, Mme Terrade a été écoutée attentivement. J'espère qu'il en sera de même pour les autres orateurs. Je vous en remercie à l'avance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
La parole est à M. Weber.
Mme Hélène Luc. Bien sûr, nous allons écouter attentivement M. Weber ! (Rires.)
M. Henri Weber. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai écouté, pour ma part, avec beaucoup d'attention les interventions de nos collègues de la majorité sénatoriale. Ils ne m'ont pas convaincu.
On peut, je crois, ramener les arguments qui nous ont été proposés aux trois grands types d'objections que les conservateurs opposent habituellement aux grandes réformes démocratiques. (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Le premier de ces arguments est l'argument de l'effet pervers. La mesure que vous projetez, vient de nous dire à l'instant notre collègue Patrice Gélard, produira exactement l'effet contraire à celui que vous recherchez. En favorisant les candidatures féminines, votre loi va aboutir à la « dévalorisation » des femmes élues. L'idée va s'imposer qu'une grande majorité d'entre elles doivent leur mandat moins à leur mérite qu'à leur appartenance sexuelle. Leur autorité, leur image, n'en sortiront pas grandies, et encore moins celles de notre représentation nationale.
Le deuxième argument, également classique, est celui de l'inanité : la réforme que vous proposez, a dit ce matin notre collègue Guy Cabanel, est vaine et inutile, car l'évolution spontanée de notre société conduit naturellement et sans heurt au même résultat. La longue marche des femmes vers l'égalité s'est accélérée depuis vingt ans. Les Françaises, comme l'ont déjà fait avant elles les Scandinaves, conquerront la parité par leur propre mouvement, sans qu'il soit nécessaire de recourir, une fois de plus, à la loi.
Le troisième argument est celui de la mise en péril. En votant cette mesure, nous a expliqué notre collègue Jacques Larché, vous allez ouvrir la boîte de Pandore du communautarisme et mille diables vont vous sauter au visage. Si des mesures spécifiques sont prises en faveur des candidatures féminines, au nom de quoi refuseriez-vous des soutiens analogues aux catégories sociales qui s'estiment injustement sous-représentées : les « Afro-Français » - si je me souviens bien de son expression puisée aux meilleures sources du Nouvel Observateur - les ouvriers, les chômeurs de longue durée ?
Où irait notre République, a-t-il ajouté, si elle désignait ses représentants non plus sur des qualités universelles, communes aussi bien aux hommes qu'aux femmes, aux riches qu'aux pauvres, aux noirs qu'aux blancs, aux croyants qu'aux mécréants - l'intelligence, l'efficacité, le dévouement au bien public - mais sur les traits particuliers qui différencient les citoyens les uns des autres ?
Vous ai-je bien entendu ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Non !
M. Henri Weber. Si !
Ces trois arguments, qu'on va sans doute entendre à nouveau cet après-midi, à mon sens, ne résistent pas à l'analyse.
S'agissant du premier, je ferai remarquer, tout comme notre collègue Patrice Gélard, qu'il ne manque pas de femmes compétentes, énergiques, courageuses, qualifiées, dans notre pays pour exercer des mandats électifs, bien au contraire. Vous en incarnez, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, deux exemples remarquables, et vous n'êtes pas seules dans votre cas ni au Gouvernement ni dans notre pays, loin de là ! Mais force est de constater que ces capacités ne sont pas souvent sollicitées et, a fortiori désignées, pour les candidatures. D'autres l'ont dit avant moi : si les partis politiques avaient fait leur travail, en matière d'investiture, nous ne serions pas la lanterne rouge de l'Europe en matière de présence des femmes dans notre Parlement et nous n'aurions pas, aujourd'hui, à recourir à l'aiguillon de la loi.
A ce sujet, je n'aurai pas le masochisme de tenir la balance égale entre les partis de gauche et de droite. Les premiers ont fait un véritable effort pour promouvoir la mixité. On ne peut pas en dire autant des seconds.
Si la loi incite et contraint nos partis à présenter davantage de candidates, je ne crois pas que la représentation nationale aura à en rougir ni les électeurs à en souffrir.
Aujourd'hui, on compte 120 étudiantes pour 100 étudiants dans nos universités. Les leaders du dernier mouvement lycéen étaient des lycéennes. De nombreuses femmes animent nos syndicats et nos associations. Ce ne sont pas les femmes capables qui manquent, c'est la volonté de leur faire toute leur place. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
L'argument de l'inanité ne tient pas non plus.
Je ne nie pas que de grands progrès aient été accomplis dans la marche vers l'égalité entre hommes et femmes, et j'ai même la faiblesse de croire que le mouvement de mai 68 y est pour quelque chose.
Mais Mme Nicole Péry nous a rappelé des chiffres accablants : plus on s'approche des postes de pouvoir et de prestige, plus la résistance à la féminisation est forte, plus la présence des femmes est rare. La sphère de la représentation politique - on l'a vu encore récemment au Congrès de Versailles - reste largement une chasse gardée. Si l'on s'abandonne au mouvement naturel de la société, nos enfants et petits-enfants reprendront ce débat dans trente ans, à peu près au point où nous l'aurons laissé.
Par la brèche ouverte dans l'universalisme républicain, a dit notre collègue M. Richert, vont s'engouffrer immanquablement d'autres catégories sociales qui feront valoir elles aussi leur droit à être justement représentées.
A cette objection, vous avez répondu par avance, madame la ministre - ainsi que plusieurs de nos collègues, dont Mme Derycke et M. Collin - en rappelant que les femmes ne constituaient ni une minorité, ni une communauté, ni une catégorie sociale, mais l'autre moitié de l'humanité. J'ajouterai que cette autre moitié a longtemps été exclue de la citoyenneté, non pas seulement de fait, comme l'ont été les ouvriers au xixe siècle, ou comme le sont les beurs et les blacks aujourd'hui, mais de droit, et ce n'est pas une mince différence.
On agite le spectre d'une République sexuée, alors que pendant près de deux siècles elle a simplement été sexiste. C'est sous le gouvernement de Léon Blum, en juin 1936, qu'ont été désignées les premières femmes ministres. Ces ministres femmes n'avaient pas le droit de vote, « grâce », en particulier, à la vigilance patriarcale du Sénat. La République a tenu les femmes à distance de la vie publique. Son suffrage, prétendument universel, n'était que masculin, sa citoyenneté confinait les femmes dans la sphère privée, son code civil les traitait voilà peu de temps encore en mineures. La République leur doit réparation. Elle doit amorcer la pompe qui introduira la mixité effective et la féminisation de nos institutions.
M. Jean Chérioux. On n'a pas attendu après vous !
M. Henri Weber. Les femmes n'auraient pas besoin de discriminations positives pour tenir toute leur place dans nos assemblées si elles n'étaient pas victimes de tant de discriminations négatives !
Faciliter leur intégration complète dans notre démocratie, ce n'est pas faire le lit de la République des quotas, et pas davantage de la République des genres ; c'est donner au contraire un contenu concret à ces principes d'universalisme républicain dont nous nous réclamons les uns et les autres.
Cette intégration passe par un plus juste partage des tâches éducatives et ménagères dans les foyers, par la fin de la double journée de travail, mais aussi par moins de prévention et d'obstruction de la part des appareils politiques au moment des désignations aux mandats électifs.
Nous sommes tout autant que vous opposés au communautarisme qui, au demeurant, est étranger à notre culture politique et à nos traditions, mais nous refusons de faire de cette opposition un prétexte à l'immobilisme.
Mes chers collègues, l'amendement que nous soumet la commission des lois nous paraît inopportun pour au moins deux raisons.
La première tient au caractère purement incantatoire de sa formulation : les partis « favorisent l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux... ». Les partis de gauche, vous l'avez reconnu, ont fait des efforts dans ce sens : le parti socialiste a présenté 30 % de candidates aux dernières élections législatives et sa liste pour les élections européennes respectera, comme la précédente, une stricte parité. Je suis curieux de savoir comment seront composées les vôtres, messieurs de la majorité !
M. Hubert Falco. La liberté !
M. Henri Weber. On prend rendez-vous et l'on verra bien !
M. Jean Chérioux. On n'attend pas après vous !
M. Hubert Falco. La liberté, mon cher ami !
M. le président. Je vous prie de bien vouloir poursuivre, monsieur Weber.
M. Henri Weber. Qu'est-ce qui peut pousser, en effet, les partis conservateurs, si l'on vous suivait, à se comporter demain autrement qu'hier ? Absolument rien, sinon des incitations financières qui doivent, au demeurant, rester modérées « pour ne pas compromettre l'expression démocratique des divers courants d'opinion ».
En limitant les moyens de favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux à de modestes « malus » financiers, la commission des lois révèle tout l'enthousiasme que lui inspire cette bataille pour une véritable égalité dans l'exercice de la souveraineté.
Avec un tel amendement, mes chers collègues, le Conseil Constitutionnel pourrait de nouveau retoquer, comme en 1982, un projet de loi proposant modestement qu'aucune liste aux élections régionales ne puissent compter plus de 75 % de membres d'un même sexe.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, l'amendement que vous nous proposez est moins restrictif et plus précis. Il se garde bien d'anticiper sur les modalités des scrutins qui est l'affaire du législateur, mais il autorise celui-ci à promouvoir effectivement le principe de mixité, qui est l'autre nom du principe d'égalité. C'est pourquoi les sénateurs socialistes le voteront sans réserve. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis quelques années, un mouvement, dont l'ampleur s'accentue, s'est développé en faveur d'une meilleure participation des femmes à la vie publique et aux responsabilités politiques.
Evolution des temps ?
Traduction d'un sentiment qui s'affirme ? Selon les sondages, 82 % des Français sont favorables à la féminisation de la vie politique.
Inquiétudes électorales du monde politique ? Il y a 53 % d'électrices...
Poids grandissant des femmes, fatiguées des barrages qu'elles doivent franchir, dans un monde qu'elles estiment trop accaparé et trop marqué par l'élément masculin ?
Insatisfaction de la population qui ne trouve pas les réponses qu'elle attend dans la vie politique ?
Sans doute toutes ces raisons, qui ne sont pas limitatives, ont-elles leur poids respectif ; toujours est-il que la loi s'empare aujourd'hui de ce grave sujet, dans lequel la France ne brille pas par un état d'avancement excessif !
Mme Nicole Borvo. C'est joliment dit !
Mme Anne Heinis. Elle est avant-dernière au classement général dans l'Union européenne, juste avant la Grèce, avec 82 femmes sur 893 parlementaires, soit 9,18 %, dont 19 au Sénat sur 321, soit 5,9 %.
Mais il y a des signes intéressants qui se profilent et je n'en citerai que deux : 30 % des Français élus au Parlement européen sont des femmes, contre 20 % en 1984, et le pourcentage des femmes élues dans les conseils municipaux progresse très régulièrement. Elles étaient 14 % en 1983, 17,7 % en 1989, 21,7 % en 1995, et c'est bien là qu'est le vivier futur.
Tout sujet grave demande le temps de la réflexion, des échanges pour arriver à un débat approfondi avant l'élaboration de solutions, et c'est ce qui a manqué.
