Séance du 1er juin 1999






COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 338, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant création d'une couverture maladie universelle. [Rapport n° 376 (1998-1999) et avis n° 382 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous abordons la discussion de ce texte important visant à créer une couverture maladie universelle. C'est l'occasion de rappeler qu'il n'est peut-être pas d'aspiration plus forte chez l'individu que celle d'être en bonne santé.
Du jour où les hommes se sont donné des droits, le droit à la protection de la santé, à l'accès aux soins est apparu comme l'un des premiers d'entre eux. D'ailleurs, s'agissant de la réglementation du travail, ce sont bien les règles de protection de la santé qui ont été les premières à apparaître, dès la fin du xixe siècle.
Quoi de plus normal ? Quoi de plus juste ? En effet, l'accès aux soins, c'est l'accès à la santé, l'accès à l'avenir.
La couverture maladie universelle est le fruit naturel de cette exigence. Elle constitue, pour notre pays, une avancée sociale majeure.
La discussion qui s'ouvre aujourd'hui est très importante pour des millions de nos concitoyens, les six millions qui bénéficieront de la couverture maladie universelle, si celle-ci est adoptée. Elle ne peut laisser personne indifférent. Je tiens à saluer le travail du rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Descours, et du rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Oudin. Je souhaite également remercier les deux commissions pour le travail qui a été réalisé.
Nous avons le sentiment, les uns et les autres, que ce projet de loi exige de nous tous un sens aigu des responsabilités, s'agissant d'un sujet aussi grave.
L'inégalité devant la prévention et les soins est l'une des injustices les plus insupportables. Pas un d'entre nous ne peut admettre que certains de nos concitoyens renoncent à se faire soigner ou à faire soigner leurs enfants pour de simples raisons financières. Or nous constatons dans notre pays une situation où le niveau des revenus introduit des distorsions dans l'accès aux soins. Deux types de discrimination existent dans le niveau des soins procurés et dans l'accès même aux soins. En effet, selon que l'on est plus ou moins aisé, on est plus ou moins bien soigné.
J'aimerais, au passage, que chacun mesure bien que cette phrase sonne parfois comme une condamnation pour des milliers d'hommes et de femmes. Nous en connaissons tous des exemples. Les services des urgences dans les hôpitaux voient arriver des personnes à un stade très avancé d'une maladie grave, parfois à quelques jours de la mort, qui n'ont jamais vu un médecin auparavant parce qu'elles n'avaient pas les moyens de se faire prendre en charge, ou tout simplement parce qu'elles n'avaient pas pris l'habitude d'avoir accès aux soins et de se rendre, par exemple, dans ces hôpitaux qui s'appelaient auparavant hospices car ils accueillaient les plus pauvres d'entre nous.
Un Français sur quatre déclare renoncer à se faire soigner pour des raisons financières. Ce renoncement est définitif pour environ 10 % d'entre eux. C'est cette inégalité que nous voulons corriger grâce à la couverture maladie universelle.
Les chiffres relatifs à l'espérance de vie nous montrent cette différence entre catégories socio-professionnelles. En effet, l'espérance de vie à trente-cinq ans est pour un manoeuvre ou un ouvrier non qualifié inférieure de six ans à celle d'un cadre supérieur. Ces écarts de mortalité tendent à s'accroître. Alors que la mortalité des ouvriers et des employés entre vingt-cinq et cinquante-quatre ans est restée stable entre 1980 et 1999, la mortalité des cadres supérieurs et des professions libérales a diminué de 20 % pendant cette même période. Non seulement ces inégalités ont toujours existé mais, après la période de crise que notre pays a connue, elles se sont accrues. L'exclusion dans l'accès aux soins est sans doute une des formes les plus intolérables de l'exclusion, comme nous l'ont dit un certain nombre d'associations qui se battent depuis des années aux côtés des personnes les plus exclues. Je pense, bien sûr, à des associations comme ATD Quart Monde, Médecins sans Frontières ou Médecins du Monde, qui nous ont beaucoup aidés dans la préparation de ce texte.
On le comprendra, face à un tel défi, la mise en oeuvre d'une couverture maladie universelle ne peut souffrir de retard et elle doit effectivement constituer un progrès collectif fondamental en cette fin de siècle dans notre pays. C'est bien dans cet esprit que je vous propose aujourd'hui, au nom du Gouvernement, ce projet de loi qui comporte deux étages.
Tout d'abord, il prévoit de garantir à tous les droits à l'assurance maladie de base, la sécurité sociale. C'est ce projet que le précédent gouvernement avait envisagé sous l'intitulé « AMU », assurance maladie universelle.
Il s'agit tout simplement de faire bénéficier d'une carte de sécurité sociale les quelque 700 000 Français qui en sont aujourd'hui dépourvus et de faciliter l'accès au droit pour les 550 000 d'entre eux qui ont recours à l'assurance personnelle.
Cette situation va changer. Ce texte avait d'ailleurs été préparé par des fonctionnaires sous le gouvernement précédent.
Dès le 1er janvier 2000, tout résident stable et régulier qui n'aurait aucun droit ouvert auprès d'un régime de sécurité sociale pourra, sur simple justification de sa résidence régulière, bénéficier des prestations du régime général.
Les droits seront ouverts immédiatement. L'affiliation sera réalisée dès le dépôt de la demande. Ce n'est que par la suite que la caisse vérifiera si un membre de la famille n'est pas déjà affilié, si cette personne n'a pas de droits ouverts à un autre titre. Je pense notamment aux jeunes en rupture de famille. En effet, très souvent, ils n'ont pas la carte de sécurité sociale de leurs parents qu'ils ne voient plus et ils ne peuvent donc se faire soigner. Ils bénéficieront d'une affiliation immédiate et automatique dès lors qu'ils fourniront la preuve d'une résidence régulière : carte d'identité ou, s'il s'agit d'un étranger, carte de séjour.
