Séance du 11 mai 1999






EFFICACITÉ DE LA PROCÉDURE PÉNALE

Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 306, 1998-1999), modifié par l'Assemblée nationale, renforçant l'efficacité de la procédure pénale. [Rapport n° 336, (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd'hui, en deuxième lecture, le projet de loi renforçant l'efficacité de la procédure pénale que l'Assemblée nationale avait adopté au mois de juin 1998.
Cet examen est tout d'abord l'occasion pour moi de faire le point sur l'état des autres projets de loi qui, avec le présent texte, constituent, vous le savez, les trois volets de la réforme engagée par le Gouvernement : une justice plus proche des citoyens, une justice plus soucieuse des libertés et une justice plus indépendante.
Le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a été adopté le 30 mars par l'Assemblée nationale ; il sera examiné très prochainement, M. Jolibois en étant le rapporteur, par votre assemblée. Il s'inscrit dans le deuxième volet de la réforme.
Le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, qui redéfinit les relations du garde des sceaux et du ministère public, sera examiné en première lecture par l'Assemblée nationale à partir du 22 juin prochain ; il sera examiné par le Sénat au cours de la prochaine session. Il constitue le point principal du troisième volet de la réforme.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui s'inscrit dans le premier volet de la réforme de la justice, avec, d'ailleurs, la loi du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit. Je vous rappelle que le premier objectif de la réforme engagée par le Gouvernement est de rapprocher la justice des citoyens, de la rendre plus accessible, plus rapide et plus efficace.
Ce texte, qui s'inscrit dans cette perspective, concerne la procédure pénale. La procédure civile, celle qui concerne très directement nos concitoyens dans leur vie quotidienne, a été profondément réformée, elle aussi, par le décret du 28 décembre 1998, qui permet une accélération et une simplification des affaires civiles.
Sur ce premier volet relatif à la justice au quotidien, nous avons donc trois textes : deux sont déjà définitivement votés et le dernier que nous examinons ensemble aujourd'hui complétera ce dispositif. Je suis très heureuse que ce premier volet de la réforme soit le plus avancé. Il constitue en effet, pour moi, une priorité car j'estime qu'il faut améliorer la justice au quotidien si nous voulons rendre confiance à nos concitoyens dans le service public de la justice.
L'objet du présent projet est de renforcer, à tous les stades de la procédure pénale, l'efficacité des réponses que l'institution judiciaire est susceptible d'apporter aux actes de délinquance. Il a pour finalité d'améliorer la justice au quotidien, celle qui concerne le plus grand nombre d'affaires, celle à laquelle sont confrontés nos concitoyens dans leur vie de tous les jours.
Mes propos seront brefs car les questions qui, au cours de cette deuxième lecture, demeurent encore en discussion sont désormais très limitées.
Je ne peux à cet égard que me féliciter du caractère très consensuel de ce texte et des rapprochements qui ont pu intervenir entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur les quelques points à propos desquels existaient des différences d'appréciation. Ces convergences sont d'autant plus remarquables qu'il s'agit d'un projet de loi qui présente, au-delà de l'aspect parfois technique de ses dispositions, une importance pratique considérable pour améliorer le fonctionnement de notre institution judiciaire.
Je veux ainsi remercier très vivement le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. Fauchon, pour le travail qu'il a accompli, dans un esprit particulièrement constructif.
J'évoquerai d'abord les dispositions qui sont conformes.
En ce qui concerne les alternatives aux poursuites, je me réjouis, en premier lieu, de voir la commission des lois adopter les dispositions du projet consacrant les différentes formes d'alternatives aux poursuites qui viennent compléter la consécration de la médiation pénale intervenue dans la loi du 4 janvier 1993.
Je me réjouis, en second lieu, de l'accord intervenu entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur la procédure de composition pénale - qui doit désormais sa dénomination à M. Fauchon - procédure qui concilie de façon pragmatique et équilibrée les droits des personnes, - auteurs des faits et victimes - et l'efficacité de la répression.
Je m'en remettrai à la sagesse du Sénat en ce qui concerne l'amendement portant à 25 000 francs l'amende de la composition pénale. Ce chiffre, qui correspond au minimum de l'amende correctionnelle, constitue en effet un bon compromis entre les 10 000 francs adoptés par l'Assemblée nationale et les 50 000 francs retenus par le Sénat en première lecture.
Je souhaite revenir brièvement sur la notion de classement sans suite, qui a fait l'objet de nombreuses discussions devant la représentation nationale et qui n'est pas toujours connue avec suffisamment de précisions.
Je souhaite profiter de l'opportunité qui m'est offerte d'apporter des précisions sur ces chiffres parce qu'il est important de ne pas donner de l'action judiciaire une vision erronée et partielle.
A ce titre, je rappellerai les données suivantes.
En 1997, sur 4 937 000 plaintes, reçues par les parquets, 3 088 000 concernent des faits commis par des personnes qui n'ont pas été identifiées par les services de police et de gendarmerie, soit 63 % du total. Le classement de ces procédures ne correspond en rien à un mauvais fonctionnement du service public judiciaire, mais à un échec de la procédure d'enquête.
Sur les 1 849 000 plaintes dont les auteurs ont été identifiés, les parquets ont procédé à 302 000 classements, purs et simples, sans réponse, poursuite ni de « troisième voie ». Ces classements représentent seulement 16 % des plaintes pour des faits dont l'auteur est connu et 6 % de l'ensemble des plaintes. Nous sommes donc loin de ce que l'on prétend couramment, à savoir que la justice classe la majorité des faits dont elle est saisie.
