Séance du 5 mai 1999







PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'épargne et à la sécurité financière.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur l'épargne et la sécurité financière a des objectifs ambitieux.
Il réforme le statut des caisses d'épargne, qui font partie de la vie quotidienne des Français. Il renforce les moyens de contrôle et de surveillance sur les établissements de crédit, les sociétés d'assurances et les entreprises d'investissement, action salutaire pour éviter de nouveaux sinistres. Enfin, il modifie le régime des obligations foncières, ouvrant ainsi la voie à des financements de prêts mieux sécurisés et il donne, par là, une nouvelle chance au Crédit foncier.
Sur les grandes orientations de votre texte, monsieur le ministre, je vous dirai d'entrée de jeu mon accord. Vos arbitrages ont fait preuve de prudence pour ne pas ruiner l'acquis d'une longue et riche histoire, je pense à celle des caisses d'épargne, tout en permettant l'évolution nécessaire. De plus, le débat à l'Assemblée nationale a permis d'heureuses adjonctions ou précisions qui confirment leur vocation à rester dans le champ de l'utilité sociale.
S'agissant du livret A, vous vous refusez à juste titre à sa banalisation sans cesse réclamée par les banques. Vous maintenez ainsi à la fois une ressource pour le logement social et un instrument de socialisation et d'intégration pour la partie la moins fortunée de la population.
C'est une attitude courageuse, même si cela ne règle pas au fond l'accès de tous aux services financiers de base que, justement, les banques ont cessé d'assurer. C'est un sujet sur lequel nous reviendrons, car la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions n'apporte pas de solution.
Restent tout de même une inquiétude forte et quelques interrogations.
L'inquiétude porte sur la capacité des caisses d'épargne à « absorber » dans le délai imparti, quatre ans, le choc du changement de statut et du fardeau financier que représentent les diverses dispositions du texte de loi. Plus particulièrement, outre la ponction directe prévue par la loi de finances pour 1999, la rémunération du capital social s'ajoutant à l'obligation de consacrer le tiers des résultats à des actions d'intérêt général risque de compromettre l'avenir du nouvel organisme.
Monsieur le ministre, vous faites prendre un risque à cet établissement, jusqu'ici adossé à de confortables réserves, qui, soudain, devra faire face à des sorties considérables, d'autant que demeure le redoutable problème du financement des retraites.
Sur ce point central, la position du Gouvernement doit évoluer et le Parlement a le devoir de proposer un rééquilibrage. Deux façons permettent d'y parvenir : soit en doublant la durée de la période transitoire, soit en diminuant d'un tiers le capital social, ce qui serait la mesure la plus logique eu égard à la modification intervenue à l'Assemblée nationale. On peut aussi songer à un mixte des deux.
J'exclus en tout cas, pour ma part, le statu quo pour une autre raison d'ailleurs : une fragilisation de l'assise financière des caisses d'épargne aurait une conséquence inéluctable, la rétraction rapide du réseau par regroupement des caisses locales au détriment des zones rurales et des quartiers urbains les plus sensibles.
Jusqu'ici, les caisses d'épargne sont implantées là où vivent les Français. Elles assument, par leur présence, une mission de cohésion sociale et d'aménagement du territoire à laquelle les élus locaux et les personnels sont attachés. Je craindrais le pire si cette dimension-là n'était pas intégrée au calcul de rentabilité du futur organisme. Sur ce point, aussi, nous avons besoin d'être rassurés.
La vente des parts sociales induit un autre risque, celui d'une sélection par l'argent, en contradiction avec la philosophie d'un établissement voué, pour partie, à l'intérêt général et doté d'un statut coopératif. La bonne solution serait de distribuer une part sociale à chaque déposant, et les arguments juridiques avancés contre cette solution par vos services ne me convainquent pas. A défaut, pourtant, il convient de prévoir un dispositif qui permette d'ouvrir le capital aux revenus modestes en leur proposant une part sociale à faible coût.
Derrière ce débat, apparemment technique, se cache tout le problème de l'adéquation des orientations de l'article 1er avec les moyens que le texte met en oeuvre.
Autre préoccupation : quel sera le statut du dividende social face à l'impôt ? Les caisses d'épargne subiront-elles un double prélèvement ? Il est important que le Gouvernement clarifie cette question et rassure les salariés de l'entreprise.
Reste, enfin, un point délicat : la représentation des personnels à la commission paritaire par le biais de leurs organisations syndicales. Le texte de loi affaiblit la position des syndicats majoritaires au profit d'organisations, certes légitimes, mais moins bien implantées. Le conflit en cours à la SNCF plaiderait, au contraire, monsieur le ministre, pour le maintien du statu quo . Nous écouterons avec intérêt vos explications.
Faute de temps, je n'ai pas abordé en détail les deux autres chapitres de cet important projet de loi. Je me contenterai de dire mes craintes sur la faiblesse de l'encadrement des prêts cautionnés par rapport au système hypothécaire. Selon mes informations, les sinistres recommencent à croître très vite dans ce secteur. Nous devrons donc en reparler.
Enfin, je veux saisir l'occasion pour me féliciter du nouveau cours engagé par vous-même sur le dossier du Crédit foncier. Je lis avec quelque jubilation l'appréciation positive portée par notre rapporteur sur cet établissement, dont les missions d'intérêt général demeurent au coeur de la culture de ses salariés.
Nous abordons à présent la dernière phase de règlement de ce dossier avec, cette fois, des chances réelles de succès. Encore faut-il que cet établissement mixte demeure dans le champ du pôle semi-public financier. Les caisses d'épargne peuvent lui donner cette opportunité. J'y suis pour ma part très favorable, compte tenu que La Poste a été écartée, l'an passé, sans que Bercy ne fournisse la moindre explication, ce qui était - je le note au passage - inacceptable.
Au total, monsieur le ministre, il s'agit d'un texte intéressant, novateur sous certains aspects, utile pour conforter l'ensemble du système financier français. Le débat au sein de la Haute Assemblée devrait l'améliorer encore, notamment sur la question cruciale de l'équilibre financier durant la période transitoire. Sous cette réserve, je voterai avec plaisir l'ensemble de votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière vise à réformer profondément le cadre juridique des caisses d'épargne et de prévoyance, à assurer une meilleure protection des épargnants et à développer les produits hypothécaires en France.
Voilà un programme bien ambitieux pour un seul projet de loi. A elle seule, la modification du statut des caisses d'épargne aurait pu justifier un projet de loi spécifique tant les enjeux de cette réforme sont importants.
Sur cet aspect du dossier, ma collègue Marie-Claude Beaudeau exprimera la position du groupe communiste républicain et citoyen.
Nous comprenons les objectifs du Gouvernement, qui cherche un point d'équilibre entre la nécessité de faire évoluer les caisses d'épargne pour les aider à affronter la concurrence sévère dans le domaine bancaire et l'exigence du maintien de ses spécificités.
Le statut coopératif ne nous paraît pas en soi une évolution dangereuse pour l'avenir des caisses d'épargne. Au contraire, sur certains aspects, il comporterait même des avantages. Je pense notamment à la possibilité, grâce à la direction unifiée, de définir et de mettre en oeuvre une véritable stratégie de groupe pour assurer le développement à moyen et à long terme.
Néanmoins, il nous semble indispensable que ces évolutions ne se réalisent pas au détriment des missions d'intérêt général que remplissent les caisses d'épargne. Cela implique, selon nous, que les épargnants, les salariés et les partenaires, au premier rang desquels figurent les collectivités territoriales, soient pleinement associés au fonctionnement des caisses d'épargne et à la définition des missions d'intérêt général. A mon sens, cela est possible à la condition que ce passage au statut coopératif se fasse progressivement, dans le dialogue.
Comme le dira ma collègue Marie-Claude Beaudeau, nous nourrissons quelques craintes sur la poursuite des missions d'intérêt général.
Certes, pour la première fois de leur histoire, ces missions sont reconnues et définies par la loi et le travail d'amendement des députés de la majorité plurielle a contribué à les étoffer. Cependant, à nos yeux, le projet de loi ne donne pas suffisamment aux caisses d'épargne les moyens financiers ou politiques d'appliquer ces principes.
Or, s'il est exact de dire qu'en termes de rendement les caisses d'épargne ne figurent pas parmi les premières entreprises agissant dans ce secteur, elles occupent dans le champ social, notamment avec La Poste et les comptes courants postaux, une place de premier ordre.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Paul Loridant. Je pense en particulier aux ménages en situation de surendettement et aux 2,5 millions de personnes privées de chèques, mais aussi à tous les RMIstes et aux personnes au revenu modeste victimes de fait de l'exclusion bancaire, au nom des impératifs de rentabilité. Ces personnes ont néanmoins besoin d'un compte bancaire ne serait-ce que pour percevoir les allocations.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Paul Loridant. J'ajoute, et sur ce point nous proposerons un amendement, qu'il faut veiller à ce que la réforme ne s'accompagne pas d'un recul social pour les salariés des caisses d'épargne. Je pense, en particulier, au fonctionnement de la commission paritaire nationale, à la place des syndicats représentatifs, ainsi qu'au problème des retraites.
J'en viens à la seconde partie du projet de loi, qui mérite, à mon sens, une attention au moins aussi importante, si ce n'est plus, que la réforme des caisses d'épargne.
Les dispositions, vous l'avez dit, monsieur le ministre, sont certes techniques et un peu austères mais elles visent un objectif important : assurer la protection des épargnants et lutter contre l'insécurité financière, dans le cadre d'une harmonisation européenne toujours prégnante.
Il est vrai que l'exacerbation de la logique libérale, la recherche du profit immédiat ou la primauté exclusive donnée au rendement sur fonds propres ont largement contribué à l'insécurité financière, jusqu'à faire plonger, en 1998, 40 % de la planète dans la récession. Parmi ces pays en crise se trouvent ceux qui, hier encore, étaient cités en exemple par les thuriféraires du libéralisme pour la performance de leur système financier et la flexibilité de leur main-d'oeuvre.
L'intervention de l'Etat, hier vouée aux gémonies, est saluée partout, notamment au Japon, où le Gouvernement va consacrer plus de 3 000 milliards de francs pour nationaliser ou renflouer les banques menacées par les revers de fortunes considérables de certains fonds spéculatifs auxquels elles avaient imprudemment consenti des prêts.
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais il s'en passerait très bien !
M. Paul Loridant. Sur ce sujet, comment ne pas relever l'originalité de la position du rapporteur, qui qualifie le dispositif de sécurisation d'« incomplet » ? Serait-ce à dire que les libéraux souhaitent une intervention plus vigoureuse de l'Etat pour imposer aux marchés financiers des règles du jeu plus strictes ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais les vrais libéraux l'ont toujours dit !
M. Paul Loridant. Pour critiquer depuis longtemps la déstabilisation de l'économie « réelle » par la logique financière, je ne peux que me réjouir de l'instauration de moyens d'action pour les autorités de contrôle du secteur financier, de la mise en place de dispositifs innovants de garantie des épargnants et des assurés, enfin de la clarification et de l'amélioration des procédures de redressement des entreprises financières.
En ce qui concerne la mise en place d'un véritable marché des obligations foncières, j'aimerais faire quelques remarques.
C'est un volet important de ce projet de loi car il crée un produit nouveau touchant au financement de l'immobilier et des collectivités territoriales.
Si je comprends la démarche du Gouvernement, qui répond à des impératifs d'harmonisation en vue de garantir et de développer la compétitivité de la place financière de Paris, encore faut-il que cette harmonisation européenne se traduise, pour les consommateurs et pour les salariés exerçant dans le secteur, par des avantages ou une amélioration de leur statut.
Pour être compétitives par rapport aux Phandbriefe allemands, les obligations foncières françaises, gérées par des filiales spécialisées d'établissements exerçant des activités dans le secteur immobilier ou par des collectivités locales, seront assorties d'un super privilège dérogatoire à la législation sur les procédures collectives et sur le privilège du Trésor public.
En clair, cela signifie qu'en cas de défaillance ou de faillite, les créanciers de ces sociétés de crédit foncier seront remboursés avant le fisc et, plus grave encore, avant les salariés. Il s'agit là d'une brèche importante et dangereuse ouverte dans notre législation.
A quel niveau et au profit de qui doit s'effectuer l'harmonisation européenne ? Quel est le pays de référence ? Quelles sont les dispositions de référence ? Ces questions méritent d'être posées. M. le rapporteur ne nous propose-t-il pas, toujours en s'appuyant sur la nécessité de garantir la compétitivité de la place de Paris, de remettre en cause les dispositions de la loi Scrivener, auxquelles pourtant nous sommes très attachés, nous saurons le redire à l'occasion du débat.
Monsieur le ministre, sachez que s'il approuve l'orientation générale du texte, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite néanmoins que son examen nous donne l'occasion d'ouvrir un dialogue fructueux entre vous-même et les différents partis de la majorité plurielle.
En tout cas, le groupe communiste républicain et citoyen se déterminera pour le vote final en fonction des amendements de la majorité sénatoriale et de la rédaction finale du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne réussit pas une réforme des caisses d'épargne si l'on ne prend pas scrupuleusement en compte les aspirations légitimes des déposants et si, dans le même temps, on ne se préoccupe pas des revendications tout aussi légitimes des salariés.
Considérant qu'elles ne peuvent pas être complètement satisfaites dans cet hémicycle, voire dans la loi, je n'accorderai pas une large part dans mon intervention aux revendications des salariés. Je me contenterai de rappeler à M. le ministre et à mes collègues les deux préoccupations essentielles qui les assaillent : il s'agit, d'une part, du règlement de la caisse générale de retraite, d'autre part, de la question lancinante de l'organisation du travail au sein du groupe des caisses d'épargne et de la réduction du temps de travail, sujet à l'ordre du jour dans nombre de grands groupes en ce moment.
Monsieur le ministre, je voudrais, au nom du groupe socialiste, intervenir plus spécifiquement - vous l'avez bien compris - sur la partie de votre projet de loi qui est relative à la réforme des caisses d'épargne.
Dès la création de la première caisse d'épargne, la Caisse d'épargne de Paris, par Benjamin Delessert en 1818, et dès la première loi les concernant, en 1835, toujours sur initiative de Benjamin Delessert, les caisses d'épargne ont acquis leurs traits caractéristiques : ce sont des établissements privés d'utilité publique ; les collectivités locales participent à leur gestion ; leur objectif est social, à travers le développement de l'épargne populaire.
Leur développement et leur transformation en groupe bancaire à vocation généraliste durant ces trente dernières années, évolution qui s'est accélérée avec la loi du 1er juillet 1983, puis la loi du 10 juillet 1991, n'ont en rien modifié ces caractéristiques, notamment la vocation sociale et la place à part des caisses d'épargne dans le paysage économique et bancaire.
Elles sont ainsi devenues le grand réseau bancaire de l'économie sociale. Elles représentent en effet, aujourd'hui, le premier interlocuteur financier des Français, avec 40 millions de comptes gérés. Elles sont le deuxième établissement financier pour le réseau, avec 5 000 agences et des encours de dépôts et de placements supérieurs à 1 500 milliards de francs. Enfin, leurs résultats financiers sont très corrects.
Dès lors, on peut se demander pourquoi revenir une nouvelle fois sur la question de leur statut.
En une décennie, l'économie et particulièrement l'économie financière se sont profondément modifiées. On appelle cela - vous le rappeliez ce matin, monsieur le ministre - la « globalisation financière ». Cela a eu notamment pour conséquence une modification rapide de l'environnement concurrentiel en Europe, maintenant en France, ainsi qu'une profonde transformation du métier bancaire.
Dans ce contexte, les caisses d'épargne doivent s'adapter et terminer leur transformation pour demeurer ce grand réseau bancaire différent à vocation sociale auquel les Français sont très attachés.
Elles doivent, en particulier, clarifier leur définition juridique et leurs missions d'intérêt général, ne serait-ce que pour éviter qu'un jour un gouvernement de tendance libérale ne veuille en faire un réseau bancaire comparable aux autres, ce qui serait la négation même de leur histoire et de leur vocation.
Elles doivent également pouvoir nouer des partenariats, afin de ne pas demeurer isolées face aux nouveaux mastodontes financiers et mieux définir leurs rapports avec leur partenaire privilégié qu'est la Caisse des dépôts et consignations.
Elles doivent enfin renforcer leur rentabilité et réduire leur coefficient d'exploitation - même si ce n'est pas leur credo absolu - pour ne pas voir leur place s'éroder progressivement et maintenir ainsi leur rang dans ce secteur bancaire devenu très concurrentiel.
Cependant, cette réforme nécessaire ne doit pas remettre en cause les spécificités des caisses d'épargne et leur place originale dans le paysage financier français. Elle doit, au contraire, les conserver et les renforcer. Cela est tout à fait fondamental pour nous.
C'est pourquoi nous aurions refusé et nous combattrons toute tentative de banalisation des caisses d'épargne. Je rappellerai les déclarations faites par M. Arthuis, lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances,...
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère. ... sur sa volonté de « donner aux Caisses d'épargne un statut qui leur permette de devenir une entreprise bancaire comparable aux autres établissements ».
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est ce que nous sommes en train de faire !
M. Jean-Louis Carrère. Peut-être n'avons-nous pas la même interprétation... Si vous m'écoutiez un peu plus, vous verriez que nos interprétations divergent.
Cette volonté de banalisation me paraît malheureusement être celle de la majorité de la commission des finances. Je ne peux donc que constater nos divergences et regretter que, comme il y a cent vingt ans, en 1878, sur un projet de loi créant la Caisse nationale d'épargne, la majorité conservatrice du Sénat s'oppose au développement des caisses d'épargne.
M. Philippe Marini, rapporteur. Oh !
M. Jean-Louis Carrère. Si, au début du xixe siècle, notre pays a eu besoin d'établissements financiers dont la finalité n'était pas le profit, pensez-vous que cela ne soit plus nécessaire aujourd'hui, notamment pour concourir à réduire la fracture sociale ? Contrairement à ce que j'ai pu entendre ici ou là, les caisses d'épargne sont donc non pas une curiosité à l'heure de la mondialisation, mais une nécessité. Les banques privées sont lancées dans une course au gigantisme, sont essentiellement préoccupées par la gestion de grands portefeuilles, l'ingénierie financière, les activités de marché, et n'ont plus les yeux de Chimène que pour un taux de rentabilité de l'ordre de 15 %.
M. Michel Sergent. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Dans ce contexte, qui s'intéressera encore aux petits comptes, aux petites entreprises locales, au secteur social, au développement de l'épargne des couches populaires ?
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Qui diffusera un capital risque de proximité et solvabilisera des demandes de financement qui ne trouveront pas intérêt auprès de banques uniquement préoccupées de rentabilité à court terme ?
La diversité des objectifs et des statuts est donc toujours une bonne chose pour le financement d'une économie qui ne peut être résumée à ce casino mondial dont nous voyons jour après jour les effets dévastateurs.
Quel serait l'intérêt d'une uniformisation des statuts et quel serait l'intérêt pour notre économie d'une banalisation des caisses d'épargne ? Cette nécessité de statuts diversifiés est d'ailleurs bien comprise par nos concitoyens. Un sondage réalisé voilà quelques années a montré que les Français considéraient que les caisses d'épargne avaient un rôle particulier à jouer dans le paysage bancaire français avec une mission d'intérêt général. Le slogan de l'Ecureuil : « Faire de la banque autrement » est donc bien compris et pertinent aux yeux de ses clients.
L'adaptation du statut doit donc au contraire s'effectuer, selon nous, dans la tradition et la vocation des caisses d'épargne, résumées par quatre grands principes approuvés à l'unanimité en 1983 par le Parlement : le caractère non lucratif ; la promotion et la collecte de l'épargne, le développement de la prévoyance en vue de la satisfaction des besoins familiaux et collectifs ; l'utilisation des ressources au profit de l'économie sociale et locale, en liaison avec les collectivités territoriales ; enfin, la primauté du rôle des caisses d'épargne dans le financement du logement social et dans l'aménagement du territoire.
La réforme des statuts doit même renforcer cette vocation spécifique des caisses d'épargne dans l'aménagement du territoire, le développement économique local, en partenariat avec les collectivités territoriales et le soutien aux catégories les moins aisées de la population.
La réforme doit également permettre aux déposants de mieux participer au contrôle de leur caisse, dans l'esprit de la tradition mutualiste française. C'est également l'occasion de préciser la nature et les composantes du réseau afin de renforcer la cohérence des actions, même si le réseau doit rester décentralisé.
Monsieur le ministre, il nous semble que la réforme que vous nous proposez, au nom du Gouvernement, doit permettre de réaliser cette nécessaire adaptation dans le respect des spécificités des caisses d'épargne et de leur vocation historique. C'est pourquoi nous la soutenons.
En effet, le projet de loi affirme et étend les missions d'intérêt général des caisses d'épargne, maintient leur caractère propre, qui veut que le profit ne soit pas leur objectif exclusif, en en faisant une banque coopérative, et renforce la cohérence et la gestion des caisses.
Le premier élément fondamental du texte touche au statut des caisses d'épargne, qui sera désormais celui d'une banque coopérative. A l'encontre d'une société commerciale classique, dont l'objet premier est la réalisation de profits, elles conservent bien leur caractère propre et voient ainsi leur positionnement historique spécifique renforcé. Ce choix de la coopération ouvre également la voie à une plus grande participation des déposants.
Mais cela ne serait pas suffisant pour sauvegarder leur spécificité.
Ce statut coopératif est donc complété par une reconnaissance explicite des missions d'intérêt général assumées par les caisses d'épargne : c'est le deuxième élément fondamental du projet de loi.
Parmi ces missions, le texte énumère la participation à la mise en oeuvre des principes de solidarité et de lutte contre les exclusions, la promotion et la collecte de l'épargne, le développement de la prévoyance, la contribution à la protection de l'épargne populaire et au financement du logement soacial. Notons qu'il « sanctuarise » le livret A en l'incluant dans les missions d'intérêt général des caisses.
La banalisation du livret A, souhaitée par M. le rapporteur et M. le président de la commission des finances, serait dangereuse pour le réseau. Elle aboutirait à une remise en question du financement du logement social et supprimerait l'instrument financier privilégié des ménages à faibles revenus.
Les principes posés en 1983 sont donc repris, explicités et renforcés par le projet de loi.
Enfin, troisième étage du dispositif d'affirmation et de développement de la spécificité des caisses d'épargne, une partie des résultats sera affectée au financement de projets d'économie locale et sociale, ainsi que - c'est un ajout de l'Assemblée nationale - au financement de projets contribuant à la protection de l'environnement et au développement durable du territoire.
Gageons d'ailleurs que, dans cette affaire, seront respectées toutes les aspirations locales qui sont compatibles avec l'aménagement du territoire et l'environnement, notamment certaines pratiques ancestrales dans lesquelles je me reconnais et qui ont cours dans cette région du sud de la France où j'ai l'honneur et le plaisir de vivre.
M. Denis Badré. La cynégétique !
M. Jean-Louis Carrère. Vous l'avez tous compris, je veux en effet parler de pratiques populaires comme la chasse ! (Sourires.)
