Séance du 4 mai 1999






RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce rappel au règlement, je le fais au nom des membres de la majorité sénatoriale, en plein accord avec mes collègues Josselin de Rohan, président du groupe du Rassemblement pour la République, Henri de Raincourt, président du groupe des Républicains et Indépendants, et Guy Cabanel, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
Les derniers développements de ce qu'il faut bien appeler une affaire d'Etat, voire un mensonge d'Etat, révèlent une sorte de délitement, un vrai dysfonctionnement de l'autorité publique.
La gendarmerie et le corps préfectoral, deux piliers de l'ordre républicain, sont aujourd'hui mis en cause. Fait sans précédent dans l'histoire de la Ve République,...
M. René-Georges Laurin. Et même de la IVe République !
M. Jean Arthuis. ... un préfet et son directeur de cabinet sont placés en garde à vue.
Un coup terrible est porté à l'autorité de l'Etat et à la légitimité de la politique conduite par le Gouvernement en Corse.
L'Etat se doit d'être exemplaire s'il veut que soient respectées en tout lieu les lois de la République. Il ne peut se prêter à de viles méthodes. C'est toute son autorité qui est ébranlée, ce sont sa respectabilité et sa crédibilité qui sont aujourd'hui à l'épreuve.
Monsieur le ministre, comme la semaine passée, nous exigeons de connaître la vérité, toute la vérité. Nous voulons que toute la lumière soit faite sur les responsabilités, à tous les niveaux.
Aujourd'hui, répondant aux questions de nos collègues à l'Assemblée nationale, M. le Premier ministre a cru pouvoir affirmer qu'aucun des ministres concernés et qu'aucun des membres de son propre cabinet n'était impliqué dans ce qu'il a lui-même qualifié - et le mot est sans doute un peu faible - de « déplorable affaire ».
M. Hilaire Flandre. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jean Arthuis. Mais alors, monsieur le ministre de l'intérieur, un doute nous étreint : doit-on comprendre que des membres des cabinets des ministres de l'intérieur, de la défense ou de la justice aient pu recevoir des informations ou donner des instructions ?
Monsieur le ministre de l'intérieur, nous nous interrogeons : qu'en est-il des membres de votre cabinet ? Ont-ils reçu des informations ? Ont-ils donné des instructions avant ces faits ?
Désormais, comment allez-vous rétablir l'Etat de droit en Corse ?
Nous sommes troublés, désorientés, inquiets, et, en l'absence de réponses claires et convaincantes de votre part - mais sans doute voudrez-vous bien les formuler en cet instant - nous serions dans l'obligation de demander une suspension de séance (Protestations sur les travées socialistes) afin de retrouver notre sérénité et d'examiner dans de meilleures conditions le texte fondamental sur l'intercommunalité dont nous sommes saisis. (Vifs applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Nouvelles protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen).
M. Jean Chérioux. Assez, les donneurs de leçons !
M. le président. Monsieur Arthuis, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais répondre point par point à l'intervention de M. Arthuis.
Avant de parler de « mensonge d'Etat », monsieur le sénateur, il faut, me semble-t-il, bien peser vos propos. Je ne saurais trop vous inciter à la prudence et à la circonspection dans une affaire de cette nature. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste).
Pour le moment, trois défaillances individuelles sont apparues, celles des trois gendarmes qui ont avoué avoir incendié cette paillote. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Qui les commande ?
M. Jean Chérioux. Sur ordre de qui ?
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Laissons M. le ministre de l'intérieur s'exprimer !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Deux corps, dites-vous, sont mis en cause. Non ! Ces défaillances individuelles ne sauraient entacher l'honneur de la gendarmerie, cette arme que nous respectons. Nous connaissons les services qu'elle rend, et les défaillances individuelles (Les exclamations redoublent sur les mêmes travées)...
M. Philippe Marini. Ce sont les ordres qui sont mis en cause !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... méritent d'être sanctionnées dès lors qu'elles ont été mises en lumière, mais elles ne sauraient porter atteinte à l'honneur de l'arme.
M. Jean-Louis Carrère. On va leur rappeler Ouvéa !
Un sénateur du RPR. C'est le Rainbow-paillote ! (Sourires).
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Quant au préfet Bonnet, je l'ai reçu pendant plus d'une heure dans mon bureau. Je l'ai interrogé de manière approfondie et il m'a assuré n'être pour rien dans cette affaire. (Exclamations dubitatives sur les mêmes travées).
J'ai sur moi la lettre qu'il m'a adressée hier soir...
M. Hilaire Flandre. Par Chronopost !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur... et que j'ai reçue ce matin, où il me donne sa parole d'honneur de qu'il n'a rien su de ce qui se tramait. (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.)