Bien sûr, le Sénat et l'Assemblée nationale ont procédé aux auditions d'usage au Parlement. Mais la solution était choisie d'avance : la parité, sans aucune autre alternative, ce qui laissait peu de place à une discussion largement ouverte...
M. René-Pierre Signé. Il y a bien longtemps qu'on en parle !
Mme Anne Heinis. ... et qui aurait peut-être permis d'envisager d'autres choix, d'y préparer les esprits avant de devoir en arriver à modifier la Constitution.
Je regrette, entre autres choses, que la mission d'information du Sénat, malgré ma demande, n'ait pas auditionné quelques très jeunes femmes pour connaître leur vision des choses. Je doute qu'elle soit la même que celle de leur mère au même âge !
En témoignent les réactions des jeunes filles élèves à l'Ecole polytechnique qui se sont senties humiliées par le principe de la parité et des quotas qui les dévalorisent, et qui ont demandé à leur professeur Mme Badinter de nous faire part de leur indignation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du Rassemblement pour la République.)
Modifier la Constitution est un acte grave. Aucun pays du Nord que l'on nous cite en exemple n'a utilisé ce moyen.
Ce sont les partis politiques eux-mêmes qui ont fixé des règles au sein de leurs formations ; cela est tout de même à méditer !
A l'époque où l'on se plaint, à juste titre, de la perte de repères, on ne devrait, à mon sens, toucher à la Constitution qu'avec des doigts de velours et seulement en cas d'absolue nécessité.
Or, tant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans ses articles Ier, III et VI, que le préambule de la Constitution de 1946, intégré dans la Constitution de 1958, posent formellement les principes nécessaires : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. »
Depuis l'origine, toute la difficulté, en France, réside dans la mise en oeuvre de ces principes, qui relève plus de la volonté politique et de l'évolution des mentalités que de la loi constitutionnelle.
C'est sur l'éducation et la formation des esprits, en particulier au sens civique, que devront porter nos efforts. Anne-Marie Couderc souligne très justement qu'il faudra une grande volonté de la part de tous les acteurs, hommes et femmes, car il faudra que les partis politiques, encore à dominante masculine, acceptent de jouer le jeu et que les femmes acceptent de s'investir courageusement, faute de quoi les dés seront pipés !
Laurence Parisot, P-DG de l'IFOP à trente et un ans, dit : « Je n'ai pas eu besoin de quota pour réussir, j'ai eu besoin de travail et de courage. » (Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Odette Terrade. Tout dépend des situations et des milieux sociaux !
M. René-Pierre Signé. Mauvaise démonstration !
Mme Anne Heinis. Elle ajoute : « Ce qui compte le plus pour une femme, c'est l'exemplarité. Plus les femmes verront des femmes qui réussissent, plus elles prendront confiance en elles pour se lancer à leur tour, sans complexe. » C'est exactement la même chose en politique !
Sur un autre plan, la notion de « parité », sous son apparente simplicité, pose de nombreux problèmes.
Elle pose d'abord un problème d'ordre constitutionnel qui a amené successivement l'Assemblée nationale puis le Sénat à modifier le projet initial, la commission des lois du Sénat renvoyant à juste titre le texte aux partis politiques directement concernés.
Egalité de nombre ? Egalité d'accès ? Egalité de résultats ? Egalité des chances ? L'approche est complexe.
En tout état de cause, seule la proportionnelle, avec les risques de politisation excessive et les vices de blocage de l'exécutif qu'on lui connaît, permet l'égalité du nombre, excluant du même coup le scrutin uninominal, qui seul permet l'émergence de candidats libres, garantie de liberté. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
A titre d'exemple, en 1986, la proportionnelle, avec 33 % de candidates, n'a donné que 5,89 % de femmes élues, tout simplement parce que les femmes n'étaient pas dans un rang éligible. Dont acte !
C'est donc à très juste titre que M. Allouche pose la question de la compatibilité entre une logique philosophique universaliste et la logique d'action politique. C'est là toute l'ambiguïté, car ces deux logiques ne sont pas du même ordre. La première répond, en effet, à une logique de représentation, et la seconde à une logique d'action.
Non ! le nombre n'est pas tout, même s'il est important, et le risque de n'avoir aucun poids politique parce qu'on ne représente que des « quotas » existe bel et bien, comme le souligent Françoise Hostalier, ainsi qu'Evelyne Pisier et bien d'autres.
Dans l'action, la détermination des responsables pèse lourd.
Ainsi, aux dernières élections législatives, la volonté politique de leur leader, favorisée par le fait qu'ils avaient moins de sortants, a permis aux partis de gauche de faire élire un nombre de femmes députés considérablement plus important que par le passé, alors qu'il n'y avait eu, entre 1993 et 1997, ni mesures contraignantes ou incitatives, ni modification du mode de scrutin. Quel excellent exemple !
En outre, l'effet « quota » peut se retourner contre le but que l'on se fixe. Les Américains en font l'amère expérience, car les gens ne sont plus choisis pour leurs compétences et leurs qualités, mais en fonction de simples critères mathématiques. Ils ne sont plus que des pions.
M. Lucien Lanier. Très bien !
Mme Anne Heinis. Il faudra bien qu'un jour le balancier revienne à un certain équilibre entre une conception de la femme presque uniquement considérée comme génitrice de la tribu ou du clan, pour laquelle les progrès techniques et sociaux peuvent alléger - Dieu merci ! - de nombreuses contraintes, et une conception éthérée et immatérielle selon laquelle nous sommes tous des êtres asexués.
Oui ! hommes et femmes, nous sommes égaux en droit et en dignité, mais nous sommes différents et faits pour être complémentaires, ce qu'on oublie trop. C'est vrai dans l'ordre naturel, mais aussi dans l'ordre des sociétés, si l'on veut que celles-ci soient harmonieuses et équilibrées, ce qui n'est pas exactement le cas.
Pardonnez-moi de vous le dire, madame le garde des sceaux, le gadget de la féminisation autoritaire des titres et des fonctions ne me paraît ni conforme au génie de notre langue, qui a ses subtilités admirables et particulières, ni porteur de progrès, car il ne faut pas rendre petits de grands sujets par l'insignifiance des moyens qu'on leur attache. En agissant ainsi, on les défavorise. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Que les femmes, puisqu'il s'agit d'elles, prennent garde à ne pas être élues a minima, c'est-à-dire par défaut, alors que l'objectif est qu'elles puissent apporter leurs capacités et leur spécificité aux différents niveaux d'exercice des responsabilités, et ce en coresponsabilité avec les hommes.
Faciliter l'accès des femmes à la vie politique est une chose, et il faut le faire. Vous imaginez bien, mes chers collègues, que ne je peux que le souhaiter et y participer dans la mesure de mes moyens.
Mais les femmes ont-elles tellement envie d'aller dans la politique telle qu'elle est pratiquée actuellement ? C'est aussi une question importante !...
Et, si le spectacle du champ politique transformé en arène permanente déplaît tant à nos concitoyens qu'ils s'en détournent de plus en plus, disons, pour faire une concession grammaticale qu'il déplaît encore plus à nos concitoyennes !
A ce titre, le langage est parfois tragiquement révélateur. Un des domaines où l'on entend qualifier un homme de « tueur » est le milieu politique, même s'il en est d'autres... On ne parle pas de « tueuse » ! Souhaitons qu'on n'en arrive pas là !
En réalité, nous avons besoin de combats loyaux, car la politique est toujours un combat, mais elle ne doit pas être réduite à un champ de bataille, à des affrontements stériles forts loin des préoccupations de la population.
Si les femmes, pour différentes raisons, ont encore peu investi le domaine politique, en revanche, en moins d'un demi-siècle, elles en ont pris d'autres d'assaut, en particulier le monde du travail, ce qui n'est pas sans poser parfois quelques problèmes d'équilibre et d'efficacité dans certains métiers, comme l'enseignement, la magistrature, le milieu hospitalier et bien d'autres, qui ont besoin d'une mixité adaptée.
Nous sommes le pays développé avec le plus fort taux d'activité féminin : 45,7 % en moyenne, mais 73 % dans la tranche d'âge de vingt-cinq à quarante-neuf ans.
En outre, les femmes représentent 34 % des cadres et des professions intellectuelles, contre 25 % voilà quelques années, 86 % du corps infirmier, 77 % dans la santé et le social, avec 41 % du corps médical.
Il faut également noter qu'il y a un homme pour vingt-cinq femmes dans la dernière promotion des médecins scolaires.
Les femmes représentent 45 % des effectifs de la magistrature, 65 % de l'enseignement primaire, 50 % de l'enseignement secondaire, contre seulement 10 % de professeurs d'université.
Malheureusement, on retrouve cette décroissance des taux en fonction du niveau, un peu partout, car les femmes accèdent encore assez peu aux postes de décision, ce qui est dommage, notamment à la haute fonction publique désignée par le Gouvernement. Sans doute celui-ci, madame le garde des sceaux, qui nous donne des leçons aujourd'hui, serait-il le bienvenu en donnant l'exemple, d'autant que, l'an dernier, au concours de l'ENA, 40 % des reçus étaient des filles.
Dans le milieu de l'entreprise, les femmes représentent 26 % des chefs d'entreprises, mais 30 % des créateurs d'entreprises, de taille assez petite puisqu'elles ne dirigent aucune des cent premières entreprises françaises bien qu'à taille égale leurs entreprises affichent, en moyenne, de meilleurs résultats.
Il convient toutefois de noter une exception intéressante, les femmes ne constituent que 4,2 % de la population carcérale.
Serait-ce un progrès que d'en compter 50 % ? Je ne le crois pas et, sans doute, vous non plus.
De ces quelques chiffres, on peut, me semble-t-il, tirer quelques enseignements.
Une évolution dynamique est en cours et, contrairement à ce que croient certains en toute bonne foi, je pense qu'elle va s'accélérer, car cette fin de siècle va vite, jusqu'à ce que le mouvement change de nature, avec une nouvelle distribution des cartes.
Prééminence des femmes après celle des hommes ? Ce serait tout aussi fâcheux.
Equilibre constructif enfin trouvé ? Ce serait l'idéal, car il me semble que nous sommes faits pour que nos qualités respectives se complètent et nos défauts se compensent. Il n'y pas une partie de l'humanité qui soit meilleure que l'autre !
Ces chiffres semblent bien montrer aussi que les femmes veulent user de leur liberté relativement nouvelle, historiquement, pour faire les choix qui leur conviennent, dans les domaines qui les attirent, ce qui me semble bien loin d'une sorte d'égalitarisme paritaire.
Il ne faut pas confondre discrimination et différence. La discrimination est arbitraire, alors que la liberté se nourrit de la différence, à condition que la liberté ne soit pas écrasante, sous peine de s'autodétruire, entraînant dans sa chute les plus faibles et les moins armés pour combattre.
Mais c'est là un autre débat ! Et le débat d'aujourd'hui, c'est la modification de l'article 4 de la Constitution.
Le Sénat, fidèle en cela à sa tradition qui est de privilégier les solutions constructives par rapport à un simple refus, nous propose de confier aux partis politiques la responsabilité de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ; mais il faudra que les partis fassent beaucoup d'efforts !