Quand la justice est saisie de faits commis par des personnes identifiées, elle répond par une poursuite ou par une mesure de réparation, dans 84 % des cas. Encore faut-il souligner que les classements sont parfois justifiés en opportunité par des éléments de droit - les faits peuvent être prescrits, ou l'infraction peut ne pas être constituée - ou des éléments de pure opportunité.
Je vous donnerai trois exemples de classement pour des raisons de pure opportunité particulièrement éclairants : le vol de nourriture par une mère de famille démunie dans le seul but de nourrir ses enfants ; le coup de pied porté par un enseignant - il n'aurait certainement pas dû le faire - récemment à Rouen, à l'égard d'un mineur particulièrement turbulent ; l'homicide involontaire commis par un père qui tue accidentellement son fils, passager de la voiture qu'il conduit. Vous en conviendrez, dans tous ces cas, le classement de l'affaire est justifié, même si l'auteur du fait est connu et les conséquences particulièrement graves.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui a pour objet de limiter les classements, non pas dus à l'opportunité mais dus à l'absence de réponses possibles et adaptées.
Je me réjouis que sur les autres dispositions du projet des accords aient pu également être trouvés.
Je ferai également une remarque sur les officiers de police judiciaire douaniers.
Je me bornerai à observer que la commission a une excellente idée en proposant de codifier dans le code de procédure pénale les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale et qui résultaient d'un amendement du Gouvernement, dont l'objet est de donner certaines prérogatives de police judiciaire à différentes catégories d'agents de douane.
Il s'agit en effet de dispositions importantes qu'il me paraît effectivement logique d'insérer dans la partie du code de procédure pénale consacrée aux « fonctionnaires et agents chargés de certaines missions de police judiciaire ».
Voilà pour nos points d'accord. Quels sont nos points de divergence ?
Trois questions - qui correspondent aux amendements de fond adoptés par la commission - restent en discussion.
Il s'agit tout d'abord du champ d'application de la composition pénale et de la conduite en état alcoolique.
La commission propose d'étendre la composition pénale au délit de conduite sous l'empire d'un état alcoolique. Un amendement similaire a été rejeté par l'Assemblée nationale. Les débats qui ont eu lieu sur ce point ont fait apparaître le risque de voir considérer l'extension de la composition pénale à ce type de délits comme un affaiblissement de la répression.
Je partage cette inquiétude et je ne souhaite pas que l'extension proposée puisse être interprétée comme une diminution de la lutte qui est engagée contre le fléau que représente l'alcool au volant.
C'est trop grave ; nous ne devons pas donner ce signal.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Plusieurs parlementaires ont rappelé l'aspect pédagogique de la comparution devant une juridiction pour ce type d'infraction. Je crois que cet aspect pédagogique garde toute son importance.
De plus, je ferai observer que l'objectif du texte est de permettre des réponses systématiques et rapides à tous les actes de délinquance, notamment petite et moyenne. La conduite en état alcoolique est actuellement systématiquement poursuivie par les parquets. Faire figurer cette infraction parmi celles pour lesquelles une composition pénale serait possible ne me paraît pas conforme à la finalité du projet.
C'est pour ces raisons que je m'opposerai à l'amendement déposé par votre commission sur ce point.
J'en viens à la possibilité de renvoi pour les chefs de cours.
S'agissant de l'amendement visant à supprimer l'article 19 du projet de loi, qui facilite des possibilités de renvoi d'une juridiction à une autre, le Gouvernement ne peut évidemment y être favorable. En effet, de nombreuses juridictions, petites ou moyennes, ne peuvent pas juger les affaires pénales du fait des incompatibilités entre fonctions d'instruction et de jugement, notamment pendant les périodes de vacances.
C'est le cas de tribunaux à une chambre, qui ne comptent que quatre ou cinq magistrats du siège. Le jugement des affaires n'est alors possible que par le renfort soit de magistrats placés auprès des premiers présidents, soit d'avocats. Ces deux solutions ne sont pas totalement satisfaisantes et elles sont contraignantes, parfois pour une seule affaire dans laquelle il y a une incompatibilité.
Le système proposé est plus souple et permet une gestion plus efficace de ces cas d'incompatibilité.
J'ai toutefois déposé sur cet article un amendement, qui tient compte des observations de M. le rapporteur et qui me semble pouvoir recevoir l'accord de la Haute Assemblée. Je m'en expliquerai lorsqu'il viendra en discussion.
Naturellement, il vous appartiendra de vous déterminer, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je souhaitais faire un pas dans votre direction.
S'agissant des emplois-jeunes, je souhaite exposer les raisons qui ont conduit le Gouvernement à proposer des dispositions relatives aux emplois-jeunes.
Ce texte permet de doter la justice pénale d'outils efficaces pour l'adapter aux missions qui sont aujourd'hui les siennes. Vous le savez, le Gouvernement a engagé une réforme d'ampleur de la lutte contre la délinquance, en particulier contre cette délinquance qui se nourrit de faits répétés, quotidiens, qui troublent la vie de nos concitoyens.
Il convient à cet égard, non seulement de modifier notre droit, mais aussi de doter le service public de la justice des moyens adaptés à cette politique. Il est souhaitable que, dans tous les cas où c'est possible, la justice puisse être secondée pour répondre mieux et plus vite aux besoins de nos concitoyens.
Le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999 a donc décidé le recrutement de 2 500 emplois-jeunes pour le ministère de la justice.