M. Michel Pelchat. Il faut le décorer, alors !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Par conséquent, je voudrais que vous ayez la prudence, l'objectivité et le souci de la justice nécessaires pour que, avant de le condamner, vous puissiez entendre ses arguments.
M. Alain Gournac. Nous n'avons pas lu cette lettre !
M. Jean Arthuis. Nous voulons la vérité !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Les propos du lieutenant-colonel Cavalier sont à verser au dossier. C'est sur cette base que le général Lepetit, agissant en tant qu'officier de police judiciaire, a mis en garde à vue le préfet et son directeur de cabinet.
Vous avez raison de dire que c'est une première. En effet, c'est une première !
M. Philippe Marini. Sous toutes les républiques !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est un coup - dites-vous - qui est porté à la légitimité. Ce qui peut atteindre l'Etat de droit, c'est le grave dysfonctionnement qui fait que des hommes chargés de l'établir le violent.
M. Dominique Braye. Et sur ordre !
M. Jean Chérioux. Oui, sur ordre de qui ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Permettez-moi de vous dire que, dans l'état actuel des choses, ni le colonel Mazères ni, à plus forte raison, le préfet Bonnet n'ont reconnu leur faute. Avant de chercher des responsables à un plus haut niveau, il faudrait essayer de faire la lumière sur les faits qui se sont produits. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. La semaine dernière, ils n'avaient rien fait ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est naturellement l'objectif du Gouvernement. Il ne modifiera pas sa politique, qui tend à rétablir l'Etat de droit. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
M. Gérard Larcher. C'est de politique qu'il faudrait changer !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Cette politique d'établissement de l'Etat de droit gêne, c'est vrai, de nombreux intérêts : des dizaines d'enquêtes ont été diligentées à l'encontre de ceux qui avaient réussi à créer une atmosphère de terreur, obtenant des passe-droits sous la menace et exerçant des pressions totalement inadmissibles. Ainsi, la Corse se trouvait dans un climat politico-mafieux, et je ne remonte pas plus haut dans la chaîne des responsabilités.
M. Dominique Braye. Ce sont les mêmes méthodes !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. A partir de là, j'ai été sensible au fait que le préfet Bonnet accepte sans barguigner la responsabilité que le Gouvernement lui proposait. Il s'est comporté avec courage et détermination, jusqu'à ces faits qu'il faut élucider, et, croyez-le, le Gouvernement met tout en oeuvre pour y parvenir.
M. Philippe Marini. C'est beaucoup moins clair que ce que vous disiez la semaine dernière !
M. Dominique Braye. Ça change toutes les semaines.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je fais également confiance à la justice pour établir la lumière, et c'est exemplaire, car je pourrais citer de nombreux dysfonctionnements qu'on a cherché à étouffer. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Jean-Louis Carrère. Cela change tout !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En l'espèce, il n'y a rien eu de tel.
Le Premier ministre l'a assuré, aucun ministre ni aucun membre de son cabinet n'est concerné. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
Les membres de mon cabinet ont-ils reçu des informations, ou donné des instructions ? Pensez-vous franchement qu'une telle instruction puisse être donnée, tant elle est absurde, ridicule et contraire à la politique menée par le Gouvernement ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Gérard Cornu. Responsable mais pas coupable !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Non ! Ce n'est pas du tout mon propos !
Permettez-moi de rappeler les faits : une trentaine de paillotes avaient été dressées illégalement sur le domaine public maritime.
M. Philippe Marini. Elles étaient là depuis longtemps !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Des décisions de justice, certaines remontant à plus de dix ans, avaient prescrit leur destruction, mais jamais ces décisions n'avaient été exécutées.
Grâce à l'action du préfet Bonnet (Brouhaha et rires sur les mêmes travées), plusieurs dizaines de ces paillotes ont été détruites par le génie militaire, ou par d'autres moyens civils.
Personnellement, je me pose une question, parce que le lieutenant-colonel Cavalier affirme qu'au mois de mars le préfet Bonnet aurait donné l'ordre d'incendier des paillotes. Or, à l'époque, il n'avait pas besoin de le faire puisque, une décision de justice ayant été rendue, il suffisait de faire fonctionner les bulldozers. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) Il y a donc là quelque chose de bizarre. Je vous le dis, parce que je n'ai aucune raison de vous cacher quoi que ce soit. (Brouhaha persistant.)
A partir de là, une motion a été votée, sur proposition des nationalistes, à l'assemblée de Corse, le 9 avril dernier, afin qu'il soit sursis à la destruction des paillotes.