Le Sénat nous propose également de permettre que les règles relatives au financement public des partis politiques puissent contribuer à la mise en oeuvre de ce principe.
Mais des amendements vont peut-être modifier ces propositions.
Mme Tasca, dans son rapport, résume parfaitement la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui : « Curieux pays que celui où nous vivons, les principaux responsables politiques s'accordent sur le constat et les solutions qui pourraient améliorer la place faite aux femmes dans la vie publique française, mais ils jugent nécessaire que des lois, y compris constitutionnelles, les y contraignent. Le juridisme étatique français s'exprime ici avec éclat, mais peut-on échapper à sa culture et à son histoire ? »
Ce que j'aurais souhaité, c'est justement qu'on échappe enfin à ce carcan qui nous paralyse dans tous les domaines.
Je réaffirme donc mon hostilité profonde à la modification de la Constitution sur ce sujet qui aurait mérité, à mon sens, une approche beaucoup plus large et non une sorte de détournement politique de la question. La modification éventuelle de la Constitution n'aurait dû être qu'une hypothèse en cas de nécessité, pour permettre l'aboutissement des discussions.
Je suis également défavorable à l'introduction dans la Constitution des éléments relatifs au financement des partis. Ce n'est pas la place de tels dispositifs.
Mon objectif est, non seulement de ne pas nuire à la cause de la féminisation de la vie politique - que je défends - mais de la servir.
M. René-Pierre Signé. Vous le faites fort mal !
Mme Anne Heinis. Or, aucun des textes dont nous avons débattus ne donne vraiment satisfaction.
Je déplore d'être obligée de me prononcer sur un projet de loi qui risque de se transformer en un piège. En conséquence, personnellement, je réserve mon vote jusqu'à la fin des débats. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens à souligner l'excellente qualité du travail effectué par la commission des lois et dire combien j'ai apprécié les interventions de mes collègues de la majorité sur le présent texte de loi. Je m'associe à leurs remarques. Permettez-moi cependant d'apporter ma modeste contribution.
Le constat qui est sans appel de l'insuffisante représentation des femmes dans la vie politique française ne doit pas nous conduire aujourd'hui à un simple vote de « bonne conscience ». Le projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis est critiquable à plusieurs égards et semble oublier, voire ignorer, les principes qui fondent la démocratie et notre droit constitutionnel. Non seulement ce projet porte atteinte à l'indivisibilité de la souveraineté, dont le citoyen est titulaire, mais il risque également de porter atteinte à la dignité de la femme dans les implications qu'il comporte.
Est-il besoin de procéder à une révison surabondante, alors que le principe d'égalité des sexes est déjà consacré par notre texte constitutionnel ? En effet, le troisième alinéa du préambule de la constitution de 1946 précise que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».
Si le terme de parité n'apparaît pas dans la rédaction actuelle du projet de loi, c'est bien de l'égalité parfaite qu'il s'agit ; il suffit pour cela de se reporter à l'exposé des motifs. Or ce projet - tant dans sa rédaction initiale que dans celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale - impliquera la faculté accordée au législateur d'établir des quotas.
Cette révision n'a finalement qu'un seul but : inscrire la discrimination positive dans notre Constitution et ainsi surmonter la censure du juge constitutionnel qui, dans sa décision du 18 novembre 1982, rappelait le principe de l'indivisibilité du peuple et de la République.
Cette importante décision du Conseil constitutionnel a servi de fondement à la décision non moins importante du 9 mai 1991 refusant la notion de « peuple corse ». J'ajouterai également que la même application de la jurisprudence de 1982 vient d'être faite par le Conseil constitutionnel le 14 janvier 1999 concernant la loi sur le mode de scrutin régional ; MM. Bonnet et Gélard l'ont rappelé à juste titre.
Si la jurisprudence que je viens de rappeler est moins fondée sur l'égalité que sur l'indivisibilité du peuple français, c'est bien à ce principe qu'il est porté atteinte aujourd'hui par ce projet de loi.
Les dispositions de l'article 3 de la Constitution consacrent le principe selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple », le caractère « universel, égal et secret » du suffrage, la qualité d'électeurs des « nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».
Les dispositions de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyende 1789 proclament l'égalité devant la loi.
Le rapprochement de ces deux articles s'oppose à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles. Ce point a été souligné par le professeur Jean Boulouis, que je me permets de citer : « Il paraît ainsi tout à fait clair qu'il ne s'agit par tant d'égalité que d'identité, les citoyens n'étant pas identiques parce qu'ils sont égaux, mais étant égaux parce que leur qualité les fait par définition identiques, "toute division par catégorie des électeurs en des éligibles" ne pouvant qu'être exclue ».
Une différenciation au sein du corps électoral risquerait d'ouvrir la boîte de Pandore de tous les communautarismes. (M. Claude Estier proteste.) Pourquoi ne pas pousser la logique de la parité à d'autres catégories de la population, notamment en matière socioprofessionnelle ou encore religieuse ?
Combien de personnes se sont émues du nombre important de fonctionnaires qui siégeaient à l'Assemblée nationale ? On pourrait très bien dénoncer également cette surreprésentation d'un corps professionnel et demander que soit assurée une plus juste répartition des différentes professions au sein d'une assemblée !
M. Claude Estier. Cela n'a rien à voir !
M. Jean Chérioux. Cela n'a rien à voir parce que cela vous gêne !
M. Alain Vasselle. L'égalité ne se fonde pas sur la différenciation. L'humanité est universelle et irréductible ; ce principe transcende les différences catégorielles. Revenir sur le principe d'universalité équivaut à revenir sur les fondements de notre République et de la démocratie. Nous risquons aujourd'hui d'introduire, pour reprendre l'expression d'Elisabeth Badinter, le biologique dans le politique.
M. Henri Weber. Pauvre Elisabeth !
M. Alain Vasselle. Il faudrait éviter que le remède ne soit pire que le mal. Une égalité effective dans la représentation des institutions publiques, acquise au moyen de quotas, n'est qu'une humiliation supplémentaire infligée à la femme (M. Claude Estier proteste), car, d'une façon générale, la règle du quota, même décidée avec des intentions louables, n'est pas exempte de conséquences dangereuses. Au-delà des discriminations à rebours qu'elle peut entraîner, cette règle peut se retourner contre les femmes et faire planer un doute sur la qualité des personnes concernées.
Ces conséquences ont pu être observées dans la pratique des politiques d' affirmative action aux Etats-Unis. Si la Cour suprême n'a pas condamné ces politiques, elle en a restreint considérablement aujourd'hui l'utilisation.
Sur le plan communautaire, le débat reste encore très vif. Dans un arrêt du 17 octobre 1995 - l'arrêt Kalanke - la Cour de justice des Communautés européennes a considéré que la discrimination positive était contraire à une directive de 1976 interdisant toute discrimination fondée sur le sexe. Bien que la Cour ait nuancé récemment son interprétation dans un arrêt du 11 novembre 1997 - l'arrêt Marschall - le débat n'est pas clos. Si le traité d'Amsterdam admet la discrimination positive, ce n'est que dans le domaine professionnel, et non dans le domaine de la représentation politique.
Nos regards doivent également se tourner vers nos voisins. On nous cite très souvent les pays nordiques en exemple. En effet, en Suède, 43 % de femmes siègent au Parlement. La France à côté fait figure de mauvaise élève. Cependant ces pays n'ont pas garanti une bonne représentation des femmes dans la vie politique en modifiant leur Constitution ! L'égal accès des femmes aux institutions publiques a été réalisé par des mesures volontaristes à l'intérieur des partis politiques. La Belgique a bien essayé d'imposer des quotas à 25 % lors des élections municipales de 1994, mais le taux n'a pas été atteint, faute de candidates !
Au problème que je viens de soulever s'ajoute l'ambiguïté d'une rédaction imprécise de l'article unique du projet de loi que le texte voté par l'Assemblée nationale n'a pas levée. En effet, le texte initial du projet dispose : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. » Le texte adopté par l'Assemblée nationale dispose : « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »
Le terme « favorise » substitué au terme « détermine » accentue-t-il ou atténue-t-il l'obligation de faire ce qui incombe ici au législateur ? Car il s'agit bien d'un blanc-seing qui lui sera donné par le constituant.
Comme l'a souligné d'ailleurs le doyen Georges Vedel, « le projet de révision n'énonce aucun principe qui pourrait guider le législateur. Le vrai débat de principe n'est pas celui de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui est réglé depuis un demi-siècle, mais celui de savoir jusqu'où, pour assurer l'égalité de fait entre les deux sexes, on peut limiter en droit la liberté de choix de l'électeur ».
La liste des problèmes soulevés ne s'arrête pas là. Le principe d'égal accès aux mandats électoraux serait difficilement réalisable dans le cadre des scrutins uninominaux. Faudrait-il réserver des circonscriptions aux femmes et des circonscriptions aux hommes ? Sur quels critères ?
Assurément, il faut réaliser l'égalité entre les hommes et les femmes dans les institutions publiques. Cependant, si vous me permettez cette formule, parce que la femme est un homme comme un autre, il ne faut pas modifier notre texte fondamental.
Rien dans la loi aujourd'hui ne s'oppose ou n'interdit à une femme de se porter candidate à des élections, que ce soit dans le cadre d'élections organisées au scrutin uninominal majoritaire à deux tours ou dans le cadre d'élections à la proportionnelle.
Pour assurer l'effectivité de l'égalité des sexes, d'autres voies restent ouvertes, d'autres pistes doivent être examinées, au premier rang desquelles je citerai la volonté des partis politiques. Parce que les partis concourent à l'expression du suffrage, ceux-ci doivent prendre leurs responsabilités et accélérer un processus déjà amorcé ces dernières années.
La commission des lois a proposé un amendement tendant à une nouvelle rédaction de l'article unique du projet de loi consitutionnelle pour compléter non plus l'article 3 de la Constitution, mais l'article 4.
L'incitation des partis politiques à présenter un plus grand nombre de femmes pourrait, selon M. le rapporteur, se réaliser, en particulier par la modulation du financement public des partis.
L'amendement proposé par la commission des lois complète de la manière suivante l'article de la Constitution : les partis politiques « favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».
« Les règles relatives à leur financement public peuvent contribuer à la mise en oeuvre du principe énoncé à l'alinéa précédent. »
Si le premier alinéa ne pose pas de problème de fond, il en va tout autrement de ce dernier alinéa que je viens de rappeler. La rédaction adoptée ne permet pas de nous garantir l'absence de mesure législative mettant en oeuvre le principe d'égalité par l'intermédiaire soit de primes incitatrices, soit de sanctions réductrices qu'il faudrait à mon sens rejeter. Je partage donc le point de vue de M. Bonnet et je soutiendrai son amendement tendant à supprimer ce second alinéa.
A la volonté des partis politiques doit s'ajouter une mobilisation plus importante des femmes. L'insuffisante représentation de celles-ci ne résulte pas exclusivement de l'attitude des hommes.
Ce projet de loi constitutionnelle soulève de nombreuses critiques et interrogations. Appartient-il à l'Etat de prôner un certain modèle ? La représentation politique se fonde-t-elle sur ce qui différencie ou sur ce qui est commun ? A-t-on le droit de modifier la conception de la souveraineté et de son mode d'exercice ?
