Séance du 11 mai 1999







M. le président. Je suis saisi par M. Gélard, au nom de la commission des lois, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que le mariage républicain doit demeurer l'institution de référence ;
« Considérant qu'il n'y a pas de place dans notre droit positif pour une nouvelle construction juridique du couple, située entre le mariage et le concubinage, au risque de porter atteinte au premier et de rejeter le second dans le non-droit ;
« Considérant que les personnes liées par un PACS, bénéficieront, en contrepartie d'obligations minimales et sans aucune justification sociale, de nombreux avantages exorbitants du droit commun des contrats, au détriment relatif tant des familles que des personnes vivant en concubinage ou des personnes seules ;
« Considérant qu'il ne convient pas de légiférer sur le couple indépendamment des enfants qui peuvent en être issus et que le PACS, en regroupant sous le même statut des couples qui ont vocation à procréer et d'autres qui ne le peuvent pas, contient des potentialités inquiétantes concernant la définition de la parentalité ;
« Considérant qu'il n'est en tout état de cause pas opportun de discuter cette proposition au moment où un groupe de travail est chargé, à la chancellerie, de proposer une réforme générale du droit de la famille ;
« Considérant de surcroît que le texte proposé sera source d'importantes difficultés pratiques et juridiques, notamment en raison des lourdeurs de procédure, de la protection illusoire qu'il accorde aux partenaires et des risques de fraude qu'il comporte ;
« Considérant que le Sénat a démontré, en première lecture, qu'il existait une solution alternative au PACS en adoptant un dispositif simple et cohérent de nature à supprimer les discriminations dont les couples homosexuels faisaient l'objet du fait de la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation, sans toutefois porter atteinte au mariage ou à la famille ni générer de discriminations à l'égard des personnes vivant en concubinage ou des personnes seules ;
« Considérant, cependant, que, dès le lendemain de l'adoption de la proposition par le Sénat, la commission des lois de l'Assemblée nationale proposait le rétablissement du PACS tout en gardant une définition du concubinage, montrant ainsi que l'Assemblée nationale tenait à tout prix à imposer cette construction juridique, si inutile, dangereuse et inapplicable qu'elle puisse être ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture (n° 310, 1998-1999). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Patrice Gélard, rapporteur. La commission des lois a décidé, en application de l'article 44, alinéa 3, du règlement de la Haute Assemblée, de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
Certes, nous aurions pu choisir d'en revenir à notre texte élaboré en première lecture, et refuser ainsi tout le travail de l'Assemblée nationale, car il n'y a vraiment rien à sortir du texte de l'Assemblée nationale, comme nous l'avons démontré tout à l'heure. Mais là encore, nous aurions été accusés d'avoir ralenti les travaux parlementaires, d'avoir fait de l'obstruction.
Or, madame le garde des sceaux, nous ne faisons pas d'obstruction. Nous disons carrément que, dans cette affaire, nous ne parlons pas la même langue que vous. Vous avez un autre discours que le nôtre. Nous ne pouvons pas continuer de discuter quant l'un parle une langue et l'autre une autre langue. Sur ce sujet, le dialogue de sourds n'est pas possible !
Vous nous affirmez un certain nombre de choses, et nous affirmons le contraire. Vous nous dites que ce texte ne porte pas atteinte à la famille et au mariage alors que nombre d'entre nous sont convaincus du contraire. Prenons l'exemple des mesures fiscales : au détriment de qui ces mesures favorables au PACS vont-elles être mises en place ? Naturellement, au détriment des encouragements que l'on peut accorder à la famille, et au détriment de toute une autre série de catégories de citoyens.
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
Mme Dinah Derycke. Cela n'a rien à voir !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Vous avez essayé de justifier le pacte civil. Il n'a aucune justification ! Il n'y a aucun engagement dans le pacte civil ! Vous évoquez la durée et la stabilité. Non, il n'y a ni durée ni stabilité dans le PACS puisqu'il peut à tout moment être dénoncé ! De plus, maintenant, le nouveau texte permettra d'être « pacsé » avec une personne et concubin d'une autre !