L'affectation au financement de ces projets ne pourra être inférieure au tiers des sommes disponibles après la mise en réserve. Cet élément complète les missions d'intérêt général et confirme la vocation locale et sociale des caisses d'épargne ; nous proposerons d'ailleurs que cette affectation soit prévue dès l'article 1er.
Au-delà de ces éléments fondamentaux, le projet de loi permet également de renforcer la cohérence et l'efficacité de la gestion des caisses d'épargne.
Les caisses d'épargne, jusqu'ici seulement « chapeautées » par un groupement d'intérêt économique, le Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance, ou CENCEP, et par une caisse centrale des caisses d'épargne, auront désormais un véritable chef de réseau : la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance, société anonyme à directoire et conseil de surveillance.
La cohérence du réseau en sera de facto renforcée, d'autant que la Caisse nationale disposera de larges prérogatives pour fédérer et contrôler le réseau : les caisses d'épargne y seront affiliées, de même que tout établissement contrôlé par les caisses d'épargne ou nécessaire au bon fonctionnement du réseau. Le directoire nommera d'ailleurs un censeur dans chaque caisse ou établissement affilié.
Le capital de la Caisse nationale sera détenu au moins à 60 % par les caisses d'épargne. La Caisse des dépôts et consignations, partenaire naturel et historique des caisses d'épargne, sera appelée à en détenir un peu plus de 30 %, le niveau exact de sa participation devant être défini par un pacte d'actionnaire. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur le rôle de cet actionnaire minoritaire, sur sa présence dans l'avenir, et nous indiquer à qui ira ou pourrait aller le reste du capital ?
La Caisse nationale sera dirigée par un directoire et un conseil de surveillance qui comprendra des membres élus par les salariés. D'où cette deuxième série d'interrogations : comment seront répartis les sièges ? Quatre pour la Caisse des dépôts et consignations, deux pour les salariés, deux pour les conseils d'orientation et de surveillance, quatre présidents de directoire ? De plus, que veut dire « élus par les salariés » ? La procédure risque d'être lourde si 42 000 agents sont appelés à voter !
La représentation des sociétaires sera assurée par une association, la « fédération nationale », qui aura également pour rôle de coordonner les actions du réseau, de contribuer à la définition des orientations sociales, de veiller au respect des règles déontologiques et de définir les orientations des projets d'économie locale et sociale.
Il est impératif que, à côté de la Caisse nationale, que l'on peut considérer comme l'exécutif du réseau, cette fédération nationale soit composée en majorité de présidents ou de représentants des COS.
L'élément le plus spécifique du nouveau statut concerne les groupements locaux d'épargne, qui font également l'objet d'une formidable divergence avec la majorité de la commission. Ces sociétés coopératives à capital variable détiendront les parts sociales des caisses. On peut légitimement s'interroger sur l'intérêt de cet échelon intermédiaire. Peuvent être sociétaires les particuliers ayant effectué des opérations de banque dans une caisse d'épargne, ce qui représente aujourd'hui 28 millions de personnes pour la France entière, les salariés, les collectivités territoriales, ainsi que toute personne physique ou morale qui entend contribuer par des apports financiers à la réalisation des objectifs des caisses d'épargne.
Il fallait assurer l'existence d'un lien étroit et permanent entre la caisse d'épargne et ses nombreux propriétaires, tout en permettant à chaque sociétaire de s'exprimer à un niveau pertinent en termes de proximité et de prise en compte de son expression.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est ce que nous proposons !
M. Jean-Louis Carrère. Cette construction, du fait de la spécificité des caisses d'épargne, se comprend donc. Et quand on vit à l'intérieur du réseau, on le comprend d'autant mieux.
Un problème doit cependant être soulevé : il est étrange que le projet donne un pouvoir régalien aux directoires des caisses d'épargne en matière de création et d'implantation des groupements locaux d'épargne, ainsi que dans la désignation de leurs administrateurs. Pardonnez-moi, mais, pour un républicain comme moi, la légitimité vient de l'élection.
M. Philippe Marini, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère. Il faut donc que les COS soient au moins consultés sur l'organisation des groupements locaux d'épargne, ou même qu'ils y soient associés.
M. Philippe Marini, rapporteur. Il vaudrait mieux supprimer les groupements locaux d'épargne !
M. Jean-Louis Carrère. A défaut, nous connaîtrions les errements de directoires désignés par les COS, lesquels directoires, par la suite, créeraient et organiseraient les GLE.
Enfin, les modes de négociation collectives des caisses d'épargne sont adaptés : ils se rapprochent du droit commun de la négociation sociale, même si certaines spécificités sont maintenues. Monsieur le ministre, entre le droit actuel et le droit commun, nous aurions préféré que la balance penche plutôt en faveur du premier. En effet, à condition que le droit actuel soit toiletté, il nous apparaît comme offrant une procédure intéressante de négociation d'accords collectifs.
Cela étant, nos principales interrogations concernent la periode de transition.
Le capital initial des caisses sera égal à la somme des dotations statutaires de chaque caisse arrêtée au 31 décembre 1997, soit 18,8 milliards de francs. Il sera composé de parts sociales et de certificats coopératifs d'investissement, en pratique environ 13 milliards de francs de parts sociales et 5,8 milliards de francs de certificats coopératifs.
Monsieur le ministre, nous ne sommes pas totalemetn rassurés sur la contrainte que va faire peser un tel montant à placer sur une aussi courte période.
M. Philippe Marini, rapporteur. Tout à fait d'accord !
M. Jean-Louis Carrère. Je ne vous demanderai pas de doubler cette période ; cela donnerait à penser que le groupe des caisses d'épargne ne serait pas capable, en quatre ans, de placer ses parts sociales ; cela voudrait dire aussi que, collectivement, nous aurions fait une erreur d'appréciation. Dès lors, un doublement de la période serait inadaptée à l'enjeu.
Toutefois, modifier ce délai à la marge, en le portant de quatre ans à cinq ans, et réduire la masse demandée pourraient nous permettre d'envisager la réforme avec plus de sérénité.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. Cela va dans le bon sens !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Tout cela progresse !
M. Joël Bourdin. Bravo !
M. Jean-Louis Carrère. Enfin, monsieur le ministre, ainsi que je le disais au début de mon propos, votre réforme va dans le bon sens eu égard aux attentes des déposants, eu égard aussi à la configuration du paysage financier français et européen.
J'insiste, au nom du groupe socialiste, sur la nécessité absolue de faire en sorte que cette réforme puisse être prise à bras-le-corps par les salariés, dont nous aurons le plus grand besoin pour la mener à son terme.
Vous l'avez bien compris, monsieur le ministre, au-delà de ses interrogations, le groupe socialiste approuve les objectifs et les modalités essentielles de cette réforme, qui vise à permettre au réseau des caisses d'épargne de consolider sa place de grand réseau bancaire à vocation locale et sociale.
Nous vous soutiendrons, en particulier, contre ceux qui veulent supprimer la vocation sociale spécifique des caisses d'épargne en les réduisant à un groupe bancaire comme les autres. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Delfau et Loridant applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos sera centré sur la première partie du projet de loi, qui concerne la réforme des caisses d'épargne. Mon excellent collègue et ami Marcel Deneux consacrera tout à l'heure l'essentiel de son intervention à l'autre volet du dispositif, relatif à la sécurité financière.
A l'instar de la plupart des caisses d'épargne européennes - c'est à dessein que je démarre sur cette référence, qui me paraît s'imposer dans ce débat -, les caisses d'épargne françaises constituent un acteur de premier plan dans le paysage financier : en termes de fonds propres, comme le constate le très clair rapport Douyère, elles figurent au second rang des banques françaises avec plus de 65 milliards de francs.
Sur un plan plus qualitatif, le réseau se caractérise par une forte assise locale - il constitue le deuxième parc d'agences en France - et par des tarifs bancaires très compétitifs. En effet, selon une récente enquête réalisée par la Confédération de la consommation, deux des trois banques les moins chères de France seraient des caisses d'épargne. Au-delà d'un succès incontestable, il s'agit également d'une institution en perpétuelle évolution depuis sa création, au début du xixe siècle.
La préservation du rôle très particulier et irremplaçable que jouent les caisses d'épargne recueille incontestablement un large consensus, qui efface les clivages politiques ou idéologiques classiques. Mais ce consensus ne doit pas nous faire oublier l'impérative nécessité pour le réseau de s'adapter, ce qui est vrai dans l'ensemble des secteurs marchands, mais en particulier dans le secteur financier et bancaire, actuellement en profonde mutation.
Ce qui est en cause, c'est l'avenir des caisses et de leurs personnels mais ce sont aussi les intérêts des épargnants et de l'ensemble de leurs partenaires, au rang desquels figurent évidemment les collectivités locales, chères à la Haute Assemblée.
S'adapter aux réalités du monde moderne tout en restant fidèles à la vocation forte et originale des caisses d'épargne, à savoir la collecte de l'épargne populaire et le financement du logement social, tel est le défi auquel sont durablement confrontés les responsables du réseau.
A cet égard, la création du Marché unique européen en 1993 et la mise en place de l'euro le 1er janvier dernier ont accéléré le processus en cours. Cette indispensable évolution, entamée dans les années soixante, a tout d'abord permis d'élargir les services et les produits offerts : l'épargne-logement dès 1965, les comptes de chèques en 1978, l'accès aux marchés internationaux grâce à la loi du 1er juillet 1983.
La réforme de 1983 constituait, par ailleurs, une première étape dans l'évolution du statut des caisses, devenues alors établissements bancaires à but non lucratif.
La loi de 1991 devait permettre l'indispensable restructuration du réseau, menée dans un climat de dialogue social très constructif que nous devons tous saluer.
A présent, le caractère de concurrence ouverte du marché financier et bancaire révèle certaines fragilités qui pourraient mettre, à terme, en danger la pérennité de l'institution. Il restait à franchir un nouveau cap avec, notamment, la reconnaissance du caractère lucratif et la constitution d'un véritable sociétariat.
Le projet de loi dont nous sommes saisis va dans ce sens - M. Lambert l'a souligné avec le talent que nous lui connaissons - et il est effectivement attendu avec impatience à la fois par les instances dirigeantes du réseau et, apparemment, par une majorité des salariés, conscients des nouvelles contraintes économiques qui pèsent sur leur entreprise.
Les membres du groupe de l'Union centriste et moi-même avons eu l'occasion de rencontrer les différents interlocuteurs, dont l'adhésion est évidemment indispensable à la réussite de la nouvelle réforme.
Cette adhésion semble assez largement comprise à l'intérieur des caisses. La qualité de la concertation engagée par l'actuel gouvernement et par son prédécesseur semble appréciée, et de bon augure.
La commission des finances, qui suit ce dossier de façon très approfondie depuis de nombreuses années, a fait du bon travail. MM. Lambert et Marini se sont eux-mêmes très directement impliqués dans cet exercice.
Sur toutes les dispositions qui posent encore problème, sur toutes les imperfections qui subsistent dans le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale, il nous faut trouver des solutions acceptables. Il vous appartiendra, monsieur le ministre, de nous faire connaître vos réactions sur les différentes mesures que nous avons proposé d'introduire, mais j'ai le sentiment qu'un accord d'ensemble devrait être possible.
La majorité sénatoriale souscrit à la philosophie globale du dispositif : le statut coopératif constitue bien, dans le contexte actuel, une bonne réponse aux problèmes des caisses d'épargne, à condition de ne pas imposer au réseau des contraintes ou des lourdeurs qui seraient exorbitantes par rapport à une loi de 1947 qui a fait ses preuves. Mais il est certain, par ailleurs, que les changements très rapides que connaît aujourd'hui le monde bancaire pourraient imposer dans un avenir proche de nouvelles évolutions ; j'y reviendrai. M. Lambert nous invitait d'ailleurs à être très audacieux et à engager une réflexion prospective.
A l'heure actuelle, le statut coopératif semble bien adapté par rapport aux besoins et aux spécificités des caisses d'épargne. Les difficultés du réseau proviennent avant tout d'une insuffisante rentabilité des fonds propres dans un contexte de concurrence accrue au niveau européen ainsi que de coûs de gestion trop élevés. Ainsi, de 1994 à 1997, les frais de gestion ont progressé plus vite que le produit national brut, ce qui dénote, en particulier, une maîtrise insuffisante de certaines dépenses de fonctionnement. Mais, surtout, comme le note également M. Douyère dans son rapport, la rentabilité des caisses n'atteint pas celle des principaux établissements de crédit français, elle-même déjà relativement faible par rapport à celle de leurs concurrents européens. Rappelons que la rentabilité moyenne des banques mutualistes est de 6 %, alors que celle des caisses avoisine 3 %.
L'émergence d'un vaste sociétariat s'appuyant sur des millions de « clients-sociétaires », ambition du projet de loi, est à présent une nécessité. Devenu banque à part entière, le réseau des caisses d'épargne pourra accorder des prêts aux entreprises faisant publiquement appel à l'épargne et jouer ainsi pleinement son rôle dans le développement économique et social, tout en préservant ses attributions traditionnelles. Cela va évidemment dans le bon sens, nul ne le contestera.
A ce propos, la réforme s'inspire directement de l'organisation d'une très grande banque coopérative que j'ai personnellement connue de près alors que je travaillais dans le secteur de l'agriculture : le Crédit agricole.
Mon collègue et ami Marcel Deneux parlera sans doute avec beaucoup plus d'éloquence de ce grand établissement bancaire, mais permettez-moi de m'arrêter sur cet exemple pour voir dans quelle mesure nous pouvons tirer des enseignements des succès et des difficultés rencontrés par le Crédit agricole.
Banque de proximité avec ses cinq mille sept cents agences, très décentralisée, offrant à ses clients des services de grande qualité à un coût réduit, le Crédit agricole est devenu une référence dans le secteur de l'économie sociale.
Il est bon que cette référence ait largement guidé la réflexion des promoteurs du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, car elle est riche d'enseignements. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Symbole de rigueur financière, resté assez en dehors des spéculations immobilières des années quatre-vingt, le Crédit agricole avait déjà des points communs avec le réseau des caisses d'épargne, à une différence près : son statut de société lui a permis de renforcer encore ses positions au sein d'un monde financier européen en pleine restructuration. Ce mouvement se poursuit. Le crédit agricole figure ainsi parmi les cinq premiers groupes bancaires en Europe. Il est à présent candidat à la reprise de 10 % du capital du Crédit Lyonnais et envisage des alliances avec quelques grands groupes d'assurance européens. C'est à une telle latitude stratégique qu'aspirent désormais l'ensemble des responsables du réseau des caisses d'épargne.
M. Jean-Louis Carrère. Et voilà !
M. Denis Badré. La mise en place d'un actionnariat initial ne suffit pas : il faut qu'il puisse s'élargir et donc que les caisses d'épargne soient en mesure d'offrir à leurs sociétaires des conditions de rémunération suffisamment attractives. Là réside l'une des faiblesses de ce projet de loi. Il faudra la corriger. En ce sens, l'obligation pour les caisses d'épargne d'affecter une partie de leur résultat distribuable au financement de projets d'intérêt général est bienvenue, mais elle pose un vrai problème.
De telles contraintes financières inspirées par des motifs qui relèvent aussi de choix non financiers risquent fort, en effet, d'avoir un effet dissuasif à l'égard d'éventuels investisseurs. Cette mesure paraît d'ailleurs irréaliste, huit caisses sur trente-quatre étant actuellement déficitaires.
Et pour celles qui pourront - et devront alors - respecter cette obligation, la question se posera de savoir qui appréciera le caractère d'intérêt général des projets soumis. C'est une vraie question. Faute d'y répondre intelligemment, c'est l'image du réseau qui risque elle-même d'être compromise.
M. Philippe Marini, rapporteur. Tout à fait !
M. Denis Badré. Il serait donc bien préférable de laisser à chaque caisse une plus grande liberté dans l'utilisation de ses résultats, cela, bien sûr, dans l'intérêt du réseau lui-même mais aussi dans celui de ses clients, de ses partenaires et même des promoteurs de projets d'intérêt général, car les projets retenus pourront alors bénéficier d'un soutien financièrement plus significatif et, très généralement, d'un appui nettement plus résolu, engagé et personnalisé.
Alléger les contraintes financières pesant sur le réseau est également l'objet des principaux amendements présentés par la commission des finances du Sénat. Ils sont inspirés par un double souci de souplesse et d'efficacité. Le groupe de l'Union centriste les votera, qu'il s'agisse de l'allongement du délai accordé aux caisses pour placer leurs parts sociales dans le public ou du remplacement des groupes locaux d'épargne par des sections locales d'épargne, bien plus adaptées à l'animation du sociétariat. Je n'y reviens pas, sinon pour dire que la référence au Crédit agricole est encore très intéressante. Monsieur le ministre, il faut en tirer tous les enseignements.
Pour nous, priorité doit être donnée au renforcement et à l'amélioration de la rentabilité des caisses, faute de quoi la réforme resterait inachevée, sinon tout à fait vaine.
M. Jean-Louis Carrère. Pour vous, il n'y a que le Crédit agricole !
M. Denis Badré. Elle pourrait même avoir des effets pervers sur un réseau qu'elle entend défendre.
Cela dit, même amendée, cette réforme ne peut être une fin en soi. Comme M. le président de la commission l'a souligné, elle n'est qu'une étape importante dans la modernisation inéluctable de l'une des structures financières les plus anciennes et les plus enracinées dans notre pays. Dans la perspective de futures alliances européennes, d'autres modifications de nature statutaire seront certainement nécessaires.
Nous devrons rester très attentifs, en particulier, à l'évolution du statut des caisses d'épargne de nos partenaires de l'Union européenne. Ainsi, les caisses allemandes, qui représentent à elles seules près de 60 % du volume d'affaires des caisses en Europe, devraient faire prochainement l'objet d'une importante réforme, qu'il faudra suivre de près.
Si le réseau espagnol comporte beaucoup de similitudes avec le nôtre, les caisses italiennes, depuis le début des années quatre-vingt-dix, ont été scindées en deux entités distinctes avec des fondations, d'une part, des établissements bancaires sociétés anonymes, d'autre part, ce qui leur confère un incontestable dynamisme et pourrait aussi stimuler notre réflexion pour l'avenir. Les rapprochements engagés avec ces différentes institutions doivent être poursuivis et approfondis. Alors que l'Europe poursuit fortement sa construction, il semble vraiment essentiel à l'Européen déterminé que je suis, que les rapprochements entre ces entreprises soient facilités.
De façon plus générale, le monde bancaire en Europe connaît actuellement d'importantes restructurations, dont la France est restée trop longtemps à l'écart. Face aux géants américains ou japonais, des groupes bancaires transnationaux sont en voie de constitution. Dans notre pays, les grandes manoeuvres ne font que commencer ; les caisses d'épargne ne peuvent l'ignorer.
En conclusion, la réforme proposée va dans la bonne direction. Sous réserve de quelques améliorations, fondamentales sur certains points, elle permettra aux caisses d'épargne d'améliorer leur compétitivité et d'affronter dans de meilleures conditions la concurrence sur le marché européen.
Monsieur le président, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste votera les amendements de la commission des finances et présentera quelques propositions complémentaires, les uns et les autres étant destinés à renforcer la cohérence du texte ou à gommer ce que nous considérons comme les faiblesses d'un projet de loi globalement positif.
Notre objectif, au cours de ce débat, est bien de mettre les caisses d'épargne sur un pied d'égalité avec les banques coopératives puisqu'il leur permettra de poursuivre solidement et clairement l'effort engagé dans le sens d'une diversification de leurs activités, et notamment, bien sûr, de mieux exercer leur rôle de prêteur en faveur du secteur public local. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ville, dans l'imaginaire du Français, c'est évidemment une mairie, une église, une place, un marché et aussi, pas trop loin de là, la caisse d'épargne.
M. Jean-Louis Carrère. Et le Crédit agricole !
M. Joël Bourdin. En effet, dans tous les gros bourgs et les villes existe, depuis presque deux siècles dans certains cas, la caisse d'épargne, lieu souvent bien matérialisé et bien visible que chacun peut localiser avec certitude tant il fait partie du contexte local, voire du patrimoine de la commune. Il est vrai que nombreux sont les Français qui le fréquentent, comme déposants, détenteurs de livrets ou emprunteurs, puisqu'un peu plus de vingt-cinq millions d'entre eux y détiennent un livret ou un compte.
C'est dire que toute réforme des caisses d'épargne rencontre un large écho dans la population et doit être entreprise avec circonspection et prudence, dans un esprit consensuel.
Issues d'une histoire longue et toute dédiée à la promotion de l'épargne populaire et de son affectation sociale dans un cadre local, les caisses d'épargne se sont toujours tenues à l'écart des mouvements frénétiques de la spéculation immobilière, boursière et internationale à laquelle ont succombé de nombreuses institutions financières autrement plus dotées en capital et en conseils d'administration dorés sur tranche.
Les caisses d'épargne, c'est l'histoire édifiante d'un Petit Poucet qui s'est bien gardé de gâcher ses noisettes, pour faire son chemin parmi des ogres de papier. Imprudents et bravaches, ces ogres ont perdu leurs bottes de sept lieues et supplient maintenant le Petit Poucet d'aller moins vite en lui imposant des semelles de plomb ! (Sourires.)
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Joël Bourdin. Car c'est un peu de cela qu'il s'agit !
Monsieur le ministre, les caisses d'épargne n'ont pas peur de la réforme : depuis cent quatre-vingts ans, elles ont été de réforme en réforme, souvent en les sollicitant elles-mêmes. Celle que vous prônez, telle qu'elle a été transmise par l'Assemblée nationale dans ses grands traits, les caisses d'épargne l'aient souhaitée, en accord avec les principales propositions formulées par M. Lambert, au nom de la commission des finances du Sénat. Mais il n'est pas convenable d'assortir la mutation juridique programmée de conditions qui risquent de contraindre les caisses d'épargne, en restreignant pour l'avenir les moyens dont elles ont besoin pour assurer leur modernisation et leur croissance.
Evoquer l'histoire des caisses d'épargne est un réel plaisir, car, sous l'impulsion de quelques personnalités généreuses, elle est jalonnée par la réalisation de quelques utopies sociales, et marquée par l'émergence et le développement de l'épargne individuelle populaire. Car, ne l'oublions jamais - c'est un trait qui demeure - les caisses d'épargne ne drainent, depuis leur création, que de la petite épargne chèrement acquise, distraite d'un petit salaire, d'une petite retraite ou d'une petite pension.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Tout à fait !
M. Joël Bourdin. C'était cela, à l'origine, et c'est encore vrai aujourd'hui. Les caisses d'épargne ont popularisé l'acte d'épargne auprès de populations dont le niveau de revenu justifiait pourtant une totale affectation à la consommation. De même, elles ont joué un rôle indéniable, bien que méconnu, dans la formation progressive de l'épargne française, dont on sait qu'elle est le moteur et la condition de l'investissement.
Depuis sa création, la caisse d'épargne s'affirme comme une institution remplissant une fonction économique fondamentale au sein de la société ! En 1818, l'idée révolutionnaire de collecter l'épargne des catégories sociales exposées aux aléas financiers va susciter une relation nouvelle à l'argent, fondée sur son bon usage, tout en contribuant au bien public.