Mes chers collègues, je laisse à vos réflexions ces questions et j'espère que nous trouverons la réponse à travers votre vote majoritaire. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon intervention vient en complément de celle de ma collègue Odette Terrade, dont je partage totalement l'analyse.
Le groupe communiste républicain et citoyen a deux représentants, Robert Bret et moi-même, au sein de la commission des lois. Je veux ici brièvement évoquer notre étonnement sur le cours pris par la discussion au sein de cette commission et sur l'art qu'ont nos collègues de droite de contourner les vraies questions. Je voudrais aussi dire que nous désapprouvons les conclusions de la commission des lois.
Il y a manifestement un déphasage considérable entre les messages délivrés par la Haute Assemblée et l'aspiration à la modernisation de la vie politique dont la parité est un pilier. A cet égard, il faut donc se méfier des sondages évoqués tout à l'heure par M. le président de la commission des lois.
L'opinion publique n'aime pas les gadgets, le clinquant d'annonces non suivies d'effet. Ce fut d'ailleurs fatal au Gouvernement Juppé si hâtivement constitué en 1995.
Ce qui est proposé aujourd'hui répond au contraire à une aspiration profonde de la société et est porté par un gouvernement au sein duquel les femmes jouent un grand rôle et donnent, par leur talent, leur dynamisme et leur simplicité, une nouvelle dimension à la pratique gouvernementale.
La parité, même si elle doit rester un chantier sur lequel il faut travailler avec beaucoup de patience, sera, si elle est votée, un tournant important de la vie politique française.
Face à cela, que dit la commission des lois ? Son président et son rapporteur l'ont rappelé.
Premièrement - cela a déjà été dit - notre commission s'appuie sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, article VI : « La loi est l'expression de la volonté générale. (...) Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Dès lors, en quoi la parité serait-elle discriminatoire ? La discrimination n'est-elle pas dans l'emploi du mot : « citoyen », qui est au seul genre masculin, puisque c'est de cela qu'il s'est agi ?
Il y a en fait une réticence tenace à conjuguer l'universalisme dans sa totalité.
Le second argument réside dans cette insistance de la commission à souligner que l'on glisserait vers le communautarisme après une telle révision constitutionnelle. Mais y a-t-il un seul parti politique qui défende les quotas, qui demande une place particulière pour une minorité religieuse, ethnique ou culturelle ? Pourquoi agiter ce leurre, alors que les femmes ne sont pas une catégorie, mais qu'elles sont la moitié de l'humanité ? (Très bien ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Enfin, la commission a conclu - on l'a entendu dans la bouche de divers orateurs - à la responsabilité des partis politiques. Certes, ceux-ci ont leur responsabilité mais, mes chers collègues, une responsabilité inégale. Nous ne sommes pas exactement sur le même plan par rapport à cela, y compris dans les scrutins de liste, comme le rappelait M. le rapporteur. Ainsi, en 1994, lors des dernières élections européennes, seules les listes se réclamant de la gauche et de l'extrême gauche ont atteint la parité.
Mais le parti communiste français, qui a dans ce domaine une tradition que vous n'avez pas, a accompli des efforts que vous n'avez pas fais !
M. Alain Vasselle. Vous n'avez pas eu besoin de la loi pour cela !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous avez remplacé une femme au Sénat !
M. Michel Duffour. Je suis l'un des représentants du département des Hauts-de-Seine, avec vous, monsieur Ceccaldi-Raynaud. Sur trois députés communistes, deux sont des femmes ; sur cinq municipalités, trois sont dirigées par des femmes !
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Michel Duffour. Dans un département où nous avons fait des efforts...
M. Alain Gournac. Continuez !
M. Michel Duffour. ... et où nous avons obtenu des résultats, nous convenons nous-mêmes qu'il faut évidemment aller plus loin, car la lenteur des changements est trop grande. Il est donc indispensable de légiférer pour, progressivement probablement, mais rapidement à coup sûr, changer la donne sur ce plan-là.
M. Alain Vasselle. C'est un signe de faiblesse !
M. Michel Duffour. C'est un signe de force, monsieur Vasselle !
M. Alain Vasselle. Vous n'êtes pas capables tout seul d'augmenter le nombre de femmes, il vous faut une loi pour y parvenir. C'est de la faiblesse, c'est de l'incapacité !
M. Michel Duffour. Vous, dans l'Oise, vous ne pourriez pas citer des chiffres comparables !
M. le président. Monsieur Vasselle, vous avez été écouté silencieusement ; veuillez faire en sorte qu'il en aille de même pour vos collègues.
M. Alain Vasselle. C'est parce qu'il n'y avait rien à redire à ce que j'ai dit !
M. Michel Duffour. M. Gélard a affirmé que nous étions tous d'accord sur le constat - il serait difficile de ne pas l'être - mais que nous n'étions pas d'accord sur les thérapies. Mais a-t-on entendu dans cette partie de l'hémicycle l'ébauche d'une thérapie quelconque ?...
J'ai entendu M. Gélard parler du Bangladesh,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Parlez-nous des Hauts-de-Seine !
M. Michel Duffour. ... de l'Union soviétique, du Pakistan pour conclure, avec raison, que l'exemple ne pouvait venir de là mais qu'il n'y avait aucune solution pour un régime démocratique.
Soyons francs, dans toute la discussion qui s'est déroulée en commission, se profilait en arrière-pensée la crainte d'un changement de mode de scrutin. Vous le savez : nous sommes, nous, communistes, partisans de la proportionnelle. Nous pensons que c'est le meilleur scrutin et que, à court terme, il sera nécessaire d'insuffler une dose de proportionnelle, mais, aujourd'hui, ce n'est pas la question.
Alors, mes chers collègues, va-t-on sacrifier la parité, qui est une question de principe, une question de civilisation, une question fondamentale, à des craintes subalternes sur un mode de scrutin ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les réformes constitutionnelles sont pour nous l'occasion d'un véritable retour aux sources. Elles nous permettent d'appréhender ce qui constitue l'essence même de notre République ; elles requièrent que nous nous plongions dans les débats passionnants, souvent divergents, qui animent habituellement plutôt nos philosophes, sociologues ou anthropologues.
Aujourd'hui, notre objectif - partagé, je l'espère - est de tendre, plus encore qu'hier, vers une réelle démocratie, vers un « pouvoir du peuple » plus accompli, une démocratie dont les institutions ont trop longtemps confisqué le droit de vote à une partie du peuple puisque 1789 n'a pas voulu des deux sexes en politique, une démocratie au sein de laquelle la fonction représentative demeure, dans les faits, très difficilement accessible à l'une des deux composantes de notre société.
Cette aspiration légitime rencontre l'adhésion d'une large majorité des Français. Toutefois, les moyens pour y parvenir semblent nous diviser.
Il y a ceux pour qui seules des initiatives volontaristes permettront de surmonter ce qui fait obstacle à l'accession des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Et puis il y a ceux qui préfèrent, encore et toujours, miser sur la bonne volonté des partis politiques.
C'est cette approche qu'entend privilégier la majorité sénatoriale. C'est cette approche qui nous vaut aujourd'hui l'avant-dernière place au palmarès européen de la présence des femmes dans les assemblées.
Mes chers collègues, la proposition que nous soumet la commission des lois, c'est un enterrement de première classe des espoirs suscités par la mobilisation des femmes, par les bons résultats obtenus par les candidates aux dernières législatives, par les engagements des plus hauts responsables de notre pays que sont le Président de la République et le Premier ministre.
Au coeur de notre débat figurent les principes fondateurs que sont la souveraineté, la liberté et l'égalité du peuple, l'universalité du suffrage.
Ils furent des concepts d'émancipation mais consitutent aujourd'hui, ironie du sort, des obstacles aux mesures volontaristes qui sont, indéniablement, un préalable à l'amélioration de la représentation des femmes dans nos assemblées. Les exégètes du principe d'universalisme en sont eux-mêmes bien conscients.
Le Président de la République, le Premier ministre et nos collègues députés, en modifiant l'article 3, nous proposent d'envisager que l'expression de la souveraineté tienne compte désormais d'une réalité bien tangible : la mixité du peuple français, la mixité des citoyens électeurs et, en conséquence, la mixité de ceux qui les représentent.
Cette proposition est-elle si iconoclaste et si porteuse de dérives vers un communautarisme, étranger jusqu'ici au système français ?
Permettez-moi d'éprouver un malaise face à certaines assimilations tendant à mettre sur le même plan les aspirations vers une plus juste représentation des femmes et celles de communautés se constituant sur la base d'une origine, d'une religion ou d'un handicap commun.
Nos discussions suscitent une autre question : les femmes élues apportent-elles « un plus » au débat politique, ont-elles une réelle spécificité ?
Après tout, des lois aussi fondamentales que celles qui portaient sur la contraception, la dépénalisation de l'avortement, l'autorité parentale ont été portées, votées par des hommes. MM. Badinter et Neuwirth peuvent en témoigner.
Mais ne croyez-vous pas que des assemblées plus féminisées auraient engagé ces réformes plus tôt ?
Mes chers collègues, hommes ou femmes, nous sommes élus pour défendre et pour incarner des projets politiques dans lesquels se retrouvent nos concitoyens.
Nous contribuons chacune, chacun, par notre expérience, par notre parcours, à apporter des éclairages différents à nos travaux parlementaires.
Ce n'est pas, me semble-t-il, prendre le risque de sombrer dans un « différentialisme », sujet de bien des polémiques, que de vouloir se donner les moyens d'instaurer un plus juste équilibre de nos assemblées.
Par ailleurs, soumettre au suffrage des électeurs des listes composées à parité d'hommes et de femmes est-elle une violation de la liberté de l'électeur ?
Je relève que l'on ne s'est guère posé cette question au cours des nombreuses élections où la plupart des listes étaient essentiellement, pour ne pas dire « exclusivement », composées d'hommes ?
Qui peut, aujourd'hui, raisonnablement prétendre que les stratégies volontaristes mises en oeuvre aux élections européennes ou législatives ont violé la liberté de l'électeur, sauf à renoncer au système d'investiture par les partis politiques ?
Notre collègue Dinah Derycke a bien su, ce matin, décoder ce que sous-tendent les craintes de la majorité sénatoriale, qui, de toute évidence, redoute de devoir recourir à la loi, expression de la volonté générale, élaborée par des représentants élus, pour déterminer les conditions d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux.
Alors que l'accent est mis depuis plusieurs années sur le renforcement du rôle du législateur, c'est un renoncement surprenant.
La majorité sénatoriale a déjà refusé le projet de loi tendant à limiter les possibilités de cumuler les mandats, projet qui pourtant contribuerait au rééquilibrage de la participation des femmes et des hommes dans les assemblées élues.
Va-t-elle de nouveau enrayer le processus de modernisation de la vie publique si nécessaire à notre démocratie ?
Nous attendons depuis trop longtemps que, dans la sphère politique, l'égalité, pilier de la devise de notre République, n'en reste pas au stade de la déclaration de principe.