Cette situation démontre bien que nous sommes confrontés à un texte inapplicable, dangereux et inutile, contrairement aux solutions que nous avions proposées.
Le Sénat, disais-je au début de mon propos, aurait pu, en deuxième lecture, reprendre son texte initial, il aurait bien sûr pu tenter de donner une autre définition du concubinage. Nous aurions perdu encore un mois ou deux dans cette affaire, nous aurions fait perdre du temps à tout le monde, et on aurait dit dans la presse que le Sénat paralysait l'activité parlementaire.
Eh bien, non ! Nous disons franchement que nous avons tenté de trouver un terrain d'entente avec l'Assemblée nationale et une ouverture. Mais la balle n'a pas été rattrapée au bond. Nous ne jouons plus parce que nous ne parlons plus la même langue ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke, contre la motion.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je n'étonnerai personne en annonçant d'emblée que le groupe socialiste ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable déposée par M. le rapporteur, au nom de la commission des lois du Sénat.
Notre excellent collègue Jean-Pierre Bel et Mme la ministre, à l'instant, ont expliqué avec talent et conviction la philosophie de la proposition de loi relative à la création d'un nouveau statut juridique pour les couples hétérosexuels ou homosexuels qui ne veulent ou ne peuvent se marier mais qui souhaitent établir un lien de solidarité et aspirent à une reconnaissance sociale.
Ce texte a donc pour finalité de procéder à la nécessaire adaptation de notre droit à l'évolution des moeurs tout en mettant fin aux injustices et discriminations qui persistent.
Face à la précarisation des situations, face au repli sur soi et à l'égocentrisme qui se développent, le fait de favoriser la stabilité des unions et d'encourager la solidarité entre deux personnes, quel que soit leur sexe, qui partagent un projet de vie présente un intérêt évident pour la collectivité. Telle est la justification sociale des avantages consentis aux couples liés par un PACS, avantages qui sont loin d'être exorbitants, contrairement à ce qui a été dit.
Le mariage ne peut plus être la réponse exclusive pour des millions de couples, pas plus que le concubinage ne peut l'être, même si cette situation de fait doit aujourd'hui être reconnue afin de lever toute discrimination, en particulier à l'encontre des couples homosexuels.
Oui, nous croyons qu'il y a place, dans notre droit positif, pour un droit nouveau, un choix supplémentaire, une nouvelle liberté entre le mariage et l'union libre.
Qu'édifier ainsi une nouvelle construction juridique ne soit pas chose aisée, c'est évident. Mais là est bien le sens de notre mission législative - élaborer, améliorer, voter des lois pour une meilleure organisation sociale - mission à laquelle la commission nous propose de renoncer par la motion tendant à opposer la question préalable.
Oui, nous voulons le PACS ! Nous avons montré notre détermination en première lecture, et nos amendements, repris dans l'esprit si ce n'est dans la lettre par les députés de la majorité, ont contribué à l'amélioration du texte.
Nous espérions continuer ce travail en deuxième lecture au Sénat, le texte restant perfectible - Mme la ministre l'a souligné - par exemple pour la définition du concubinage.
Mais vous ne voulez pas de PACS et vous refusez même toute discussion à ce sujet.
Je voudrais revenir sur les quelques arguments développés pour rejeter catégoriquement ce texte.
Nombre d'entre vous ont accusé la majorité plurielle d'instaurer le PACS non par conviction mais parce qu'il s'agissait d'une promesse électorale. Mme la garde des sceaux a d'ailleurs eu l'occasion, en première lecture, de vous répondre sur ce point.
Honorer des engagements électoraux ne me semble ni honteux ni scandaleux. Cela devrait, au contraire, constituer une règle de base, tant il est vrai que la démagogie se révèle un piège redoutable pour la démocratie.