Les droits aux prestations en nature seront alors ouverts et garantis, et le paiement des cotisations ne sera plus une condition préalable au bénéfice de ces prestations en nature.
Evidemment, au-delà d'un certain niveau de ressources, qui sera de l'ordre de 3 500 francs, la personne affiliée dans ces conditions devra acquitter une cotisation proportionnelle à ses revenus.
Grâce à cette réforme, le régime de l'assurance personnelle, facultatif et complexe, sera ainsi supprimé, et l'accès au droit sera facilité pour l'ensemble des personnes visées : 550 000 sont touchées actuellement par l'assurance personnelle et 150 000 personnes n'ont aujourd'hui aucun droit.
Le second étage, le plus essentiel, de ce projet de loi permettra l'ouverture d'un droit à la couverture complémentaire pour les 10 % les plus modestes de la population de notre pays.
Se limiter à garantir l'affiliation à un régime de sécurité sociale, ce qui était la seule ambition du précédent gouvernement, ne permettait pas de garantir l'accès aux soins. C'est en effet insuffisant pour permettre aux salariés les plus modestes, ceux qui ont renoncé à une ou plusieurs reprises et parfois définitivement à se soigner pour des raisons financières, de bénéficier du droit réel à la protection de la santé.
En effet, l'assurance maladie laisse près de 25 % des dépenses de santé à la charge des ménages, que ce soit par le ticket modérateur ou le forfait hospitalier. Un quart de la dépense de santé à la charge du foyer, c'est un coût insupportable pour certaines familles, ce qui amène ces dernières à renoncer d'ailleurs à se faire soigner.
De surcroît, cette charge est supportée d'abord par les ménages en difficulté, pour lesquels ce forfait hospitalier et ce ticket modérateur représentent très souvent des dépenses d'un montant disproportionné par rapport à leurs ressources.
Alors que 84 % de la population française disposent d'une couverture complémentaire prenant en charge en partie ou en totalité cette dépense, cette proportion n'est plus que de 45 % pour les tranches de revenu inférieures à 2 000 francs par unité de consommation et par mois, voire plus faible encore en ce qui concerne les chômeurs. C'est une évidence, mais il faut le dire : plus on dispose de revenus modestes, moins on a de chances de bénéficier d'une couverture complémentaire.
C'est d'ailleurs pour répondre à ces inégalités qu'avait été mise en place l'aide médicale. Celle-ci, organisée à l'échelon des départements, n'a cependant pas permis de résoudre les problèmes d'accès aux soins dans tous les cas. En effet, les barèmes de ressources ne sont pas les mêmes partout, certains départements ayant limité leur action, comme l'impose la loi, aux personnes dont les revenus sont inférieurs au RMI, parfois même en ajoutant des conditions qui étaient à la limite de la légalité et en soumettant à d'autres critères l'octroi de l'aide médicale gratuite. Certains départements sont bien sûr allés au-delà, parfois dans une mesure tout à fait importante, ce qui a d'ailleurs pu entraîner une inégalité de traitement sur l'ensemble du territoire, ce que les associations déplorent, même si nous ne pouvons bien sûr que nous réjouir de ce que les droits aient été plus importants dans certains cas.
A revenus identiques, on n'est donc pas pris en charge de la même façon selon l'endroit où l'on vit. Cela pose d'ailleurs des problèmes à un certain nombre de nos concitoyens lorsqu'ils changent de département, car il n'y a pas d'ouverture automatique de ces droits.
Ce projet de loi vise donc à ouvrir, sur l'ensemble du territoire, un droit à une couverture complémentaire sous conditions de ressources à environ 10 % de la population, soit 6 millions de personnes.
Ce faisant, il touchera non pas seulement les plus exclus, les chômeurs, les titulaires des minima sociaux, mais aussi les commerçants, les artisans, les salariés, les retraités qui ont les revenus les plus faibles. Ainsi, par exemple, un couple touchant un smic et ayant un enfant à charge pourra bénéficier de la couverture maladie universelle.
Les soins, ainsi que le forfait hospitalier, seront pris en charge à 100 %. Par ailleurs, des remboursements adaptés seront mis en place, notamment pour les prothèses dentaires et l'optique, qui sont très peu remboursées dans notre pays. Les bénéficiaires seront aussi assurés qu'aucun dépassement ne leur sera facturé par les médecins qui, dans le cadre de la convention médicale, bénéficient de la liberté des tarifs.
Mais nous savons bien aussi qu'il est difficile pour certains, même s'ils sont remboursés, de faire l'avance des frais. C'est la raison pour laquelle les détenteurs de la couverture maladie universelle bénéficieront systématiquement du tiers payant, tant sur les prestations des régimes obligatoires qu'au titre de la couverture complémentaire.
L'Assemblée nationale a d'ailleurs souhaité étendre le tiers payant à tous les patients qui s'adressent à un médecin référent ou à des correspondants spécialistes.
Ce droit à la couverture maladie universelle sera ouvert aux foyers dont le revenu par unité de consommation est inférieur à 3 500 francs, selon un barème qui est maintenant dans les esprits : 3 500 francs pour une personne isolée, 5 250 francs pour deux personnes, 6 300 francs pour trois personnes, 7 700 francs pour quatre personnes et 1 400 francs par personne supplémentaire au foyer.
Ce dispositif permettra donc, je le répète, de couvrir 6 millions de personnes. Il s'agit par conséquent d'une avancée tout à fait essentielle.
J'entends cependant des critiques sur divers points de ce projet de loi, et certaines d'entre elles méritent véritablement un débat.
Il en est ainsi, tout d'abord, de celles qui portent sur l'effet de seuil, dont je comprend tout à fait le sens ; en effet, à chaque fois que l'on fixe un seuil, on crée, par définition, un effet de seuil.
