Séance du 10 mars 1999







M. le président. « Art. 3. - Les textes législatifs sont regroupés dans des codes thématiques. Cette codification se fait, en principe, à droit constant.
« Avant la fin de la présente législature, les textes législatifs relatifs aux domaines énumérés en annexe à la présente loi feront l'objet d'une codification. Dans le même délai, il sera procédé à la refonte des codes dont la liste figure en annexe à la présente loi.
« Le Gouvernement déposera chaque année sur le bureau de chaque Assemblée un rapport sur l'état d'avancement de la codification. »
Je donne lecture de l'annexe :

I. - Codes nouveaux


Code de l'administration ;
Code de la communication et du cinéma ;
Code de la défense ;
Code de l'éducation ;
Code de l'énergie ;
Code de l'entrée et du séjour des étrangers ;
Code de l'environnement ;
Code de la fonction publique ;
Code de justice administrative ;
Code de la magistrature ;
Code monétaire et financier ;
Code du patrimoine ;
Code de la recherche.


II. - Codes à refondre


Code de l'artisanat ;
Code de l'action sociale ;
Code de commerce ;
Code des marchés publics et autres contrats d'intérêt général ;
Code de l'organisation judiciaire ;
Code de la route ;
Code rural (achèvement des livres VI, VII et IX) ;
Code de la santé publique.



Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 3 rectifié, M. Amoudry, au nom de la commission, propose de supprimer cet article et l'annexe.
Par amendement n° 42, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, au début du deuxième alinéa de l'article 3, de remplacer les mots : « Avant la fin de la présente législature, » par les mots : « Dans les 10 ans à compter de la promulgation de la loi n° relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration, ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3 rectifié.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Il s'agit de supprimer l'article 3.
Cet article définit un programme de codification des textes législatifs devant être adoptés avant la fin de la présente législature. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cet article a le mérite de souligner l'importance de la codification, élément essentiel d'un Etat de droit dans la mesure où la codification facilite l'accès des citoyens à l'ordonnancement juridique en vigueur.
Le Sénat, et en particulier sa commission des lois, attache une très grande importance à la codification, comme en témoignent les travaux qu'il a menés lors du débat sur le code général des collectivités territoriales ou sur le code de commerce. Il regrette vivement que ce processus soit interrompu depuis deux ans. Or l'article 3, force est de le constater, n'apporte aucune solution. En effet, seule la volonté politique du Gouvernement d'inscrire des projets de loi de codification à l'ordre du jour des assemblées est susceptible de remédier à ce blocage. L'affichage d'un objectif n'est pas du ressort de la loi.
Au surplus, cet article est inconstitutionnel car il est contraire au principe selon lequel le Parlement ne peut se lier lui-même par une injonction à légiférer, puisqu'il n'est pas maître de l'ordre du jour prioritaire.
J'ajouterai que, dans son premier rapport public 1989-1990, la commission supérieure de codification écrivait elle-même : « Point n'est besoin, pour entreprendre un travail de codification, d'une habilitation du Parlement au Gouvernement, qui n'a pas de portée juridique et s'insère mal dans le cadre constitutionnel issu de la Constitution du 4 octobre 1958. »
C'est la raison pour laquelle, comme je l'ai dit tout à l'heure, je demande, au nom de la commission des lois, un engagement solennel du Gouvernement en faveur de l'inscription à l'ordre du jour des assemblées des projets de loi de codification.
M. le président. La parole est à M. Bret pour présenter l'amendement n° 42.
M. Robert Bret. Il s'agit d'un compromis entre la rédaction initiale et l'amendement de suppression présenté par la commission.
Certes, monsieur le rapporteur, il est techniquement impossible d'atteindre l'objectif de cet article. Vous soulignez d'ailleurs dans le rapport écrit qu'il ne peut y avoir plus de quatre codifications par an. C'est également l'avis de M. Fabius, président de l'Assemblée nationale.
L'annexe de l'article 3 dresse la liste des textes qui devront faire l'objet d'une codification. Quelque vingt et un codes sont concernés. Il ne nous semble pas opportun de supprimer cet article. Il y va de la transparence et du développement de l'accès au droit.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons que les codes cités en annexe soient adoptés par le Parlement dans les dix ans à compter de la date de promulgation de la présente loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 42 ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission émet un avis défavorable, car cet amendement est contraire à celui qu'elle a présenté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 3 rectifié et 42 ?
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Le programme de codification a connu des retards, c'est indéniable. Toutefois, cela ne signifie en rien que le Gouvernement se désengage de cette politique. Il attache une grande importance à la codification, qui constitue à ses yeux un instrument essentiel de transparence et de clarification du droit. M. le Premier ministre a déjà eu l'occasion de le souligner.
Plusieurs reproches sont faits à cet article.
Le premier, c'est d'être un article purement déclaratif. Je ne suis pas certain qu'il n'ait qu'un caractère déclaratif. Cette volonté de mettre en code de manière systématique l'ensemble des textes législatifs et réglementaires n'est pas, me semble-t-il, une simple pétition de principe, benoîte et sans conséquence particulière.
On lui reproche également de constituer une injonction à légiférer. Cette critique ne me paraît pas fondée. Le Parlement peut légitimement se fixer un programme pour légiférer sans que cela s'interprète comme une atteinte à la séparation des pouvoirs.
Je comprends parfaitement les critiques portant sur le calendrier ; l'article peut sans doute être amélioré à cet égard. Il est exact, en effet, qu'il faut forcer la cadence parce qu'un travail considérable a été ou est effectué. Des dizaines de codes sont quasiment prêts â être soumis à l'approbation du Parlement. Or on sait très bien que, lorsque les délais d'attente sont trop importants, le travail fait se périme. Il est facile de dire : le Gouvernement n'a qu'à amputer le reste de son programme législatif pour faire examiner les projets de loi de codification. Ce serait acculer le Gouvernement à des choix, en l'occurrence déchirants, dans lesquels l'intérêt national ne trouverait pas nécessairement son compte. Il est préférable de s'interroger sur la manière d'être plus efficace dans la validation des codes. Pour ma part, j'ai demandé à M. le Premier ministre d'envisager la possibilité d'adopter certains codes par ordonnance, si le Parlement l'y autorise. M. le Premier ministre a consulté sur ce point M. le Président de la République, et je crois pouvoir dire que ce dernier ne s'opposera pas à cette procédure, à savoir le recours à l'article 38 de la Constitution.
En ce qui concerne la codification à droit constant, le projet de loi se borne à rappeler que, par définition, la codification concerne le droit existant. La mention « en principe » montre bien que des exceptions sont possibles et que, de ce fait, le Parlement ne se lie pas lui-même.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 3 rectifié.
S'agissant de l'amendement n° 42, dont le sort est étroitement lié au vote qui interviendra sur l'amendement de la commission, nous ne sommes pas opposés à l'examen éventuel de la réalité de tel ou tel délai ou programme, mais je crois qu'il faudra que nous connaissions auparavant la position de la Haute Assemblée sur l'amendement n° 3 rectifié.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je voudrais apporter deux précisions à la suite des propos qu'a tenus à l'instant M. le ministre.
Tout d'abord, si nous sommes tous d'accord sur la nécessité de sortir de la situation actuelle, nous pensons, pour notre part, que ce n'est pas ce texte qui permettra de trouver la porte de sortie, et c'est la raison pour laquelle nous demandons instamment au Gouvernement de nous annoncer un calendrier précis et des mesures fortes.
Vous nous avez fait part, monsieur le ministre, de l'initiative tendant à essayer de trouver une solution par le biais de l'article 38 de la Constitution et au moyen d'ordonnances. A titre personnel, je ne suis pas opposé à cette démarche.
Toutefois, il ne faut pas mésestimer la difficulté juridique de l'exercice. Conformément à la loi d'habilitation adoptée par le Parlement, le Gouvernement légifère par voie d'ordonnance. Mais entre la date de la publication au Journal officiel de l'ordonnance et l'adoption du projet de loi de ratification, l'ordonnance a simple valeur d'acte réglementaire. Portant sur des lois qui préexistent, ce n'est peut-être pas aussi évident qu'il y paraît.
En tout cas, monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous nous avez apportées.
Par ailleurs, pour étayer les éléments juridiques qui ont été pris en compte par la commission, je rappellerai à la Haute Assemblée, en contrepoint à l'analyse juridique faite par M. le ministre voilà quelques instants, que nous nous appuyons sur une réponse faite à notre collègue M. Georges Gruillot par M. le Premier ministre, le 5 octobre 1995 : « Le recours à une loi de programme - de codification - aurait l'intérêt de soumettre ce programme de travail à l'approbation solennelle de la représentation nationale. Cependant, ce procédé pourrait être regardé comme une injonction à légiférer contraire au principe de séparation des pouvoirs tel que l'entend le Conseil constitutionnel. »
Cette décision du Conseil constitutionnel soulignait que « la référence faite à une réforme législative dont le Parlement sera saisi avant le 31 décembre 1990 a le caractère d'une injonction adressée au Gouvernement de déposer un projet de loi ; une telle disposition ne trouve de base juridique ni dans l'article 34, ni dans aucune des autres dispositions de la Constitution ».
Voilà donc la base du raisonnement juridique de la commission.
J'ajoute que, s'agissant de la fixation de la méthode de travail et de la codification à droit constant, cela reviendrait pour le Parlement à se lier lui-même et à restreindre juridiquement sa marge de manoeuvre, ce qui paraît, là aussi, contraire à la Constitution, laquelle lui confère le droit d'amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3 rectifié.
M. Jacques Mahéas. Je demande la parole contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Nous sommes opposés à la suppression de l'article 3. Puisque nous sommes le législateur et puisque nous voulons donner à nos concitoyens la possibilité de consulter des codes qui soient à jour, je ne comprends pas que nous n'incitions pas nous-mêmes et le Gouvernement à agir sinon au plus vite, du moins dans un délai raisonnable.
Certes, nous avons pris du retard en ce qui concerne le chantier de la codification. Les délais devront certainement être prolongés. D'ailleurs, nous ne sommes pas opposés à étudier favorablement le délai proposé par les membres du groupe communiste républicain et citoyen. Néanmoins, ce n'est pas une raison pour supprimer purement et simplement cette disposition qui est un élément majeur et fondamental pour que nos concitoyens puissent accéder au droit.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 et son annexe sont supprimés et l'amendement n° 42 n'a plus d'objet.

Intitulé du chapitre Ier (suite)