Il nous a également été reproché « d'imposer le PACS », l'opposition ayant, selon nous, juridiquement tort parce que politiquement minoritaire. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. C'est ce que vous pensez !
Mme Dinah Derycke. Je pourrais retourner le compliment ici, dans la Haute Assemblée, et prétendre que vous rejetez le PACS parce que, étant ici même politiquement majoritaires, vous croyez avoir juridiquement raison.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non !
Mme Dinah Derycke. Je l'ai entendu à cette tribune, et nous pourrions retourner l'argument ; mais il n'est pas sérieux, et je ne l'emploierai donc pas. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Mais d'autres l'ont fait, et à l'instant précédent.
Enfin, nous céderions - je cite un député de l'opposition, mais cela vient d'être dit également à cette tribune - « à un réflexe idéologique qui privilégie l'absolu libertaire et individualiste » !
Je remarque que le PACS a, tout au contraire, vocation à encourager la solidarité entre deux personnes vivant en couple et qu'il constitue une réponse concrète, pragmatique, et non idéologique aux difficultés et aux aspirations d'une partie de nos concitoyens,...
M. Jean Chérioux. En concurrence avec le mariage !
Mme Dinah Derycke. ... et ce sans réduire aucunement les droits et libertés des autres. On peut alors se demander de quel côté est l'idéologie quand vous affirmez que le mariage doit rester la seule référence ou lorsque vous vous érigez en défenseurs exclusifs de la famille, plus précisément d'une famille normative qui ne correspond plus aujourd'hui à la réalité ?
Répétons-le une fois de plus, après Mme le garde des sceaux et MM. Bel et Bret, le PACS n'a pas été conçu pour concurrencer voire pour condamner le mariage républicain. D'autres pays ont d'ailleurs adopté un statut similaire sans que le mariage en pâtisse.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Oui, mais sans avantages fiscaux !
Mme Dinah Derycke. Peut-être le mariage retrouvera-t-il une nouvelle vigueur (Exclamations sur les travées du RPR.), l'alternative ouverte par le PACS offrant aux couples un véritable choix là où, à tort ou à raison, ces derniers ont le sentiment d'être contraints à un choix limité, un choix entre mariage et union libre.
Répétons-le une fois de plus, après Mme la garde des sceaux, et MM. Bel et Bret, le PACS ne traite pas de la famille. Il n'ouvre droit ni à l'adoption, ni à la procréation médicalement assistée, ni à la filiation.
M. Jean Chérioux. Nous vous le rappellerons !
Mme Dinah Derycke. Qu'en sera-t-il dans vingt ou trente ans, ou plus encore ? Nul ne le sait, et l'adoption ou le rejet du PACS n'y changera rien.
Mais, à travers cette question qui semble vous angoisser...
M. Hilaire Flandre. Les angoisses ne sont pas ici !
Mme Dinah Derycke. ... on sent bien que c'est la reconnaissance du couple homosexuel qui pose problème, même si vous vous en défendez.
C'est ainsi qu'au fil des débats on a pu noter, parmi la majorité sénatoriale, des approches diverses. Entre ceux qui pensent que l'homosexualité est une maladie, une déviance (Protestations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants),...
Cela a été dit à cette tribune ! J'ai relu attentivement les débats !
Entre ceux-là, ceux qui pratiquent l'amalgame entre homosexualité et pédophilie et les plus progressistes, il est vrai, qui considèrent que l'homosexualité est une orientation sexuelle relevant du domaine strictement privé et doit le rester, il y a là bien des différences et beaucoup de non-dits qui expliquent votre décision de ne pas délibérer davantage, par crainte que ces désaccords n'apparaissent en pleine lumière. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. Absolument pas !
Mme Dinah Derycke. Même l'alternative proposée par la majorité sénatoriale ne fait pas l'unanimité dans vos rangs.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Qu'en savez-vous ?