Ces critiques sont, me semble-t-il, de deux ordres.
Certains ne remettent pas en cause le système que nous proposons, c'est-à-dire une prise en charge intégrale des frais de soins jusqu'à 3 500 francs pour une personne seule, mais s'inquiètent toutefois de la situation et des difficultés que peuvent rencontrer les personnes au-delà de ce niveau de ressources.
Cette préoccupation est légitime, mais elle ne doit pas masquer le progrès majeur que nous réalisons avec la CMU : alors que, aujourd'hui, de 2 millions à 2,5 millions de personnes sont couvertes par l'aide médicale gratuite grâce à l'obligation légale pour les revenus inférieures au RMI et grâce aux progrès réalisés par certains départements, nous allons passer à 6 millions de personnes couvertes.
Il est donc clair que le nombre des personnes qui auront des difficultés et qui se situeront au dessus du seuil sera relativement limité.
C'est d'ailleurs à l'aune de ce progrès qu'il faut évaluer la valeur de la réforme que nous vous proposons.
Si nous voulions aller plus loin et porter le seuil à 3 800 francs, comme certains le demandent, ce sont environ 2 millions de personnes de plus qui seraient concernées, pour un coût supplémentaire d'environ 3 milliards de francs.
Aussi avons-nous souhaité maintenir ce seuil de 3 500 francs tout en mettant en place un certain nombre de mécanismes qui permettront de lisser cet effet de seuil.
Tout d'abord, les droits à la couverture complémentaire sont ouverts pour un an ; on continue donc, y compris lorsque l'on dépasse le seuil, à bénéficier de la couverture si la période d'un an n'est pas terminée.
Ensuite, les bénéficiaires de la CMU qui adhèrent à une mutuelle, ou qui souscrivent un contrat auprès d'une société d'assurances ou d'une institution de prévoyance, bénéficieront d'un tarif préférentiel pendant un an après avoir dépassé le seuil.
De même, les fonds d'action sociale des caisses, notamment ceux des caisses primaires d'assurance maladie, soulagés par la mise en place de la CMU - les publics dont les revenus dépassaient l'obligation légale donnaient en effet lieu, de leur part, à une aide médicale au titre de l'action sociale - pourront intervenir en faveur des personnes dont les revenus sont au-dessus du barème aujourd'hui annoncé.
Enfin, les départements pourront également consacrer, s'ils le souhaitent, plus de moyens à l'action sociale et à l'insertion. Je rappelle que le projet de loi prévoit qu'ils doivent conserver 5 % des sommes consacrées en 1997 à l'aide médicale, ainsi que l'ensemble du personnel d'ailleurs.
Enfin, un amendement adopté par l'Assemblée nationale permet la création d'un fonds d'action sanitaire et sociale, abondé par les organismes complémentaires. J'ai vu avec intérêt que certains sénateurs avaient déposé un amendement visant à créer aussi un tel fonds sur le plan départemental.
Mais il existe un autre type de critiques sur l'effet de seuil. Il aurait fallu, nous dit-on, ne prévoir un accès aux soins gratuits que pour les revenus équivalents au revenu minimum d'insertion ou légèrement supérieurs, et aider ensuite à l'achat d'une couverture complémentaire de manière progressive. Vous avez d'ailleurs souhaité amender le texte en ce sens, mesdames, messieurs les sénateurs.
Ce débat me paraît légitime. A partir d'un certain niveau de ressources, faut-il demander une contribution financière aux personnes qui bénéficieront de cette aide ? Je l'ai dit en commission, et je le répète très simplement dans cet hémicycle : je m'étais effectivement posé la question de savoir s'il ne devait pas y avoir une contribution de la part de la famille ou de l'individu pour financer cette aide.
Mais à examiner les chiffres et à observer la réalité, on se rend compte que, au-delà de 30 à 50 francs, une contribution mensuelle entraîne, pour une famille, les mêmes difficultés que la situation actuelle, c'est-à-dire l'incapacité de payer. Et, en cas d'impayés, les frais de justice et d'huissier pour recouvrer une contribution de 30 à 50 francs seront plus élevés que le montant de la contribution !
Par conséquent, comment faire dans un tel cas : supprimer ces prestations à des personnes n'ayant pas pu payer une cotisation même faible, ou faire voter une loi pour respecter un principe que je partage, celui de responsabilité, sans être capables de le mettre en pratique ?
Consciente de ces difficultés réelles pour un certain nombre d'individus à payer cette cotisation, j'ai donc renoncé à l'idée de mettre en place cette dernière, pour des raisons que je viens de vous expliquer très simplement.
L'existence de tout seuil implique un effet de seuil que personne ne peut nier. Ne faisons pas de cela un sujet de polémique, alors que nous sommes appelés à débattre d'une réforme fondamentale. D'ailleurs, je remarque que les départements ayant institué un système plus favorable que le dispositif législatif actuel ont tous fixé un nouveau seuil. Celui que nous avons mis en place est le plus simple, le plus facile à réaliser et sans doute le moins injuste. Pourquoi est-il le plus simple ? Nous savons combien il est difficile pour les personnes les plus fragiles de faire entendre leurs droits. Si nous mettions en place des modalités dont l'application s'avérait très difficile, beaucoup ne pourraient pas avoir accès à ces droits. Aussi, la simplicité, la transparence, la justice dans la façon de mettre en place cette CMU ont-elles prévalu pour moi par rapport à d'autres principes que nous aurions pu vouloir privilégier.
La gratuité des soins à un niveau de revenu identique est un bon principe, et la légitimité de cette gratuité ne peut pas être contestée quand il s'agit de l'accès à ce qui est le plus essentiel, c'est-à-dire à la santé. C'est pour cette raison que nous n'avons pas proposé de prise en charge partielle en dessous de 3 500 francs.