Ces agents seront notamment employés à des fonctions d'accueil des justiciables, dans les juridictions, les maisons de la justice et du droit, ou à des fonctions d'assistance des personnels des services déconcentrés des directions de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire.
Bien entendu, il s'agit, non pas de remplacer des personnels expérimentés, mais de leur venir en appui.
Ces emplois-jeunes doivent être pris en charge en totalité par l'Etat, sans que les juridictions aient notamment à quérir le complément de financement auprès des collectivités locales et des associations parce qu'il s'agira de véritables missions régaliennes de service public. Dans la mesure où cette possibilité n'a pas été prévue par la loi du 16 octobre 1997, il faut l'inscrire dans ce projet de loi.
Le Gouvernement a déposé de nouveaux amendements.
Je vous demande d'en adopter deux relatifs aux auxiliaires de justice.
Le premier a pour objet de clarifier la loi du 31 décembre 1990 sur les sociétés d'exercice libéral, en permettant expressément à l'ensemble des professionnels libéraux de constituer des sociétés d'exercice libéral sous forme d'entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée.
La cour d'appel de Paris a en effet estimé que cette forme sociétale n'était pas ouverte aux professionnels libéraux, dans la mesure où l'article 1er de la loi du 31 décembre 1990 dispose que les sociétés d'exercice libéral ont pour objet la pratique en commun de chaque profession concernée.
Cette analyse conduit à priver les professionnels libéraux d'un mode d'exercice particulièrement adapté à leurs besoins et qu'ils ont, au demeurant, largement plébiscité. La plupart des sociétés sont en effet constituées sous la forme d'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.
Je vous propose donc de modifier l'article 1er de la loi du 31 décembre 1990 afin de rendre le texte compatible, d'une part, avec les aspirations des professionnels libéraux et, d'autre part, avec la volonté initiale du législateur de 1990.
Le second amendement que propose le Gouvernement vise à autoriser le partage entre les débiteurs et les créanciers des frais d'huissier liés à l'exécution des décisions de justice.
Le décret du 12 décembre 1996 portant tarif des huissiers prévoyait le partage entre le débiteur et le créancier des frais relatifs au recouvrement forcé des créances, alors que l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution impliquait que la totalité des frais serait à la charge des débiteurs.
En conséquence, le décret du 12 décembre 1996 a été déclaré illégal sur ce point par le Conseil d'Etat.
J'estime qu'il est juste de ne pas accabler les seuls débiteurs, souvent impécunieux, et de faire supporter à certains créanciers une part limitée des coûts du recouvrement des sommes qui leur sont dues. Je vous demande donc de modifier en ce sens l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991.
Je précise, pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, que le Gouvernement n'entend nullement procéder par ce biais à une augmentation du tarif des huissiers. Il souhaite seulement donner une base légale solide et stable à la rémunération de ces professionnels et parvenir à une répartition socialement équitable des frais de justice. Je soulignerai simplement, en conclusion, l'importance de ce projet de loi dont les dispositions sont très attendues par les praticiens et qui, incontestablement, rapprocheront la justice des justiciables.
Je remercie votre commission, plus particulièrement votre rapporteur, de leur contribution. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel. Il y sera sensible !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici donc de nouveau réunis pour examiner ce texte portant diverses mesures d'amélioration de la procédure pénale.
Je m'étais permis de dire, avec le sourire, d'ailleurs, que, compte tenu de son caractère quelque peu hétéroclite, il me faisait penser aux mendiants !... Et vous avez bien voulu, madame le garde des sceaux, me signaler que les mendiants peuvent être un dessert succulent, mais aussi - permettez-moi d'ajouter - roboratif.
Si j'ai fait ce rappel, c'est non par esprit critique, mais pour me dispenser de présenter une philosophie d'ensemble sur un texte regroupant des dispositions si diverses.
Tout d'abord, j'évoquerai l'une d'entre elles, sur laquelle je reviendrai, et qui est particulièrement intéressante : la composition pénale. J'ai la conviction que cette mesure apportera, avec le temps, un progrès et sera une modification peut-être plus substantielle que nous ne l'aurions imaginé de notre procédure pénale.
Je me bornerai à formuler quelques observations.
La commission des lois a considéré que, dans un texte de cette nature, qui comporte essentiellement des dispositions de caractère technique, nous n'allions pas entrer dans le petit jeu consistant à dire : nous avons préféré une rédaction en première lecture ; l'Assemblée nationale en a retenu une autre ; alors, revenons à notre première rédaction.
L'Assemblée nationale, nous semble-t-il, a tenu compte de nos réflexions et a fait avancer les siennes. Dès lors qu'il n'y a pas de principe en cause, nous pouvons accepter la rédaction de l'Assemblée nationale dont nous n'avons aucune raison a priori de penser qu'elle n'est pas aussi valable que la nôtre.
Ce raisonnement concerne un certain nombre de points qui ont soulevé quelques difficultés un peu plus aiguës. Je pense notamment aux notifications aux avocats.
Nous avons eu des hésitations sur ce point et je sais qu'un débat s'est engagé à l'Assemblée nationale. Finalement, après avoir consulté les professionnels, il nous a semblé que les convocations par télécopie avec récépissé du télécopieur pour les réunions d'instruction n'ont pas donné lieu, depuis des années, à des incidents. En revanche, comme vous l'avez souligné, madame le garde des sceaux, il serait dangereux d'exiger un récépissé, au sens propre du terme, du cabinet d'avocats. Celui-ci peut ne pas l'envoyer, ne serait-ce que par une certaine passivité qui peut-être critiquable !