Mme Dinah Derycke. Il est parmi vous quelques intégristes qui refusent que le concubinage homosexuel, mais aussi hétérosexuel, soit officiellement défini et donc reconnu. Ces divergences d'appréciation étaient évidentes en première lecture !
De fait, la question préalable, certes juridiquement légitime, vous permet surtout d'escamoter le débat et de masquer vos désaccords. En termes sportifs, on dirait « botter en touche » (Exclamations sur les mêmes travées.), mais on peut dire aussi « déclarer forfait », ou « se faire porter pâle », si vous préférez : la langue française est riche de toute une série d'expressions en la matière.
M. Jean Chérioux. Nous ne voulons pas de votre intégrisme libertaire, voilà tout !
Mme Dinah Derycke. Quoi qu'il en soit, vous refusez effectivement d'aborder sérieusement la question, d'en discuter et d'amender le texte.
Enfin, adopter la question préalable, ce serait non seulement évacuer un réel problème de société mais cela nous conduirait à renoncer à nos prérogatives de législateurs.
Au moment où, en raison des positions prises par le Sénat lors de récents débats - chacun s'en souvient ici - nos concitoyens doutent de la pertinence du bicamérisme...
M. Jean Chérioux. Ça y est ! La menace ! Il ne manquait plus que cela !
Mme Dinah Derycke. ... et s'interrogent sur l'utilité d'une seconde chambre,...
M. Josselin de Rohan. C'est du chantage !
Mme Dinah Derycke. Non, c'est un simple constat, ce n'est pas du chantage : je constate simplement que nos concitoyens ne comprennent pas toujours à quoi sert une deuxième chambre. Et, parce que celle-ci refuse effectivement de faire son travail,...
M. Jean Chérioux. Elle a montré le contraire en première lecture !
Mme Dinah Derycke. ... de faire ce pourquoi elle est élue, légitimement, en effet, ils se posent la question de savoir pourquoi elle existe. C'est une réalité : il est dangereux de ne pas exercer pleinement ses responsabilités.
M. Jean Chérioux. Nous l'avons fait en première lecture !
Mme Dinah Derycke. Parce que nous croyons que le PACS peut améliorer la vie d'une part non négligeable de notre population,...
M. Hilaire Flandre. Combien ?
Mme Dinah Derycke. ... parce que nous sommes convaincus que notre rôle, notre mission, est d'adapter notre législation à l'évolution des moeurs, nous ne voterons pas la question préalable. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La commission souhaite-t-elle intervenir ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, de suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. Guy Allouche. Le rapporteur jette l'éponge ? (Sourires.)
Mme Dinah Derycke. Oui, j'avais oublié cette expression tout à l'heure !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Madame le garde des sceaux, ce texte sera voté par votre majorité à l'Assemblée nationale, c'est un fait.
Vous étiez sûre dès le départ que vous aboutiriez au résultat que vous recherchiez, alors que, de notre côté, tout au long de la première lecture, nous avons voulu trouver une solution qui puisse être acceptable par tous, à la condition que, dans cette majorité qui vous soutient, il n'y ait pas cette volonté idéologique et cette intention manifeste de céder à un lobby dont on connaît l'activité et les manifestations.
Etant donné la situation, nous allons être amenés à adopter la question préalable.
On pourra, bien sûr, prétendre que nous escamotons le débat, que nous « bottons en touche », que nous déclarons forfait. Mais tout cela n'est que mauvaise plaisanterie : tous ceux qui sont intervenus au nom de notre majorité sénatoriale ont rappelé avec toute la clarté et toute la netteté nécessaires ce que nous avions dit dès le départ, à savoir que le PACS est, pour nous, une menace contre la famille. (Murmures sur les travées socialistes.)