S'agissant des personnes dont le revenu est supérieur à ce seuil, les fonds d'action sociale des caisses, des centres communaux d'action sociale ou des conseils généraux souhaiteront peut-être les aider lorsque, dans des cas bien précis, des besoins se feront sentir.
J'en viens maintenant au coût et au financement de la CMU.
J'ai entendu deux types de remarques sur le coût de la couverture maladie universelle. Certains prétendent que cette réforme coûte trop cher, d'autres considèrent que nous avons sous-estimé le coût annoncé ; les deux critiques se rejoignent d'ailleurs.
Il n'en est rien. Le coût moyen de la couverture maladie universelle est estimé à 1 500 francs par bénéficiaire. Cette estimation a été réalisée lors des discussions qu'a eues Jean-Claude Boulard, chargé par M. le Premier ministre d'une mission sur la couverture maladie universelle, avec les mutuelles et les assureurs. Ce chiffre de 1 500 francs a été ensuite vérifié à partir de l'observation de l'assurance complémentaire des assurés sociaux. Nous avons enfin pratiqué une ultime vérification dans quelques départements ayant mis en place des seuils supérieurs au RMI.
La somme de 1 500 francs par bénéficiaire représente la moyenne de ce qui est aujourd'hui dépensé par les Français en assurance complémentaire.
Or - il faut dire les choses simplement - dans notre pays, ce ne sont pas les plus pauvres qui consomment le plus. On constate même, dans les départements ayant accordé une carte santé aux personnes percevant un revenu supérieur au RMI, que, après un effet de rattrapage bien naturel dans les premiers mois, les dépenses se stabilisent très vite et redescendent ensuite au-dessous de la moyenne ; nous savons bien, en effet, que, très souvent, ces populations ont du mal à traiter leurs propres problèmes de santé.
Avec ce chiffrage, nous respectons donc les objectifs que nous nous sommes fixés, et nous devrions pouvoir financer cette couverture complémentaire.
La CMU coûterait cher à la sécurité sociale, me dit-on. Là aussi, soyons très clairs : cette réforme ne coûtera rien à la sécurité sociale. Il s'agit de créer un fonds qui financera cette couverture complémentaire, la sécurité sociale « se contentant » de liquider financièrement, comme elle le fait aujourd'hui pour les deux millions de personnes qui bénéficient de l'aide médicale gratuite, au nom des départements.
La sécurité sociale n'aura donc pas à financer cette réforme : ce sera le rôle d'un fonds, qui lui-même sera alimenté par les sommes que les départements consacrent à l'aide médicale, par une cotisation de 1,75 % sur le chiffre d'affaires « santé » des organismes complémentaires et, pour le reste, par l'Etat. Je le répète donc, la couverture maladie universelle ne fait courir aucun risque à la sécurité sociale, puisqu'elle n'est pas financée par cette dernière.
Ma conviction profonde, au-delà des raisons sociales qui nous poussent à mettre en place cette couverture maladie universelle, c'est que, à terme, le fait de prendre en charge les personnes plus tôt, c'est-à-dire de prévenir, constitue sans doute aussi un facteur favorable pour les finances de la sécurité sociale. Même sur ce simple terrain-là, on ne peut donc pas dire que c'est un « mauvais coup » porté à la sécurité sociale, comme je l'ai parfois entendu. Mais il est vrai que ce n'était pas sur ces travées !
En conclusion, je viens devant votre assemblée confiante en la qualité des débats que nous aurons. Cette loi, qui est fondamentale, répond en effet à un besoin de nombre de nos concitoyens.
Nous aurons l'occasion de débattre dans le détail de votre principale proposition, tendant à mettre en place une aide personnalisée à la santé. Mais, je l'ai dit tout à l'heure, en deçà des seuils que nous avons fixés, les intéressés auraient du mal à financer une partie de leur contribution, et c'est parce que je crois qu'il faut rechercher l'effectivité de l'accès aux soins des titulaires des revenus les plus faibles que je vous propose de rester dans la logique retenue par le Gouvernement.
Quoi qu'il en soit, sur ce sujet comme sur d'autres, nous aurons l'occasion d'approfondir la discussion entre nous, et j'espère que nos débats auront la qualité que le sujet mérite.
Je souhaite que votre assemblée participe, au côté du Gouvernement et des associations qui ont porté ce projet, à ce qui doit être la mobilisation de l'ensemble des acteurs politiques et institutionnels en faveur du droit aux soins pour tous. Il est, me semble-t-il, des sujets où les clivages doivent s'estomper : la protection de la santé est, selon moi, de ceux-là.
Il serait, je crois, positif de terminer une décennie commencée avec le RMI par la couverture maladie universelle, qui ouvre la voie à la garantie effective de l'accès de tous les citoyens à la protection de la santé. Il s'agit d'une avancée sociale majeure et je souhaite vivement que nous puissions y travailler ensemble ! (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le titre IV du projet de loi que vous examinez concerne la « modernisation sanitaire et sociale ». Il vise à améliorer, dans des domaines variés, le fonctionnement de notre système de santé.
Ces articles ont été introduits dans le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle, car la charge du calendrier parlementaire ne permettait pas, hélas ! de leur trouver un support législatif adéquat avant plusieurs mois.
Or il s'agit de mesures urgentes, souvent attendues par les professionnels depuis longtemps, et qui ne relèvent pas d'une loi de financement de la sécurité sociale.
L'article 32 réforme les consultations de dépistage anonyme et gratuit. Nous avons engagé, depuis cette année, une approche globale de la lutte contre le sida et les hépatites, et cet article tient une place importante dans cette stratégie.