C'est ce défi que nous devons relever aujourd'hui. A chacun de prendre ses responsabilités, mes chers collègues. Les socialistes prendront les leurs ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou. « Pour que la société soit transformée ne faut-il pas que la femme intervienne aujourd'hui dans les affaires publiques ? ». Ainsi s'exprimait George Sand en 1848. Depuis, la situation des femmes en politique a certes évolué, mais à pas comptés.
Cent ans après, grâce au général de Gaulle, nous avons enfin obtenu le droit de vote. Mais que d'obstacles à franchir encore pour que la représentation des femmes ne reste pas aussi faible, sinon marginale !
En effet, après plus de cinquante ans d'exercice des droits civiques, nous, les femmes parlementaires, ne représentons toujours que 10,5 % des députés et moins de 6 % des sénateurs.
A eux seuls, ces deux chiffres montrent à quel point les femmes sont encore très largement tenues à l'écart de la vie politique et du pouvoir.
Cette « exception française » que constitue la faible représentation des femmes en politique nous distingue singulièrement des autres démocraties européennes. La France est, avec la Grèce, la lanterne rouge des pays européens dans ce domaine.
Comment expliquer cette situation ?
Il y a certes un héritage historique, mais aussi le fait que, dans nos mentalités, il est dans l'ordre naturel des choses de répartir les rôles entre hommes et femmes en réservant aux hommes la vie publique et aux femmes les responsabilités de la vie privée.
Mais le passé n'explique pas tout. En Espagne, notre pays voisin au même passé religieux et culturel que le nôtre, après qu'ont été prises des initiatives pour féminiser l'institution, il y a près de 25 % de femmes au Parlement.
A titre personnel, pour avoir été pendant plusieurs années la seule femme présidente d'un conseil général, ayant occupé pendant neuf années cette fonction, j'ai pu mesurer le privilège que constituait parfois l'exception mais aussi les difficultés qu'il fallait surmonter. J'ai pu constater qu'il régnait une certaine méfiance à l'égard des actions conduites par une femme exerçant un véritable pouvoir décisionnel et que des jugements beaucoup plus sévères leur étaient réservés. En effet, nos mentalités réservent presque exclusivement ce pouvoir décisionnel aux hommes. (Mmes Cerisier-ben Guiga, Printz et Terrade applaudissent.)
Je veux bien croire qu'il se dessine aujourd'hui une évolution plus favorable et je m'en réjouis.
Cependant, je suis convaincue que seule la présence d'un plus grand nombre de femmes dans la vie politique permettra d'accélérer cette évolution. (Applaudissements sur certaines travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
En effet, ce déséquilibre contribue beaucoup plus qu'il n'y paraît au décalage entre la société civile et la classe politique.
Cette situation me semble constituer un grave danger pour l'équilibre de notre démocratie, qui devrait être le reflet de notre société composée pour plus de la moitié de femmes.
Aujourd'hui, chacun est désormais convaincu que le faible nombre de femmes élues constitue à la fois une injustice flagrante et le signe d'un dysfonctionnement de la démocratie.
Face à ce constat d'échec, comment pouvons-nous favoriser l'accès des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ?
Ici même, au Sénat, nous avions engagé une réflexion à ce sujet au sein de la mission commune présidée par Mme Olin, chargée d'étudier la place et le rôle des femmes dans la vie publique.
Plusieurs solutions avaient été examinées, parmi lesquelles la parité et la modulation du financement public des partis politiques en fonction de la proportion des candidatures féminines.
Aucune de ces solutions n'est véritablement satisfaisante et, pour ma part, je trouve choquant que nous soyons dans l'obligation d'imposer la contrainte pour corriger une lacune criante, parce que les partis n'ont pas su mettre en oeuvre la responsabilité qu'ils détiennent de l'article 4, parce qu'ils n'ont pas su favoriser l'accès des femmes en politique.
Je me réjouis néanmoins aujourd'hui de la tenue de ce débat, qui présente à mon sens un immense avantage : celui de sensibiliser l'opinion publique, d'ailleurs favorable à ce courant.
Si la parité n'est sans doute pas une recette miracle, je crains que ceux qui feignent de croire qu'il est possible aux femmes d'acquérir sans modification des textes les droits auxquels elles peuvent prétendre ne se trompent.
Mme Odette Terrade. Eh oui !
Mme Janine Bardou. La modification qui nous est proposée est donc une étape nécessaire. Elle ne doit plus être retardée.
Je ne sous-estime pas, cependant, les réserves que suscite ce texte, notamment de la part des juristes qui s'opposent à ce projet au nom de leur attachement au principe de l'universalité. Je ne sous-estime pas non plus le danger d'une dérive vers l'instauration d'un scrutin à la proportionnelle.
Très attachée au scrutin uninominal, je n'oublie pas l'exemple des élections législatives de 1986, où 33 % des femmes étaient candidates alors que seulement 5,89 % d'entre elles furent élues.
Nous pouvons donc en déduire que, malgré certaines promesses électorales de l'époque, les femmes n'étaient pas les mieux placées sur les listes ; dans le choix qu'ils font pour désigner leurs candidats, les partis restent maîtres du jeu.
Les bureaux des partis politiques, presque exclusivement masculins, n'hésitent pas à se montrer généreux en donnant les circonscriptions les plus difficiles... aux femmes.
Mme Odette Terrade. C'est vrai !
Mme Janine Bardou. Dans ces conditions, confier, dans la Constitution, aux partis politiques la responsabilité de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions politiques ne me semble pas la meilleure solution. Nous ne voulons point que nous soit octroyée une faveur mais nous voulons faire en sorte que la mixité trouve sa traduction politique dans la parité et que les femmes soient présentes dans toutes les instances de décision de notre société.
Nous devons faire confiance aux femmes. Aussi, malgré ses insuffisances, je voterai le projet de loi tel qu'il nous est proposé. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de soulever quelques questions.
A quelle fin le Président de la République et le Gouvernement ont-ils soumis au Parlement ce projet de loi organique ? Il me semble que le Président de la République comme le Gouvernement ont voulu que le législateur puisse prendre toutes les dispositions nécessaires afin de donner aux citoyens de sexe féminin une juste place dans la représentation nationale.
Or, que nous propose pour sa part la commission des lois du Sénat ? Elle nous suggère de former un voeu pieux et de confier cette mission aux seuls partis politiques, en feignant de croire que ceux-ci agiront demain autrement qu'ils ne l'ont fait depuis un demi-siècle, sans qu'il soit le moins du monde nécessaire d'exercer une contrainte sur eux.
Que signifie cette attitude ? Elle traduit le fait que, une fois de plus, la majorité sénatoriale, fidèle à sa vocation conservatrice, cherche à retarder, et si possible à bloquer pour de bon, une réforme profonde de la société, même si cette réforme est voulue par le Président de la République. La majorité sénatoriale ne veut d'aucun dispositif contraignant dont l'Assemblée nationale aurait la maîtrise, surtout s'il s'agit d'instaurer des quotas... Elle pourrait dire : « cachez ce quota que je ne saurais voir ». (Sourires.)
Mais l'existence depuis cinquante ans d'un quota implicite de 90 % d'hommes dans la représentation nationale n'a guère offensé votre sourcilleux sens de l'égalité, chers collègues de la majorité. Et encore, si nous sommes en deçà du seuil des 95 %, c'est grâce à la prise de conscience récente des seuls partis de gauche !
Plus sérieusement, c'est en pensant à toutes les générations de femmes privées de la possibilité de dire le droit et subissant celui qui était édicté par les seuls hommes, c'est en pensant à la génération des femmes qui ont tenu la France à bout de bras pendant toute la guerre de 1914-1918 et que la Haute Assemblée a privées du droit de vote jusqu'en 1944 - il s'agit de nos grands-mères, ce n'est pas si loin ! - que je développerai brièvement deux arguments en faveur du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis aujourd'hui.
Tout d'abord, il me paraît évident qu'il sera nécessaire de prendre des mesures contraignantes diversifiées pour venir à bout de l'un des blocages les plus anciens et les plus forts de notre société, celui qui tend à éliminer les femmes de la vie politique.
Ensuite, la société française, devenue mixte au cours de ce siècle, ne peut se reconnaître que dans une représentation nationale elle aussi mixte.
Ainsi, cette représentation nationale, et tout particulièrement le Sénat, passablement discrédité dans l'opinion depuis des années - et cela va en s'aggravant (Mme Terrade approuve) - retrouverait une crédibilité qu'elle est en train de perdre.
Je rappelle, après d'autres orateurs qui m'ont précédée, que c'est l'histoire qui a fait que femmes et hommes ne sont pas à égalité aujourd'hui devant la politique, que les hommes ont confisqué l'universalité républicaine depuis que la République existe, qu'eux seuls ont eu le droit de penser la République et que, lorsqu'une femme leur a contesté ce monopole, elle a terminé sa vie sur l'échafaud.
Mais il y a plus grave et plus proche de nous : rien, dans l'éducation de la majorité des femmes jusqu'aux années soixante-dix, ne les préparait à une carrière politique, et aucun modèle valorisant de femme politique n'a été proposé aux femmes de ma génération. Ainsi, les grandes féministes étaient absentes de nos manuels scolaires, et elles le sont d'ailleurs encore.
Mais surtout, plus profondément, l'éducation familiale et scolaire a longtemps installé un terrible sentiment d'infériorité au coeur du psychisme des femmes. Rien, dans l'éducation des filles, ne valorisait l'affirmation de soi, la prise de responsabilités, au contraire de ce qui prévalait pour l'éducation des garçons, à la même époque et dans les mêmes milieux. Comment peut-on dire que nous abordons la compétition politique avec des chances égales, quand toutes les qualités nécessaires à cette activité ont été soigneusement développées chez les hommes et cessent tout juste aujourd'hui d'être réprimées chez les femmes ? Prendre des mesures volontaristes s'impose avec d'autant plus de force que les femmes doivent surmonter les handicaps souvent inconscients installés dans leur esprit par des millénaires d'oppression.
Je n'aurai pas le temps d'aborder dans tous ses détails la question de la transposition de la mixité dans la représentation nationale, mais dites-vous bien, mes chers collègues, que la société française a tant gagné à la mixité dans tous les domaines de la vie au cours de ce siècle (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen) qu'elle attend avec impatience que la mixité touche enfin le monde politique.
Je dirai en conclusion que l'instauration d'un égal accès des femmes et des hommes à la vie politique est une exigence de justice. Donner enfin la parole aux femmes, permettre aux citoyennes d'avoir prise sur leur vie, traiter dans le débat politique les dénis de droit et les injustices qui sont aujourd'hui passés sous silence parce que seules les femmes en sont victimes contribuerait à rétablir la confiance du peuple à l'égard de la classe politique. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « les femmes : quelle puissance ! », s'exclamait Michelet. Et pourtant, bien rares sont les silhouettes féminines qui ont pu, ici ou là, jadis ou naguère, incarner le pouvoir ou se glisser dans ses allées.