La troisième possibilité, c'est le circuit postal. Mais les lettres recommandées posent également des problèmes. La personne habilitée à les recevoir peut être absente, et elle doit se rendre à la poste pour les retirer.
Finalement, les avocats avec lesquels nous avons discuté nous ont dit que, selon eux, le dispositif prévu ne présentait pas d'inconvénients. Nous nous rallions donc à la rédaction que vous souhaitiez.
Une autre difficulté résidait dans le renvoi à la collégialité par le juge unique. Il nous avait en effet semblé que le Conseil constitutionnel ne laisserait pas au juge unique, en matière pénale, cette possibilité.
Il semble que cette jurisprudence, selon une formule que j'ai trouvée assez amusante de l'un de nos collègues, qui est le mieux placé pour en parler, a quelque chose d'un peu ancien. Et, si j'ai bien compris, l'ancienneté, là non plus, n'est pas parfaitement considérée. Il n'y a donc pas lieu de craindre une censure !
Après avoir pensé qu'il fallait à tout le moins une demande des parties, nous avons estimé qu'il était plus sage d'admettre le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Enfin, nous sommes d'accord pour que les douaniers - et cela fera plaisir à M. Charasse -, dans certains cas et dans certaines limites que vous avez définies, bénéficient de pouvoirs de police judiciaire.
Restaient deux difficultés sur des questions qui sont de plus grande portée, mais qui sont en voie d'être résolues.
La première, madame le garde des sceaux, tient à votre souhait de conférer au premier président d'une cour d'appel la possibilité, à propos d'une affaire déterminée, de désigner le tribunal qui en connaîtra lorsque la juridiction compétente ne peut être composée en raison des incompatibilités prévues par la loi.
Nous étions choqués par cette disposition, dans l'intérêt même du bon fonctionnement de la justice. Nous n'avons jamais d'autres préoccupations, vous le savez.
Mais il peut arriver, et il arrivera forcément, que, dans telle ou telle affaire où un premier président de cour d'appel désignera un tribunal, la presse fasse des commentaires ! Pourquoi a-t-on désigné tel tribunal au lieu de tel autre ? Est-ce parce que M. Untel est connu pour sa sévérité ou pour son laxisme ?
Il est fâcheux, mais je crois que vous l'avez perçu, madame le garde des sceaux, d'ouvrir la porte à de telles interprétations, à de telles incertitudes. Nous avions suggéré que le premier président de la cour d'appel fixe un tableau de substitution de juridiction, valable un an et non modifiable.
Nous disposerons ainsi d'une mesure qui ne pourra pas être critiquée parce qu'elle sera prise non pas ad homine mais d'une manière générale. Je crois donc que, sur ce point, il n'y aura pas de difficulté.
En ce qui concerne les emplois-jeunes, je dirai que cette assemblée, en tout cas sa majorité, n'y croit pas plus qu'à tous les simili-emplois que l'on a successivement inventés. Même si celui-ci a été revêtu d'un appareil verbal renouvelé, ce n'est jamais qu'une variante des TUC, ou autres CES !
Cela n'est pas franchement mauvais, cela n'est pas non plus un remède aux maux dont souffre notre société dans le domaine de l'emploi.
J'ajoute que, dans le cas particulier de la justice, on manque tellement, me semble-t-il, d'emplois qu'il nous paraît que, si l'on a un peu d'argent pour créer des emplois complémentaires, il vaudrait mieux réserver l'argent de l'Etat à l'essentiel. C'est pourquoi nous sommes sceptiques. Nous ne voulons pas non plus en faire une querelle.
Après tout, c'est une décision de caractère politique. L'Assemblée nationale n'a pas la même majorité que le Sénat. Elle a adopté ce texte. Nous lui en laissons la responsabilité et nous n'avons pas présenté d'amendements.
Cela ne signifie pas que nous approuvions particulièrement ce dispositif. Mais nous ne croyons pas devoir manifester une opposition de principe à un texte dont nous laissons la responsabilité à l'Assemblée nationale.
Enfin, nous sommes tout à fait contents de voir comment a évolué l'idée de composition pénale. Je n'ai pas de vanité d'auteur, mais je crois que tout le monde a admis que la formule composition pénale était plus conforme à nos habitudes de langage que celle de compensation judiciaire.
Là n'est pas l'important ! Ce qui est intéressant, c'est que le texte ait été adopté par l'Assemblée nationale. M. Mermaz, le rapporteur, l'a approuvé, et l'Assemblée nationale l'a amélioré sur un certain nombre de points.
L'Assemblée nationale a apporté des améliorations en ce qui concerne les droits de la défense et de la victime ; elle a interdit que la composition pénale soit proposée au cours d'une garde à vue, ce qui aurait effectivement donné à penser que des pressions risquaient d'être exercées.
Elle a par ailleurs demandé que seuls les officiers de police judiciaire - et non les agents - puissent transmettre la proposition de composition pénale faite par le procureur, étant entendu qu'elle devra être formulée par écrit.
Cet écrit, cela peut être un fax. Nous avions souhaité avec vous, madame le garde des sceaux, mettre en place un système aussi simplifié que possible parce que les choses ne fonctionnent que si elles sont réellement simples et parce que nous voulons que ce dispositif fonctionne.
Compte tenu de la rédaction de l'Assemblée nationale, nous pouvons au moins essayer ce système, et puis nous verrons. Grâce au fax, cela devrait être possible. De plus, il ne me paraît pas choquant de réserver à un officier de police judiciaire la possibilité de transmettre à l'auteur des faits la proposition du procureur.