Pour l'hépatite C, qui touche plus de 600 000 personnes en France, nous avons défini un plan national de lutte sur quatre ans. Ce plan s'organise autour d'un dispositif de dépistage ciblé, d'une prise en charge de qualité pour les personnes vivant avec ce virus, du développement de la prévention pour réduire les nouvelles contaminations et d'un soutien à la recherche et à l'évaluation épidémiologique, ainsi que, bien sûr, d'une prise en charge des traitements, avec bithérapie parfois, dans trente-deux centres de référence en France.
La réforme des consultations de dépistage anonyme et gratuit s'inscrit dans ce cadre. Elle vise à favoriser l'accès gratuit et anonyme à la prévention, au dépistage et au diagnostic précoce de l'hépatite C pour les jeunes et les usagers de drogue, qui sont les personnes qui fréquentent actuellement le plus ces consultations. Celles-ci drainent en effet des populations particulièrement concernées puisque, en réalisant 5 % des tests, elles dépistent 30 % des séropositivités VIH découvertes chaque année.
L'article 33 porte sur le volet « santé » de la carte d'assurance maladie de seconde génération, dite Vitale II. Le Conseil d'Etat a, en effet, jugé illégales les dispositions de l'ordonnance de 1996 concernant ce volet « santé ». Ce volet est destiné à porter les informations concernant l'état de santé de chacun d'entre nous et ainsi à améliorer les soins d'urgence et la continuité des soins.
Les garanties apportées au titulaire de la carte, qui ont fait l'objet de concertations approfondies avec les représentants des usagers, ont été considérablement renforcées. Le titulaire doit donner son accord à toute inscription. Il est informé des mentions que l'on porte. Il peut consulter ce que l'on a inscrit par l'intermédiaire d'un professionnel de santé ; en effet, la carte CPS du professionnel est nécessaire pour accéder à une partie des informations. Le titulaire peut protéger sa carte par un code secret, comme le code de la carte bancaire. Les informations contenues sur la carte doivent être effacées dès qu'il en fait la demande. Seule une partie de ces informations, la moins sensible - groupe sanguin, allergies, vaccinations, par exemple - pourra faire l'objet d'une copie papier.
L'article 34 vise à régler la situation des infirmiers de secteur psychiatrique. Le droit communautaire leur interdit de recevoir automatiquement un diplôme d'Etat d'infirmier de soins généraux et cette situation a entraîné de nombreux conflits depuis 1994.
Le texte vise donc à créer un diplôme d'infirmier psychiatrique, à légaliser l'élargissement des lieux d'exercice des infirmiers de secteur psychiatrique et, enfin, à fixer de nouvelles modalités de délivrance du diplôme d'Etat aux infirmiers titulaires du diplôme de secteur psychiatrique. Il prévoit la création d'une commission régionale chargée d'examiner, pour chaque candidat, compte tenu de sa formation initiale et de son cursus professionnel, le contenu de formation complémentaire nécessaire à l'obtention du diplôme. Ce diplôme sera délivré par le préfet de région sur proposition de cette commission, dont la composition offre toutes garanties d'impartialité et qui comprend, bien sûr, des représentants des infirmiers psychiatriques, à parité.
L'article 35 crée une base légale pour la convention prévue entre les pharmaciens d'officine et l'assurance maladie, conformément au protocole d'accord signé le 24 septembre dernier entre les syndicats et l'Etat. Cet accord marque la reconnaissance par le Gouvernement du rôle d'acteur de santé publique du pharmacien d'officine. J'en veux pour preuve ce qui se passe en ce moment en matière de sevrage tabagique, avec le rôle qui est dévolu au pharmacien dans la délivrance des substituts à la nicotine.
La convention entre pharmaciens et assurance maladie pourra notamment porter sur la qualité de la dispensation pharmaceutique, le bon usage du médicament, la formation continue, le développement des médicaments génériques, ou encore la coordination des soins.
Il a également été décidé avec les professionnels de rénover le mode de rémunération des pharmaciens : la future rémunération sera composée d'un forfait à la boîte et d'un barème variant avec le prix du médicament. La vignette ne comportera plus le montant du forfait. Le projet de loi prépare cette modification, renvoyée à un décret.
L'article 36 valide les actes pris en application des conventions des médecins généralistes et spécialistes de 1997, annulées par le Conseil d'Etat l'été dernier. Cette validation a notamment pour objet de consolider juridiquement les contrats de médecin référent conclus en application de la convention des généralistes.
L'article 37 s'inscrit dans un souci de transparence et de protection des droits des personnes.
L'évaluation et l'analyse des activités et des pratiques de soins requièrent d'organiser, dans l'intérêt de l'usager du système de santé, un cadre général afin que le traitement des données garantisse le respect du secret dû aux personnes malades.
L'anonymat des données utilisées dans ces traitements doit demeurer le principe général. Toutefois, pour procéder à des évaluations ou à des analyses pertinentes, il apparaît nécessaire de permettre l'exploitation de données qui peuvent présenter un caractère personnalisé sans être directement nominatives.
Dans tous les cas, les traitements ne comporteront ni le nom, ni le prénom des personnes, ni le numéro d'inscription au répertoire national des personnes physiques.
Par ailleurs, l'ensemble des traitements bénéficiera des garanties qui résultent, s'agissant de données indirectement nominatives, des dispositions prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Enfin, les personnes autorisées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés à effectuer les traitements sont soumises au secret professionnel ; elles ne peuvent communiquer à des tiers que des résultats de traitement, à la condition impérative que les informations communiquées ne permettent aucune identification.
Il s'agit, de la part du Gouvernement, de donner aux usagers de notre système de santé toutes les garanties de protection qu'ils sont en droit d'attendre.