Partout, l'établissement des systèmes représentatifs s'est traduit par un cantonnement des femmes dans la sphère privée, et il aura fallu presque tout un siècle pour que, de la Finlande en 1906 à la Suisse en 1971, l'Europe occidentale réalise, en leur permettant de voter, l'« admission des femmes au droit de cité » que Condorcet, seul ou presque, appelait de ses voeux à l'aube de la Révolution.
Ce n'est qu'à partir de 1944 que les Françaises, sous la IVe République, commencèrent à user du droit d'éligibilité, acquis peu après le droit de vote. Mais les pratiques issues des institutions de 1958 ont maintenu le plus souvent à moins de 2 % la proportion des femmes à l'Assemblée nationale.
La situation actuelle n'est pas beaucoup plus brillante. En effet, seulement 63 sièges de députés sur 577, soit 10,9 %, sont occupés par des femmes. Certes, ce pourcentage est encore plus faible en Grèce, où il atteint 6,3 %, mais la Suède fait beaucoup mieux avec 40,4 %.
Dans ces conditions, pour corriger une situation que chacun s'accorde à juger insatisfaisante, la tentation est évidemment forte, surtout dans un pays comme le nôtre, marqué par l'empreinte du droit romain et du code Napoléon, de recourir à une démarche normative.
Cette démarche fut d'ailleurs engagée par le précédent gouvernement. Le Premier ministre s'était alors prononcé sur « la place des femmes dans la vie publique », observant que « nous continuons à vivre, en quelque sorte, sous l'empire de la loi salique ».
Son successeur a conforté cette approche, tout en reconnaissant, dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, que, dans ce domaine, « le progrès passe d'abord par l'évolution des mentalités et le changement des comportements ».
Il a néanmoins jugé nécessaire d'« aller plus loin » et a annoncé une révision de la Constitution « afin d'y inscrire l'objectif de la parité entre les hommes et les femmes ». Si nous ne pouvons, madame le ministre, que faire nôtre l'objectif affiché, nous devons cependant dire toutes nos craintes quant à la méthode retenue.
En effet, sous couvert de parité, ce projet de loi organique vise exclusivement à rendre constitutionnelles des lois qui instaureront des quotas de femmes.
Permettez-moi, à cet égard, de formuler trois remarques.
La première est d'ordre constitutionnel. J'observe que, aux termes de l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », et que, selon l'article VI du même texte, tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi, ils sont « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
Dès lors, je note qu'à moins de supprimer ce dernier article, toute loi imposant des quotas, même après la modification constitutionnelle que vous nous proposez, madame le ministre, restera en contradiction avec ce principe fondateur de notre démocratie.
Ma deuxième remarque - mais ce point a déjà été longuement souligné - aura trait à la dignité des femmes et à l'atteinte qui sera portée à celle-ci au travers de leur citoyenneté. En effet, avec l'instauration de quotas, les femmes ne seront plus réellement respectées dans leur dimension citoyenne, puisque leurs pouvoirs de représentativité dépendront en réalité des quotas à atteindre.
Ainsi, et je sais bien que ce propos n'est pas du goût de tous, on ne sera pas très éloigné du slogan : « il suffit d'être femme pour être élue », avec tout ce que cela peut comporter de valeurs collectivement négatives pour les femmes. A cet égard, je le répète à la suite d'autres orateurs qui m'ont précédé, la pertinence des propos d'Elisabeth Badinter ne peut manquer de nous frapper. (Exclamations amusées sur les travées socialistes.)
Troisième remarque, j'observe que les avancées constatées dans la représentativité politique des femmes relèvent de décisions partisanes et non de contraintes normatives, l'exemple belge étant à cet égard peu probant.
En effet, Valéry Giscard d'Estaing a été le premier chef d'Etat de la Ve République à se préoccuper non seulement d'améliorer la « condition féminine », mais encore de féminiser les institutions politiques.
M. Jean-Claude Gaudin. Cela ne lui a pas réussi !
M. Bernard Plasait. En sept ans, vingt et un portefeuilles ministériels ont ainsi été attribués à des femmes. La décision prise par le parti socialiste de s'imposer un quota de quelque 30 % de candidates pour les élections législatives de 1997...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Cela a marché !
M. Bernard Plasait. ... a permis l'élection de quarante-deux femmes dans ses rangs.
M. Henri Weber. Bravo à lui !
M. Bernard Plasait. Encore faut-il mentionner le fait que l'objectif des 30 % de candidatures n'a pas été atteint, et que 30 % de candidates ne signifie pas 30 % d'élues !
M. Claude Estier. C'est quand même mieux que 5 % !
M. Bernard Plasait. Cette dernière remarque me conduit à dire combien j'approuve la démarche de la commission des lois, qui propose de rattacher les nouvelles dispositions non à l'article 3, mais à l'article 4 de la Constitution,...
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Bernard Plasait. ... mais elle m'oblige aussi à insister sur les implications qu'entraînera mécaniquement une telle modification sur les modes de scrutin. Il est en effet clair qu'un système de quotas serait incompatible avec le mode de scrutin majoritaire.
M. Henri de Richemont. C'est vrai !
M. Bernard Plasait. Quoi qu'il en soit, je crois vraiment que c'est seulement dans la mobilisation des femmes elles-mêmes et dans le volontarisme des partis que réside la clé de l'accès des femmes aux responsabilités.
A cet égard, j'ai entendu tout à l'heure avec beaucoup d'intérêt, et même avec beaucoup d'émotion, l'excellente intervention de ma collègue Anne Heinis, qui a, je crois, remarquablement exprimé la vérité.
Dans l'éternel débat, ouvert par Montesquieu, entre l'action par la loi et l'action par les moeurs, les expériences européennes donnent incontestablement le pas à celle-ci sur celle-là. La Haute Assemblée trace la meilleure voie pour la nécessaire évolution des mentalités et des comportements. J'ai écouté tout à l'heure, avec beaucoup d'intérêt là aussi, notre collègue Christian Bonnet, dont je partage totalement le souci de ne pas réduire la Constitution à un inventaire à la Prévert en introduisant des mesures d'incitation financière qui n'ont aucunement leur place dans la charte fondamentale de notre démocratie. Je crois que notre assemblée serait bien inspirée d'écouter sa sagesse, ainsi que celle de Mme Heinis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Gaudin. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », proclamait, en 1789, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
« En 1848, les Français ont obtenu le suffrage universel », affirmaient mes livres scolaires. C'est ce que j'ai cru longtemps !
Mais il faut bien se rendre à l'évidence : l'histoire de notre pays porte en elle cette étrange contradiction, longtemps dissimulée : l'homme universel de la Déclaration de 1789 était masculin. Il priva les femmes, pendant plus de cent cinquante ans, de leur droit légitime à prendre part aux affaires de la cité.
Il faudra attendre l'ordonnance de 1944, prise par le Conseil national de la Résistance...
De nombreux sénateurs du RPR. Non ! Par le général de Gaulle !
Mme Danièle Pourtaud. ... par le Conseil national de la Résistance, disais-je, pour réparer cette injustice. (Protestations vives et prolongées sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin. Impossible !
M. Guy Cabanel, rapporteur. C'était le Comité français de libération nationale !
M. le président. Mes chers collègues, laissez Mme Pourtaud s'exprimer ! Elle seule a la parole !
Mme Danièle Pourtaud. Nous consulterons donc les historiens (Vives exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants), mais il ne change rien à vos contestations qu'il s'agissait d'une ordonnance de 1944 qui a enfin réparé cette injustice et a rendu aux femmes la citoyenneté, c'est-à-dire non seulement leur droit d'électeur (M. Charles Ceccaldi-Raynaud s'exclame)...
M. le président. Monsieur Ceccaldi-Raynaud, ménagez-vous, s'il vous plaît ! (Sourires.)
Mme Danièle Pourtaud. Cette ordonnance de 1944, disais-je, a donc rendu aux femmes leur citoyenneté, c'est-à-dire non seulement leur droit d'électeur, mais aussi leur droit à l'éligibilité.
M. René-Georges Laurin. Et qui a pris l'ordonnance de 1944 ?
M. Claude Estier. Le général de Gaulle, d'accord !
Mme Danièle Pourtaud. L'affaire était-elle réglée pour autant ? J'aurais aimé pouvoir répondre par un « oui » clair et définitif.
Mais si j'interviens aujourd'hui, c'est pour défendre la nécessité de mesures volontaristes afin d'organiser les conditions d'un égal accès des femmes et des hommes à l'éligibilité, ce qui implique - nous le savons tous - une modification constitutionnelle.
Un sénateur sur les travées des Républicains et Indépendants. Non !
Mme Danièle Pourtaud. Des mesures volontaristes sont donc nécessaires et, faute de temps, je ne citerai que deux motivations essentielles à cet égard : d'une part, il faut s'opposer au poids de notre mémoire collective, à cette histoire d'hommes qui a exclu pendant plus d'un siècle les femmes de la sphère publique, les cantonnant à la sphère privée ; d'autre part, il faut lutter contre la persistance, depuis la Libération, d'une sous-représentation scandaleuse des femmes dans toutes les assemblées politiques.
A mon tour, je ne ferai qu'évoquer le poids de l'histoire.
En fait, jusqu'en 1944, les femmes furent, à l'égal des hommes, de tous les combats pour la liberté - en 1789, en 1848, en 1871, pendant la guerre de 1914-1918 et, bien sûr, entre 1939 et 1945 - sans jamais se voir reconnaître leur droit de participer à la vie publique.
Pendant cent cinquante ans - mais est-ce vraiment oublié ? On pourrait en douter en écoutant, ce matin encore, certains discours - a subsisté, à des degrés divers, cette croyance insensée selon laquelle la libération politique de la femme représenterait un danger pour la sauvegarde de la famille. C'est ce qui explique que la première proposition de loi en faveur du droit de vote des femmes, en 1902, envisageait de l'accorder aux femmes majeures, célibataires, veuves ou divorcées ! Elle fut néanmoins repoussée. Pas moins de trente-huit propositions de loi furent ensuite déposées, sans succès. C'est de cette histoire-là que nous sommes, tous et toutes, les héritiers.
Il ne faut pas, néanmoins, rejeter aujourd'hui l'universalisme, cette « égalité des êtres », par-delà leurs différences, « à jouir de tous les droits fondamentaux », comme le rappelait Robert Badinter, il y a quelques jours, à l'UNESCO, en célébrant le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
En revanche, ce que je condamne absolument, c'est une lecture masculine erronée, une application inachevée de l'universalisme, qui, trop longtemps, non seulement a exclu les femmes du droit de vote et de l'éligibilité, mais laissa aussi perdurer l'esclavage. (Protestations sur les travées du RPR.)
Cet héritage, malgré des avancées majeures, pèse encore dans l'inconscient collectif de ma génération et de la génération précédente.
En effet, si, en 1944, cessa l'exclusion, on oublia de concevoir l'inclusion réelle des femmes dans la vie publique.
J'en viens maintenant au constat accablant et inacceptable pour toutes les Françaises, et, je l'espère, pour tous les Français.
Par le nombre de femmes qui siègent à l'Assemblée nationale - ne parlons pas du Sénat ! - la France, comme de nombreux intervenants l'ont souligné avant moi, est bel et bien la lanterne rouge de l'Europe.