En effet, les pères fondateurs, Benjamin Delessert et François La Rochefoucauld-Liancourt, en créant la première caisse d'épargne à Paris, ont eu une démarche fortement imprégnée de motivations d'ordre à la fois social et pédagogique.
Dans une période de forte incertitude pour une large frange de la population, il s'agissait d'enseigner les bienfaits de la bonne utilisation de l'argent conservé à l'aide de l'épargne.
A partir de 1837, s'enclenche un processus de réformes diverses - les plus récentes sont celles de 1983 et de 1990 - qui vont donner aux caisses d'épargne leur physionomie actuelle.
Aujourd'hui, il convient de souligner combien les efforts mis en oeuvre par le réseau des caisses d'épargne, sur le plan tant de l'évolution de l'organisation que du point de vue commercial, sont prometteurs.
Huit ans après la première réforme, le pari a été tenu et le développement du groupe Caisse d'épargne a été spectaculaire.
En quelques années, la reconfiguration du réseau a eu lieu.
Sur le plan international, le groupe participe au capital de plusieurs filiales et vient d'acquérir, voilà quelques mois, en décembre 1998, 6 % du capital de la caisse d'épargne de Gênes.
Dans le domaine de la diversification des activités d'épargne et de crédit, le pari est réussi. Aujourd'hui, le groupe Caisse d'épargne est le deuxième établissement financier français par le total des dépôts et placements gérés.
Le réseau de vente de proximité a été profondément rénové.
Par ailleurs, le grand développement des activités et des métiers du groupe a nécessité un redéploiement des effectifs vers les fonctions commerciales. Il a également mobilisé des moyens importants en termes de formation et de gestion des carrières. En effet, trois quarts des salariés sont désormais formés aux nouvelles techniques de vente.
Les équilibres financiers ont été maîtrisés. Par la poursuite d'une politique prudente dans ce domaine - je rappelle qu'elles n'ont jamais été mêlées aux spéculations immobilières - les caisses d'épargne ont obtenu, dans un environnement difficile, des résultats financiers réguliers et positifs. La progression des fonds propres a permis de conforter la solidité financière du groupe, qui est attestée par une bonne notation de ses émissions.
Du point de vue social, afin de résoudre le déficit structurel de la CGR, Caisse spécifique gestionnaire du régime de retraites des salariés, le CENCEP a engagé une concertation interne. Il a notamment proposé son adhésion à l'AGIRC, l'Association générale des institutions de retraite des cadres, et à l'ARRCO, l'Association des régimes de retraites complémentaires, la mise en place d'un régime complémentaire, ainsi qu'un régime de maintien de droits pour les cotisations versées dans le passé par les salariés actuellement présents dans le groupe. En 1997 et en 1998, le CENCEP a constitué d'importantes provisions afin d'étaler dans le temps la gestion du passif social de la CGR.
M. Jean-Louis Carrère. Surtout les caisses !
M. Joël Bourdin. Alors qu'il connaît une évolution sans précédent, le groupe Caisse d'épargne a sans cesse affirmé sa place et son rôle original dans le secteur bancaire français et européen. Le défi de la diversification a été relevé, et le choix de la proximité s'avère correspondre aux attentes des clients. Les caisses d'épargne ont ainsi démontré leur capacité à s'adapter aux fortes évolutions du contexte bancaire. Nous devons être fiers de ces évolutions, car elles témoignent d'un véritable dynamisme du réseau des caisses d'épargne, lequel a su évoluer avec son temps, avec l'appui consensuel du législateur. Cela nous sort de la routine de la pensée unique, qui tendrait, si nous n'étions pas vigilants, à confiner les formes juridiques à la seule société anonyme dominée par les fonds de pension étrangers. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
Mais si la réforme est bienvenue, il demeure que, dans sa rédaction actuelle, le texte qui nous est soumis fait peser sur l'avenir des caisses d'épargne des contraintes et des incertitudes qui pourraient, si elles n'étaient pas allégées ou annulées, entraver la marche de celles-ci vers la diversification et la croissance.
M. le rapporteur de la commission des finances, avec son talent et son brio habituels, a évoqué les lourdeurs encombrant le texte qui est soumis à notre examen. Je ne m'appesantirai pas sur l'ensemble de celles-ci, car nous y reviendrons lors de l'examen des articles. Je me permettrai en cet instant de revenir sur trois d'entre elles. Elles concernent la fixation du niveau du capital global des caisses d'épargne - article 21 - les contraintes de l'affectation des résultats - article 6 - et l'absence de dispositif permettant la réalisation d'opérations de partenariat et d'alliance.
M. Philippe Marini a excellemment évoqué le niveau du capital initial avec des arguments qui conviennent. Il est en effet surprenant qu'aucune réflexion économique et financière n'ait réellement précédé l'affirmation de la nécessité d'arrêter le niveau du capital global des caisses d'épargne à 18,8 milliards de francs. Même si le texte qui nous parvient de l'Assemblée nationale se réfère au « montant des dotations statutaires de chacune des caisses » en semblant donner une justification juridique à cette proposition, il ne faut pas être dupe ! Les dotations statutaires constituées par les caisses d'épargne sont dues au hasard, à des arbitrages le plus souvent locaux, de nature plus comptable que juridique.
M. Philippe Marini, rapporteur. Effectivement !
M. Joël Bourdin. Elles ne peuvent pas, de bonne foi, être assimilées au capital social des sociétés commerciales. A la vérité, le chiffre auquel on passerait en appliquant l'actuel article 21 est purement arbitraire,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Absolument !
M. Joël Bourdin. ... et je ne vous étonnerai pas, monsieur le ministre, en vous rappelant que nous sommes ici en face d'un problème d'optimum à réaliser, lequel tient compte, notamment, de la capacité des caisses d'épargne à rémunérer par affectation de leurs résultats une telle masse de capital, mais aussi des contraintes supportées par ailleurs par les réseaux concurrents de forme mutualiste. Est-il vraiment raisonnable de passer d'un système sans contrainte de distribution, qui, selon les concurrents, favoriserait les caisses d'épargne, à un système de distribution excessive, qui ne favoriserait que leurs concurrents ? Certainement pas !
Au terme de mes propres calculs, j'étais parvenu à un optimum de capital situé entre 13 et 14 milliards de francs. Le rapporteur, M. Philippe Marini, parvient à une fourchette légèrement élargie et différente. Mais comme j'ai bien le sentiment que la science financière n'est pas une science exacte, je lui laisse le bénéfice du doute et voterai l'amendement qu'il a préparé à cet effet avec la commission des finances.
M. Philippe Marini, rapporteur. Merci !
M. Joël Bourdin. Sous le prétexte qu'il faut mettre tous les concurrents financiers dans des conditions identiques, il ne serait pas normal de faire peser sur les caisses d'épargne une contrainte qui les affaiblirait et entraverait leur essor.
Quant aux dispositions adoptées par l'Assemblée nationale et relatives aux règles d'affectation nouvelles qui seraient imposées aux caisses d'épargne, elles ne font guère honneur à la représentation nationale puisqu'elles visent à organiser la dilapidation des résultats des caisses d'épargne.
En effet, dans son état actuel, le texte est conçu comme si le premier objectif des caisses d'épargne était de participer à fonds perdus au financement des projets d'économie locale et sociale. Une priorité dans l'affectation des résultats disponibles est accordée à la distribution de moyens favorisant l'économie locale sur la rémunération des détenteurs de parts. C'est un véritable attrape-nigauds ! Comment peut-on imaginer qu'un tel dispositif permetra de trouver suffisamment de souscripteurs pour les parts sociales qui seront mises sur le marché ?
Les caisses d'épargne ont un but social, que ses fondateurs lui ont assigné, qu'elles honorent et ont tenu à affirmer en créant la Fondation contre l'exclusion et en s'imposant l'obligation d'un dividende social égal à 10 % de leur résultat net. Aucun texte ne l'imposait, mais chaque caisse d'épargne, sans contrainte, par la seule affirmation d'une volonté sociale, consacre chaque année 10 % de son résultat net en faveur de la culture, du sport, de la lutte contre la précarité et l'exclusion. C'est un honneur qu'elles se sont imposé et qui n'a pas d'équivalent chez leurs concurrents. Alors que les caisses d'épargne ont été exemplaires, on comprend mal que l'on veuille les pénaliser en leur imposant une obligation minimale, mal pesée, qui risquerait, par sa lourdeur, de les mettre en mauvaise position.
Oui, les caisses d'épargne ont, à l'évidence, un but social. C'est leur gloire, leur passé et leur avenir. Mais elles sont modestes et fragiles. Il faut se garder de les considérer comme les supplétifs des CCAS, les centres communaux d'action sociale, ou des organismes divers dépendant de l'Etat et des collectivités qui ont pour mission directe d'agir dans le domaine social.
A la lecture du compte rendu, publié au Journal officiel, des débats de l'Assemblée nationale sur ce sujet, j'ai eu l'impression que certains députés découvraient un trésor et essayaient de se l'approprier pour des actions diverses. Il n'y a pas de trésor ! Nous sommes en face d'un établissement financier en situation de concurrence, qui doit tout à la fois s'imposer par rapport à ses concurrents, rémunérer convenablement ses porteurs de parts et assurer un bon niveau d'investissement pour développer ses activités.
Le texte initial du Gouvernement, tout en rappelant la nécessité, pour les caisses d'épargne, de participer aux actions d'intérêt social et local, ne fixait pas auxdites caisses ni aux conseils d'orientation et de surveillance de minimum à leur financement. Cette disposition me semble raisonnable. Elle a été reprise d'une certaine manière par la commission des finances. Bien évidemment, je la voterai.
Enfin, en son état actuel, le projet de loi qui nous est soumis ne permet pas aux caisses d'épargne de se lancer, par une procédure simple, dans des opérations de partenariat et d'alliance. En effet, obliger un partenaire éventuel à adhérer à un groupement local d'épargne pour participer au capital d'une caisse d'épargne...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Est surréaliste !
M. Joël Bourdin. ... n'est pas de nature à faciliter des démarches qui exigent, le plus souvent, la confidentialité.
Pour faciliter les participations croisées, les alliances, qui semblent dans la nature des choses à l'heure actuelle, il faut trouver le moyen d'associer, à de bons niveaux, des partenaires investisseurs sans pour cela passer par l'usine à gaz des groupements locaux d'épargne.
M. Joseph Ostermann. Très bien !
M. Joël Bourdin. La proposition de la commission des finances consistant à supprimer l'article relatif aux groupements locaux d'épargne me donne bien sûr satisfaction, car ainsi on peut réaliser ce qui est souhaitable et qui semble moderne...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. Joël Bourdin. Monsieur le ministre, c'est avec beaucoup d'optimisme que j'aborde la discussion d'un texte qui, dans ses grandes lignes, était attendu, souhaité par les caisses d'épargne et suggéré par la commission des finances du Sénat. Tel qu'il nous parvient, il est perfectible et le groupe des Républicains et Indépendants s'attachera, en suivant sur l'essentiel les propositions de la commission des finances, à le parfaire.
Anticipant toutefois sur la commission mixte paritaire qui se tiendra dans les semaines à venir, je me permets d'ajouter que, sur un sujet aussi sensible, qui concerne tout le monde, les nombreux usagers des caisses d'épargne, leur personnel, leurs dirigeants, les collectivités locales, il serait dangereux de ne pas aboutir à une rédaction consensuelle. Vos prédécesseurs, en 1983 et en 1991, sont parvenus à des réformes réussies car ils n'ont eu de cesse de réaliser un accord entre les deux assemblées. Je souhaite bien évidemment que vous soyez sur la même ligne. Je ne doute pas, d'ailleurs, que vous en ayez l'intention. En effet, notre objectif est de promouvoir non pas une nouvelle forme d'utopie sociale, mais simplement une nouvelle phase de développement pour les caisses d'épargne. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. Pierre Laffitte applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas membre de la commission des finances de cette assemblée,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Quel malheur pour elle !
M. Pierre Laffitte. ... mais, depuis plus de trente ans, je me passionne pour le développement économique local et la création d'emplois à partir de matière grise et d'innovation. Cela ne m'a pas empêché, notamment, de me préoccuper activement, avec la commission des affaires culturelles et le groupe de travail Innovation et entreprises, de la création d'un nouveau marché inspiré du NASDAQ, des problèmes financiers à incidence sociale et de la création d'emplois, notamment dans le domaine des fonds communs de placement de l'innovation. Aussi - cela ne surprendra sans doute personne dans cet hémicycle - je m'exprimerai notamment sur les interactions entre le projet de loi que nous examinons et la participation active des caisses d'épargne dans la promotion et le financement d'innovations.
Européen convaincu et connaissant assez bien l'autre partie du moteur de l'Europe, que constitue notre voisin d'outre-Rhin, j'interviendrai, ensuite, en faveur d'un rapprochement de nos caisses d'épargne avec les Sparkassen et Landesbanken allemands qui fonctionnent selon les mêmes principes et les mêmes finalités sociales, institutions qui sont ancrées au coeur de tous les Allemands. Il y a là pour l'avenir, d'une part, de l'Europe et, d'autre part, de nos caisses d'épargne une possibilité d'alliance fondamentale.
Enfin, j'insisterai sur l'intérêt de porter une attention particulière à la formation du personnel. Il ne suffit pas, en effet, de modifier la loi ; il faut que le personnel puisse acquérir des connaissances nouvelles, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies qui sont désormais indispensables et qui connaissent, dans les domaines financiers et économiques, un développement explosif puisque, sans elles, une institution financière est condamnée à la récession.
Le premier point de mon intervention sera donc consacré aux caisses d'épargne et au financement de projets d'économie locale et sociale.
Les caisses d'épargne proposent déjà, selon les cas, des financements, des crédits à court et à moyen termes et des prestations liées à l'activité des entreprises. La question essentielle que je me pose est la suivante : compte tenu de leur insertion locale très forte, dont le principe est essentiel, comment peuvent-elles participer au financement en fonds propres des petites et moyennes entreprises, en particulier de celles qui se créent ? En France, les fonds propres de ces entreprises sont globalement trop faibles et, par voie de conséquence, leur taille est très limitée.
Or, dans notre pays, les très petites entreprises sont majoritaires. Elles éprouvent souvent des difficultés à disposer d'un capital-développement.
En effet, aujourd'hui, les sociétés, les institutions financières qui investissent quelque 7 milliards de francs par an pour les domaines de capital-risque sont en majorité attirées beaucoup plus par le financement de sociétés déjà matures que par la création ou le stade initial, qui n'intéressent que 20 % d'entre elles. Ce sont là des chiffres très faibles qu'il faut absolument développer.
Dans son exposé des motifs, le Gouvernement insiste sur le renforcement des missions d'intérêt général et des principes de solidarité. Il y a là, dans ce domaine, une mission d'intérêt général et une nécessité de solidarité, car le développement de l'emploi - chacun le sait désormais et le répète - est une priorité absolue mais passe essentiellement par le développement des petites ou très petites entreprises, voire de l'artisanat.
C'est là qu'un réseau, tel celui des caisses d'épargne, peut avoir une action influente, compte tenu de son implantation très générale.
Tout récemment, le Sénat a adopté le projet de loi sur l'innovation et la recherche qui était présenté par le ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche et dont j'étais rapporteur. Je me réjouis de la qualité des débats que nous avons eus à cette occasion, et j'espère que la navette nous permettra encore d'améliorer le texte.
L'innovation a constitué une opération importante en 1998. Des opérations déjà engagées par les gouvernements précédents ont été poursuivies. Les colloques sur l'innovation, dans les régions et les assises nationales, à la Villette, ont précisé l'importance de l'innovation en matière de compétitivité économique.
La création d'entreprises à forte capacité de croissance - on le voit dans les pays les plus concernés par les technologies innovantes - constitue le moyen efficace et sûr de créer la majorité des emplois directs et engendre la plupart des emplois indirects. C'est le cas aux Etats-Unis, où plus de la moitié des emplois directs créés proviennent de cette source. Avec les emplois indirects créés, cela compense largement les emplois détruits par la modernisation économique et la mondialisation.
En Europe, où plus de 400 000 emplois viennent d'être créés à partir des seules nouvelles technologies de l'information et de la communication, d'après le Bulletin sur l'emploi et le fonds social européen, de mars 1999, 450 000 autres sont attendus. Il y a lieu de s'en réjouir, modestement toutefois, parce que nous aurions pu probablement en créer le double, si les structures financières avaient été mieux adaptées.
Vous voyez donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le lien entre les structures financières et la création d'emplois, notamment dans les nouvelles technologies, est essentiel et très direct.
A cet égard, je me réjouis tout particulièrement de ce que le projet de loi sur la modification, l'extension des pouvoirs du réseau des caisses d'épargne vienne à point. Le Sénat le souhaitait depuis longtemps. Je n'ai d'ailleurs pas le sentiment, je dois l'avouer, que de très grandes différences d'appréciation existent quant au bien-fondé de ce qui nous est proposé par le Gouvernement. Le président et le rapporteur de la commission des finances ont tous les deux indiqué que ce projet de loi allait dans le bon sens. Des différences d'interprétation sont apparues sur lesquelles notre ami Jean-Louis Carrère a beaucoup insisté.
Mais, à l'écouter, je n'ai pas eu le sentiment qu'il s'agissait d'une opposition frontale. J'ai en effet constaté des éléments très convergents, ce dont je me réjouis tout particulièrement.
Nous aurions pu faire beaucoup mieux, en matière de création d'emplois en particulier si les fonds de pension étaient au même niveau que dans les pays anglo-saxons.
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. Pierre Laffitte. S'agissant du problème des fonds de pension, nous savons tous que la présence massive de fonds de pension, notamment américains, est à la fois un bienfait et un danger pour l'économie européenne : c'est un danger, car ces fonds de pension sont volatils - ce n'est pas le président d'Alcatel qui me contredirait sur ce point - et c'est un bienfait, car ils nous sont indispensables dans la mesure où nous n'en avons pas et où le financement à partir des autres moyens est insuffisant.
L'article 24 du projet de loi prévoit la création progressive d'un fonds de réserve à un niveau modeste. J'ai constaté que le président et le rapporteur de la commission des finances considéraient que les sommes envisagées n'étaient peut-être pas à la hauteur de l'objectif.
En revanche, l'affectation d'une faible partie de ces fonds de pension à des investissements dans des fonds communs de placement dans l'innovation, les FCPI, dans des incubateurs, ou dans des fonds d'amorçage me paraîtrait de nature à augmenter singulièrement l'effort de l'Etat qui, si je ne m'abuse, est de l'ordre d'une centaine de millions de francs. C'est mieux que rien, mais c'est nettement insuffisant. Il faudra y ajouter les fonds privés qui, certainement, sont prêts à s'y investir sous réserve que, par exemple, cela puisse entrer dans la nouvelle définition des FCPI.
Sur ce point, je pense que le projet de loi sur l'innovation devra être légèrement amélioré pour que cela soit techniquement possible. Comme je l'ai dit à vos collaborateurs, monsieur le ministre, il faudrait déposer un amendement à cet égard soit à l'Assemblée nationale, soit ici même, lors de l'examen de ce texte en nouvelle lecture.
Mais le problème est ouvert s'agissant des sociétés de gestion de ces incubateurs ou des fonds d'amorçage, qui seraient certainement très heureuses d'avoir les caisses d'épargne dans leur capital. Je crois qu'il y va de l'intérêt des caisses d'épargne, car cela garantit pour l'avenir des clients en faisant naître une forme d'amitié avec les sociétés innovantes ainsi créées.
J'insisterai sur un deuxième point qui me paraît essentiel : l'exemple allemand de financement des PME par les caisses d'épargne. Ces dernières, qui représentent 19 % du chiffre d'affaires du système financier allemand, bénéficient d'un statut public désormais ancré dans le système fédéral. Elles servent de relais aux collectivités locales et assurent les activités classiques de banques d'affaires ; elles bénéficient d'un fonds de garantie des dépôts et d'une garantie directement apportée par les collectivités publiques. Elles savent s'adapter à l'exacerbation de la concurrence en poursuivant une politique de coopération, voire, dans certains cas, de fusion avec les Landesbanken .
Il n'existe pas, en France, de système fédéral.
Nous n'avons pas encore évoqué dans cette enceinte, s'agissant de ce débat, les sociétés de développement régional.
Bien entendu, nous avons, en France, la Caisse des dépôts et consignations, qui vaut largement un certain nombre de Landesbanken allemandes. Mais, d'une certaine façon, n'irions-nous pas vers une forme de régionalisation de certaines institutions bancaires avec le développement des régions en Europe - je n'irai pas jusqu'à parler de « régions européennes » ou d'« Europe des régions » ?
Le problème qui se pose est sans aucun doute de prévoir l'avenir dans ce domaine. En tant que président de l'Association franco-allemande pour la science et la technologie, je connais un certain nombre de personnalités allemandes, je connais assez bien le fonctionnement des régions allemandes et des chambres de commerce et d'industrie, qui ont probablement une influence plus grande dans la dynamique des affaires qu'en France. Il y a beaucoup à apprendre de ces institutions allemandes.
Je suggère donc que ce système financier allemand, proche, convivial, voire amical - en tout cas, il est perçu comme tel par les particuliers et par les petites entreprises - puisse conduire à l'instauration, par exemple, de stages réciproques, d'envois d'experts. L'objectif est que les gens se connaissent mieux : on ne peut être véritablement partenaires que si l'on se connaît bien. Il y a là, à mes yeux, une opération importante pour que les deux moteurs de l'Europe puissent se développer sur ce problème des situations correspondantes.
Enfin, troisièmement, j'ai évoqué le problème complexe de l'apprentissage des nouvelles technologies.
On pourrait également, me semble-t-il, assigner aux caisses d'épargne un rôle un peu moteur sur les missions nouvelles qui sont liées à l'irruption du commerce électronique, des banques sur Internet, etc.
Il est souvent plus facile, en matière de culture d'entreprise, de sauter certaines étapes, notamment en matière de modernité. On sait que les Chinois, par exemple, ont déjà sauté un certain nombre d'étapes pour les disques et sont en train d'en sauter d'autres, notamment en matière de téléphone et d'usage des réseaux de téléphone mobile.
Il est important qu'une formation et une incitation constantes puissent être assurées. La population française, y compris les épargnants populaires, en particulier les plus jeunes, pratique de plus en plus Internet et y constate les nouvelles stratégies en matière financière, en matière de banque directe et de commerce électronique. Il suffit de « surfer » un peu pour voir que cela se développe.
Pour ma part, je souhaite que les caisses d'épargne puissent participer à ce mouvement et que soit accompli un effort de formation des personnels dans ce domaine. Je le fais déjà avec succès dans le cadre de la fondation Sophia-Antipolis avec les postiers, lesquels ne sont pas connus pour être à la pointe de la modernité : eh bien ! c'est la base des postiers qui a été la plus dynamique en la matière, alors que, souvent, la hiérarchie était un peu réticente.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Pierre Laffitte. Le même phénomène peut se développer dans les caisses d'épargne. Il y a là une direction qui permettrait de progresser rapidement. En effet, nous sommes tous très conscients de l'importance du caractère social que les caisses d'épargne représentent.