L'article 37 bis , introduit par un amendement parlementaire, crée un groupement d'intérêt public pour la modernisation du système d'information hospitalière. Il contribue ainsi à la construction d'un système d'information de santé global, dont l'objet essentiel est de faciliter les échanges entre les professionnels de santé, et donc une meilleure prise en charge des patients.
L'optimisation de la recomposition de l'offre de soins constitue un élément essentiel de ce titre IV, amendé en première lecture par l'Assemblée nationale.
L'objectif général est, d'abord, d'améliorer la prise en compte par le système de santé et, en son sein, par l'offre hospitalière, des besoins de santé ; ensuite, de promouvoir la coordination des soins, en développant la complémentarité entre les différents segments de l'offre, médecine de ville, prise en charge médico-sociale ; enfin, d'accélérer la recomposition du tissu hospitalier.
Des innovations importantes ressortent de ces articles, parmi lesquelles figurent la possibilité, pour des établissements sociaux, d'adhérer à des syndicats interhospitaliers, la création d'une nouvelle catégorie juridique d'établissement public de santé, l'établissement public interhospitalier, et la possibilité offerte aux établissements de santé de créer des fédérations médicales interhospitalières, qui permettront d'assurer une meilleure couverture médicale des populations.
Ce titre aborde également la situation des médecins sous deux angles principaux : la moralisation de l'activité libérale hospitalière et l'amélioration de la situation des médecins à diplôme étranger.
Je sais que beaucoup d'entre vous sont très souvent sollicités sur ce problème difficile et complexe. Le texte comporte donc trois grandes lignes directrices à cet égard.
En premier lieu, il convient de ne pas transiger sur le contrôle de compétences qui, quelle que soit la durée de fonctions, nous semble s'imposer. En ce sens, est clairement privilégiée la filière des praticiens adjoints contractuels, les PAC, en proposant que tout médecin qui a exercé réellement trois ans puisse se présenter aux épreuves.
En deuxième lieu, une fois ce contrôle de compétences réussi, notre intention est non pas de maintenir des filières « ghetto », mais d'oeuvrer dans le sens d'une intégration pleine et entière dans notre communauté médicale.
En troisième lieu, enfin, nous souhaitons instaurer, ce qui n'avait jamais été fait, un mécanisme de régulation a priori pour l'avenir, de façon à pouvoir contrôler parfaitement les flux de médecins à diplôme étranger.
J'ajoute que, pour respecter les conventions de droit international et pour des raisons bien compréhensibles, des mesures dérogatoires sont proposées pour les médecins réfugiés, apatrides, bénéficiaires de l'asile territorial, ainsi que pour les Français rapatriés à la demande du Gouvernement français.
Enfin, le Gouvernement a prévu d'expérimenter, à compter du 1er janvier 2000, de nouveaux modes de financement des établissements de santé publics ou privés, fondés sur une tarification à la pathologie. Cette mesure marque notre volonté de faire évoluer, dans les prochaines années, le mode d'allocation de ressources des établissements de santé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les attentes de nos concitoyens en matière de santé sont nombreuses, et elles nous apparaissent légitimes : ils demandent davantage de respect, de dignité, de démocratie sanitaire, ils l'ont dit très nombreux et avec force lors des états généraux de la santé. C'est pour leur répondre, partiellement mais sur des sujets que l'urgence impose, que vous légiférez aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame le ministre, mes premiers mots seront pour souligner le ton modéré avec lequel vous avez défendu votre projet de loi. J'essaierai de présenter mes arguments sur le même ton.
M. René-Pierre Signé. C'est nouveau !
M. Charles Descours, rapporteur. Oui, et des deux côtés !
Je commencerai mon propos proprement dit par deux remarques.
Je m'associe par avance aux propos que tiendra certainement Claude Huriet concernant la procédure choisie par le Gouvernement et qui affecte les conditions d'examen des deux volets du projet de loi. En effet, entre la CMU et les 27 articles du projet de loi portant diverses mesures d'ordre social, il y avait, à l'évidence, matière à deux projets de loi, comme vient de le dire M. Bernard Kouchner.
En ce qui concerne la CMU proprement dite, je souhaite souligner d'emblée le paradoxe existant entre, d'un côté, un projet de loi très généreux, devant profiter à 10 % de la population française et remédier aux difficultés d'accès aux soins, projet qui aurait dû, effectivement, emporter l'adhésion enthousiaste de tous, et, de l'autre côté, les réactions souvent très réservées ou hostiles de nos interlocuteurs.
Sans rien enlever à la générosité du projet de loi, la commission proposera de le modifier très sensiblement afin que, dépourvu de ses possibles dérives, il puisse - je le souhaite comme vous, madame le ministre - recueillir l'accord de tous.
On ne peut d'ailleurs que regretter la procédure d'urgence, que les parlementaires dénoncent régulièrement, et qui nous prive de la possibilité de rapprocher les points de vue. Pour un texte aussi important, qui demande, si possible, l'unanimité, c'est encore plus ennuyeux.
Je veux maintenant évoquer les quatre défauts majeurs, à nos yeux, du projet de loi qui nous arrive de l'Assemblée nationale.
Premier défaut : il repose sur une erreur d'analyse. Il place en effet hors de notre système de protection sociale, au lieu de les y intégrer, un ensemble de six millions de personnes qui ne constituent pas, à l'évidence, un groupe homogène de personnes « à part ».
Ainsi, parmi ces six millions de personnes, on ne trouve pas que des personnes désocialisées ; on trouve aussi des personnes rémunérées au-delà du SMIC et ayant un enfant, le plafond étant alors de 6 300 francs, des ménages dont les deux partenaires travaillent à temps partiel, le plafond retenu par le Gouvernement étant, dans ce cas, de 5 230 francs, et des retraités agricoles ou des retraités de l'artisanat.
L'immense majorité de ces personnes ne demandent qu'une chose : l'intégration au droit commun avec une solvabilité leur permettant d'être « comme les autres », y compris dans le domaine de la protection sociale.