Et, malheureusement, les choses n'évoluent pas spontanément dans le sens de l'égalité, comme préfèrent le laisser croire certains orateurs de la majorité sénatoriale. La preuve en est que les femmes étaient plus nombreuses à l'Assemblée nationale en 1946 qu'en mai 1997, avant les dernières élections. Si, en 1998, le nombre de conseillères régionales a doublé, on a pu constater aux dernières élections cantonales et sénatoriales que cet élan s'était arrêté tout net !
C'est pourquoi je crois en une mobilisation à la fois constante et volontaire à tous les niveaux de notre société. En d'autres termes, la parité est une ambition à la fois juridique et culturelle. Ce que nous voulons, c'est que cette modification constitutionnelle inaugure une évolution irréversible des mentalités et des comportements dans notre pays. De nombreuses femmes aspirent en effet à un meilleur partage des responsabilités familiales. Ce n'est un secret pour personne : le militantisme politique, chemin normal pour accéder aux responsabilités électives, s'exerce d'abord le soir et le week-end !
Par ailleurs, au-delà de toute interprétation philosophique, cette modification de notre Constitution correspond à une démarche pragmatique. Elle permettra de faire sauter le célèbre verrou du Conseil constitutionnel de 1982, reverrouillé le 14 janvier dernier. Bref, cette modification constitutionnelle est un outil pour produire de l'égalité.
Après cette loi d'habilitation constitutionnelle, il sera nécessaire d'adopter une ou des lois d'application afin d'obliger les partis à présenter un nombre égal d'hommes et de femmes à la candidature, et ce, pour tous les modes de scrutin. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin. Voilà ce que cela cachait !
Un sénateur du RPR. Les quotas !
M. Claude Estier. La candidature !
Mme Danièle Pourtaud. Nous ne devons pas non plus négliger les voies indirectes qui contribuent à la réalisation de notre objectif, comme, par exemple, la limitation du cumul des mandats. Je pense aussi, madame la ministre, à la proposition de loi que viennent de déposer les membres des deux groupes parlementaires socialistes, visant à créer une délégation parlementaire « aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes », dans chacune des assemblées. J'espère qu'elle sera inscrite rapidement à l'ordre du jour.
En conclusion, mes chers collègues, vous me permettrez de déplorer que la majorité sénatoriale s'obstine à vouloir au mieux retarder, au pis empêcher la fin de cette injustice, en dépit des engagements présidentiels et au mépris de l'opinion publique. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. C'est vous qui le dites !
Mme Danièle Pourtaud. Cette tradition machiste n'est pas une nouveauté puisque la Haute Assemblée avait fait échouer à six reprises, dans l'entre-deux-guerres, des propositions de loi en faveur du vote des femmes. J'espère que, cette fois-ci, nous pourrons aboutir.
Je me battrai, quant à moi, pour que nous puissions très vite, par des lois, rendre efficiente cette modification de notre Constitution et concrétiser l'objectif de parité. Mais j'espère aussi que nous pourrons, un jour, voter, sans remords, leur suppression, à moins qu'elles ne deviennent indispensables pour préserver la place des hommes... (Rires.)
M. Jean-Claude Gaudin. Ne nous provoquez pas !
Mme Danièle Pourtaud. « L'égalité n'est jamais acquise, c'est toujours un combat ! », disait voilà peu de temps, François Mitterrand. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Claude Gaudin. Oh ! là là !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel, rapporteur. Monsieur le président, avec votre autorisation, j'entends éclairer un point d'histoire. Je n'ai pas voulu interrompre Mme Pourtaud, même si, comme d'autres, j'ai dit que l'ordonnance avait été prise non par le Conseil national de la Résistance mais par le Comité français de libération nationale.
Je voudrais bien situer l'événement : au printemps 1942, le général de Gaulle, alors qu'il était sur des territoires limités et disposait de capacités restreintes pour parler au nom de la France, avait déjà annoncé que, après la libération du territoire, les femmes voteraient comme les hommes et seraient éligibles comme eux.
En 1994, le Comité français de libération nationale réunissait auprès de lui une assemblée consultative provisoire qui comprenait des élus des trois départements algériens, lesquels, selon la vieille loi Tréveneuc, avaient des droits à la représentation nationale hors du territoire envahi. Il avait ajouté, à la demande du Conseil national de la Résistance, un autre tiers de résistants venant de la résistance intérieure, qui étaient souvent amené par des Lysander ou par des sous-marins venant près des côtes françaises, et un tiers représentant la résistance extérieure, c'est-à-dire le mouvement des Français libres et la petite résistance Nord-Africaine qui avait favorisé le débarquement.
Cette assemblée a eu à débattre, en mars 1994, de l'esquisse de ce qui serait l'ordonnance du 21 avril 1944 pour l'organisation des pouvoirs publics à la libération du territoire national. Fernand Grenier, officier communiste incarcéré en Afrique du Nord sous Vichy et libéré lors des événements ayant suivi le débarquement américain, avait même déposé un amendement visant à accorder dès l'instant même le droit de vote et l'égibilité aux femmes ; mais cet amendement avait été rejeté par cette assemblée encore - peut-être était-ce une tradition des assemblées en France ? - et le général de Gaulle imposa alors, dans l'ordonnance du 21 avril 1944, ce qui devint l'article 14, article prophétique, qui disposait que, après la libération de l'ensemble du territoire national, à la première élection où le peuple français pourrait s'exprimer pour désigner ses représentants nationaux, les femmes comme les hommes auraient le droit de vote et d'égibilité. Nous étions le 21 avril 1944. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin. Mme Pourtaud n'était pas née !
Mme Nicole Borvo. Merci de la démonstration !
Mme Odette Terrade. Et les femmes ont voté pour la première fois aux élections municipales d'avril et de mai 1945 !
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le point de vue que je vais exprimer n'engage que moi, mais il témoigne de convictions qui sont chez moi profondes et que je partage entièrement avec ma femme.
La révision qui nous est proposée soulève trois ordres de questions : philosophique, constitutionnelle, politique. Et toutes ces questions se situent, c'est vrai, à un niveau élevé de réflexion.
Le débat philosophique, on le sait, divise notamment les féministes. Il porte sur le concept d'humanité. Que cette dernière soit composée physiquement de femmes et d'hommes implique-t-il que l'on doive la considérer par essence comme duale ? Je le dis clairement, je ne le pense pas plus qu'Elisabeth Badinter.
L'humanité est une à travers ses composantes. Elle est ce qui est commun à tous les êtres humains, au-delà de toute distinction. C'est pourquoi l'universalité - j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'exprimer à ce sujet - est le propre des droits de l'homme, sauf à en dénaturer la portée. Les droits de l'homme sont ceux de tous les êtres humains, sans que l'on puisse considérer ce que sont leur sexe, leur race ou toute autre considération. Et même si, pour notre honte, il est arrivé à nos sociétés d'y déroger, cette universalité ne souffre, à mon sens, aucune distinction, même sexuelle.
En un mot, mes chers collègues, je ne crois pas et je n'ai jamais cru qu'il existe une différence de nature entre homme et femme que l'on puisse ériger en principe politique. (Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Je remarque d'ailleurs, mes chers collègues, que c'est cette prétendue différence que les misogynes ont, tout au long de l'histoire, invoquée pour tenir précisément les femmes à l'écart des responsabilités politiques.
Pour ma part, je le dis simplement : toutes les femmes que j'ai connues dans ma vie professionnelle, à l'université, au Palais, dans la vie publique et politique, ne me sont jamais apparues différentes des hommes. Il n'est pas deux façons - l'une masculine, l'autre féminine - d'enseigner, d'écrire, de plaider, de juger, de légiférer ou de gouverner !
A ce dernier égard, je considère que nombre de femmes témoignent de vertus de caractère, de sang-froid et d'autorité, vertus que, bien à tort - ou bien à la légère - on se plaît à qualifier de viriles.
M. Bernard Plasait. Très bien !
M. Robert Badinter. Au-delà de la question philosophique, le projet de révision, par nature, nous posait une question constitutionnelle fondamentale. Et notre rapporteur en a, à cet égard, avec précision et éloquence, défini les termes.
Ce qui est constitutionnellement en question dans cette révision, c'est ce qui est au coeur même de notre Constitution, à savoir la question de la souveraineté. L'article 3 de notre Constitution est clair : « La souveraineté nationale appartient au peuple... »
Or, selon ce qui a toujours été la conception républicaine de la démocratie, le peuple français est composé de tous les citoyens français à l'encontre desquels ou entre lesquels aucune distinction quelle qu'elle soit - le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans sa décision relative au peuple corse - ne saurait être faite.
La souveraineté, comme la République, est un tout indivisible. Aussi, voyez-vous, lorsque j'entends, comme je l'ai entendu ce matin, que la souveraineté devrait s'incarner dans les deux moitiés de l'humanité que sont les femmes et les hommes, j'avoue que je ne peux pas suivre cette argumentation. Je ne conçois pas ce que serait une souveraineté ainsi incarnée en deux parties, pas plus d'ailleurs que je ne conçois, je le reconnais, ce qu'est un universalisme concret : l'universalisme est l'universalisme tout court !
Je remarque - et je conclurai sur ce point - que, s'agissant de principes constitutionnels, dans aucune démocratie, pas même dans les Etats d'Europe du Nord, et Dieu sait qu'ils sont bien plus avancés que nous et qu'ils montrent la voie en ce domaine, le principe ou l'objectif de parité n'a été inscrit dans la Constitution.
J'en arrive à la question qui, elle, est purement politique : pour autant, pouvons-nous accepter l'état de choses existant ? Assurément non !
A cet égard, je vais abandonner les grands principes et redevenir plus concret. De quoi s'agit-il ? S'il s'agit des élections au scrutin de liste, il n'y a rien de plus facile ! Très franchement, il suffit, pour les partis, de désigner comme candidats à égalité et, je me plais à le marquer, à mon sens alternativement, femmes et hommes, la désignation de la tête de liste - on en revient toujours au choix des personnes ! - relevant du choix des militants ou des instances du parti.
Les partis de gauche et, en premier lieu, historiquement, le parti communiste, ont, à cet égard, adopté cette pratique, et ils s'en sont trouvés très bien.
Peut-on imposer, par la loi, dès lors que la Constitution le prévoirait, cette règle aux partis politiques ? Au regard des décisions du Conseil constitutionnel, la réponse est très claire : oui, on le peut, rien ne l'interdit, car il n'existe pas en France, je le rappelle, de principes supraconstitutionnels.
Dès lors, puisqu'il s'agit, en réalité, de faire figurer sur les listes de candidats au scrutin proportionnel un nombre égal de femmes et d'hommes, cela relève bien de la désignation des candidats par les partis politiques !
Quant au scrutin d'arrondissement, il est évident que l'on voit mal comment, à cet égard, on pourrait interdire à tout citoyen qui satisfait aux conditions d'éligibilité, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme, de se présenter ! C'est un droit fondamental pour tout citoyen, en dehors de toute question de sexe.
Dès lors, de quoi s'agit-il dans le domaine des scrutins uninominaux ? Il s'agit de susciter un nombre égal de candidates femmes, notamment dans les circonscriptions où le parti a une chance sérieuse de voir élire son candidat, et cette investiture-là relève aussi des partis politiques.