Mais nous sommes tous très conscients du fait que ce caractère social ne suffit pas à assurer une pérennité. Les Allemands connaissent exactement le même problème : ils constatent une certaine diminution de l'attractivité des caisses tout simplement parce que les gens sont plus mobiles qu'auparavant. Ils ne sont plus toujours au même endroit. Ils changent un peu de localisation. En France, ceux qui viennent à Paris ont alors moins de contacts directs avec la caisse d'épargne que dans les villages évoqués par notre collègue Joël Bourdin.
Certes, un danger de récession existe. Il est d'ailleurs partout. Si l'on ne progresse pas, on régresse. Il faut donc que nous ayons toutes les cordes à notre arc pour que les caisses d'épargne progressent.
Intervenir dans le capital-risque de proximité, dans les incubateurs et les fonds communs de placement dans l'innovation, relever le défi des nouvelles technologies et assurer une liaison forte avec les équivalents européens, et notamment allemands, tels sont les trois thèmes, qui me paraissent importants, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis a, certes, le mérite de vouloir aller dans le bon sens, mais il a aussi le défaut regrettable de faire compliqué là où il eût été bon de faire simple et d'être dépourvue de toute approche économique.
Les intentions du Gouvernement, sur la base du rapport Douyère, étaient de donner enfin un statut aux caisses d'épargne, leur permettant ainsi d'agir avec plus d'efficacité dans l'environnement bancaire.
C'est l'objet de la première partie du présent texte, sur laquelle je vais vous livrer quelques-unes de mes réflexions, autorisé que je pense l'être par l'attachement que j'ai porté depuis toujours à ces établissements d'épargne populaire, partenaires privilégiés des collectivités locales, et par l'expérience que j'ai acquise durant près de dix ans comme membre du conseil d'orientation et de surveillance de la caisse d'épargne « Ile-de-France Paris ».
L'adaptation unanimement souhaitée des caisses, amorcée timidement par les lois de 1983 et de 1991, ainsi que du système coopératif fondé sur la loi de 1947 justifie pleinement la démarche législative qui nous réunit aujourd'hui. Toutefois, une longue tradition de tutelle de l'Etat sur le réseau chargé de collecter les fonds déposés sur les livrets A dans le cadre d'un monopole a perverti la réflexion des auteurs de la réforme.
Il eût été simple, en effet, que les caisses vendent elles-mêmes leurs parts sociales, établissant un lien direct et dynamique entre les sociétaires et l'institution, la création d'assemblées locales parachevant la convivialité souhaitable.
Pourquoi ne pas faire confiance au bon sens des membres du réseau, employés et clients, plutôt qu'à une construction intellectuelle complexe, véritable usine à gaz, violant au demeurant les termes de la loi de 1947 ? On prétend dans le même temps bâtir un statut coopératif et on crée une singulière excroissance étrangère aux principes du droit. Les groupements locaux d'épargne, les GLE, ne sont que des coquilles vides sans existence concrète. Ils seront chargés, après avoir acheté le capital des caisses au moyen de prêts sans intérêts consentis par celles-ci, de vendre ledit capital sous forme de parts de GLE, qui ne seront en aucune façon des parts de caisse d'épargne.
Les GLE seront les seuls sociétaires des caisses régionales, les clients sociétaires de base n'auront aucune véritable voix au chapitre dans les assemblées générales des caisses, qui ne seront composées que de GLE. Quant aux représentants des élus locaux et des salariés, répartis en collèges distincts en parfaite contradiction avec le droit coopératif, ils seront appelés à siéger uniquement au conseil des caisses régionales, sans pouvoir participer aux assemblées générales.
Ces groupements locaux d'épargne verront leur droit de vote en assemblée déterminé en fonction du nombre de parts sociales possédées dans la limite de 30 %, ce qui, là encore, est une hérésie par rapport au droit coopératif. La répartition des dividendes créera une inégalité de fait entre sociétaires puisque, bien qu'étant clients de la même caisse régionale, ils ne dépendront pas forcément du même GLE et, en conséquence, ne percevront pas la même rémunération selon ce que chaque GLE décidera de mettre en réserve.
Est-ce ainsi que l'on va susciter parmi les clients l'attirance pour acheter des parts, et surtout les intéresser au développement de l'entreprise, sur l'activité de laquelle ils n'auront aucune prise directe ni même une véritable information ? C'est un grave manquement aux critères qui définissent la gouvernance d'entreprise, et plus simplement à la participation démocratique des sociétaires à la vie de leur coopérative.
Il est un autre élément qui mérite interrogation : les GLE étant des personnes morales intermédiaires, existe-t-il un risque de double imposition fiscale entre ceux-ci et les caisses ?
La mise sur le marché dans ces conditions des parts sociales des GLE se révèle particulièrement aléatoire, d'autant que la clientèle voudra connaître la garantie de rentabilité assurée à son investissement par rapport au taux de rémunération du livret A. Or, au manque de transparence que je viens de déplorer, s'ajoutent les contraintes que la surenchère de votre majorité à l'Assemblée nationale vous a conduit, monsieur le ministre, à accepter.
En effet, en partant de la collecte de l'épargne populaire affectée au logement social, qui caractérise les caisses d'épargne, voilà que l'on veut en faire des banques du coeur, en les rendant actrices de la lutte contre l'exclusion ! Comment peut-on croire que la rentabilité des caisses se développera si l'on en fait institutionnellement un refuge pour les comptes débiteurs ? Le problème, sur le plan social, doit être abordé afin que soient garantis les droits de chacun en matière bancaire, quel que soit le niveau de solvabilité.
Mais est-ce à une banque, même coopérative, dont les sociétaires ont acquis des parts dans l'espoir de faire fructifier un capital souvent modeste, de jouer ce rôle ?
M. Gérard Delfau. C'est à qui ?
M. Robert Calmejane. Pour faire bonne mesure, on introduit dans la définition des actions d'intérêt général que les caisses auront mission de mener une contribution à la qualité de l'environnement. C'est le fourre-tout idéal pour toutes les vieilles rengaines démagogiques d'une gauche plurielle qui n'a jamais su prendre en compte les réalités économiques. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Cela vous va bien !
M. Robert Calmejane. Il ne peut entrer dans le métier des caisses d'épargne de financer des projets d'infrastructures à fonds perdus.
Etablir, de plus, un seuil plancher pour ce dividende social présente un risque majeur pour l'équilibre financier des caisses. Comment, en effet, prélever un tiers des sommes disponibles après la mise en réserve sans diminuer dangereusement la capacité d'augmentation des fonds propres des caisses, les mettant ainsi en situation d'infériorité par rapport aux autres réseaux bancaires ? De plus, toute augmentation de ces financements se fera au détriment de l'intérêt versé aux sociétaires.
On mesure là l'absence totale d'analyse économique sous-tendant ce projet de loi : à ne pas oser avouer que l'on devient sociétaire pour gagner de l'argent, on va dissuader les épargnants, rendus perplexes par les charges qui pèsent sur le résultat de l'entreprise et qui réduisent le versement d'intérêt à une portion congrue des produits de l'activité déployée, de se porter acquéreurs de parts.
Dans ces conditions, fixer à 18,8 milliards de francs le montant cumulé du capital initial des caisses d'épargne à placer en quatre ans est une gageure hors de portée. Par ailleurs, à supposer que ce chiffre soit atteint, la charge de la rémunération serait alors très supérieure à celles de la concurrence, aboutissant à un taux de distribution totale du résultat, dividende social compris, de l'ordre de 60 %.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Deux assertions contradictoires à deux phrases d'intervalle !
M. Robert Calmejane. La sagesse impose de limiter à 14 milliards de francs le capital ainsi placé sur le marché, comme le proposait d'ailleurs initialement le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale.
Un délai de placement de six à huit ans me paraîtrait également plus raisonnable. Pourquoi tant de précipitation et d'impréparation dans l'élaboration d'éléments fondamentaux pour l'avenir des caisses ? Doit-on en conclure - et ce serait une bien mauvaise logique - que le seul avantage recherché est d'abonder le plus possible, et le plus rapidement possible, le fonds de solidarité vieillesse ? Vous avez déjà prélevé aux caisses d'épargne, dans la loi de finances pour 1999, 5 milliards de francs qui sont allés alimenter le budget général de l'Etat.
La fin ne justifie pas les moyens et, en l'occurrence, on met en péril l'avenir des caisses d'épargne au mépris des intérêts de leurs futurs sociétaires pour tenter, en vain vraisemblablement, de régler un problème d'un autre ordre et dont l'ampleur justifie plus que de tels expédients.
Le dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention est la nécessité d'ouvrir le capital des caisses d'épargne aux investisseurs institutionnels, tels que des caisses d'épargne européennes ou d'autres réseaux bancaires : la loi de 1947 le prévoit explicitement dans son article 3 bis. Il apparaît donc anormal, eu égard au cadre coopératif dans lequel le Gouvernement prétend placer désormais les caisses d'épargne, de réserver aux GLE la détention des parts. La seule émission de certificats coopératifs d'investissement ne donnant pas de droit de vote ne suffira pas à susciter de tels rapprochements. Dans l'espace bancaire européen, les caisses d'épargne ne peuvent se trouver limitées dans leur développement et doivent avoir les moyens de leur compétitivité.
En conclusion, je voudrais souligner l'impératif d'intérêt général que doit respecter le statut des caisses d'épargne, héritières d'une tradition bicentenaire, dont tout le personnel et les instances dirigeantes sont décidés à entrer dans le xxie siècle avec détermination. Mais nous devons leur donner les moyens de leur avenir. C'est le sens à donner à l'intense mobilisation des personnels et à l'attention particulière des clients, face au cadre juridique du développement des caisses d'épargne.
Je tiens à saluer le remarquable travail réalisé par la commission des finances, par son président, M. Alain Lambert, et par son rapporteur, M. Philippe Marini, qui ont su prendre la mesure de l'enjeu et répondre, par les amendements qu'ils proposent, à l'attente de tous ceux qui sont désireux de constituer un pôle coopératif dynamique autour des caisses d'épargne.
M. Jean-Louis Carrère. Et un coup de violon !
M. Robert Calmejane. Je voudrais terminer mon propos en reprenant le trait d'humour de notre collègue Yves Deniaud à l'Assemblée nationale : « Laissez assez de noisettes à l'écureuil pour qu'il vive longtemps et en bonne santé ! » (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. le président de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, vous avez évoqué ce matin, au début de votre intervention, la nécessité pour notre pays d'adapter ses circuits financiers à la mondialisation.
A ce propos, que nous suggère l'actualité ?
En premier lieu, les bénéfices des plus importantes entreprises françaises ont augmenté, en 1998, de plus de 30 %. Les firmes se lancent dans des grandes opérations de fusions et d'acquisitions, sans décider les investissements nécessaires pour développer l'emploi. L'argent-profit est utilisé de façon conquérante pour de nouveaux profits.
En second lieu, le CAC 40 a atteint un niveau encore jamais égalé, confirmant spéculation, fructification des profits financiers. La France est donc riche d'argent improductif.
Je m'en tiendrai à ce premier constat : l'argent disponible n'est pas employé pour l'emploi. Les OPA, contre-OPA, alliances, fusions se substituent aux objectifs d'emplois. Plus les profits augmentent, moins les emplois se créent. Pis, les licenciements se poursuivent.
Mon second constat est que l'argent de l'épargne est devenu trop stérile. Fruit de l'épargne des familles, cet argent sommeille. La tendance à l'utiliser pour le progrès social et l'emploi n'existe pas. En revanche, existe celle de tranférer cet argent dans le domaine de la spéculation.
C'est le danger qui menace les caisses d'épargne de se voir ponctionner, dans un premier temps, de 18,8 milliards de francs qui ne seront utilisés ni pour l'investissement ni pour l'emploi.
Nous reviendrons sur votre initiative tendant à verser ce capital au fonds de retraite créé lors de l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
M. Marini se félicite par ailleurs des évolutions proposées et que vous caractérisez de modernisation, monsieur le ministre. Nous, nous nous en inquiétons !
Les caisses d'épargne existent depuis 1818. Elles ont résisté aux régimes, aux Républiques développant la philosophie de l'épargne à rémunération modeste mais susceptible de jouer un rôle d'intérêt général, avec un réseau de 600 agences. Mais elles ont aussi connu des évolutions préoccupantes, des adaptations aux méthodes des banques commerciales spéculant sur les marchés, sélectionnant la clientèle en écartant la plus défavorisée, fermant des agences et imposant une logique financière.
La réforme proposée, avec l'aggravation des mesures prévues par la majorité de la commission des finances, présente des dangers tels qu'ils nous conduiront, c'est évident maintenant, à émettre à un vote négatif, résolument négatif, dirai-je même.
Nous nous posons des questions simples, monsieur le ministre.
Votre projet, qui supprime le caractère à but non lucratif des caisses d'épargne, leur laisse-t-il les moyens de leur développement, d'un investissement social ?
Le projet s'accompagne-t-il d'une politique de progrès social en faveur de l'emploi ?
Les réponses à ces questions suscitent de la part des salariés, vous le savez, beaucoup d'interrogations, d'inquiétudes, de critiques parfois sévères. L'audition par notre commission des finances de l'intersyndicale des caisses d'épargne en a porté témoignage.
Les élus s'inquiètent également de la fermeture de certaines agences, notamment en milieu rural et dans les quartiers sensibles, de la suppression d'emplois et aussi de la remise en cause de la spécificité, des qualités propres des réseaux des caisses d'épargne.
Le débat mené il y a maintenant près de deux mois à l'Assemblée nationale a permis, de ce point de vue, de lever un certain nombre d'équivoques : ont notamment été inscrites dans la loi les missions d'intérêt général des établissements du réseau, de même que la spécificité de ses ressources.
On peut aussi noter qu'il a été décidé de donner un relief particulier à l'action des caisses d'épargne au travers de la mise en oeuvre du principe du « dividende social », qui constituera, dans les faits, une sorte de retour vers la collectivité, au bénéfice de celle-ci, du produit de l'activité du réseau.
Pour autant, monsieur le ministre, il nous semble important que les choses soient encore modifiées et améliorées. C'est le sens d'une part significative des amendements que nous avons déposés, même si nous serons sans doute éloignés de la position défendue par notre rapporteur et qui consiste à ouvrir un peu plus les portes à une banalisation du réseau des caisses d'épargne, ce qui demeure sa position idéologique de fond.
Il existe en effet dans notre pays, non seulement autour des caisses d'épargne mais aussi au travers d'un certain nombre de placements de caractère défiscalisé - épargne logement, LEP, livret-jeune notamment - un important stock financier qui échappe, d'une certaine façon, à la simple application des règles du marché.
Observons d'ailleurs, à ce titre, que cette originalité a, en particulier, un volet fiscal, mais qu'elle est aussi liée pleinement à la question des emplois adossés sur les ressources collectées.
Cela vaut, évidemment, de manière essentielle pour le livret A, dont l'usage exclusif au bénéfice du logement social est la manifestation évidente.
De fait, nous ne partageons pas une analyse un peu à courte vue qui consiste à prôner une réduction du niveau de rémunération de ces livrets et placements divers et qui est - c'est du moins ce que nous ressentons - animée par plusieurs motivations.
Sur le fond, les sommes collectées au travers de ces divers placements attisent évidemment toutes les convoitises, notamment celles des établissements de crédit « banalisés », toujours à la recherche de ressources au moindre coût dans la perspective de montages financiers toujours plus discutables et qui ne font pas, c'est le moins que l'on puisse dire, la part belle à l'emploi.
Par ailleurs, on est amené à penser que ce qui peut intéresser aussi les tenants de cette position, c'est de conquérir des parts de marché à moindre risque sur une clientèle - celle des caisses d'épargne - dont la solvabilité est assez nettement avérée.
On ne peut ici oublier que les utilisateurs des fonds du livret A sont des organismes bailleurs sociaux et que les principaux clients des caisses d'épargne sont des collectivités locales que des obligations juridiques tout à fait impérieuses mettent en demeure de répondre aux engagements financiers qu'elles souscrivent.
La décollecte sur les livrets défiscalisés est donc non pas uniquement un outil d'abaissement général du coût du crédit - encore qu'il convienne de souligner que les caisses d'épargne, de par la nature de leur clientèle, prêtent sur le long terme et non sur le court terme - mais bien plutôt une arme de conquête de nouvelles parts de marché, de nouvelles marges de manoeuvres financières et de profits injustes, car réalisés au détriment des besoins de logement du plus grand nombre.
Cela nous amène à considérer désormais la question assez fondamentale, soulevée dans le débat de l'Assemblée nationale, de la constitution, autour de la Caisse des dépôts et consignations, d'un véritable pôle financier public.
Nous aurons l'occasion, au cours de l'examen des amendements, de préciser les objectifs que doit se fixer ce pôle, en réponse aux mastodontes financiers regroupant les établissements à vocation internationale.
Nous estimons que ce pôle doit servir à rendre prioritairement à l'intervention publique en matière financière toute sa portée et toute son efficacité.
Epargne et crédit sont à mettre au service de l'emploi et de la formation. Cela implique, en particulier, que l'ensemble des organismes publics ou investis d'une mission d'intérêt public ou d'intérêt général soient mis en situation de travailler ensemble, sur la base de finalités précises et d'objectifs généraux qu'ils seront à même de définir au travers de leurs synergies et de leurs stratégies propres ou respectives.
Faut-il inscrire ces principes dans ce projet de loi, monsieur le ministre ?
En clair, ce texte est-il le plus indiqué pour débattre de la constitution de ce pôle financier public, au moment où l'on traite du problème du statut des caisses d'épargne et de la sécurité financière ?
Nous pensons, pour notre part, que, à défaut d'être conclu ici, pour des raisons assez évidentes de rapport de forces politiques et de considérations idéologiques, ce débat doit être ouvert et que chacun doit être amené à se positionner en fonction de son approche de la question.
Nous formulerons donc dans le débat sur les articles un certain nombre de propositions précises qui appellent naturellement la contradiction et la réflexion de chacun sur le sujet.
Evidemment, nous serons amenés à nous opposer à un grand nombre d'amendements de la majorité de la commission des finances.
Après Paul Loridant, qui s'est exprimé sur la seconde partie concernant le renforcement de la sécurité financière, voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je voulais dire au nom du groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon collègue et ami Jean-Louis Carrère s'étant exprimé au nom de mon groupe sur le volet concernant les caisses d'épargne en des termes que je fais miens, je souhaite intervenir, pour ma part, sur les deux autres volets que comprend ce projet de loi, et tout d'abord sur celui qui porte sur le renforcement de la sécurité financière.
Les mesures proposées constituent, à elles seules, une véritable loi-cadre pour la consolidation du secteur financier.
Depuis près de vingt ans, le monde financier est dans une phase à la fois de mutation et de déréglementation. En renforçant la sécurité financière, par une prévention, un contrôle et une meilleure gestion des faillites financières, le Gouvernement améliore la protection tant des opérateurs que des épargnants, ce qui est une excellente chose.
Cette volonté était attendue. Je rappelle que les structures de notre système financier n'ont pas sensiblement évolué au cours des années quatre-vingt-dix. La nécessité d'une telle réforme se trouve d'ailleurs renforcée, aujourd'hui, par les mutations qu'impose l'avènement de l'euro sur les marchés financiers, ainsi que par les restructurations financières qui se multiplient à l'heure actuelle.
C'est pourquoi l'ensemble de cette réforme ne pourra que renforcer la crédibilité de la place de Paris. Le texte a d'ailleurs déjà reçu une large approbation de la part des professionnels concernés, ce qui n'est pas étonnant.
Une refonte des mécanismees de sécurité de place est ainsi engagée avec la création d'un fonds unique de garantie des dépôts bancaires et, pour la première fois dans la zone euro, avec la mise en place d'un dispositif permettant de garantir les droits des assurés en cas de défaillance d'une entreprise.
Chacun se souvient ici du cas d'Europavie. Il fallait tout mettre en oeuvre pour qu'une telle faillite ne se reproduise plus. Le Gouvernement l'a fait. Nous l'en félicitons et nous nous en réjouissons.
Je ne reviendrai pas sur le détail des mécanismes mis en place. Je souhaite seulement appeler votre attention, monsieur le ministre, sur un certain nombre de points qui nous paraissent importants, et en premier lieu la nécessaire indépendance des structures mises en place.
Un collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier est créé. Ce collège doit faciliter l'échange d'informations entre les autorités de contrôle et la coordination de leur action, et c'est une bonne chose.
Mais j'attire votre attention sur un objectif qu'il m'aurait semblé nécessaire de fixer également, celui consistant à donner à ce collège, comme d'ailleurs à l'ensemble des autorités de contrôle, - mais c'est là l'objet d'une réforme à part entière - les moyens d'une véritable indépendance.
Il me semble que ces moyens n'existent pas totalement dans ce texte. Il ne me paraît pas sain, en particulier, que siège à une place qui ne pourra qu'être décisive, étant donné le poids qu'il représente, le gouverneur de la Banque de France. Doit-on, au sein de telles instances, opérer un mélange des genres ?
Les personnes qui font la réglementation ne doivent pas être celles qui effectuent le contrôle de cette réglementation. Il me semble utile que ces remarques viennent enrichir la réflexion du Gouvernement dans ce domaine.
En matière de fonds de garantie, l'Assemblée nationale a contribué à améliorer le texte, notamment sur le versement des cotisations, en permettant de les relier aux risques objectifs que chaque adhérent fait courir au fonds ; ce point peut être qualifié d'essentiel.
Nous déposerons nous-mêmes des amendements sur ce fonds de garantie pour les assurés, sur les cotisations des adhérents pour des raisons de sécurité, comme sur la distinction qu'il nous semble utile d'opérer entre contrats d'assurance, selon leur nature, pour des raisons de justice.
Dans notre esprit, il convient de tout mettre en oeuvre pour qu'à l'avenir les droits des assurés puissent être préservés.
Il y a beaucoup d'entreprises d'assurance-vie en France, aujourd'hui. Il faut faire attention que certaines d'entre elles, afin de rester concurrentielles, ne proposent pas des garanties excessives risquant de mettre à mal leur solvabilité future, et donc la sécurité de leurs clients.
Pour cela, le fonds de garantie ne doit pas inciter certains assureurs à s'affranchir de toute règle de prudence, sous prétexte de concurrence internationale et de l'existence d'un fonds pour, le cas échéant, protéger les assurés.
De même, il faut faire en sorte que ce fonds ne permette pas des interférences du monde de l'assurance vis-à-vis de la commission de contrôle, qui doit rester parfaitement indépendante et en capacité de mettre en oeuvre toutes ses missions de surveillance et d'interpellation des entreprises qu'elle contrôle.
Je souhaite maintenant revenir sur le dispositif prévu en matière de surveillance des établissements de crédit.
Un article essentiel, supprimé par l'Assemblée nationale, mais dont vous avez, monsieur le ministre, annoncé qu'il réapparaîtrait sous une autre forme au Sénat, mérite d'être examiné de près ; je veux parler de l'article 37, qui modifie la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération.