M. Léotard, qui déjeunait, comme par hasard, dans l'une de ces paillotes,...
M. Henri de Raincourt. Il était en train de courir ?
M. Hilaire Flandre. Il faisait le marathon des paillotes ! (Rires.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... a joint sa voix à celle de l'assemblée de Corse, ce que voyant, le préfet Bonnet a accepté de surseoir jusqu'au mois d'octobre, c'est-à-dire de laisser subsister les paillotes pendant la saison touristique.
Un sénateur du RPR. Il aurait mieux fait d'aller à Lourdes !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. L'incendie s'est produit dix jours après, dans des conditions que nous cherchons à élucider.
Je ne fais que rappeler les faits, et, naturellement, il n'y a eu aucune information quant à la commission d'actes délictueux ou même criminels, ni, bien entendu, aucune instruction à cet égard. (Protestations véhémentes sur les mêmes travées.)
M. Jean-Louis Carrère. Ils sont en train de faire leur liste d'union !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Comment rétablir l'Etat de droit ? C'est, mesdames, messieurs les sénateurs, notre travail à tous de faire en sorte que l'Etat de droit puisse exister en Corse, comme ailleurs en France.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Cela demande aussi que l'on n'exploite pas d'une manière abusive des faits qui sont condamnables...
M. Hilaire Flandre. On peut quand même en parler !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... et qui doivent entraîner des sanctions, dans la mesure où, je le crois, aujourd'hui, la loi a été très clairement violée,...
M. Jean Chérioux. Des sanctions à tous les niveaux !
M. Philippe Marini. Ça, on ne le savait pas la semaine dernière !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... dans des conditions qu'il faut bien élucider.
Mais je tiens à vous mettre en garde contre une exploitation qui ferait le jeu des nationalistes et des terroristes. (Brouhaha sur les mêmes travées,...)
M. Gérard Larcher. Cela ne marche pas !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... qui ont l'audace aujourd'hui d'accuser l'Etat d'avoir commis trois ou quatre attentats dans un tract où ils en revendiquent une dizaine d'autres ! Ils peuvent, comme Me Sollacaro, bâtonnier du barreau d'Ajaccio, qui est un militant nationaliste bien connu, s'ériger en procureurs !
M. Josselin de Rohan. Il y a des attentats qui réussissent et d'autres qui échouent !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je crois qu'il faut se garder d'apporter de l'eau à ce moulin (Exclamations ironiques sur les mêmes travées),...
M. Gérard Larcher. L'eau, c'est un peu tard !
M. Dominique Braye. Ça sent le brûlé !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... car cela ne peut que déstabiliser davantage l'Etat de droit, qui est de l'intérêt de tous et qu'une très grande majorité de Français, en Corse comme sur le continent, approuvent.
J'aimerais que, sur ces affaires, nous gardions le souci de l'objectivité et de la justice pour faire la lumière et prendre les sanctions qui s'imposent,...
M. Jean Chérioux. A tous les niveaux !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... mais en situant les responsabilités là où elles sont. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Vives protestations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini. C'est lumineux !
M. Gérard Larcher. On n'a pas avancé, mais on a eu la lumière !
M. Jean-Louis Carrère. Voilà le programme de la droite pour les européennes !
M. le président. Monsieur Arthuis, maintenez-vous votre demande de suspension de séance ?
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, le Premier ministre a mis un soin particulier...
Mme Hélène Luc. Attendez ! Ce n'est pas possible !
M. le président. Monsieur Arthuis, pardonnez-moi de vous interrompre, mais je ne puis ouvrir un débat après la réponse de M. le ministre. Je souhaite simplement savoir si vous maintenez votre demande de suspension de séance.
M. Jean Arthuis. Cela n'est pas un débat, monsieur le président ! Je veux seulement justifier cette demande de suspension de séance.
M. Jacques Chaumont. Très bien !
M. Jean Arthuis. Le doute subsiste, parce que le Premier ministre a mis un soin particulier à bien préciser que les autorités que sont le ministre de la défense, le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux, mais aussi lui-même et ses collaborateurs à Matignon (Protestations sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen) ...
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, ce n'est pas possible !
M. le président. Monsieur Arthuis, maintenez-vous oui ou non votre demande de suspension de séance ?
M. Jean Arthuis. Dans la mesure où le doute n'a pas été levé par M. le ministre de l'intérieur, je demande en effet que la séance soit suspendue.
M. Claude Estier. C'est vraiment lamentable !
M. Jean Chérioux. Qui est-ce qui est lamentable ?
M. le président. Pour combien de temps, monsieur Arthuis ?
M. Jean Arthuis. Un quart d'heure, monsieur le président.
M. le président. Nous reprendrons donc nos travaux à dix-sept heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.)