Je rappelle que, dans notre esprit, il ne s'agit pas seulement d'apporter une réponse pénale à un certain nombre d'affaires actuellement classées sans suite, ni de soulager les audiences pénales, dont nous savons qu'elles sont terriblement surchargées dans la plupart des cas.
Il résultera de la composition pénale une amélioration qualitative, qui mérite d'être soulignée et qui est l'aspect le plus intéressant de ce texte, à savoir que l'on va passer, dans un certain nombre de cas, d'une situation dans laquelle les prévenus, les délinquants nient systématiquement - même quand ils savent qu'ils ont l'évidence contre eux, parce que c'est le jeu - à une situation dans laquelle ils reconnaissent les faits.
En tant qu'avocat, je me souviens très bien la façon dont les choses se passent. J'ai assez pratiqué ! Les délinquants nient toujours, car il ne faut jamais reconnaître sa faute. De ce fait, on entre dans un processus factice et artificieux, celui qui nie sachant parfaitement qu'il sera reconnu coupable et l'avocat fondant sa plaidoirie sur le fait que, si son client n'était pas considéré comme étant coupable, il n'aurait rien à dire, et qu'il doit donc poser comme hypothèse qu'il est considéré comme coupable et expliquer qu'il a des quantités de bonnes excuses !
Nous allons donc vers plus de dignité. En effet, au cours d'un entretien avec le procureur, la personne qui reconnaît avoir fait telle bêtise espère très légitimement retirer de cette reconnaissance une réduction de sa pénalité, voire éviter la prison et est amenée à réfléchir sur la situation de la victime et le moyen d'apporter réparation.
Ce nouveau processus ne constitue-t-il pas un très grand progrès psychologique pour notre justice pénale par rapport à ce système d'affrontement avec négation des uns et affirmation des autres ?
Je ferai la comparaison avec ce qu'on dit aux enfants : une faute avouée est à moitié pardonnée. C'est au fond dans la ligne de cette vieille philosophie que se situe notre composition pénale, « votre » composition pénale plutôt, puisque c'est vous qui en avez pris l'initiative.
Nous espérons qu'elle introduira dans tout notre système pénal une sorte de démarche de plaidé coupable, que nous connaissons dans le droit anglo-saxon. Nous n'avons pas du tout envie d'en arriver au plea bargaining des Américains, avec ce que cette notion même de « marchandage » contient de choquant pour notre sensibilité.
Tirer profit de ce que peut être la reconnaissance de la délinquance, de ce qui l'accompagne et de ses suites est une voie dans laquelle il est grand temps d'entrer et qui, me semble-t-il, correspond mieux que le système purement répressif du passé à l'état de la conscience moderne. C'est donc d'une manière très délibérée que nous souhaitons entrer dans cette voie.
Cela nous a conduits à approuver les extensions apportées au champ de la composition par l'Assemblée nationale sur la détention et le port d'armes ainsi que sur l'usage des stupéfiants, qui n'est pas poursuivi de manière habituelle.
Nous nous sommes également interrogés sur la possibilité d'une extension supplémentaire, car nous pensons qu'il en sera dans ce domaine comme pour le juge unique, dont le champ d'action a été petit à petit étendu. On a commencé par le faire pour très peu de cas, puis le nombre de cas a augmenté à plusieurs reprises. Je ne me risquerai pas à être trop affirmatif en avançant un chiffre, car il y a des spécialistes qui connaissent ces choses-là beaucoup mieux que moi.
Voilà pourquoi, madame le garde des sceaux, nous proposons une extension du champ de la composition à la conduite en état d'ivresse. Vous nous avez répondu tout à l'heure que la répression ne devait pas être affaiblie et qu'il ne fallait pas renoncer à l'effet - ou à l'effet supposé, entre nous soit dit - de l'audience. Compte tenu du nombre de personnes qui défilent à l'audience, et à quelle vitesse, je ne suis pas sûr que cela ait un effet et que, là aussi, on ne connaisse pas la routine. Je me demande si la comparution dans le bureau du procureur - vous nous avez précisé, dans d'autres textes, quel est leur rôle - ne serait pas autant de nature à faire réfléchir le contrevenant.
Nous retenons aussi l'existence de degrés dans la conduite en état d'ivresse. Vous vous êtes réservé dans vos projets, ce qui est tout naturel, la possibilité de donner des instructions générales. Il vous appartient parfaitement d'expliquer aux procureurs que, pour un taux faible d'ivresse, ils peuvent procéder par voie de composition, mais qu'au-delà d'un certain taux, que vous pouvez d'ailleurs préciser, bien entendu, vous considérez qu'il y a lieu de déférer à l'audience.
Cela entre parfaitement dans la responsabilité des procureurs, puisque ce sont eux qui apprécient l'opportunité de la poursuite, et vous pouvez parfaitement, dans la position qui est celle du garde des sceaux, gérer cela par voie de circulaire. Je ne pense donc pas qu'il y ait de danger.
Permettez-moi de faire observer, non sans une pointe de chagrin, qu'à l'Assemblée nationale vous vous en étiez remise à la sagesse. Le Sénat serait-il, selon vous, moins sage que l'Assemblée nationale (Mais non ! sur les travées du RPR.), puisque vous n'avez pas tenu ici de tels propos ? Nous n'avons peut-être pas beaucoup de qualités, mais notre sagesse est généralement reconnue !
Je me permets donc de faire appel à votre esprit de compréhension si, toutefois, je ne sors pas de mon rôle de rapporteur en vous adressant cette requête. Nous y reviendrons dans quelques instants.