Je veux croire que cette disposition qui, en particulier, aménageait les modalités de fixation de l'intérêt servi aux parts sociales des coopératives avait été mal comprise.
Néanmoins, je souhaite que le Gouvernement s'attache encore à lever toute interrogation : le dispositif proposé ne doit pas, dans ses modalités comme dans ses objectifs, imposer, de près ou de loin, au secteur mutualiste une autre logique que la sienne.
Les nouvelles règles proposées en effet, ont pu apparaître aux intéressés comme étant contraires au fonctionnement coopératif lui-même.
Les banques coopératives ne sont pas des sociétés de capitaux qui rémunèrent au maximum leurs associés. Je rappelle que leur objet est de rechercher non pas obligatoirement un profit financier, mais également des avantages sociaux ou économiques, comme cela a déjà été dit.
Il serait donc malvenu de revenir sur le principe même de cette sous-rémunération des parts sociales, même si cette pratique est considérée comme un avantage concurrentiel anormal par les banques commerciales.
Nous avons toujours eu un attachement profond pour le secteur coopératif : d'une part, bien sûr, en raison de son histoire comme de sa finalité ici rappelée, mais, d'autre part, pour des raisons que je qualifierai d'économiques.
N'oublions pas, en effet, que ce secteur est « non-OPEable ». Cette donnée est loin d'être négligeable quand on la rapporte à la situation que connaît le monde financier à l'heure actuelle. C'est pourquoi, pour la stabilité et l'indépendance du système bancaire français, dans le contexte actuel des fusions multiples, il importe de conforter et non pas de fragiliser ce secteur.
Je ne peux oublier non plus que ces établissements se voient bien souvent confier des missions d'intérêt général par la puissance publique.
Ce secteur ne peut et ne doit donc pas être traité à parité avec le réseau concurrentiel des banques de l'Association française des banques, l'AFB.
J'en viens maintenant au troisième volet de ce projet de loi, celui qui porte sur la création du marché des obligations foncières et sur la réforme des sociétés de crédit foncier.
Cette réforme va dans le bon sens. Elle permettra un vrai développement des mécanismes de refinancement des prêts à l'immobilier ainsi qu'aux collectivités locales.
Elle doit permettre également de donner au Crédit foncier de France des atouts supplémentaires pour réussir la procédure d'adossement, actuellement en cours.
Je me félicite ici de l'orientation prise par le Gouvernement. Le temps n'est pas si loin où un autre gouvernement avait choisi une autre voie : vendre le Crédit foncier à une valeur quasiment symbolique, pour ne pas dire une valeur de casse. Ces temps sont révolus, et tout le monde ne peut que s'en réjouir.
Il convient toutefois de parachever l'exercice afin de donner au Crédit foncier les véritables moyens de redémarrer dans de bonnes conditions.
On pourra me rétorquer que l'on ne légifère pas pour un seul établissement. C'est juste mais, en l'occurrence, il ne faut pas oublier que, lorsque le législateur, abrogeant ses statuts, fixe de nouvelles règles du jeu, il est normal qu'il aille jusqu'au bout et qu'il se préoccupe également du devenir de l'établissement.
S'agissant du Crédit foncier - mes remarques s'appliquent également au Crédit foncier d'Alsace-Lorraine - il est évident que sa tâche, qui consistera à basculer l'essentiel de son actif dans une filiale ad hoc , comme il lui est demandé, sera une tâche infiniment plus délicate que celle de toutes les autres banques qui souhaiteront intégrer ce nouveau marché.
C'est pour cette raison et parce que se profile la procédure d'adossement, sur laquelle je reviendrai plus tard, qu'il est impérieux de prévoir un dispositif qui, dans son ensemble, ne vienne pas fragiliser de manière induite, et loin s'en faut, cet établissement.
De ce point de vue, j'avoue m'interroger sur les modalités techniques qui ont été choisies pour l'article 62.
Cet article précise que les prêts éligibles doivent être garantis soit par une hypothèque, soit par un cautionnement. Cette dernière garantie n'est pas usuelle pour le Crédit foncier de France, dont les prêts sont garantis par une hypothèque. Je note que les prêts cautionnés dans le cadre du dispositif d'obligation foncière n'existent pas non plus en Allemagne.
On comprend bien l'idée poursuivie par le Gouvernement en permettant aux prêts cautionnés d'être éligibles à ce marché : il s'agit de lui donner les moyens de son plein essor. Il est important que, sur le marché des obligations foncières, notre pays puisse enfin rivaliser avec l'Allemagne.
Néanmoins, dès lors que des règles de quotité sont prévues dans le cadre de l'hypothèque, il n'y a, à notre sens, aucune raison pour qu'il n'en soit pas de même pour la caution.
Il nous semble fondamental, lorsqu'un marché est ouvert à la concurrence, que celle-ci puisse jouer sans distorsion d'aucune sorte. Or, en l'espèce, cela ne nous paraît pas être le cas. Un prêt offert sans quotité est plus attrayant pour l'emprunteur qu'un prêt avec quotité. Même si les deux prêts en cause ne sont pas de nature identique, il n'y a aucune raison pour qu'ils ne soient pas traités sur un pied d'égalité, sauf à vouloir avantager certains plutôt que d'autres, ce qui, j'en suis sûr, n'est pas dans les intentions du Gouvernement. Je souhaite donc que l'on puisse également améliorer le texte sur ce point.
Nous nous interrogeons aussi sur l'article 65, qui instaure un privilège pour le porteur d'obligation foncière. Nous en comprenons bien la nécessité, mais chacun comprendra que nous ne puissions envisager ce principe sans être sûrs qu'il n'y ait aucune ambiguïté. En effet, ce privilège prenant rang devant celui du Trésor, et surtout devant les droits des salariés, il est important de s'assurer que les modalités techniques prévues n'impliquent aucune perte de droits fondamentaux pour les salariés.
Les amendements que nous avons déposés sont de nature à lever toute ambiguïté. J'espère qu'ils seront adoptés.
Au demeurant, et sur le fond, les nouvelles filiales créées par le texte ne sont que de simples véhicules financiers. En l'espèce, s'agissant du Crédit foncier, les 2 300 salariés resteront dans la maison mère, avec des droits de super-privilège parfaitement intacts.
Il conviendra à l'avenir qu'aucun personnel ne soit jamais affecté à aucune de ces filiales ad hoc, et ce pour toutes les sociétés de crédit foncier qui seront créés.
De même, pourrait-on trouver un dispositif pour permettre, en cas de procédure collective, une continuité, jusqu'à son terme, du contrat de gestion passé entre la société de crédit foncier et l'établissement de crédit foncier et l'établissement de crédit.
De manière générale, se pose la question des rapports futurs entre la société mère et sa filiale.
Pour le Crédit foncier de France, cette question est d'importance. En effet, seront transférés à la filiale les obligations et les actifs correspondants, c'est-à-dire l'essentiel de ses activités, alors que le personnel restera dans la structure mère, avec un actif appauvri. On voit bien alors quel type de risques peut nourrir l'inquiétude du personnel.
Dans la procédure actuelle d'adossement, il est fondamental que le futur cahier des charges impose au repreneur de reprendre à la fois la société fille et la société mère.
Si cette règle n'était pas établie, on voit bien quelle pourrait être l'attitude dévastatrice pour le devenir de cet établissement et de son personnel, du repreneur.
De même, il est essentiel que le cahier des charges prévoit que le Crédit foncier continuera à être un établissement bancaire, à statut d'institution financière spécialisée.
Par ailleurs, il est important d'obtenir confirmation que le basculement prévu par la réforme s'effectuera bien en toute neutralité fiscale.
Ces dernières questions ne relèvent pas de la loi, j'en conviens, mais j'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions, lesquelles, on le comprend bien, sont aussi importantes, pour l'avenir du Crédit foncier, que les mesures législatives que nous allons voter.
Monsieur le ministre, vous l'avez bien compris, les interrogations évoquées par Jean-Louis Carrère et par moi-même ayant reçu réponse, nous voterons ce texte important, pour autant, bien sûr, qu'il ne soit pas profondément modifié, voire dénaturé par la majorité sénatoriale ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Paul Loridant applaudit également.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Voyons ! Nous améliorons, nous ne dénaturons pas !
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui répond à deux exigences particulièrement urgentes : réformer les caisses d'épargne afin d'assurer la pérennité de leur mission et les adapter à un marché ouvert, de plus en plus concurrentiel ; la seconde priorité est le renforcement de la sécurité financière du secteur bancaire et financier.
S'agissant de la réforme des caisses d'épargne, permettez-moi de me réjouir que ce soit la forme coopérative qui ait été retenue, ce qui constitue la reconnaissance de la modernité et du caractère démocratique de ce statut.
Lorsque cette réforme sera terminée, monsieur le ministre, ce sont plus de 65 % du PNB bancaire qui seront générés par le secteur coopératif en France, ...
M. Jean-Louis Carrère. Pas générés, gérés !
M. Marcel Deneux. ... la France rejoignant en cela les autres grands pays européens.
Mais je regrette, et j'en suis préoccupé, les atteintes à la loi coopérative que comporte le projet de loi, même si je comprends les difficultés qu'il y a à faire évoluer une institution aussi complexe que les caisses d'épargne.
Je souhaite donc revenir sur deux aspects particulièrement importants du projet de loi car ils conditionnent la capacité d'investissement et le degré de démocratie du futur réseau. Il s'agit des charges financières imposées au groupe Caisses d'épargne et de l'organisation des structures de base.
Je n'insisterai pas sur les incohérences du projet de loi tel qu'il a été amendé par une composante de la majorité à l'Assemblée nationale. Le texte prévoit effectivement une série de mesures financières contraignantes que je considère incompatibles avec les objectifs de développement du groupe affichés par le Gouvernement. Le président de la commission des finances, M. Alain Lambert, le rapporteur, M. Philippe Marini, et mon collègue de l'Union centriste M. Denis Badré ont très clairement dénoncé ces ambiguïtés tout à l'heure.
Comment, en effet, imaginer que les caisses d'épargne devenues banques coopératives, ce qui est une bonne chose en soi, puissent participer à « la lutte contre l'exclusion bancaire et financière de tous les acteurs de la vie locale, sociale et environnementale » ? Ce sera effectivement difficile avec ce texte et les conditions que vous leur préparez.
On ne peut pas à la fois souhaiter que le réseau de l'Ecureuil entre dans le système concurrentiel tout en lui imposant ainsi des fonctions nouvelles et des charges qui dépassent totalement le cadre du statut coopératif. En somme, le grand tort du projet gouvernemental est, comme l'on dit vulgairement, de « trop charger la barque », que ce soit pour le délai accordé aux caisses pour placer leurs parts sociales dans le public - quatre ans seulement - ou pour la cadence et le montant des reversements au fonds de mutualisation.
A contrario, la plupart des amendements de la commission des finances sont inspirés par un souci d'efficacité de bon aloi. La priorité est donnée au renforcement des fonds propres, conformément aux souhaits des dirigeants des caisses ainsi, semble-t-il, que par la majorité du personnel. Je pense aussi à l'amendement de la commission rendant possible l'émission de bons de souscription de certificats coopératifs d'investissement, ce qui pourrait effectivement faciliter la souscription au capital.
Quant au problème des structures de base, il constitue également un des aspects les plus fondamentaux de la réforme : le statut des banques coopératives de réseau, que je connais bien, comporte de telles structures, éléments indispensables à l'expression des sociétaires. On peut néanmoins s'interroger sur l'opportunité des fameux groupements locaux d'épargne, qui seraient chargés de placer les parts sociales des caisses. Un tel système risque en effet de créer à terme des problèmes.
Je partage l'avis de la commission : les caisses d'épargne devraient pouvoir vendre directement leurs parts sociales, sans passer par des groupements « parasites ». A défaut, on pourrait en effet assister à des oppositions entre entités au sein du même groupe, ce qui n'est pas dans l'intention de la réforme. Pourtant, le risque existe.
Par ailleurs, restons-en au droit coopératif : la loi de 1947 qui reste la charte, bien que modifiée, prévoit la possibilité pour les sociétés coopératives de créer des sections locales d'épargne chargées de la représentation des sociétaires. Cette solution a le mérite d'être facile à mettre en oeuvre : elle avait d'ailleurs, à l'origine, la préférence des initiateurs du projet de loi. C'est un système qui a fait largement ses preuves en France et dans tous les pays d'Europe du Nord. Monsieur le ministre, pourquoi faire compliqué là où l'on pouvait faire simple ?
Telles sont mes quelques remarques concernant la réforme des caisses d'épargne sur laquelle je suivrai, avec mon groupe, l'avis de la commission des finances du Sénat.
Monsieur le ministre, la structure que vous proposez n'est bonne ni pour la démocratie ni pour les possibilités d'expression des sociétaires.
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. Marcel Deneux. S'agissant de la deuxième partie du projet de loi, la sécurité financière, permettez-moi, tout d'abord, d'émettre des réserves sur la méthode employée à l'occasion de l'examen d'un texte, par ailleurs très attendu dans les milieux professionnels.
Voilà un projet de loi qui comporte une petite centaine d'articles et dont un tiers environ concerne la sécurité financière et les systèmes de garantie, pas moins ! Dans ce texte, sont concernés des secteurs aussi divers que les banques membres de l'AFB, les établissements bancaires coopératifs et mutualistes, les compagnies d'assurances, les mutuelles et sociétés d'investissement. Or il faut regretter que certaines dispositions, par exemple l'article 37 du projet de loi initial relatif à la mise en réserve des banques coopératives, et l'article 47 sur les fonds de garantie des dépôts, n'aient pas fait l'objet d'une réelle concertation avec les responsables concernés.
L'article 37, supprimé par l'Assemblée nationale, ouvrait la possibilité de déplafonner l'intérêt versé aux parts sociales. A l'heure actuelle, seules les banques membres de l'AFB fixent librement la rémunération servie aux actionnaires, alors que celle qui est versée aux détenteurs de parts sociales est plafonnée. Le projet de déplafonnement a provoqué une véritable levée de boucliers de la part des « coopérateurs » et je les comprends. Nous avons l'impression que cette proposition n'est qu'une mesure tendant à régler un problème ponctuel, celui de permettre aux caisses d'épargne de placer auprès des coopérateurs éventuels le capital social avec une bonne rémunération.
Cette disposition révèle en effet une certaine méconnaissance de l'esprit et de l'organisation des sociétés coopératives, secteur que je connais bien personnellement et auxquels les Français restent très attachés. N'oublions pas que ce secteur a su allier, notamment dans le secteur bancaire, rigueur et efficacité.
Or, l'un des principes fondamentaux du système coopératif est la mise en commun de moyens qui constituent un bien communautaire impartageable : cela implique, à la différence des sociétés par actions, d'une part la mise en réserve d'une grande partie des résultats en faveur du développement de l'entreprise et, d'autre part, le versement d'une rémunération limitée aux sociétaires.
En outre, le déplafonnement des intérêts est contradictoire avec l'objet général du projet de loi, qui est la sécurité financière des établissements de crédit. Il offre en effet la faculté de distribuer une part plus grande du résultat net, contrariant d'autant la constitution des fonds propres nécessaires pour la sécurité.
A titre personnel, je préférerais que l'on en reste pour le moment au statut de 1947, modernisé en 1992.
Je note néanmoins que la nouvelle version de l'article 37 proposée par la commission des finances est plus protectrice des légitimes intérêts des banques coopératives, mais qu'elle peut encore être améliorée.
Il est toujours possible en effet, à partir du moment où le principe du plafonnement est respecté - comme vous l'avez admis, me semble-t-il, monsieur le ministre - de discuter du mode de fixation du plafond déjà modifié à plusieurs reprises, à condition que soit prise en compte l'idée selon laquelle le capital souscrit par les coopérateurs doit être rémunéré dans des conditions analogues à celles des placements à moyen et à long terme auxquels il s'assimile, et ce dans des limites qui laissent toute sa signification au plafonnement et à la mise en réserve des résultats pour renforcer la solidité et la capacité de développement de la coopérative. Quant à l'article 47, il suscite d'autres inquiétudes : la création d'un fonds de garantie unique devrait avoir pour conséquence de faire payer deux fois les banques fonctionnant en réseau, au niveau des organes centraux et des banques locales, conformément aux dispositions de la loi bancaire en vigueur aujourd'hui.
Certes, on ne peut que souscrire à l'objectif intrinsèque de cette loi, qui vise à renforcer la sécurité des déposants et, donc, la crédibilité de la place financière de Paris.
Cependant, il apparaît que seul le système applicable aux banques commerciales pose actuellement un problème : les exemples récents ne manquent pas où l'Etat a dû intervenir afin d'assurer une indemnisation à hauteur du plafond légal, soit 400 000 francs.
A ma connaissance, il n'en est pas de même pour les groupes mutualistes et les banques à réseau, qui, depuis quinze ans, chaque fois que c'était nécessaire, ont assumé toutes leurs responsabilités.
L'existence d'un système de garantie unique peut se justifier par la multiplication des fusions et des partenariats entre banques coopératives et banques commmeciales. Mais il n'est pas normal de réserver un traitement uniforme à toutes les banques alors que leurs situations respectives sont différentes. C'est particulièrement le cas en matière de calcul des cotisations et du crédit d'impôt y afférent.
Nonobstant le risque de double paiement pour les banques fonctionnant en réseau - problème sur lequel j'aimerais entendre M. le ministre - il conviendrait que le montant des cotisations au fonds de garantie reflète le risque rééel propre à chaque établissement.
Nos collègues députés ont souhaité que la formule de répartition des cotisations annuelles « reflète les risques objectifs que l'adhérent fait courir au fonds ». Voilà un principe que j'approuve entièrement. Quant aux modalités précises de calcul des cotisations, elles seraient définies par décret. Dès maintenant, à la faveur de ces débats, je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement à ce sujet.
Parmi les critères retenus, j'estime que devraient figurer, outre le montant des dépôts garantis, l'importance des fonds propres et des engagements, de même que l'existence ou non d'un dispositif de solidarité interne garantissant la liquidité et la solvabilité au sein des réseaux à organe central.
Concernant le crédit d'impôt égal à 25 % des versements au fonds de garantie, l'établissement cotisant ne sera en mesure d'utiliser la totalité de son crédit d'impôt que si le montant de ce dernier est inférieur à celui de la contribution des institutions financières qu'il acquitte.
Ce dispositif est à l'origine d'une autre inégalité aux dépens des établissements à organe central. En effet, les organes centraux sont amenés à acquitter la majeure partie de la cotisation de leur groupe, les crédits garantis étant centralisés en tout ou partie.
Dans le cas du Crédit agricole, la centralisation est de l'ordre de 80 %. A l'inverse, la contribution des institutions financières est payée essentiellement dans les réseaux à organe central par les établissements affiliés, à hauteur de 94 % au Crédit agricole.
Dans la pratique, le crédit d'impôt affecté à l'organe central risque donc d'être sensiblement supérieur à la contribution des institutions financières dont il est redevable.
Les banques à réseau craignent donc de subir une perte fiscale non négligeable par rapport au droit commun. Cette perte est estimée par les professionnels à l'équivalent d'un surplus de cotisation de l'ordre de 20 %.
Par ailleurs, l'importante contribution des établissements bancaires qui auront participé à la montée en puissance du dispositif de garantie durant les premières années doit être prise en compte dans les conditions d'adhésion d'éventuels nouveaux membres.
Dans le texte voté à l'Assemblée nationale, il n'est pas indiqué que le cas spécifique des nouveaux membres sera traité par le règlement d'application du comité de la réglementation bancaire et financière. Cela est susceptible de créer une injustice entre les différents adhérents et une distorsion de concurrence au profit des nouveaux entrants dans le secteur. Un de mes amendements au projet de loi vise à combler cette lacune.
D'un point de vue plus général, est-il vraiment opportun de superposer les charges liées à l'approvisionnement du fonds unique à celles qui correspondent à la contribution des institutions financières. Cette dernière taxe, rappelons-le, n'existe nulle part ailleurs en Europe, ce qui constitue un nouveau handicap pour nos établissements financiers face à la concurrence internationale.
Alors que les banques françaises sont actuellement engagées dans un profond processus de restructuration, conséquence de l'ouverture du marché au niveau européen et de l'introduction de l'euro, il me paraîtrait de bonne politique de réfléchir à une suppression progressive de la contribution des institutions financières.
M. Philippe Marini, rapporteur. Parfait !
M. Marcel Deneux. Enfin, l'Assemblée nationale a adopté un article 53 bis nouveau, qui prévoit d'élargir les compétences de l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement au dialogue social.
Véritable cavalier, cette disposition n'a fait l'objet d'aucune concertation avec l'association concernée : la commission des finances propose de la supprimer et rejoint ainsi l'avis des membres de l'AFACEI qui se sont prononcés récemment en assemblée générale en faveur du retrait de l'amendement.
Nonobstant ces observations, un peu sévères parfois, la deuxième partie du projet comporte également des mesures fort opportunes, je tiens à le souligner ; je pense à la coordination des autorités de contrôle existantes qui facilitera l'échange d'informations et la surveillance des établissements financiers.
Le renforcement des prérogatives de la commission bancaire se révèle également nécessaire ; l'histoire récente l'a, hélas ! démontré.
S'agissant du titre consacré aux sociétés de crédit foncier, le projet de loi va aussi dans le bon sens en créant à Paris un vrai marché des obligations foncières. Ainsi les établissements français pourront-ils enfin se positionner dans ce secteur par rapport à leurs concurrents européens, en particulier leurs concurrents allemands. Il était temps de le faire.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste votera l'ensemble du projet de loi tel qu'il sera modifié par le Sénat.
Avec ce vote, la Haute Assemblée aura apporté sa pierre à une réforme majeure dans l'histoire de nos institutions financières.
Le mérite en revient en premier lieu, et je tiens à le féliciter encore, au président de la commission des finances et à notre rapporteur, ainsi qu'à l'ensemble de la commission des finances. Je veux les féliciter pour leur travail intelligent et approfondi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Louis Carrère. Les violons !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre, qui doit avoir des éléments de réponse à apporter aux intervenants.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Les réponses que je vais apporter aux orateurs n'épuiseront heureusement pas le débat, sinon cela viderait de tout intérêt les longues heures que nous allons passer encore ensemble sur les différents articles. Néanmoins, je vais essayer d'être complet pour vous en faire bénéficier, monsieur le président, au cas où vous ne pourriez assister à la suite des débats.
M. le président. Je me ferai un plaisir d'être là, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous remercie, monsieur le président.
Je ferai d'abord une remarque d'ensemble. J'ai apprécié les observations des différents orateurs. Certaines ont été plus laudatives que d'autres ; certaines ont été plus critiques que d'autres. C'est bien normal.
Je constate, comme il est bien normal aussi, que certains des points que plusieurs d'entre vous ont évoqués ne me sont pas totalement inconnus. J'ai en effet reçu de la part des différents corps constitués qui s'intéressent à ce sujet les mêmes documents que ceux dont vous disposez. Comme c'est normal dans une démocratie comme la nôtre, les lobbies de toutes sortes - puisque c'est ainsi qu'il faut les appeler - ont joué leur rôle, permettant aux uns et aux autres de bénéficier des mêmes documents. Je ne suis donc pas surpris d'en retrouver trace dans les différentes interventions.