Cette menace est évidente, dans la mesure où des avantages fiscaux et sociaux de toutes natures seront consentis à ceux qui seront dorénavant désignés par ce vocable dont je vous laisse finalement la responsabilité - car c'est vous qui l'aurez créé - de « pacsés ».
Vous serez ainsi, madame le garde des sceaux, le ministre de la justice qui aura attaché son nom à la création du PACS. Nous vous donnons rendez-vous dans quelque temps, quand la loi sera votée. Nous en verrons les effets, les conséquences, et nous nous rendrons compte, dans le même temps, que vous aurez eu tort de ne pas vouloir entendre ce que nous vous avons dit.
Je relisais récemment, madame le garde des sceaux, un propos tenu par Harold Laski, le père spirituel du travaillisme anglais.
En 1945, au moment où Churchill avait été battu par une majorité écrasante de travaillistes, on l'interrogeait : « Nous sortons d'un régime de guerre, et vous avez tous les pouvoirs. Vous êtes majoritaire, et vous allez pouvoir faire ce que vous voulez. »
Et Laski, très franchement, de répondre : « Nous ferons beaucoup de choses, effectivement. »
Son interlocuteur, avec une mauvaise foi que je reconnais, lui demanda alors : « Qu'est-ce qui vous différencie d'un régime totalitaire ? »
Et Laski, après avoir réfléchi : « Eh bien, monsieur, la différence qui existe entre nous, majorité démocratique, et un régime totalitaire, c'est que nous nous interdisons de toucher aux âmes et que nous toucherons très rarement aux moeurs. »
Or, madame le garde des sceaux, c'est ce que vous êtes en train de faire : vous touchez aux moeurs de notre société, vous êtes en train de démolir un des fondements essentiels sur lesquels notre société, notre civilisation occidentale et, je le dis, notre tradition judéo-chrétienne, ont longtemps vécu.
Vous avez tort, et vous verrez que le résultat sera mauvais. Je vous donne rendez-vous et, dans l'avenir, lorsqu'il y aura des cours de morale - peut-être ? - dans les écoles primaires, il faudra que l'on explique désormais aux petits enfants ce qu'est le « pacsé ». Et on leur dira que c'est vous, madame, qui en aurez pris la responsabilité. Je le regrette pour vous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne peux pas laisser passer une telle intervention sans réagir.
Mme Dinah Derycke. Tout à fait ! C'est scandaleux !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Sachez d'abord que je suis effectivement fière d'avoir défendu ce texte.
M. Emmanuel Hamel. Triste fierté, madame !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Peut-être ne l'aurais-je pas rédigé exactement ainsi si j'en avais pris moi-même l'initiative, mais je l'ai soutenu et je suis fière d'avoir contribué, sur l'initiative des députés à l'Assemblée nationale et avec le soutien de la minorité, ici, au Sénat, à faire en sorte de donner des droits à des personnes qui, pour en être aujourd'hui totalement dépourvues, se trouvent dans des situations souvent dramatiques.
De cela, monsieur le président de la commission des lois, je m'enorgueillis en effet et je suis fière ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Sachez ensuite que je m'interroge sur la dramatisation - à mes yeux incompréhensible - dont sont empreints vos propos. Je crois en effet que, lorsqu'on fera des cours de morale - mais on en fait déjà aujourd'hui ! - dans nos écoles,...
M. Martial Taugourdeau. On n'en fait pas assez !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ...on prendra bien soin, comme on le fait déjà aujourd'hui, de ne pas dire aux enfants issus de couples qui ne sont pas légitimement unis par le mariage qu'ils sont différents des autres.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je parlais des enfants de couples homosexuels !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis également convaincue que l'on prend précisément grand soin, dans les écoles, de ne pas frapper d'ostracisme ces enfants, et j'espère bien que personne, dans les écoles de la République, ne franchira ce type de ligne jaune !