Nous avons proposé, et nous vous remercions de l'accepter, de porter le montant de l'amende à 25 000 francs. L'amende doit avoir un effet dissuasif. Par ailleurs, nous savons très bien que 10 000 francs ou 25 000 francs, cela peut revenir au même pour des personnes ayant des revenus différents. Nous sommes donc d'accord sur tous ces points.
Reste à dire quelques mots sur les amendements que vous nous présentez.
S'agissant de la société unipersonnelle pour les professions libérales se pose un problème d'interprétation de la loi, qui n'a pas, semble-t-il, été très bien rédigée, et nous sommes d'accord pour préciser le texte de 1990.
S'agissant des huissiers, j'y reviendrai dans quelques instants, se pose un problème de fond que j'exposerai brièvement. A la faveur de l'amendement que vous proposez, vous nous demandez de vous habiliter à procéder par voie de décret en ce qui concerne la répartition des frais de l'exécution forcée entre débiteur et créancier, mais la voie que vous avez choisie, tout comme votre prédécesseur d'ailleurs, ne nous semble pas la bonne et elle se heurte à des questions de principe graves. En effet, elle consiste à dire qu'une partie des frais de recouvrement forcé de créances établis par voie judiciaire restera à la charge du créancier alors que, selon les textes en vigueur, le principe est qu'en matière d'exécution forcée les frais de recouvrement sont à la charge du débiteur.
En ce qui concerne les dépens, le juge du fond peut en laisser une partie à la charge du créancier ; le juge de l'exécution peut également, dans certaines circonstances, laisser à la charge du créancier certains frais de recouvrement.
Nous admettons qu'existe une possibilité d'exception au principe général selon lequel l'accessoire suit le principal. Mais dès lors que l'on est le débiteur et que l'on a obligé son créancier à engager des poursuites, il est tout de même juste de supporter les conséquences desdites poursuites. Les exceptions doivent être contrôlées par le juge et, selon nous, il ne faut pas sortir de cette démarche. Il serait en effet choquant de poser un principe selon lequel un créancier serait automatiquement pénalisé parce qu'il a le malheur d'être créancier, et parce qu'il a le malheur encore plus grand d'être placé face à un mauvais débiteur !
C'est un petit point de désaccord entre nous. Il n'est pas majeur, d'autant qu'une proposition de loi de M. Gouzes a le même objet que votre amendement et pourrait nous permettre de reprendre le problème de manière approfondie.
Si l'on considère que le pouvoir du juge de l'exécution d'attribuer une partie des dépens au créancier est considéré comme étant trop restrictif, nous pourrions revoir cette rédaction en examinant la proposition de M. Gouzes, que le Gouvernement a toute facilité pour inscrire à l'ordre du jour. Nous préférerions qu'il en soit ainsi.
Telles sont les quelques observations que je voulais formuler. Elles témoignent - et je vous remercie d'avoir bien voulu le relever fort gentiment tout à l'heure - de notre souci d'améliorer la justice sur votre invitation et en collaboration avec l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, du RDSE ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux alternatives aux poursuites et renforçant l'efficacité de la procédure pénale qui nous est soumis aujourd'hui en deuxième lecture répond à la volonté du Gouvernement d'améliorer la justice au quotidien.
La délinquance a connu, ces derniers mois, une hausse importante, hausse en grande partie liée à la décision du conseil de sécurité du 8 juin dernier de donner une réponse systématique à chaque acte de délinquance. Mais le sentiment d'insécurité qui règne dans certains quartiers provient autant de cette augmentation que de la nature de cette délinquance et de ses auteurs.
De 1994 à 1997, les dégradations ont augmenté de 230 %, les coups et blessures volontaires de 113 % ; quant aux infractions de masse affectant notre vie quotidienne, elles représentent 70 % du total de la criminalité.
Cette délinquance de plus en plus violente implique des auteurs de plus en plus jeunes. La crise économique et sociale, dont souffre notre pays, et les phénomènes d'exclusion sont en grande partie responsables de cette évolution de la délinquance.
M. Emmanuel Hamel. Manque d'éducation !
Mme Dinah Derycke. Le sentiment d'insécurité est alimenté par l'impression d'impunité dont bénéficient les auteurs d'infraction.
Je ne reviendrai pas sur le taux élevé des classements sans suite, mais je vous remercie, madame la ministre, des précisions utiles que vous venez de nous apporter sur ce sujet.
Les gouvernements successifs se sont attachés à renforcer l'efficacité de la réponse judiciaire à la montée de la délinquance. Ils ont développé le traitement en temps réel des affaires dont la caractéristique principale est le signalement systématique des procédures au parquet. Ces mesures ont permis de réduire sensiblement les délais de jugement et d'augmenter la part des comparutions rapides devant les tribunaux.
En parallèle, et en dehors de tout dispositif législatif, une troisième voie s'est développée entre le classement sans suite et les poursuites. On a vu apparaître le rappel à la loi, la médiation pénale, la réparation pénale, qui permettent ainsi d'apporter une réponse à des faits ne nécessitant pas forcément de poursuites. Ces dispositifs ont trouvé ultérieurement une traduction législative.
En 1995, un de vos prédécesseurs, madame la ministre, proposait la mise en place d'une procédure, l'injonction pénale, qui devait, elle aussi, permettre de réprimer certaines infractions sans pour autant avoir recours à la voie répressive. Ce dispositif ne satisfaisait pas aux principes constitutionnels. Le projet que vous proposez reprend sur le fond le dispositif de 1995 en tenant compte, bien évidemment, des exigences du Conseil constitutionnel.