Monsieur le rapporteur général, vous avez appelé à plus d'audace ; je vous reconnais bien là. (Sourires.)
Je crois cependant que, s'agissant de ce projet de loi, l'audace, c'est de vous le présenter (Nouveaux sourires) et de vouloir aller jusqu'au bout d'une réforme dont beaucoup d'entre vous ont souligné qu'elle était attendue depuis longtemps.
Si j'ai souligné dans mon intervention liminaire la qualité, le nombre et l'ancienneté des travaux que le Sénat avait pu faire sur ce sujet, c'était certes pour rendre hommage au Sénat dans son ensemble et aux rédacteurs de ces travaux en particulier, mais aussi pour faire remarquer, en creux, que, disposant de tous ces rapports depuis longtemps, le précédent gouvernement aurait certainement eu le temps de mener à bien la réforme, s'il en avait eu l'audace ! (Sourires.)
Les thèmes abordés ne sont pas nouveaux. Vous y avez beaucoup contribué, depuis très longtemps. A défaut d'être très étonné, du moins suis-je légèrement surpris que vous n'ayez pas mis à profit les longues périodes pendant lesquelles la majorité du Sénat coïncidait avec celle de l'Assemblée nationale...
M. Philippe Marini, rapporteur. Si courtes !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... si courtes, dites-vous, monsieur le rapporteur - c'est un point de vue - en tout cas suffisamment longues, pour mener à bien la réforme que vous avez si bien nourrie de tous les arguments que je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce n'est qu'en 1983, en 1991 et en 1999, c'est-à-dire quand une majorité de gauche est au pouvoir, pour que l'on s'intéresse vraiment aux caisses d'épargne, à croire que les caisses d'épargne n'intéressent finalement pas les partis conservateurs de ce pays. (M. Carrère applaudit.)
M. Michel Sergent. Tout à fait !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Parce qu'il y a alternance à toutes les élections ! (M. le rapporteur approuve.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Voilà ! Il y a des alternances à toutes les élections, et cela permet au statut des caisses d'épargne d'avancer.
En tout cas, reconnaissez avec moi que, s'il est facile de dire que, lorsqu'on bouge, on ne bouge pas assez - c'est un reproche qui a été fait par plusieurs orateurs - il m'est plus facile encore de faire remarquer - et vous me pardonnerez cette facétie avant d'aborder les questions plus techniques - que critiquer le mouvement quand il existe ne vous excuse pas d'avoir échappé à ce mouvement quand vous pouviez le mettre en oeuvre.
L'intervention de M. le rapporteur, comme celle, d'ailleurs, de M. le président de la commission, ont été à ce point riches qu'elles ont couvert pratiquement tous les sujets que les autres orateurs ont évoqués par la suite. J'aurais scrupule à répondre à tous les points au travers des deux interventions principales et à ne pas répondre aux autres. Je vais donc, dans une certaine mesure, répartir en quelque sorte mes réponses. Je pense que ni M. Marini ni M. Lambert ne m'en voudront.
Commençons par le livret A. Monsieur Marini, vous nous proposez une indexation législative du livret A. Certes, cela a un rapport puissant avec notre texte, mais pas un rapport immédiat. Vous savez que ce n'est pas la position du Gouvernement. Il y a donc là peu de débat, il y a une position différente.
Nous pensons que le livret A doit garder sa spécificité. C'est d'ailleurs un thème qui sera évoqué par beaucoup d'entre vous au travers de la question de sa banalisation ; mais je l'évoque là au travers du taux, qui est celui de la rémunération.
Nous pensons que le livret A doit garder sa spécificité, donc son caractère spécifique attaché à un réseau et à un mode de définition du taux de rémunération qui doit être laissé au Gouvernement.
Vous le savez, nous avons créé une commission, dite des taux réglementés, qui est appelée à donner son avis. Elle l'a d'ailleurs fait il y a quelques semaines.
Mais le Gouvernement est libre, en fonction d'autres impératifs que ceux qui sont uniquement financiers, de choisir la politique qui leur semble la meilleure.
Nous n'aurions d'ailleurs pas intérêt collectivement à enserrer tous les gouvernements à venir et qui se succéderont - car, M. Lambert l'a rappelé, il y a des alternances - dans un cadre à ce point contraignant que, finalement, il n'y aurait plus aucune maîtrise, l'automaticité de l'indexation se substituant aux choix politiques.
Pour autant, il fallait un encadrement. C'est le rôle du comité des taux réglementés. C'est, je crois, un bon équilibre mais je conçois qu'il puisse y avoir, sur ce point, des divergences entre nous.
Vous avez évoqué un point très important, monsieur le rapporteur, relatif à l'affectation souhaitée par le Gouvernement des 18,5 milliards de francs de capital des caisses - un montant sur lequel je reviendrai dans un instant - à un fonds de retraite.
Je ne peux pas dire que je sois convaincu par votre argumentation. En somme, vous nous dites que ce problème des retraites n'est pas encore totalement élucidé et qu'il n'a pas été entièrement traité par le Gouvernement, ce qui est exact. Dans ces conditions, semblez-vous dire, il ne faut rien faire tant qu'on ne sait pas exactement où l'on va sur l'ensemble. Et cela, ce n'est pas exact car, avec un tel raisonnement, qui est typiquement français et bien cartésien mais peut-être insuffisant, il faudrait avoir totalement résolu le problème sur le papier pour commencer à prendre des décisions concrètes.
Nous savons de toute façon que, quelles que soient les décisions prises, le système de retraite par répartition dans notre pays a besoin d'argent. Il est tout à fait légitime que le capital issu de la transformation des caisses d'épargne en coopératives serve un objectif de solidarité nationale. Quel objectif plus grand de solidarité nationale peut-on trouver que le système de retraite par répartition ? Mettons-y les 18,8 milliards de francs. Cela ne résout pas le problème des retraites, cela va sans dire, mais c'est mieux que de ne pas les y mettre.
Je ne peux pas accepter un raisonnement qui consiste à dire que c'est soit trop petit, soit trop grand. C'est certes trop peu, mais c'est un petit bout du chemin. On en fera d'autres avec d'autres ressources, d'autres excédents qui peuvent apparaître dans les comptes sociaux. Et, petit à petit, nous aboutirons à un fonds qui atteindra, je le crois, plusieurs centaines de milliards de francs.
Ce fonds ne résoudra pas non plus à lui seul le problème des retraites, car il y a une démographie difficile ; mais il y contribuera le jour venu.
Il n'est que temps de commencer, et je ne peux croire un instant - je ne vous ferai pas cette injure - que c'est justement parce que nous commençons que vous vous trouvez gênés que près de 20 milliards de francs soient affectés aux retraites.
Ce n'est certainement pas votre raisonnement, monsieur Marini. De ce fait, vous devez reconnaître que ces quelque 20 milliards de francs sont les bienvenus pour une affectation d'intérêt général.
La question et la suivante : pourquoi 18,8 milliards de francs ? Vous êtes le premier, et beaucoup d'autres vous ont suivi dans cette voie, à avoir souligné l'idée que l'on ne voyait pas très bien pourquoi mettre 18,8 milliards de francs et non 14 milliards de francs. Si ce n'est vous, monsieur le rapporteur, d'autres ont évoqué des chiffres tournant autour de 13 milliards, 14 milliards ou 15 milliards de francs.
Vous avez raison, mais vous avez également tort. Vous avez raison, car les 18,8 milliards de francs ne résultent pas d'une appréciation totalement rigoureuse. D'ailleurs qui serait capable de définir avec une rigueur arithmétique le capital social que doivent avoir les caisses d'épargne ? Ce chiffre correspond à la somme des dotations qui revient au capital actuel des caisses.
Cela a-t-il un sens ? Il est vrai que la somme des dotations aurait pu être trois fois trop forte ou trois fois trop faible. Ce montant est-il à peu près au niveau qui convient ? C'est en tout cas le sentiment du Gouvernement, puisque le ratio capital sur fonds propres, si nous retenons le chiffre de 18,8 milliards de francs pour le capital des caisses d'épargne, sera de 35 %, alors qu'il est de 37 % pour les Banques populaires et de 41 % pour le Crédit mutuel. Notre proposition semble raisonnable. Mais, bien sûr, vous m'objecterez que l'on pourrait en rester à 14 milliards de francs. Cependant, il me semble que vous n'avez pas plus d'arguments pour justifier ce chiffre que je n'en aurais pour justifier celui de 18,8 milliards de francs. Vous en avez même plutôt moins, car le chiffre de 18,8 milliards de francs correspond au moins à la somme des dotations actuelles.
Si nous avions à notre disposition un instrument qui nous permette véritablement de fixer avec exactitude le montant du capital nécessaire, nous nous y rallierions tous, car il n'y aurait aucune raison de ne pas le faire. Mais nous ne disposons pas d'un tel instrument.
A défaut, on peut établir une comparaison avec les réseaux similaires, et j'ai cité à cet égard les Banques populaires et le Crédit mutuel. Certes, ressemblance n'est pas identité.
On pourrait donc estimer que le capital nécessaire est plutôt de 18 milliards de francs, de 19 milliards de francs ou de 17 milliards de francs, mais le chiffre de 18,8 milliards de francs représente justement le capital existant. Par conséquent, pourquoi s'écarter de ce chiffre ? Cela ne serait pas vraiment logique, même si je reconnais, encore une fois, que la rigueur mathématique n'impose pas le chiffre de 18,8 milliards de francs.
Je pense que s'il y a peu de raisons de retenir ce montant, il y en a encore moins de retenir celui de 18,5, de 18 ou de 17,5 milliards de francs. Optons donc pour le chiffre de 18,8 milliards de francs, car il correspond au moins à la situation actuelle.
Peut-être craignez-vous en fait que le réseau n'ait bien du mal à placer ces 18,8 milliards de francs de parts ? C'est possible, je conçois que l'on puisse nourrir cette crainte. Cependant, dans ce cas, si c'est bien cela qui fonde votre raisonnement, si vous pensez que le réseau peut placer 13 ou 14 milliards de francs, mais pas 18,8 milliards de francs, et qu'il vaut mieux fixer un capital moins important - peut-être est-ce le cas, monsieur le rapporteur -...
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est une crainte parmi d'autres !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Alors je puis vous rassurer tout de suite. Selon le choix du Gouvernement, les 18,8 milliards de francs se décomposent en 13 milliards de francs à collecter par le réseau, le reste étant placé sous la forme de certificats d'investissement auprès d'institutionnels. On retrouve donc votre chiffre puisque, au bout du compte, ce seront 13 milliards de francs qui devront être placés par le réseau. Cela correspond - c'est même un peu inférieur - aux 14 milliards de francs que nombre d'entre vous ont proposé.
En conséquence, si votre crainte est la capacité de placement du réseau, alors nous vous avons entendus. En effet, je pense que le réseau aurait eu du mal à placer auprès des épargnants 18,8 milliards de francs. C'est pourquoi il n'aura à en placer que 13 milliards de francs.
Nous sommes donc d'accord sur les chiffres. Nous avons prévu que le reste proviendra d'une autre source. Il n'y a donc plus de difficultés entre nous sur ce sujet.
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faudra quand même rémunérer davantage !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. le rapporteur me dit qu'il faudra rémunérer davantage. Dans ce cas, sa crainte n'est plus que le réseau des caisses d'épargne ne parvienne pas à placer ces 18,8 milliards de francs ; je viens d'y répondre. Sa crainte semble être qu'il ne soit pas capable de les rémunérer.
Qu'il me soit permis, sans ironie, d'être surpris que le grand libéral qu'est le sénateur Philippe Marini ne cherche pas une rentabilité suffisante et s'inquiète de ce que le réseau des caisses d'épargne ait trop de rentabilité à fournir ! En règle générale, monsieur le rapporteur, vous nous avez habitués à raisonner dans l'autre sens.
D'ailleurs, aujourd'hui encore, vous-même comme nombre d'intervenants de la majorité sénatoriale, ont développé le thème de l'insuffisante banalisation du réseau des caisses d'épargne. Il faudrait aller plus loin vers la banque traditionnelle.
Or les ratios de rentabilité de la banque traditionnelle aujourd'hui sont bien plus élevés que ce qui va être nécessaire aux caisses d'épargne, dans la situation qui découlera de ce texte de loi, pour rémunérer ces 18,8 milliards de francs.
Soyons donc cohérents jusqu'au bout ! Ou bien vous souhaitez une plus grande banalisation - et vous l'avez dit - et vous souhaitez donc une rentabilité du réseau bien plus grande encore que celle qui est demandée par le texte de loi. C'est cohérent, c'est votre droit, même si ce n'est pas ma position. Mais, dans ce cas, vous ne pouvez dire, à un autre moment du débat, qu'il est impossible de rémunérer les 18,8 milliards de francs dans les conditions fixées par le projet. Il faut qu'entre le début et la fin des interventions il y ait quand même un minimum de cohérence !
Le choix du Gouvernement a été de dire « non » à la banalisation. Ce n'est pas une banque comme les autres ; le dividende social et d'autres éléments sur lesquels je reviendrai ultérieurement trouvent leur justification dans le fait que ce n'est pas un circuit financier, ce n'est pas un établissement financier comme les autres. Dans ces conditions, il ne doit pas être assujetti à une rentabilité qui peut être aussi forte que celle que les banques commerciales doivent assumer devant leurs actionnaires.
M. Philippe Marini, rapporteur. Il ne pourra pas rémunérer 18,8 milliards de francs !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne pourra pas rémunérer 18,8 milliards de francs.
Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas votre raisonnement. Rémunérer 18,8 milliards de francs n'est impossible que si l'on veut imposer au réseau les mêmes taux de rendement que ceux du réseau commercial. Dans le cas contraire, vous pouvez rémunérer 18,8 milliards de francs, mais à un taux de rendement plus faible.
Par conséquent, la vraie question est la suivante : voulez-vous imposer au réseau des caisses d'épargne un taux de rémunération ou un taux de rendement aussi dur que celui du réseau commercial ? Si c'est « oui », c'est votre droit, mais ne venez pas dire que c'est nous qui imposons des contraintes. Si c'est « non », nous sommes d'accord : avec les résultats obtenus, nous pourrons rémunérer les 18,8 milliards de francs, mais à un taux de rendement plus faible que les banques commerciales.
Personnellement cela me satisfait, car je ne veux pas imposer au réseau des caisses d'épargne des contraintes qu'il ne pourrait pas satisfaire.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n'est pas ce que les souscripteurs en penseront.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour les souscripteurs, monsieur le rapporteur, nous verrons.
La dernière grande critique importante que fait M. le rapporteur et qui mérite beaucoup de réflexion porte sur la mise en place des groupements locaux d'épargne, les GLE, auxquels je vois beaucoup de qualité et un défaut principal, qui est le sigle relativement malheureux. Bref, puisque ce sont des GLE, appelons-les des GLE !
Les GLE, dites-vous, sont inutiles. Nombre d'entre vous ont évoqué « l'usine à gaz », ce qui n'est pas obligatoirement une critique en soi. Dans nombre de secteurs, notamment le secteur gazier, les usines à gaz ne posent pas problème. Pourquoi en poseraient-elles dans le nôtre ?
A cela, vous répondez que nous n'avons pas besoin de cet échelon et que vous n'avez entendu dans les auditions que des critiques contre les groupements locaux d'épargne. Vous formulez donc deux remarques : premièrement, nous n'en avons pas besoin ; deuxièmement, ils ne suscitent que des critiques.
M. Philippe Marini, rapporteur. Sauf au ministère des finances !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, sauf dans ce mauvais ministère qui ne cherche que le malheur de l'ensemble des Français !
S'agissant de la première remarque, selon laquelle nous n'en aurions pas besoin, je crois, au contraire, que nous en avons besoin pour animer le sociétariat et pour accélérer la mutualisation. Cela est tellement vrai s'agissant du sociétariat que, dans votre rapport écrit, monsieur le rapporteur, vous précisez qu'il faut non pas créer des groupements locaux d'épargne, mais organiser des sections locales d'épargne. Très bien !
Quelle est la différence entre les deux ? Le groupement local d'épargne a la personnalité juridique, alors que la section ne l'a pas. Je reconnais bien volontiers que c'est un peu plus compliqué, mais reconnaissez aussi que cela ne change pas fondamentalement les choses. Il faut bien une structure pour animer le sociétariat, vous le reconnaissez donc vous-même. Vous la faites plus simple que la mienne, j'en suis d'accord !
M. Philippe Marini, rapporteur. Alors acceptez notre proposition, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous la faites plus simple parce qu'elle n'a pas la personnalité juridique, mais objectivement, vous ne pouvez pas vous passer d'une structure.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il en faut une. Vous l'appelez « section locale d'épargne ». La seule différence donc est qu'elle n'a pas la personnalité juridique.
Pourquoi ne pas choisir votre voie, accepter cette structure - que nous appellerons section locale d'épargne ou autre - qui sera suffisante pour animer le secrétariat ? Puisqu'il n'y a pas besoin de la personnalité juridique, il est inutile de compliquer la situation à plaisir !
Mais, dans ces conditions, vous ne remplissez pas obligatoirement les autres fonctions dont nous avons besoin, notamment l'accélération de la mutualisation, et pendant ce temps indéfini nous ne saurons pas à qui appartient une part du capital.
Ce n'est pas un problème très important, me direz-vous. Vous aurez peut-être raison. Mais la contrainte que je propose, la création des GLE avec personnalité juridique, n'est pas non plus un problème insurmontable. L'usine à gaz, c'est d'avoir une structure et de devoir la faire vivre, mais ce n'est pas le fait qu'elle ait ou non la personnalité juridique !
Au total, je ne vois pas trop d'inconvénients au système qui a été choisi. Mais ni vous, monsieur le rapporteur, ni moi ne sommes totalement experts en ce domaine, encore que vous l'êtes plus que moi. Nous sommes des apprentis face aux professionnels de ce sujet. C'est tout de même vers ceux-là qu'il faut se tourner pour savoir ce qu'il en est.
On sait que, dans un débat de cette nature, je le disais au début de mon propos, il existe des groupes de pression. Certains sont pour, d'autres sont contre en fonction de leur intérêt propre. Raison de plus pour se tourner vers les professionnels qui ont pour mission de défendre l'intérêt du réseau des caisses d'épargne dans son ensemble. Qui est mieux placé pour cela que le président du directoire des caisses d'épargne qui vient d'être nommé pour ses compétences et son sens de l'intérêt général à la reconnaissance de tous ?
Au cours de l'audition à laquelle vous avez procédé, qu'a répondu le président du directoire, M. Milhaud, à la question que vous lui posiez concernant l'utilité des GLE ? Je cite le compte rendu de la commission : « Toujours en réponse à M. Philippe Marini, qui se demandait si les groupements locaux d'épargne étaient vraiment indispensables, le président du CENCEP a indiqué que les caisses d'épargne devaient disposer d'un capital fixe si elles voulaient être en mesure d'émettre des certificats coopératifs d'investissement ce qui nécessitait un échelon intermédiaire de placement des parts sociales. Il a par ailleurs estimé que les GLE constituaient une structure nécessaire d'animation du sociétariat. » En conséquence, il y a au moins une personne auditionnée qui n'a pas dit du mal des GLE : c'est celle qui, sur ce sujet, est la plus compétente puisqu'il s'agit du président du directoire des caisses d'épargne !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est sans doute pour ne pas vous faire de peine, monsieur le ministre ! J'en suis même sûr !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Devant une institution aussi éminente que la Haute Assemblée, je ne pense pas que M. Milhaud ait dit autre chose que ce qu'il pensait.
Dans ces conditions, puisque la personne en charge de la vie et du développement du réseau, choisie pour ses compétences, reconnue par ses pairs, issue du milieu des caisses d'épargne puisqu'elle y a fait sa carrière -M. Milhaud était encore récemment président des caisses d'épargne de Provence - Alpes - Côte d'Azur -...
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faudra donc suivre toutes ses recommandations !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... nous dit qu'elle y voit un intérêt - et l'argumentation que je reprenais tout à l'heure, je le dis avec modestie, ne fait que se calquer sur la sienne -, je ne vois pas pourquoi nous y renoncerions et pourquoi vous ne vous y rallieriez pas.
M. Philippe Marini, rapporteur. Parce qu'il nous a tenus des propos différents à d'autres moments !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous accusez M. Milhaud d'être lunatique,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Non, pas du tout !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... mais je n'en vois trace dans le compte rendu de la commission.
M. Philippe Marini, rapporteur. Pas ce jour-là !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président de la commission des finances, vous, vous voulez banaliser. C'est un choix qui est légitime. Je ne le partage pas, mais je le comprends. On peut penser que cette histoire des caisses d'épargne date de deux siècles maintenant et qu'il s'agit d'une antienne que nous avons assez entendue. Vous voulez donc transformer ce réseau en une banque comme les autres.
Ce n'est pas le choix du Gouvernement. Dès lors, les critiques que vous formulez sont cohérentes, mais vous comprendrez que je ne puisse pas les reprendre.
C'est là que vous entrez dans la contradiction que j'évoquais tout à l'heure, en réponse à M. Marini. Vous soutenez que, dans le projet de loi, les contraintes sont trop nombreuses. Mais si l'on banalisait totalement, comme vous le souhaitez, les contraintes sur le réseau seraient beaucoup plus fortes, notamment la contrainte de rentabilité.
Selon vous - j'ai pris note de vos propos à la volée - nous lançons les caisses d'épargne dans le grand bain, ligotées avec un ensemble de bouées. Des gueuses de plomb !
M. Philippe Marini, rapporteur. Des GLE de plomb !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans le même temps, vous soutenez qu'il faut banaliser le livret A, alors que le monopole du livret A constitue à l'évidence un avantage pour le réseau des caisses d'épargne, et même leur arme principale !
Vous nous avez habitués à une cohérence du discours et à une rigueur de la pensée qui ne m'autorisent pas à imaginer que vous ne percevez pas la contradiction entre ces deux points !
Le livret A est utile pour les caisses d'épargne, et certes pour les épargnants - mais c'est un autre débat - car ce réseau est encore fragile. Il doit donc pouvoir bénéficier d'un atout, qui est le livret A. Ne le lui retirons pas et ne considérons pas qu'en le lui laissant on lui lie les mains. C'est le contraire : on lui facilite une concurrence qui va se développer - on peut le regretter ou s'en féliciter - avec l'ensemble des autres réseaux bancaires.
Monsieur Lambert, vous avez souhaité savoir qui déterminera la stratégie du groupe. Cela me paraît extrêmement simple : le groupe est prévu avec une structure de conseil de surveillance et de directoire. Le conseil de surveillance, qui regroupera les actionnaires, aura à déterminer la stratégie du groupe. Les actionnaires seront la Caisse des dépôts et consignations pour une part, les caisses régionales pour une autre... Cela fonctionnera normalement, comme doit fonctionner un ensemble de cette nature. Je ne vois pas, pour ma part, de difficulté majeure dans ce domaine.
S'agissant des taux administrés, je n'y reviens pas.