Je suis donc forcé de conclure que, constitutionnellement, sauf à vouloir changer la nature de la souveraineté, c'est bien à l'article 4, qui concerne le rôle des partis politiques dans la démocratie, et non pas à l'article 3, qui concerne la souveraineté nationale, que la révision doit trouver sa place. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mais, si elle y trouve sa place, encore faut-il qu'elle atteigne aussi une indiscutable effectivité, et je suis au regret de dire que celle-ci n'apparaît pas, à mon sens, dans l'amendement de la commission des lois.
En effet, pourquoi sommes-nous ici réunis ? Pour débattre d'une révision constitutionnelle. A cause, vous l'avez très bien dit, madame le garde des sceaux, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, jurisprudence qui, au regard des principes existants, est parfaitement justifiée.
Cela signifie, en clair, qu'il nous faut procéder à une révision constitutionnelle qui, pour être effective, doit comporter une disposition habilitant le législateur à définir de façon contraignante les conditions de mise en oeuvre par les partis politiques de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions électives. Faute de cela, cette révision ne pourrait, je le pense, atteindre son objectif, qui consiste tout de même à aller - c'est en tout cas bien le pouvoir du constituant - au-delà de ce que le Conseil constitutionnel a jugé... et d'ailleurs, sur ce point, bien jugé.
A partir de ces considérations, ma conclusion sera brève.
La contribution la plus précieuse que la culture européenne aura apportée à la cause de la liberté, c'est l'invention de la démocratie. Or la démocratie repose sur l'idée simple et forte que la façon la plus heureuse pour un peuple d'être gouverné est de se gouverner lui-même en choisissant librement, à intervalles réguliers, ses représentants.
La contribution la plus précieuse, à mon sens, que la France aura apportée à cette idée démocratique, c'est l'invention de la République une et indivisible - que je qualifierai, pourquoi pas, d'universelle - une République composée de citoyens qui jouissent tous de droits semblables, sans distinction aucune entre eux, qu'il s'agisse, bien entendu, de cette distinction physique que l'on a évoquée et qui est bien évidemment le lot commun de l'humanité, mais aussi de toutes les autres : de la race, des opinions, des origines ou des croyances religieuses. Je n'ai pas besoin, à cet égard, de rappeler la Déclaration universelle des droits de l'homme ou la Convention européenne : tous des citoyens, rien que des citoyens.
Voilà les fondements de notre République. Elle n'a jamais été une mosaïque de communautés ni une juxtaposition de composants différents. Elle ne connaît et n'a jamais connu que des individus, des êtres humains et des citoyens, sans discrimination aucune.
Certains - et de mes meilleurs amis - ont souligné avec raison que, longtemps, très longtemps - je dirai trop longtemps - la République n'a pas eu le courage de conformer ses lois à ses principes et qu'elle a refusé, au mépris de l'universalité qu'elle proclamait, l'égalité des droits politiques, notamment aux femmes. Mais gardons-nous de tirer de ce que furent des défaillances honteuses ou des discriminations odieuses un enseignement contraire à la vérité !
Lorsque les républicains ont manqué aux droits de l'homme, ils ont trahi les fondements même de la République, c'est-à-dire l'universalité des droits de l'homme et le refus de toute distinction ou discrimination entre les citoyens. Je crois profondément que c'est ce message-là qui donne à l'idée républicaine, en France et hors de France, sa grandeur.
Rien n'est plus précieux, en tout cas pour nous, que cette universalité, qui traduit si fortement l'unité de l'espèce humaine, l'identité commune à tous les êtres humains, au-delà de toutes leurs différences, seraient-elles de sexe. (Applaudissements prolongés sur certaines travées des groupes socialiste et communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à bien vous écouter, on pourrait penser que vous êtes tous d'accord sur un constat : les femmes ne sont pas assez représentées dans la vie politique française.
Par exemple, monsieur Gélard, vous verriez d'un bon oeil une féminisation accrue des conseils municipaux, des conseils généraux, des conseils régionaux, voire du Parlement. D'ailleurs, vous avez cité l'exemple de votre propre conseil municipal, au sein duquel les femmes sont présentes à 45 %, ce dont je vous félicite.
Il est vrai que, les femmes, il est de bon ton de les couvrir de fleurs.
M. Henri de Richemont. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous dites même que, parmi vos étudiants, ce sont vos étudiantes qui se distinguent le plus. J'avoue éprouver quelques craintes devant de tels éloges !
Mme Nicole Borvo. Moi aussi !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Car de quoi sont-ils suivis ces éloges, je vous le demande ? Où sont ensuite ces femmes brillantes ?
Mme Hélène Luc. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Où sont, dans le même ordre d'idées, tous ces jeunes beurs, tous ces jeunes blacks qui sont aujourd'hui diplômés de nos universités et que l'on ne trouve plus nulle part, ni dans l'administration, ni dans nos partis politiques, ni dans les fonctions électives ? (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Patrice Gélard. Elles sont dans les palais de justice, magistrates, avocates !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ou à la première présidence de la Cour de cassation !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. De quoi, par conséquent, ces éloges sont-ils suivis ?
Face à ce constat, j'entend dire que la Constitution n'est pas responsable du phénomène,...
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... que l'égalité est garantie dans tous les domaines,...
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... que le législateur lui-même n'est pas responsable...
M. Paul Masson. C'est le peuple qui est responsable !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et que, d'ailleurs, des mesures ont été prises.
Mais alors, face à un tel constat, que faire ? Que proposez-vous ?
Si j'ai bien écouté, la plupart d'entre vous proposent tout simplement de s'en remettre aux partis politiques pour favoriser l'accès des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Si j'ai bien écouté, le mouvement naturel et l'évolution spontanée des choses nous conduiront à la parité !
Plusieurs sénateurs du RPR. Oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Laissez-moi vous dire qu'il y a une légère contradiction à soutenir que les partis sont responsables et à en faire le remède à une situation qu'ils ont soit créée soit tolérée !
M. René-Georges Laurin. Et améliorée !
M. Henri Weber. Perpétuée !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme l'a fort bien fait remarquer M. Weber, avec toute la dialectique qui est la sienne, chaque fois qu'une grande réforme de société est proposée, on trouve toujours des conservateurs pour dire qu'elle produira un effet contraire à celui qu'on vise, qu'elle est inutile puisque le temps y pourvoira et, enfin, qu'elle met en péril nos principes les plus sacrés.
M. Paul Masson. C'est le débat démocratique !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Laissez-moi vous redire que la parité ne remet nullement en cause les principes de 1789.
L'égalité entre les hommes et les femmes est notre seul véritable principe constitutionnel. La question qui se pose est celle de sa réalisation effective et, pour cela, je ne fais confiance ni à l'évolution spontanée des choses ni, permettez-moi de le dire, aux seuls partis politiques, quoi-que je fasse plus confiance aux partis politiques de gauche (Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen), ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ça, on le sait !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce n'est pas un scoop !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... qui ont montré récemment qu'ils savaient tout de même aller dans le sens de la modernité, qu'aux partis politiques de droite. (Brouhaha sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, laissez Mme le garde des sceaux s'exprimer !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je fais confiance au législateur pour prendre ses responsabilités.
Plusieurs sénateurs du RPR. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous craignez, dites-vous, que le projet de loi constitutionnelle ne conduise à une république sexuée. Mais, comme l'a dit M. Weber - je le cite de nouveau avec plaisir - cela fait deux cents ans que vous supportez sans inconvénient une république sexiste !
M. Henri de Richemont. Mais non, ce n'est pas vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous craignez que l'on n'ouvre la boîte de Pandore. Mais, comme l'a très bien dit Mme Dinah Derycke, ce n'est pas aller contre l'universalité que de dire que la loi organise les conditions de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.
Bien entendu, nous n'acceptons pas - pas plus, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel - que le peuple soit une addition de catégories ou que certaines sections du peuple s'attribuent la souveraineté.
M. Henri de Richemont. C'est pourtant ce que vous faites !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Mais il ne s'agit pas que de cela. Il s'agit de prendre en compte le fait que l'universel humain est constitué d'hommes et de femmes. D'ailleurs, les hommes demeurent libres et égaux en droit ; et de qui naissent-ils si ce n'est d'un homme et d'une femme ?
M. Henri de Richemont. Et le PACS, alors ? (Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ce que nous voulons, c'est que le souverain cesse de s'identifier avec un universel uniquement masculin, et, pour cela, je préfère faire confiance aux mesures que prendra le législateur plutôt qu'aux partis politiques, qui, dans leur bienveillante bonté, finiraient bien, j'en suis sûre, dans quelques siècles, par faire une place égale aux femmes et aux hommes !
A ceux qui invoquent la liberté de l'électeur, je dirai que cette liberté n'a pas empêché, pendant des siècles, que cet électeur n'ait le choix qu'entre un homme et un autre homme.
M. Paul Masson. Jeanne d'Arc !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Au fond, si vous êtes tous d'accord sur le constat, nombre d'entre vous me semblent surtout d'accord pour ne rien faire ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que celles du groupe communiste républicain et citoyen.) Chaque fois que j'entends dire qu'il faut laisser les mentalités évoluer, qu'on ne change pas la société par décret, j'entends, en réalité, une réticence à agir - réticence pour ne pas dire plus, naturellement !
Je crois, comme l'ont très bien dit Mmes Dieulangard et Pourtaud, que l'heure d'agir est en effet arrivée et qu'il convient que le législateur prenne toutes ses responsabilités.
Nous avons entendu deux interventions dissonantes par rapport à la dominante des groupes politiques : celle de Mme Bardou, à droite de cette assemblée, celle de M. Badinter, à gauche.
Je veux tout d'abord remercier Mme Bardou de ses propos et la féliciter de son indépendance d'esprit.
Je dirai à M. Robert Badinter qu'il a, en effet, dans sa position, le mérite de la continuité, le mérite de la cohérence avec sa conception de l'universalisme, qui n'est pas la mienne, et aussi le mérite de la solidarité intellectuelle avec sa femme, ce dont je le félicite. Je respecte cette approche.
M. Michel Charasse. C'est un républicain !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cette approche philosophique, je la respecte, mais je constate qu'elle a servi, trop souvent, à masquer un sexisme de fait (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) et à admettre au même rang que les hommes uniquement celles des femmes qui, en effet, n'avaient en tête que de ressembler aux hommes, quelquefois même de singer les hommes.
Je crois, moi, que l'on peut vouloir l'égalité dans la différence. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ces deux interventions montrent en tout cas que, au-delà des clivages politiques, c'est bien d'un débat de société fondamental qu'il s'agit ici.
Il faut que les femmes soient aidées par le législateur à accéder aux mandats et aux fonctions électives dont elles ont été trop longtemps privées. Il est temps de ne plus s'accommoder de cette situation, de ne plus faire simplement confiance à l'évolution naturelle des choses. Il est temps que le législateur puisse prendre les mesures qui s'imposent.
C'est la raison pour laquelle j'invite le Sénat à adopter le texte que l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité des votants, tous groupes politiques confondus. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article additionnel avant l'article unique
(réservé)