En outre, deuxième erreur d'analyse, le projet de loi met en oeuvre une politique de « guichets ouverts » dans un contexte de dérive préoccupante des dépenses de l'assurance maladie. S'il est nécessaire, aujourd'hui, d'instituer un mécanisme de solidarité pour la couverture maladie complémentaire, c'est que la sécurité sociale - c'est une constatation qui vaut pour tous les gouvernements - ne fait plus suffisamment son métier pour la couverture de base.
Deuxième défaut du projet : il s'attaque doublement aux principes fondateurs de la sécurité sociale.
Premièrement, en supprimant le monopole de la couverture complémentaire aux organismes complémentaires, et en l'autorisant aux caisses primaires, il conduit à s'interroger tôt ou tard sur la légitimité du monopole de l'assurance de base. Certains syndicats ou certaines mutuelles ont d'ailleurs rédigé, à cet égard, des motions extrêmement virulentes que je ne citerai pas pour ne pas sortir du ton modéré que j'ai souhaité adopter à la suite de Mme le ministre.
Renonçant au scénario dit « partenarial » proposé par M. Jean-Claude Boulard, parlementaire en mission - et non pas rapporteur du projet de loi - le texte prévoit en effet que, désormais, les caisses d'assurance maladie comme les organismes de protection sociale complémentaire pourront offrir un produit identique se caractérisant par des prestations gratuites financées par un fonds alimenté par l'impôt.
Quelle sera, demain, la différence de nature entre, d'un côté, un régime de base servant des prestations financées par la collectivité solidaire et, de l'autre, un régime complémentaire servant aux bénéficiaires de la CMU d'autres prestations financées par la même collectivité solidaire ?
Le projet remet un second principe fondateur en cause en ce qu'il instaure, de fait, une assurance maladie sous « condition de ressources ».
Comme l'a affirmé devant notre commission M. Jean-Marie Spaeth, président de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, les personnes bénéficiaires de la CMU qui auront choisi, par souci de simplicité, que l'assurance maladie assure leur couverture complémentaire ne se souviendront pas que celle-ci, juridiquement, n'interviendra que par délégation de l'Etat ; elles constateront simplement qu'elles sont couvertes à 100 % par la sécurité sociale.
Cette nouveauté induit un bouleversement majeur dans les principes fondateurs de la sécurité sociale, qui, depuis la Libération, associent assurance et universalité.
Troisième défaut du projet : la solution qu'il propose pour répondre au grave problème posé par les difficultés de l'accès aux soins rencontrées par les personnes titulaires de faibles revenus est inégalitaire et déresponsabilisante.
Premièrement, le projet de loi entraîne des inégalités nombreuses et graves.
Il crée, d'abord, une grave inégalité entre les personnes dont les revenus se situent en dessous du seuil et celles dont les revenus se situent légèrement au-dessus du seuil.
Je vous remercie, madame le ministre, de ne pas avoir occulté ce défaut de votre projet de loi et d'avoir justifié le choix du Gouvernement tout en précisant que vous compreniez très bien que l'on puisse en faire un autre. Malheureusement, vous ne m'avez pas convaincu. J'espère que la réciproque ne sera pas vraie lorsque je vous exposerai notre dispositif.
Les personnes dont les revenus se situent autour du seuil ont les mêmes conditions de vie. En effet, ce n'est pas une différence de revenus de 100 francs, 200 francs ou 300 francs qui est de nature à modifier sensiblement les conditions d'existence.
Pourtant, ces personnes seront traitées différemment par le projet de loi : au-dessus du seuil, elles paieront des cotisations mutualistes ou des primes d'assurance pour obtenir une couverture complémentaire qui ne couvrira pas toutes leurs dépenses de santé ; en dessous, elles seront gratuitement prises en charge à 100 %.
Prenons l'exemple des personnes touchant le minimum vieillesse, qui s'élève à 3 540 francs. Ce n'est pas très important, et j'entends d'ailleurs souvent, çà et là, qu'il faut relever les minima sociaux !
Dans son projet, le Gouvernement met le seuil à 3 500 francs. Ainsi, 800 000 personnes âgées ne seront pas bénéficiaires de la CMU pour 40 francs !
Il en va de même pour l'allocation aux adultes handicapés.
M. René-Pierre Signé. C'est l'effet de seuil !
M. Charles Descours, rapporteur. J'espère au moins que vous avez lu notre contre-projet, monsieur Signé !
M. le président. Souhaitez-vous interrompre l'orateur, monsieur Signé. (M. Signé fait un signe de dénégation.)
M. Charles Descours, rapporteur. Il intervient tout le temps, mais il ne lit jamais aucun texte !
M. Jean Chérioux. Il a des idées a priori, que voulez-vous !
M. René-Pierre Signé. Je choisis mes lectures !
M. Charles Descours, rapporteur. Des bandes dessinées ! (Protestations sur les travées socialistes.)
M. le président. Poursuivez, monsieur Descours !
M. Charles Descours, rapporteur. Imaginons un employé de la sécurité sociale payé au SMIC, ou à peine au-dessus, qui reçoit un bénéficiaire de la CMU vivant en couple et qui a 5 200 francs de revenus. Il constatera que celui qu'il reçoit ne paie pas de cotisation de base, pas de cotisation mutualiste et qu'il est couvert à 100 %, alors que lui, employé de la sécurité sociale, qui touche 6 000 ou 6 200 francs, paie les cotisations de base, paie les cotisations supplémentaires et n'est pas remboursé à 100 %.
C'est non pas entre les bas revenus et les hauts revenus que se pose le problème, mais entre ceux qui sont juste au-dessus et ceux qui se trouvent juste en dessous du seuil. C'est un défaut majeur de ce projet de loi.