Vous m'avez également interrogé sur l'avenir du Crédit foncier, qui est un point très important, en disant que vous vous offusquiez - mais vous le disiez avec un sourire - de lire certaines choses dans la presse dont le Sénat n'a pas été informé. Etant trop averti pour accorder un quelconque crédit à ce qu'on peut lire dans la presse, j'ai donc plaisir à informer le Sénat directement.
La restructuration du Crédit foncier s'achève dans de bonnes conditions. La recapitalisation s'élève à 1,8 milliard de francs, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire au Sénat. Les obligations foncières prévues dans le texte dont nous discutons aujourd'hui sécuriseront ce bilan. Dans le même mouvement, les relations avec l'Etat ont été assez largement simplifiées.
Je crois donc que ce travail de remodelage du Crédit foncier était utile, et c'est sans doute parce qu'on ne l'avait pas fait l'année dernière que la tentative de poursuite de l'opération lancée par le précédent gouvernement a fini par échouer, au mois d'août dernier.
Comme vous le savez, on a repris les cartes, on a retraité le problème. L'opération est maintenant terminée, et nous pouvons entrer dans la deuxième phase.
Le comité central d'entreprise va être consulté. Des rapports étroits se sont noués entre mon ministère, la direction du Crédit foncier et les structures syndicales à propos de l'organisation qui peut être donnée à cet établissement.
A la mi-mai, c'est-à-dire dans quelques jours, une nouvelle procédure d'adossement sera lancée. Si tout se passe correctement, elle devrait pouvoir aboutir fin août ou fin septembre, disons à la fin de l'été. Ce sera évidemment, comme il le faut, une procédure ouverte, non discriminatoire, transparente, mais pour aboutir à un adossement du crédit foncier rénové, c'est-à-dire recapitalisé, simplifié, renforcé.
Si j'ai bien lu les coupures de presse auxquelles vous semblez vous référer et qui émanaient du même directeur ou du président du directoire des caisses d'épargne, de nombreuses structures sont intéressées par le Crédit foncier. Je ne désespère donc pas, au contraire, que nous trouvions une solution française qui nous permette de redonner au Crédit foncier un avenir dans la stabilité.
M. Ostermann nous a dit que la prévision des 18,8 milliards de francs était irréaliste ; il propose 14 milliards de francs. Ayant déjà évoqué cette question, je n'y reviens pas.
Pourquoi 14 milliards de francs ? Je ne sais pas. C'est son choix. Mais, monsieur le sénateur, c'est justement la somme de 13 milliards de francs que le Gouvernement a retenue pour être placée auprès des épargnants. Je suis sûr que là nous allons trouver un accord.
Le point suivant sur lequel vous avez insisté, monsieur le sénateur, point important que je n'ai pas encore évoqué, a trait à la part minimale du résultat qui doit être consacrée au dividende social.
Le texte issu de l'Assemblée nationale prévoit qu'un tiers au minimum du résultat doit être affecté au dividende social. Qu'est-ce que le dividende social ? Ce sont des projets locaux ou des projets sociaux.
Vous me corrigerez si je me trompe : si vous êtes inquiets, c'est parce que, implicitement, vous craignez une rentabilité insuffisante de ces projets locaux. En effet, si vous avez à l'esprit qu'ils auront une forte rentabilité, aucun problème particulier ne peut se poser. Mais si vous pensez qu'ils auront une rentabilité insuffisante, alors cessez de discuter du développement de l'épargne de proximité pour financer certains projets qui ne trouvent pas à se développer avec le système bancaire traditionnel !
Je m'étonne qu'une assemblée comme la vôtre, qui est, plus que d'autres, soucieuse du sort des collectivités locales et proche des réalités du terrain, puisse se préoccuper moins qu'une autre - je pense à l'Assemblée nationale - de l'épargne de proximité et du financement des opérations locales.
Pour ma part, je crois que les sujets d'intérêts locaux ont une forte rentabilité et que le système financier actuel ne les prend pas assez en compte. Je crois aussi que ce fameux dividende social, dont vous semblez mettre en doute la rentabilité, sera bel et bien rentable, car les investissements qu'il faut financer et qui sont rentables sont bien à réaliser maintenant dans les régions, dans les communes.
Dans ces conditions, pourquoi devrions-nous éprouver des craintes face à ce dividende social ?
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est un acte de foi !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est effectivement un acte de foi ; pour ma part, j'ai foi en la décentralisation, en l'activité des communes, et je me refuse à croire qu'il en soit autrement de la part des sénateurs.
M. Philippe Marini, rapporteur. Si vous nous prenez par les sentiments ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En tout cas, ce choix rejoint celui que j'évoquais tout à l'heure, qui consiste à savoir si on veut ou non banaliser les caisses d'épargne. Si on veut les banaliser, qu'il soit clair que telle n'est pas l'option retenue par le Gouvernement.
Si on ne veut pas les banaliser, comment se traduit ce choix ? Je l'ai dit : du côté des ressources, par le monopole du livret A ; du côté des emplois, par un certain nombre d'emplois d'intérêt général qui ne sont pas obligatoirement ceux que fait n'importe quelle banque.
Monsieur le sénateur, vous avez aussi évoqué le livret A, je n'y reviens pas ; le sujet est clair, je crois.
Vous avez évoqué un point très important : la situation de l'Alsace - Moselle.
Ce sujet a été longuement débattu à l'Assemblée nationale. Je vois bien pourquoi les caisses d'épargne d'Alsace, qui ont, historiquement, un statut particulier, veulent le conserver. C'est légitime. Mais je vois aussi la contradiction qu'il y a à prôner la banalisation et à vouloir conserver les petits avantages locaux que l'histoire a pu générer.
M. Joseph Ostermann. Mais non !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce qu'il ne faut pas, c'est que la réforme nuise aux caisses d'épargne alsaciennes, j'en suis d'accord. La proposition du Gouvernement vise à neutraliser le fait qu'elles soient soumises au statut commun.
La perte qui pourrait en résulter sera compensée franc pour franc, notamment grâce au passage du taux de 0,7 % à 1,2 %. Au bout du compte, le statut des caisses d'épargne sera le même sur tout le territoire, sans que les Alsaciens et les Mosellans y perdent financièrement. Je crois, honnêtement, que c'est une manière de procéder satisfaisante.
Je sais que vous avez déposé des amendements sur ce point ; je serai obligé de demander au Sénat de les repousser. Je ne sais s'il me suivra ou non. En tout cas, il n'y a aucune raison de vouloir perpétuer un statut spécifique contraire à toutes les règles de l'homogénéité et de la concurrence. Je le répète, les conséquences de l'harmonisation pour l'Alsace et la Moselle, seront compensées franc pour franc, mais il convient que le statut des caisses d'épargne soit harmonisé sur l'ensemble du territoire.
Monsieur le sénateur, vous êtes le premier orateur à être intervenu sur l'article 37.
Cet article a été visiblement très mal rédigé par le Gouvernement, je le confesse, si bien qu'à l'Assemblée nationale des éclaircissements nombreux ont dû être donnés. La bonne foi du Gouvernement n'est pas en cause, mais l'article était tellement mal rédigé que des inquiétudes n'ont pu être dissipées.
Le Gouvernement a donc décidé d'en proposer la suppression en attendant qu'ici même, au Sénat, ou en commission mixte paritaire, un texte conforme au souhait du Gouvernement et recueillant l'accord des deux assemblées soit rétabli. C'est le but que nous visions avec la première rédaction.
Trop compliquée, peut-être incomplète, elle a suscité de l'émoi dans l'ensemble du monde mutualiste. Visiblement, le Gouvernement n'a pas su la mettre en forme correctement.
Au demeurant, s'il réussissait toujours à mettre parfaitement en forme ses intentions, le rôle des assemblées parlementaires s'en trouverait diminué. Je suis donc ravi que cette mauvaise rédaction nous donne l'occasion de souligner l'apport parlementaire. (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Continuez donc à mal rédiger !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je remercie M. Delfau de son approbation générale.
Il s'inquiète, lui aussi, de l'importance du capital et craint qu'il ne soit difficile à placer. Il nous suggère de diminuer cette somme d'un tiers. On en revient ainsi aux 13 milliards, voire 14 milliards de francs.
Je tiens une fois encore à vous rassurer, mesdames, messieurs : ce sont bien 13 milliards ou 14 milliards de francs que le réseau devra placer. Cela ne posera pas de difficulté. Lorsqu'on interroge le réseau - à cet égard vos sources d'information sont justes - il confirme qu'il sera possible en quatre ans - à un an près - de placer 13 milliards de francs. C'est la raison pour laquelle nous avons retenu ce chiffre.
Quand on parle d'un capital de 18,8 milliards de francs, on comprend les 5 milliards de francs qui devront être placés en CCI, ce qui est autre chose.
M. Philippe Marini, rapporteur. Non, ce n'est pas autre chose.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si, car ce ne sont pas les épargnants qui devront les financer. Il s'agit donc d'un autre réseau de placement faisant appel à d'autres modalités de placement.
Lorsque l'on dit que le réseau ne pourra pas placer plus de x milliards de francs auprès des épargnants, on pense bien à ce qui va être proposé aux guichets. Autre chose est le placement institutionnel des 5 milliards de francs de CCI, qui ne donneront pas lieu aux mêmes procédures de vente.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ils manqueront quand il faudra augmenter les fonds propres.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous verrons bien ! Ne soyez pas un oiseau de mauvais augure ! Puisque vous affirmez souhaiter la réussite de cette réforme, ne dites pas en permanence qu'il manquera ceci ou cela.
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous voulons qu'elle réussisse.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je sais que vous vous réjouirez avec nous quand la réforme aura réussi.
L'autre point qu'a abordé le premier M. Delfau et qui est très important concerne la part sociale de chaque épargnant.
C'était, je l'avoue, une bonne idée de dire que, puisque l'institution n'avait pas de propriétaire jusqu'à maintenant, c'était la nation tout entière qui l'était et que chaque Français pouvait avoir au moins une part, quitte à donner des parts supplémentaires à ceux qui apportaient des concours financiers.
J'ai été très séduit par cette proposition lorsqu'elle a été émise. Elle se heurte cependant à un certain nombre d'arguments juridiques. Vous avez dit, monsieur le sénateur, que vous n'étiez pas convaincu par ces arguments juridiques. C'est une bataille de juristes.
Quels sont ces arguments juridiques ? Il y en a deux principaux.
La proposition concrète qui était formulée consistait à donner une part à chaque détenteur d'un livret de caisse d'épargne.
Le problème réside dans la violation que cela implique du principe d'égalité inscrit dans la Constitution. En effet, ceux qui ne détiennent pas de livret de caisse d'épargne n'auraient pas cette part. Par conséquent, entre deux Français, dont l'un aurait un livret de caisse d'épargne et l'autre non l'égalité serait été rompue. On peut débattre de cela sans fin. Mais je ne peux pas garantir que le Conseil constitutionnel, qui a parfois pris des positions que l'on a trouvé sévères, au nom même du principe d'égalité, en matière fiscale par exemple, n'aurait pas la même attitude sur la question qui nous occupe aujourd'hui.
Un autre argument qui met en cause la responsabilité du Gouvernement, peut être invoqué. En effet, celui-ci est garant des deniers publics, et il ne peut pas aliéner sans contrepartie un bien qui appartient à la nation, ou alors cela signifie que celui-ci n'a aucune valeur. Par conséquent, le Gouvernement pourrait faire l'objet de critiques s'il remettait gratuitement à un autre propriétaire, en l'occurrence à un titulaire de livret A, une part, fût-elle minime, du patrimoine national. Cela pose donc un problème de responsabilité propre du Gouvernement, si bien qu'une autre solution doit être envisagée.
Si l'on veut effectivement permettre à tous ceux qui le souhaitent de devenir coopérateurs au sein de cette coopérative que seront les caisses d'épargne, et si l'on ne veut pas que l'importance du montant à débourser soit dissuasif pour les familles et les individus à revenu modeste, il faut fixer, cela est légalement possible, à un montant extrêmement faible, à savoir quelques dizaines de francs, le prix de la première part.
Alors, chacun pourra - car si l'on détient un livret de caisse d'épargne, celui-ci n'est pas complètement vide - consacrer dix, vingt, trente ou quarante francs - je ne sais pas quel sera le montant retenu, cela reste à déterminer - à l'achat de la première part. Tous ceux qui le souhaitent pourront ainsi, dans l'esprit qui a été évoqué, devenir coopérateurs, sans que nous encourions de risques juridiques. Je crois que c'est la voie que nous devons emprunter, et nous allons étudier comment nous pouvons mettre en oeuvre cette solution. Cela permettra peut-être à des millions de Français ou d'épargnants présents sur notre territoire de devenir coopérateurs, sans qu'aucun problème juridique ni financier ne se pose.
Monsieur Loridant, vous vous inquiétez du fonctionnement démocratique de l'ensemble de la structure qui sera mise en place, si les deux assemblées l'acceptent, au lendemain de l'adoption du présent projet de loi.
Croyez-le bien, votre souci est partagé par le Gouvernement, et plusieurs dispositions, que l'on peut sans doute encore améliorer, visent précisément à assurer ce fonctionnement démocratique.
D'abord, il y aura deux collèges, l'un pour les collectivités locales, l'autre pour les salariés, ce qui est un moyen de permettre, au sein des conseils, l'expression de voix différentes.
Ensuite, le rôle même des fameux groupements locaux d'épargne est évidemment un élément de fonctionnement démocratique, que l'Assemblée nationale a d'ailleurs renforcé en précisant les missions d'intérêt général que ces groupements doivent contribuer à développer dans l'animation du sociétariat.
Peut-on aller plus loin ? Pour ma part, j'y suis disposé, mais je ne crois pas que le nombre des représentants de telle ou telle catégorie ait une réelle incidence. Peut-être trouverons-nous d'autres dispositifs propres à assurer mieux encore le fonctionnement démocratique de l'ensemble. En tout cas, tout ce qui peut aller dans ce sens est évidemment bienvenu.
Le problème du droit social est un peu plus complexe, car nous avons à concilier, chacun l'a bien compris, le mouvement lié à la modernisation de la structure des caisses d'épargne et leurs spécificités, qui doivent être préservées.
Malheureusement, à cet égard, ne rien changer à la situation actuelle reviendrait à entériner une situation où le dialogue social n'est pas, c'est le moins qu'on puisse en dire, extrêmement animé.
En effet, dans le réseau des caisses d'épargne, pas un seul accord n'a été conclu depuis six ans, notamment parce que les modalités de fonctionnement de la concertation sont bloquées par les règles de pourcentage que vous connaissez.
Faudrait-il, à l'inverse, banaliser totalement ? Nous répondons non, pour les raisons symétriques de celles que j'exposais précédemment.
Nous avons donc essayé de trouver une solution intermédiaire, telle qu'il soit possible de relancer une mécanique de dialogue social sans aboutir pour autant à une banalisation totale. Bien entendu, on peut discuter du curseur, mais je ne crois pas que nous puissions en rester à la situation actuelle, qui n'a pas permis, au cours des années passées, au dialogue social de se nouer et d'aboutir à la signature d'accords.
Je souhaite un dialogue très fructueux dans les caisses d'épargne. Il faut donc essayer de lever les obstacles qui, nous le constatons, l'ont quelque peu empêché.
Le dernier point de votre intervention que je voudrais évoquer, monsieur Loridant, concerne les sociétés de crédit foncier.
Le superprivilège des obligations foncières est un des principes de la sécurisation des titres. Il est donc très difficile de ne pas le mettre en oeuvre, vous le savez comme moi. Cela pose un problème, dites-vous, parce que ce superprivilège fera passer ces créanciers avant les salariés. Certes, mais les filiales en question sont des filiales outils : il n'y a pas de personnel dans les sociétés de crédit foncier. Dès lors, ce superprivilège ne peut porter atteinte aux droits du personnel et le fait que, parmi les différents créanciers financiers, ceux qui relèvent des obligations foncières passent avant d'autres devient, reconnaissez-le, beaucoup moins gênant.
En fait, il n'y a rien là de véritablement anormal : que des sociétés de crédit foncier privilégient plus les obligations foncières que d'autre créances qu'elles peuvent détenir n'est pas tellement choquant. C'est leur raison d'être !
Ce qui serait choquant, ce serait que, par là même, elles passent devant les droits des salariés. Mais, dans la mesure où il s'agit de sociétés outils, sans personnel, ce risque n'existe pas. Je tenais à vous rassurer sur ce point.
Si cela n'est pas suffisamment clair dans le texte, peut-être convient-il de le préciser. Vous avez déposé, avec M. Sergent, un amendement dans ce sens. Nous en débattrons le moment venu. Je suis cependant d'accord pour le préciser si c'est nécessaire.
M. Paul Loridant. Nous en reparlerons !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Carrère, qui est un grand connaisseur de ces questions en raison de ses fonctions particulières dans le réseau des caisses d'épargne...
M. Jean-Louis Carrère. Et un grand connaisseur de la chasse !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De la chasse aussi, et je dirai plus tard quelques mots des palombes ! (Sourires.)
... M. Carrère, donc, a d'emblée souligné le problème de la caisse de retraite. Il est exact que c'est une grande préoccupation des salariés. Là aussi, il faut que les choses soient claires et simples. Personne ne cherche à inquiéter pour le plaisir !
Une négociation est en cours entre les partenaires sociaux du réseau pour voir comment le montant nécessaire à la garantie des retraites à verser en fonction des droits acquis des salariés peut effectivement être dégagé. Il peut l'être et il le sera.
Le seul rôle des pouvoirs publics dans cette affaire est de veiller à ce que les droits acquis par les salariés soient conservés. Les modalités pratiques seront établies par les partenaires sociaux et les milliards nécessaires pour garantir ces droits, car il s'agit bien de milliards de francs, seront mis de côté. Cela est possible aujourd'hui, chacun le sait, grâce aux montants disponibles dans les réserves des caisses d'épargne.
Le problème des retraites des salariés des caisses d'épargne, qui est effectivement important, sera donc réglé, et ces salariés peuvent être pleinement rassurés, s'ils ne l'étaient déjà.
J'ai apprécié, monsieur Carrère, votre remarque selon laquelle les caisses d'épargne sont, à l'heure de la mondialisation, non une curiosité mais une nécessité. Je suis absolument d'accord. J'ajouterai seulement cette précision : les caisses sont une nécessité parce qu'elles apportent une manière de faire de la banque autrement. Encore faut-il que cette manière de faire de la banque autrement leur permettre de vivre et de se développer.
C'est donc, là encore, un équilibre qu'il faut trouver entre le statu quo, qui ne permettrait pas ce développement, et la banalisation, qui ne permettrait pas de continuer à faire de la banque autrement. Bien entendu, nulle création humaine n'étant exempte de faiblesses, la solution que nous vous proposons pour assurer cet équilibre est sans doute susceptible d'améliorations.
Vous m'interrogez par ailleurs sur le rôle de la Caisse des dépôts et consignations. Vous savez qu'un protocole d'accord est en cours d'élaboration. L'objectif est celui d'un partenariat « mutuellement avantageux ». Cela signifie en clair que ce partenariat ne doit jouer ni totalement au bénéfice de la Caisse des dépôts, ni totalement au bénéfice des caisses d'épargne : chacun doit y trouver un avantage.
Cela peut passer par l'entrée de la Caisse des dépôts et consignations dans le capital de la Caisse nationale des caisses d'épargne, pour une part qui sera comprise entre 30 % et 35 % du capital. Symétriquement, cela peut passer par l'entrée des caisses d'épargne dans le capital de filiales de la Caisse des dépôts et consignations.
Ainsi, des liens se noueront qui doivent, bien entendu, avoir un sens, c'est-à-dire déboucher sur un gain en termes d'efficacité. Il ne doit pas s'agir de participations, pour le plaisir. Sur des métiers spécifiques, sur des activités spécifiques, des liens doivent se tisser, et se traduire par des participations croisées. Mais les entités concernées doivent être placées sur un pied d'égalité, car il est clair que la Caisse des dépôts et consignations n'a pas à prendre le pas sur les caisses d'épargne.
A propos des 18,8 milliards de francs, vous avez évoqué l'idée d'allonger la durée de placement pour la porter de quatre à cinq ans. Faut-il une année de plus ? Nous débattrons de cette question lorsque cette disposition viendra en discussion.
Vous m'avez enfin interrogé sur la répartition des sièges au sein du conseil de surveillance. Cette question relève des statuts. Elle est encadrée par la loi de 1966 qui prévoit entre trois et vingt-quatre membres au prorata des actionnaires. De toute façon, quatre sièges au plus seront attribués aux salariés. Ce sont, en tout cas, les futurs statuts qui définiront la répartition. Nous voyons donc comment la répartition va s'opérer mais je ne peux évidemment dire maintenant ce qu'elle sera précisément.
J'en viens à la chasse à la palombe. J'ai un instant cru comprendre que vous vouliez orienter le dividende social, notamment, vers le développement de la chasse à la palombe, compte tenu de son intérêt local dans les Landes. Je ne suis pas certain de pouvoir vous suivre sur cette voie, mais vous vous en doutiez !
M. Jean-Louis Carrère. Il suffirait de ne pas l'interdire !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, mais cette question ne relève plus du texte sur les caisses d'épargne.
Monsieur Badré, vous avez tenu à souligner la qualité de la concertation qui a été engagée, ce dont j'ai été, d'emblée, enclin à me réjouir. Cependant, comprenant ensuite que vous visiez surtout la concertation engagée par le précédent gouvernement, j'ai été moins ravi. Constatant finalement que vous associiez le gouvernement actuel à cet hommage, j'ai retrouvé le sourire qui m'est coutumier quand j'ai le plaisir de vous écouter ! (Sourires.)
L'affectation d'une part du résultat à des projets locaux ou sociaux ne vous convient guère. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit à ce sujet.
Vous indiquez, à l'appui de votre position, que certaines caisses d'épargne sont déficitaires. C'est vrai : il y en a effectivement qui sont déficitaires. Mais, tant qu'elles le seront, le problème ne se posera pas pour elles puisque, de toute façon, il n'y aura pas de résultat à partager. Cela étant, j'espère que ces caisses d'épargne déficitaires redeviendront des caisses bénéficiaires le plus vite possible.
S'agissant des caisses d'épargne qui sont déjà bénéficiaires, y a-t-il un inconvénient majeur à ce qu'une part de leur résultat soit affectée au dividende social ? J'ai déjà répondu par la négative ; ou alors, cela n'a pas de sens de parler d'épargne de proximité, de rentabilité des projets locaux.
Mais il y a un autre argument.
Vous redoutez que les alliances que nous voulons voir la Caisse nationale nouer ne se concluent difficilement du fait de la faible rentabilité induite par le dividende social.
Bien sûr, le Gouvernement n'a pas à décréter qui seront les partenaires de ces alliances, mais nous imaginons celles-ci conclues surtout avec les autres réseaux de caisses d'épargne européens. Or ces réseaux ont des activités tout à fait analogues et fonctionnent selon des principes qui, même s'ils ne reposent pas sur les mêmes bases juridiques, vont dans le même sens. Tous ces réseaux, s'ils n'ont pas un « dividende social », affectent une part de leur résultat à des projets locaux ou sociaux.