Ainsi, le procureur de la République aura la possibilité de proposer, à titre de compensation judiciaire, à une personne majeure qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits limitativement énumérés, d'exécuter certaines mesures qui auront pour conséquence d'éteindre l'action publique. Ces mesures devront être validées par le président du tribunal de grande instance.
Il devenait indispensable de proposer une alternative crédible aux classements sans suite. Je me félicite, madame la ministre, que vous ayez pris cette initiative.
Le projet de loi, outre les dispositions relatives aux mesures alternatives aux poursuites et à la composition pénale, comporte une série d'articles d'importance variable, dont le seul point commun est la volonté de renforcer l'efficacité de la procédure.
Je me réjouis tout particulièrement de la possibilité offerte au juge unique de renvoyer une affaire devant la formation collégiale du tribunal de grande instance si elle présente une complexité particulière. Cette disposition introduit dans le jugement des délits par le juge unique une souplesse nécessaire. Cela vient d'être relevé par notre rapporteur.
Le texte améliore la coopération judiciaire internationale. Il permet une accélération et une meilleure efficacité des procédures d'entraide en permettant que les actes effectués pour le compte des autorités judiciaires étrangères répondent aux impératifs procéduraux de ces dernières et en attribuant aux procureurs généraux certaines prérogatives actuellement dévolues au ministre de la justice.
Ces modifications sont l'occasion d'introduire dans le code de procédure pénale, pour la première fois dans notre droit, un titre spécifiquement consacré à l'entraide pénale internationale. Les juridictions sont de plus en plus confrontées à une délinquance et à une criminalité transfrontalières. Ces dispositions devenaient donc indispensables.
Je ne voudrais pas achever mon propos sans dire un mot des dispositions relatives aux emplois-jeunes introduites par l'Assemblée nationale en première lecture par le Gouvernement.
En effet, madame la garde des sceaux, vous avez souhaité, pour mettre en oeuvre avec davantage d'efficacité les réformes que vous entreprenez, prévoir le recrutement de 2 500 emplois-jeunes pour le ministère de la justice.
Ces emplois seront destinés, vous venez de le rappeler, à seconder les magistrats et les fonctionnaires chargés de ces questions. Ils pourront être employés à l'accueil des justiciables dans les maisons de justice et du droit ou à des fonctions d'assistance des personnels des services déconcentrés de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l'administration pénitentiaire. Je ne peux que saluer cette initiative.
Toutefois, madame la ministre, la mise en oeuvre de votre politique ambitieuse nécessite que vous poursuiviez, dans les années à venir, les efforts en matière de personnels et de structures adaptées. La carte judiciaire doit également être révisée, afin que la justice s'adapte aux mouvements de population de ces dernières décennies.
Sous cette réserve, le groupe socialiste vous accompagnera avec enthousiasme, dans ce nouveau volet de votre vaste réforme ; il votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, pour la seconde fois, le projet de loi renforçant l'efficacité de la procédure pénale, amendé par l'Assemblée nationale, le 6 avril dernier.
Permettez-moi de revenir sur les postulats qui ont sans nul doute présidé à l'élaboration de ce projet de loi constituant l'un des sept textes de la réforme de la justice engagée par le Gouvernement voilà plusieurs mois maintenant.
Chacun s'accorde à reconnaître les dysfonctionnements de la justice, dont les premières victimes sont nos concitoyens.
La confiance de ces derniers envers l'institution judiciaire est, depuis trop longtemps maintenant, largement entamée. Cette situation s'explique par la lenteur des procédures, par les difficultés pour accéder à la justice, par la complexité de la loi, quand ce n'est pas par le sentiment d'une trop grande dépendance de la justice à l'égard du pouvoir politique, même si l'actualité nous apporte la démonstration inverse, et c'est bien, car tel n'a pas toujours été le cas dans le passé.
Les citoyens font aussi le reproche à l'institution judiciaire d'être inefficace au regard de l'aggravation de la délinquance.
A cela s'ajoute un sentiment accru d'insécurité qui, alors même qu'il est souvent disproportionné par rapport à la réalité, s'explique pour partie par le nombre inquiétant des affaires classées sans suite, se traduisant par une impunité croissante pour les auteurs d'infractions.
Le présent texte est donc destiné à rendre notre « justice plus accessible, plus rapide, plus efficace », selon la formule désormais consacrée.
Nous est ainsi proposé un dispositif tendant à renforcer l'efficacité des réponses susceptibles d'être apportées par l'institution judiciaire aux actes de délinquance, et ce à tous les stades de la procédure.
Nous ne pouvons que souscrire à de tels objectifs, qui visent à désengorger la justice tant en amont qu'en aval.
Sans entrer à nouveau, à ce stade de la procédure parlementaire, dans le détail de chaque article, je m'arrêterai sur celles des dispositions du projet de loi qui nous semblent être les plus importantes, à savoir l'instauration de la composition pénale et la limitation du champ d'intervention du juge unique, mais aussi sur les modifications les plus marquantes apportées par l'Assemblée nationale.
S'agissant de la composition pénale, nous avons dit en première lecture, par la voix de mon ami Robert Pagès, notre regret de voir instaurer une telle procédure, qui introduit « des rapports d'argent dans le rendu même de la justice ».
Déjà, en 1994, mon groupe s'était prononcé contre la transaction pénale, proposée alors par M. Méhaignerie.
Comment, avec un tel système, ne pas penser à l'immanquable risque de marchandage, à l'inéluctable inégalité devant la justice, à l'insuffisance des garanties par rapport au principe du contradictoire et au regard de la présomption d'innocence, sans parler du sentiment que l'impunité pourrait s'acheter ?