M. Guy Allouche. C'est le principe de la laïcité !
M. Jean Chérioux. C'est une République sans références !
M. Hilaire Flandre. Et sans repères !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Permettez-moi par ailleurs de dire aussi qu'il est des références morales dont nous pouvons être fiers. Il en est ainsi, par exemple, de la reconnaissance de droits en faveur de gens qui n'en ont aucun !
Sachez en tout cas que nous ne fragilisons en aucune façon le mariage et la famille puisque, par ailleurs, vous aurez l'occasion de constater - je vous donne rendez-vous dans quelques mois - que le Gouvernement souhaite consolider la famille, sous ses diverses formes. Il n'y a plus, en effet, aujourd'hui, une seule sorte de famille dans notre société.
Ainsi, le Gouvernement souhaite faire en sorte que les enfants pâtissent de moins en moins des situations que nous pouvons rencontrer de nos jours. En effet, le mariage n'est pas en crise, mais, c'est vrai, avec l'allongement de la durée de la vie et compte tenu d'un certain nombre d'évolutions, il arrive que certains se marient plusieurs fois, aient des enfants de différentes unions.
De ce point de vue, nous pourrons, en effet, être fiers de l'oeuvre législative que nous aurons accomplie, sans parler des textes sur la présomption d'innocence, que vous aurez l'occasion d'examiner ici même prochainement, ou encore sur l'indépendance de la justice.
M. Jean-Jacques Hyest. Et sur la séparation des pouvoirs ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. L'oeuvre que nous aurons accomplie pourra, devant l'histoire, être comparée avantageusement à d'autres ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux. On la jugera à ses fruits ! Pour le moment, ils sont amers !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Madame le garde des sceaux, le Sénat aussi a eu pour préoccupation, grâce au texte qu'il a adopté, de mettre fin à des discriminations.
Madame le garde des sceaux, le Sénat aussi a eu à coeur d'empêcher que restent sans solution les problèmes qui se posent aujourd'hui.
Madame le garde des sceaux, le Sénat aussi a trouvé une solution qui, elle, avait l'avantage de ne mettre en cause ni le mariage ni d'autres institutions, d'être totalement neutre. En fin de compte, c'était la seule solution valable.
Je suis convaincu, madame le garde des sceaux, que, dans quatre ans, nous nous retrouverons. Vous verrez alors qu'en réalité c'était le Sénat qui voyait loin et qui avait raison ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. La dernière intervention de M. le président de la commission des lois montre que la majorité sénatoriale a vraiment changé d'attitude par rapport à un débat qu'elle voulait conciliant en première lecture.
Ce changement d'attitude entre la première et la deuxième lecture met en exergue, si besoin était, non seulement les contradictions internes de la majorité sénatoriale, mais également les contradictions entre sénateurs et députés - pourtant du même bord - ces derniers n'ayant apprécié que très modérément, semble-t-il, votre proposition de solution alternative.
Faut-il ajouter à cela que votre démarche en première lecture n'a pas trouvé d'adhésion du côté des détracteurs du PACS, qui ont manifesté un certain 31 janvier 1999 ?
En revanche, loin de constituer un piège pour le Gouvernement et sa majorité, comme cela a été dit, la législation sur le concubinage que vous avez proposée en mars dernier - sans pour autant aller au bout de votre logique - a bel et bien été reprise et améliorée. C'est ainsi que la commission des lois de l'Assemblée nationale a pris au mot la majorité sénatoriale, mais en évitant toute équivoque sur le concubinage homosexuel.
Cette reconnaissance du concubinage homosexuel a pourtant été proposée - vous l'avez dit, et vous l'avez répété encore aujourd'hui - comme une alternative au PACS. A l'époque, nous avions eu bien raison de ne pas vous croire !
Vous montrez clairement aujourd'hui, avec votre question préalable, que vous n'en vouliez pas plus que du PACS. En fait, vous avez essayé de noyer le poisson, pour employer une autre expression.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !
Mme Nicole Borvo. L'Assemblée nationale a précisé son texte en reconnaissant le concubinage de fait, et elle a bien fait. Le PACS trouve tout naturellement sa place entre le mariage, d'une part, et l'union libre, d'autre part, sans les affaiblir.
M. Gélard continuait, tout à l'heure, de parler de solution alternative, en augurant que l'on verrait bien que le Sénat avait raison. Mais, outre l'aspect tactique, dont je viens de parler, je souligne tout de même que la démarche d'ouverture du Sénat vis-à-vis du concubinage demeurait marquée d'une grande frilosité au regard des droits qui y sont attachés.
Les dispositions proposées, loin de concerner les seuls concubins, étaient plutôt de portée générale et ne constituaient pas, en conséquence, un statut de concubins.
Il s'agissait, en fait, d'une réforme débouchant sur un ersatz de droits. Vous ne preniez aucunement en compte les aspirations légitimes des personnes qui ne veulent ou ne peuvent pas se marier et qui, ne vous en déplaise, mes chers collègues, ne peuvent se résumer à une vision successorale et patrimoniale.
De quel droit et pour quelles raisons refuserions-nous à ces personnes, dès lors qu'elles sont engagées dans une construction durable, le bénéfice de certaines garanties, concernant, par exemple, le droit au bail, le droit à congés, le droit à l'imposition commune ?
D'autres l'ont dit avant moi, le PACS est différent du concubinage et du mariage. Il ne porte en aucune façon atteinte au droit de la famille, ni sur la filiation, ni sur la parentalité, ni sur l'exercice de l'autorité parentale.
Est-il, enfin, nécessaire de préciser que, dans le domaine concerné, les couples n'ont pas tous une dimension procréatrice et familiale ? A suivre votre logique, mes chers collègues, le mariage devrait être interdit à des couples qui ne sont plus en âge de procréer.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non ! Cela n'a rien à voir !
M. Hilaire Flandre. C'est une caricature !
Mme Nicole Borvo. Je regrette que vous ne l'ayez pas dit.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Ce sont de mauvaises raisons !
M. Hilaire Flandre. On l'a connue meilleure !
M. Gérard César. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale, sans même s'interroger sur le système inutilement complexe qu'elle a mis en place, a rétabli, en deuxième lecture, le PACS, en plus du concubinage homosexuel.
En outre, l'Assemblée nationale a supprimé les apports du Sénat aussi essentiels que la reconnaissance de la liberté de la vie personnelle, l'affirmation du caractère hétérosexuel du mariage, la mise en place de mesures fiscales et successorales qui répondaient aux difficultés rencontrées réellement par les concubins sans faire référence à leur sexe.
Je ne m'attarderai pas sur les débats qui se sont déroulés à l'Assemblée nationale, où l'on a souvent reproché à la Haute Assemblée sa mauvaise foi et son conservatisme après les propositions qu'elle avait adoptées en première lecture.
N'est-ce pas tromper les personnes intéressées par cette proposition de loi que de leur promettre un statut hybride inapplicable, n'offrant à aucun des partenaires une réelle protection juridique ?
N'est-ce pas une volonté manifeste de ne pas aller de l'avant que de refuser des dispositifs fiscaux et successoraux offrant de vraies solutions aux problèmes que les personnes intéressées sont venues exposer devant la commission des lois lors des auditions publiques, comme l'ont rappelé son président et son rapporteur ?
C'est parce que nous ne pouvons souscrire à un dispositif inapplicable et insatisfaisant, qui fera sans aucun doute le bonheur des avocats spécialisés, que notre groupe votera la question préalable présentée par le rapporteur, notre collègue Patrice Gélard, fin juriste, dont je tiens à saluer encore une fois le remarquable travail sur un sujet aussi difficile. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 94:

Nombre de votants 313
Nombre de suffrages exprimés 313
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 214
Contre 99

M. Emmanuel Hamel. Même pas 100 ! (Sourires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de la loi est rejetée.

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