C'est précisément pour cette raison que leur collaboration, par-delà les frontières, est souhaitable et possible. Nous aurons ainsi créé, à terme, un grand réseau de l'économie sociale européenne, regroupant des caisses d'épargne de pays différents, qui ne sont pas exactement identiques mais qui ont toutes les mêmes objectifs, se résumant à l'intérêt général.
Dès lors, monsieur Badré, votre crainte de voir le dividende social empêcher les alliances n'est, de mon point de vue, pas fondée, sauf si l'on cherche une alliance entre les caisses d'épargne et je ne sais quelle banque commerciale. Mais tel n'est pas l'objectif.
Si l'objectif est bien de consolider, de façon transnationale, les liens avec d'autres réseaux de caisses d'épargne, il n'y a pas de raison de craindre l'existence du dividende social.
Je vous remercie, en tout cas, monsieur le sénateur, d'avoir conclu en indiquant que ce projet était globalement positif. Cela m'a rappelé d'autres époques mais j'espère que, sur ce sujet-là, la vérité sera au rendez-vous. (Sourires.)
M. Bourdin a fait une intervention particulièrement intéressante, ce qui n'est guère surprenant de la part du représentant du Sénat au CENCEP, le Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance, et qui est en outre président du COS de Haute-Normandie.
Je ne reviens pas sur le thème des 18,8 milliards de francs. Je pense que les précisions que je vous ai fournies devraient avoir levé les inquiétudes qui ont été exprimées sur ce chiffre.
Vous avez également beaucoup insisté, monsieur Bourdin, sur le thème du dividende social.
Votre fine connaissance du réseau vous conduira certainement à être d'accord avec moi. Nous ne pouvons pas dire que le réseau des caisses d'épargne doit conserver une motivation, une raison d'être autour de l'intérêt général sans traduire cela, d'une manière ou d'une autre, dans l'affectation de ses résultats.
Peut-être la méthode proposée par le Gouvernement n'est-elle pas la meilleure. Mais je crois que nous ne pouvons pas déroger au principe qui consiste à donner aux caisses d'épargne une mission différente de celle d'un autre réseau ; ou alors toute la thématique sur l'intérêt général et la spécificité tombe à l'eau !
Vous savez mieux que quiconque dans cette assemblée que cette conception de l'intérêt général est, pour l'ensemble du réseau, pour les dirigeants, pour les salariés comme pour les épargnants qui viennent déposer leur épargne sur les livrets de caisse d'épargne, une motivation particulièrement forte. Si l'on veut donner un sens, un contenu aux missions d'intérêt général du réseau de caisses d'épargne, il faut que, d'une manière ou d'une autre, cette affectation soit possible.
Cela va-t-il nuire à la sécurité financière ? Je ne le crois pas, puisqu'un tiers au maximum est mis en réserve. Donc, pas d'inquiétude sur la sécurité financière. D'ailleurs, le ratio de solvabilité de 11 % à la fin du processus est confortable. Atteignons ce ratio-là, nous serons alors sensiblement au-dessus de la moyenne des établissements de crédit français aujourd'hui et nous aurons rempli notre contrat, qui est de rendre ce réseau concurrentiel, apte à se développer, capable d'un avenir ouvert, tout en lui conservant une spécificité.
Si l'on suivait une autre voie, dont je conçois qu'elle est tentante à certains égards, je craindrais beaucoup, que, petit à petit, malgré la bonne volonté de chacun et malgré les discours qui pourraient être prononcés à cette tribune comme dans d'autres enceintes, cette mission d'intérêt général n'en vienne à disparaître faute d'avoir été imposée par la loi. Nombreux seraient alors ceux qui pourraient légitimement nous faire observer, dans cinq ans ou dans dix ans, qu'au bout du compte notre réforme des caisses d'épargne n'aurait abouti qu'à faire de ce réseau un réseau comme les autres. Cette banalisation n'aurait pas nécessairement un caractère dramatique, mais ce serait tout de même dommage. En effet, nous disposons d'un système fortement spécifique qui, non seulement trouve ses racines dans notre histoire, mais encore satisfait une demande à laquelle aucun autre réseau ne répond. Il me paraît donc nécessaire de le conserver le mieux possible, en le conciliant avec les contraintes qui nous sont imposées.
Disant cela, j'ai bien conscience de donner le sentiment de vous proposer un compromis mi-chèvre, mi-chou. Il n'en est rien, simplement nous plaçons le curseur au bon endroit - mais nous pouvons en discuter - pour éviter une banalisation qui n'apporterait rien. A quoi servirait-il de doter notre pays d'un réseau bancaire banalisé de plus, lui qui en compte déjà tant ? En revanche, conserver les spécificités des caisses d'épargne en les rendant capables d'aller de l'avant, c'est un apport décisif.
Je me tourne maintenant vers M. Laffitte, pour qui le dividende social doit être un élément du développement local. Je partage naturellement son sentiment, à condition qu'il n'y ait pas de confusion entre les opérations commerciales et le dividende social, sauf à faire relever du dividende social des opérations qui seraient, en fait, des opérations normales. Il n'y aurait pas de cohérence, car ce sont, bien sûr, des concepts différents. Cela étant, par le biais d'affectations particulières, on peut effectivement soutenir le dynamisme local, et tel est bien l'objectif.
Ensuite, vous avez dit des choses très justes sur les nouvelles technologies, dont le lien avec le texte est apparu à tous. Vous avez notamment suggéré que l'on profite de la rénovation du réseau pour franchir un pas de plus. C'est ainsi que je l'ai compris. Il est vrai que, chaque fois que l'on réforme suffisamment une institution, plutôt que de la mettre simplement à niveau, on peut se demander si ce n'est pas l'occasion d'aller un cran plus loin.
S'agissant de l'Internet et des nouvelles technologies en général, dont vous êtes un expert reconnu, on voit bien que la réforme peut être l'occasion pour le réseau de prendre de l'avance dans ce domaine. De ce point de vue, votre intervention, qui ne trouvera pas obligatoirement de traduction législative, apporte un contenu nouveau à la rénovation du réseau. Je vous suis donc très reconnaissant de ces remarques, comme de celles que vous avez faites à propos de la comparaison avec les caisses d'épargne allemandes, que j'ai moi-même évoquées tout à l'heure d'un mot. Il y a, dans les exemples étrangers, une source d'inspiration évidente.
M. Calmejane est absent, mais je souhaite lui apporter une réponse que ses collègues lui transmettront.
M. le président. Il lira votre réponse dans le Journal officiel, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur les groupements locaux d'épargne, M. Calmejane semblait s'inquiéter du fait que les sociétaires d'une même caisse régionale puissent avoir une rémunération différente, et il avait raison. Ce serait tout à fait anormal, et ce n'est d'ailleurs pas ce qui se passera. Les sociétaires d'une même caisse régionale jouiront de la même rémunération, qui sera décidée à l'échelon de la caisse régionale et mise en oeuvre à l'échelon des groupements locaux. Mais le problème soulevé est réel, et la réponse est dans le texte. Gardons-nous en effet d'établir des différences de rendement entre les porteurs de parts d'une même caisse régionale.
Je souhaite également le rassurer : il n'y aura pas de double imposition fiscale, bien entendu.
M. Calmejane s'est livré à quelques digressions sur les missions d'intérêt général qu'il voudrait ne pas voir maintenues. Je ne sais pas si cela correspond à l'opinion de l'ensemble du Sénat. Je n'en ai pas eu l'impression, car nombre d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, souhaitent au contraire préserver ces missions d'intérêt général. Cela a conduit M. Calmejane à quelques « dérapages » sur la gauche plurielle, qui n'aurait jamais su prendre en compte les réalités économiques, ou sur l'absence totale d'analyse économique qui sous-tendrait ce projet de loi. Tout cela fait partie d'une rhétorique que je ne voudrais pas commenter trop longtemps, sinon pour dire, tout de même, que cette accusation, si elle est amusante, est un peu risquée de la part d'un sénateur qui a soutenu le gouvernement précédent, dont il ne m'est pas apparu, à en juger aux critiques nationales et internationales dont il a fait l'objet, que sa conduite de la politique économique ait été mieux appréciée que la nôtre !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous globalisez, monsieur le ministre ! Vous faites un large amalgame !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oui, j'amalgame. Je retire donc ce que je viens de dire, étant néanmoins assuré que M. le sénateur pourra retrouver mon propos dans le Journal officiel ! (Sourires.)
Madame Beaudeau, je voudrais vous apporter des précisions sur trois points.
Vous avez dit que les 18,8 milliards de francs seraient ponctionnés sur les caisses d'épargne et ne seraient pas utilisés à d'autres fins comme l'investissement ou le soutien de la croissance. Non, les 18,8 milliards de francs résultent de l'épargne apportée par les coopérateurs.
Donc, la réforme est neutre pour les caisses d'épargne. Ces 18,8 milliards de francs ne sont pas pris aux caisses d'épargne au détriment d'autres actions. Ce sont 18,8 milliards de francs que les coopérateurs, par leur épargne, ou les institutionnels, par les certificats d'investissement, vont appporter. De ce point de vue, c'est une mobilisation de l'épargne nationale. Tout le débat est bien sûr ensuite de savoir ce que l'on fait de cette somme. Mais cette mobilisation de l'épargne nationale ne nuit en rien aux caisses d'épargne. Je voulais vous rassurer sur ce point.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est une façon de voir les choses !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est votre argent, madame Beaudeau ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président de la commission, au bout du compte, tout ce qui existe dans ce pays vient de l'argent de ceux qui y habitent, et c'est bien normal !
J'en viens au livret A. Vous êtes opposée, madame le sénateur, à la baisse du taux. Ce n'est pas l'objet de notre débat, mais je partage votre sentiment. Le taux de rémunération de l'épargne populaire doit être suffisant, la notion de « taux suffisamment rémunérateur » devant s'apprécier au vu du niveau de l'inflation et des autres taux. Donc, sur le principe, je suis d'accord avec vous. Cependant, j'ai noté, par exemple, que mon collègue chargé de l'équipement, des transports et du logement avait le souci de faire en sorte que le financement du logement social se fasse à un taux faible, ce qui pouvait parfois le conduire à souhaiter un taux de rémunération peu élevé... C'est d'ailleurs ainsi qu'il a justifié la baisse du taux intervenue au mois de juin dernier. Mais ce sont des contradictions qui nous sont communes à tous : d'un côté, on veut rémunérer l'épargnant le plus possible, d'un autre côté, on veut financer le logement social au moindre coût. Entre vous, madame Beaudeau, et mon collègue ministre de l'équipement, des transports et du logement, je ne sais qui choisir ! (Sourires.) De toute façon, la question ne se pose pas ici. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Enfin, sur le pôle public, je vous rejoins tout à fait. Ce débat important a d'ailleurs traversé toute la discussion à l'Assemblée nationale et, même si ce n'est pas le texte adéquat, comme vous l'avez dit, pour régler le problème, c'est peut-être l'occasion d'en parler.
Je crois qu'il est très important en effet que la réflexion du Gouvernement et de la majorité qui le soutient sur le pôle public progresse. Ce pôle public, dont j'ai dit un mot dans mon propos liminaire, comporte plusieurs éléments dont il faut voir comment ils peuvent se concilier pour que le pays dispose à la fois d'un organe central très puissant, comme la Caisse des dépôts et consignations, d'un réseau très populaire, comme celui des caisses d'épargne, et de structures spécialisées, comme la BDPME ou la CNP. Je suis tout à fait sur votre ligne, mais ce n'est pas l'objet du présent texte. Nous aurons sans doute l'occasion de poursuivre ce débat dans d'autres circonstances.
M. Sergent, avant-dernier intervenant, a évoqué la sécurité financière et les obligations foncières.
Monsieur Sergent, vous ne voulez donc pas du Gouverneur de la Banque de France dans le collège. Ne nous y trompons pas : le président du comité de la réglementation bancaire, c'est le ministre, ce n'est pas le Gouverneur. Il n'y a donc pas de confusion des rôles.
En revanche, le Gouverneur est président de la commission bancaire et, en tant que tel, il est membre de droit du collège comme les présidents de toutes les autres structures représentées au sein de ce collège. Il n'y a donc pas à redouter de confusion « contrôlé-contrôleur » dans la mesure où le comité de la réglementation bancaire n'est pas présidé par le Gouverneur de la Banque de France.
Je crois donc qu'il n'y a pas de difficulté à mettre en oeuvre la procédure telle qu'elle a été prévue. Si vous en voyez une qui m'échappe pour le moment, nous y reviendrons au cours de la discussion des articles, mais je ne vois pas, pour ma part, de problème majeur.
Par ailleurs, vous souhaitez, monsieur le sénateur, que soit opérée une distinction dans l'indemnisation des assurés, selon qu'il s'agit de contrats d'épargne pure ou de contrats de prévoyance, et vous avez déposé des amendements dans ce sens. Nous approfondirons donc cette question lors de l'examen de vos propositions, mais je pense qu'il est en effet souhaitable d'introduire cette distinction, qui n'était pas prévue initialement. Je me rallierai donc assez volontiers à votre position quand nous en arriverons aux dispositions concernées.
S'agissant de l'article 37, j'ai reconnu que le Gouvernement avait été maladroit. La concertation avec les mutualistes est en cours, et je pense que nous trouverons une solution qui satisfera tout le monde.
En ce qui concerne les obligations foncières, vous souhaitez renforcer la sécurité associée aux prêts cautionnés. Là encore, vous avez déposé des amendements ad hoc, et nous en débattrons lorsqu'ils viendront en discussion.
Je crois que votre position est assez fondée, mais faut-il procéder exactement comme vous le préconisez ? Nous verrons bien, mais cela fait partie, en tout état de cause, des améliorations techniques tout à fait bienvenues que l'on peut apporter à ce texte.
Enfin, vous vous interrogez, monsieur Sergent, sur la pérennité du lien entre le Crédit foncier et sa filiale. De ce point de vue, le cahier des charges est clair : la pérennité de ce lien est l'une des conditions qu'il pose. Il n'y a donc pas d'ambiguïté ici. Certes, tout le monde n'a peut-être pas encore lu ce cahier des charges, et c'est bien normal, mais tel est bien l'objectif du Gouvernement. Nous nous rejoignons donc sur cette question.
M. Deneux, quant à lui, trouve que l'on charge à l'excès la barque financièrement. C'est une manière de faire se rejoindre le problème du capital des caisses d'épargne, fixé à 18,8 milliards de francs, et celui du dividende social. Je n'insisterai pas davantage, il en a déjà été beaucoup question.
M. Deneux est revenu aussi sur les groupements locaux d'épargne. Tout a été dit sur ce point également, je n'y reviens pas.
S'agissant de la sécurité financière, M. Deneux reprend un argumentaire tendant à démontrer que les établissements ne doivent pas être mis sous le même « chapeau ».
Je crois au contraire qu'il faut tendre vers une « maison commune » des banques, qui ont la même mission - financer l'économie nationale - et que nous ne rapprocherons jamais assez leur fonctionnement de ce point de vue.
Dans ces conditions, il est souhaitable de n'avoir qu'une seule institution qui organise la garantie. Pour autant, cela signifie-t-il qu'on ne doive pas tenir compte des caractéristiques des établissements ? Non, bien sûr, on doit tenir compte des fonds propres, des dépôts, bref, de tout ce qui fonde la situation financière de l'établissement pour évaluer sa contribution au fonds de garantie. Il y a bien une différenciation selon les caractéristiques financières de l'établissement ou, autre manière de le dire, selon le risque qu'il présente. Voilà de quoi vous rassurer, monsieur Deneux.
Vous avez par ailleurs regretté qu'il n'y ait pas eu une concertation suffisante sur la sécurité financière. Honnêtement, la concertation avec les professionnels a été très large. D'ailleurs, il y a un quasi-consensus de place sur le fonds de garantie, sur les obligations foncières et sur le renforcement des autorités de contrôle. Je ne vois pas beaucoup de divergences. Il peut y en avoir ponctuellement, tel ou tel type d'établissement préférant une solution différente, mais, globalement, au terme d'une grande concertation, nous sommes parvenus à un résultat qui, je crois, est accepté par tous.
Vous avez évoqué ensuite la contribution des institutions financières - ce n'est pas le sujet, mais c'est évidemment l'occasion de l'aborder - dont vous demandez la suppression progressive. Certes. Tout le monde est toujours d'accord pour qu'il y ait moins d'impôts. Le problème, c'est que la contribution des institutions financières apporte de l'argent au budget de l'Etat et que la suppression de celle-ci suppose que l'on ait trouvé des ressources équivalentes pour la compenser.
C'est bien sûr le rôle de l'opposition, majoritaire au Sénat, de faire de telles suggestions. Votre proposition consistant à supprimer progressivement la contribution des institutions financières serait plus convaincante si les gouvernements précédents avaient commencé. Mais ils ne l'ont pas fait ! Cela ne veut pas dire que nous ne devions pas le faire, mais en tout cas nous ne le ferons pas à l'occasion de l'examen de ce texte. Nous attendrons d'avoir trouvé les ressources nécessaires à la compensation de cette contribution pour commencer à envisager le fait d'en débarrasser les banques françaises.
M. Philippe Marini, rapporteur. Par conséquent, vous acceptez cet objectif, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je le dis volontiers devant le Sénat, comme je le dis volontiers devant tous les Français : avec ce Gouvernement, vous avez le premier gouvernement qui a vraiment l'intention d'essayer de faire en sorte que les impôts des Français baissent. (Sourires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ils ne s'en sont pas vraiment rendu compte !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous me demandez, monsieur le rapporteur, si j'accepte cet objectif. Je vous réponds : oui. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Je suis heureux de l'enthousiasme que mes propos déclenchent sur les travées du Sénat.
Le précédent gouvernement s'était engagé dans cette voie en voulant supprimer une part de l'impôt sur le revenu, mais, par malheur, il avait oublié de prévoir comment il allait financer cette mesure et il s'était donc retrouvé, à la mi-1997, avec un budget dit infaisable, au point que cela a déclenché de tels événements politiques que j'ai aujourd'hui la chance de pouvoir m'exprimer devant vous. Contrairement à ce gouvernement, qui supprimait les impôts avant de savoir comment il les financerait, le gouvernement auquel j'appartiens fait, c'est tout bête, exactement l'inverse : il commence par chercher à savoir par quoi il va remplacer, et à ce moment-là il décide de supprimer les impôts. Vous le verrez, c'est moins spectaculaire, mais plus pérenne. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est surtout grâce à une bonne conjoncture mondiale !
Supprimerez-vous la surtaxe de l'impôt sur les sociétés ? Nous attendrons la réponse !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis ravi de l'ensemble des questions dont vous assaillez le Gouvernement. Cela montre combien la politique qu'il conduit suscite d'intérêt chez vous. Cependant, je ne laisserai pas déborder ce débat, déjà trop long de ma faute, sur toutes les questions de la politique économique. Vous m'autoriserez donc à en rester au dernier point abordé par M. Deneux, à savoir la possibilité ouverte par un amendement adopté à l'Assemblée nationale de transporter la négociation sociale de l'AFB vers l'échelon supérieur qu'est l'AFECEI, l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement. A la tribune, M. Deneux a dit - mais peut-être ai-je mal entendu, auquel cas je m'en excuse à l'avance auprès de lui - qu'il s'agissait d'un cavalier car cette disposition n'avait donné lieu à aucune concertation. Il n'y a pas de lien ! Ce n'est pas un cavalier parce que cette disposition n'aurait donné lieu à aucune concertation. Il est vrai qu'elle n'a pas donné lieu à beaucoup de concertation, mais c'est l'essence même d'un amendement. Quand il n'émane pas du Gouvernement, on ne peut pas reprocher à celui-ci de ne pas avoir mené une concertation sur ce point.
Est-ce un cavalier ? Je ne le pense pas. C'est un élément important. Il permet non pas de retirer la négociation au niveau de l'AFB, mais de lui donner une possibilité nouvelle au niveau de l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement. C'est là, me semble-t-il, un enrichissement de notre système et donc une plus grande sécurité, au sens large, du système financier. Si, en fin de compte, les deux assemblées décident de conserver cette disposition, nous aurons, en fait, amélioré le fonctionnement du système financier et, par là même, nous l'aurons rendu plus sûr.
Je conclus, en vous priant de m'excuser d'avoir été si long et de n'avoir sans doute répondu qu'imparfaitement à toutes les remarques que vous avez eu la bonté de formuler.
Comme nombre d'entre vous l'ont rappelé, ce projet de loi est en gestation depuis très longtemps. S'il n'a pas été présenté plus tôt, c'est sans doute parce que c'est bien compliqué de réformer les caisses d'épargne. Au vu des difficultés que je rencontre moi-même, je comprends les hésitations de mes prédécesseurs. Peut-être ont-ils été plus sages que moi et ont-ils, avec raison, mis le dossier sous le tapis ? Peut-être fallait-il simplement que la concertation puisse se dérouler pendant une période suffisante ?
En tout cas, nous sommes parvenus au point où, enfin, cette réforme des caisses d'épargne peut se mettre en oeuvre. Peut-être faudra-t-il - certains ont évoqué ce point - modifier encore quelque chose dans cinq, dix ou vingt ans. Mais c'est la réalité de la vie. En effet, rien n'est jamais définitif.
Aujourd'hui, les caisses d'épargne ont besoin de cette réforme. L'esprit de celle-ci est simple : il faut bouger. Il ne faut pas bouger en banalisant les caisses d'épargne et en en faisant un réseau de plus, un réseau comme les autres. Il faut donc sortir du statu quo et ne pas les banaliser. Entre les deux, le Gouvernement vous propose une voie. Il est prêt, évidemment, sur tel ou tel point, à la faire évoluer, en fonction des remarques, souvent fondées, que les uns et les autres pourront faire. Cependant, toute remarque qui viserait à revenir au statu quo ne pourrait qu'être rejetée par le Gouvernement, car nous voulons bouger, il faut bouger pour les caisses d'épargne elles-mêmes. Toute démarche qui aurait pour objet de banaliser ne pourra qu'être rejetée, car ce n'est pas la ligne que le Gouvernement entend choisir ; ce serait un gigantesque gâchis de banaliser ce réseau, d'en faire un réseau de plus, comme les autres, alors qu'il a une spécificité si forte.
J'invite donc le Sénat, s'il veut faire oeuvre utile, à collaborer avec le Gouvernement pour améliorer ce projet de loi. Je lui demande de ne pas faire de propositions qui seraient si éloignées, soit par statu quo, soit par banalisation, du texte que je vous présente que, finalement, elles ne pourraient pas être retenues. Ce serait en effet une satisfaction bien modeste pour une assemblée aussi haute que la vôtre d'adopter à un moment donné des amendements tout en sachant qu'ils ne pourront pas être introduits dans le texte définitif. Je préférerais, m'inscrivant dans une tradition de collaboration avec le Sénat dont je me réjouis, que nous limitions les amendements à ceux qui peuvent être pris en compte, afin d'améliorer ensemble un texte dont notre système financier a bien besoin. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

PREMIÈRE PARTIE

DE LA RÉFORME DES CAISSES D'ÉPARGNE

Division et articles additionnels avant le titre Ier