C'est pour ces raisons que nous avions, en juin dernier, déposé un amendement visant à supprimer l'article 1er. Notre inquiétude était d'autant plus justifiée que la commission des lois proposait, à cette époque, de porter le montant maximum de l'amende de 10 000 francs à 50 000 francs.
Après l'examen du texte par l'Assemblée nationale, qui a de nouveau fixé ce plafond à 10 000 francs, M. le rapporteur nous propose aujourd'hui de « couper la poire en deux » et de conserver un plafond de 25 000 francs.
Nous ne sommes pas pour autant convaincus du bien-fondé d'une telle démarche, d'autant que ce dispositif est censé s'appliquer à la petite et moyenne délinquance.
L'examen en deuxième lecture par l'Assemblée nationale a toutefois permis d'améliorer le dispositif retenu pour la composition pénale.
Ainsi, de nouvelles dispositions tendent à renforcer les garanties qui entourent cette procédure, notamment pour ce qui est de l'information de l'auteur des faits et de la victime.
S'agissant de l'élargissement de la liste des délits susceptibles de donner lieu à composition pénale - je pense en particulier au délit d'usage de stupéfiants introduit à l'Assemblée nationale - nous estimons que d'autres solutions plus adaptées existent déjà ou pourraient être retenues, à savoir l'injonction thérapeutique, et, le cas échéant, un travail au profit de la collectivité.
On peut se demander quels jeunes délinquants pourraient s'acquitter d'une telle indemnité, relevée, de surcroît, par l'amendement de la commission.
Quant à l'extension de la composition pénale au délit de conduite en état d'ivresse proposée par la commission des lois et qui a déjà fait l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale sans avoir été retenue, j'estime qu'elle est discutable.
Etant donné la gravité de ces infractions, vous avez raison, madame la garde des sceaux, il ne faut ni donner le signe d'une quelconque indulgence ni accepter qu'il y ait un vide entre le classement sans suite et le passage devant le tribunal.
Quant à la compétence du juge unique en matière correctionnelle largement étendue en 1995, le projet de loi initial y apportait une double limite : d'une part, le juge unique ne serait plus compétent dans le cas d'une récidive ; d'autre part, le juge unique pourrait, si la complexité des faits le justifie, décider de renvoyer l'affaire devant le juge collégial.
La commission des lois a, en première lecture, supprimé cette dernière possibilité, ce qui, avec les amendements relatifs à la composition pénale, avait motivé notre abstention sur l'ensemble du projet de loi.
Nous nous sommes toujours prononcés pour la collégialité qui, selon nous, par les échanges et la confrontation des idées et par la prise de décision collégiale qu'elle entraîne, offre toute garantie dans le prononcé des jugements.
Nous nous félicitons que la commission des lois du Sénat accepte, finalement, que le juge unique puisse renvoyer à la collégialité une affaire quand sa complexité l'exige, ainsi que l'ont rétabli les députés.
J'en viens à présent aux articles additionnels adoptés par l'Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement et sur lesquels nous n'avons pas encore eu l'occasion de nous exprimer.
Le premier a trait à l'habilitation de certains douaniers qui pourront ainsi remplir des missions de police judiciaire pour lutter contre la fraude.
Il s'agit d'un dispositif important puisqu'il devrait permettre aux magistrats de bénéficier du concours des douaniers, lesquels disposent de compétences techniques spécifiques, notamment dans le domaine des contrefaçons.
Il convient évidemment, pour des raisons que chacun peut comprendre, de bien encadrer l'action nouvelle des agents des douanes.
Ainsi, l'octroi de la qualité de police judiciaire, limité à un nombre restreint de douaniers et soumis à quatre conditions restrictives, nous semble satisfaire à la nécessité de ne pas confondre le pouvoir normal des douaniers et la nouvelle compétence qui leur est ainsi attribuée.
Permettez-moi, toutefois, de poser quelques questions.
Ces agents, qui vont assumer des missions nouvelles, suivront-ils une formation professionnelle adaptée ?
Verront-ils leur rémunération adaptée à leur nouvelle qualification ?
Bénéficieront-ils d'une reconnaissance de leur nouvelle qualification ?
La question des effectifs et des moyens risque, par ailleurs, de se poser rapidement, étant entendu que les agents ainsi habilités seront non plus dans leurs services mais sur le terrain pour enquêter.
Le second article, introduit dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, a pour objet la création d'emplois-jeunes annoncés lors du conseil de sécurité du 27 janvier dernier.
Bien évidemment, nous sommes favorables au recrutement de jeunes gens âgés de dix-huit à vingt-six ans pour exercer les missions d'agents de justice auprès des magistrats et fonctionnaires de la justice.
Encore faut-il permettre à ces jeunes de bénéficier d'une formation adaptée.
De plus, la période de recrutement étant de cinq ans non renouvelable, n'est-il pas souhaitable de se préoccuper, dès maintenant, s'il s'agit d'emplois « émergents », des moyens de les pérenniser ?
Telles sont, mes chers collègues, les quelques observations que je tenais à formuler, au nom du groupe communiste républicain et citoyen.
Je précise que notre abstention en première lecture sur l'ensemble de ce texte était motivée par les reculs votés, ici même, par la majorité sénatoriale.
La navette parlementaire a cependant permis à l'Assemblée nationale de rétablir certaines dispositions, voire d'en améliorer d'autres.
Le Sénat ayant pour une large part accepté les modifications émanant des députés, nous voterons le texte ainsi remanié. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er