Du fait de cet effet de seuil massif, le Gouvernement renvoie - vous l'avez dit, madame le ministre - ceux qui sont au-dessus du seuil à une forme d'aide sociale avec au moins cinq guichets différents.
Le projet crée, par ailleurs, des inégalités entre l'assurance maladie et les organismes complémentaires.
D'abord, il est probable que, par souci de simplicité, les bénéficiaires de la CMU préféreront, en grande majorité, s'adresser au même organisme que celui qui assure leur couverture de base. Il y a là une première atteinte à l'égalité.
Ensuite, le projet de loi ne prévoit pas un même système de remboursement, par le fonds de financement, des dépenses engagées au titre de la couverture complémentaire des bénéficiaires de la CMU.
Enfin, il induit des inégalités entre organismes de protection sociale complémentaire.
Les représentants des organismes de protection sociale complémentaire que nous avons entendus ont affirmé qu'ils comptaient en leur sein entre 10 % et 30 % de bénéficiaires potentiels. Retenez bien ce chiffre, j'y reviendrai tout à l'heure : dans certaines petites mutuelles, 10 % à 30 % d'adhérents qui ne cotisent plus, cela peut avoir des effets pervers assez graves.
Plus grave, certains organismes complémentaires sont, en pratique, spécialisés dans la couverture complémentaire des artisans et des commerçants. Or, celle-ci coûte plus cher que celle d'un salarié et coûtera plus que les 1 500 francs remboursés par le fonds.
Deuxièmement, le projet de loi est déresponsabilisant. Devant l'Assemblée nationale, madame le ministre, vous avez déclaré : « Il est vrai qu'une contribution, dans bien des domaines, est un moyen de faire appel à la responsabilité. »
Madame le ministre, nous vous avons entendue, car c'est ce que nous avons fait. Vous le verrez tout à l'heure !
Pourtant, le Gouvernement a choisi, dans le présent projet de loi, d'assurer gratuitement, sans aucune contribution de leur part, une couverture complémentaire à 100 % à six millions de Français, soit 10 % de la population.
Vous nous avez expliqué que vous n'aviez pas pu procéder autrement pour des raisons d'ordre technique. Lors de l'examen des articles, j'essaierai de vous convaincre du contraire.
Je veux maintenant parler des graves dérives financières, que vous avez évoquées dans votre exposé liminaire, madame le ministre.
Le coût de l'extension de la couverture de base sur le critère de la résidence a été estimé à 600 millions de francs.
Paradoxalement, la charge qu'elle représente pour l'assurance maladie est chiffrée à 900 millions de francs. L'Etat économiserait donc au passage plus de 300 millions de francs.
Cette charge supplémentaire s'ajoute aux 4 milliards de francs de déficit de l'assurance personnelle, qui sera toujours supporté par la sécurité sociale.
Toute dérive, toute erreur dans les prévisions des hypothèses aggraverait encore cette ponction sur les comptes du régime général.
L'évaluation du coût de l'extension de la couverture de base repose sur un coût unitaire de 4 000 francs par bénéficiaire. Ce chiffre paraît vraiment très faible au regard du coût actuel de l'assurance personnelle, qui est de près de 18 000 francs, ou du coût moyen de la couverture de base du régime général, qui est de l'ordre de 12 000 francs. L'écart est tel qu'il se situe au-delà de l'épaisseur du trait.
Quant au coût de la couverture complémentaire, il est estimé à 9 milliards de francs, soit un coût unitaire de 1 500 francs pour six millions de bénéficiaires.
Là encore, le coût unitaire paraît sous-évalué. Il repose sur des données de 1995 qui ne sont pas actualisées. Ce n'est pas nous qui l'avons dit. Vous nous avez indiqué en commission que nos interlocuteurs avaient dit certaines choses dans votre cabinet et d'autres devant nous. En tout cas, ce sont les mêmes qui nous ont dit que le coût unitaire avait été calculé par référence à une population qui n'était pas celle de la CMU puisque n'avaient été prises en compte ni les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ni celles relevant de régimes dont la couverture de base est moins favorable que celle qui est assurée par le régime général.
De fait, les sommes engagées actuellement par les départements, à savoir 5,3 milliards de francs, permettent de couvrir deux millions et demi de personnes. Au tarif de la CMU, elles permettront de couvrir 3,6 millions de personnes.
Or, toute dérive du coût de la CMU conduirait les organismes complémentaires à se retirer du système en se contentant - si l'on peut dire - de payer la taxe de 1,75 % et en évitant l'inscription de certains bénéficiaires de la CMU, qui augmenterait leurs charges en raison d'une insuffisante compensation forfaitaire.
En outre, un ensemble de phénomènes, et non des moindres, n'ont pas été pris en compte pour analyser les conséquences de ce projet de loi.
Je citerai, d'abord, les pertes de cotisations qui affecteront les organismes de protection complémentaire dès lors qu'une partie de leurs adhérents basculeront vers la CMU. Les petites mutuelles perdront, en effet, un certain nombre d'adhérents, d'ou une augmentation du prix des contrats pour ceux qui restent. Les mutuelles y perdront de la compétitivité et, à moyen terme, cinq à dix ans, c'est leur survie qui pourra être menacée.
Je citerai, enfin, la pression qui pèse d'ores et déjà sur les fonds sociaux des caisses, mais qui pèsera surtout sur les départements, voire sur les communes, pour qu'ils prennent en charge les « victimes » de l'effet de seuil introduit par le projet de loi. Les départements avaient retenu un seuil plus élevé que celui qui est proposé dans le projet de loi, et des amendements en ce sens seront proposés.
A cet égard, je voudrais évoquer la participation des départements au financement du projet de loi. Ce n'était pas le néant avant ce texte ; les départements participaient pour 5,2 milliards de francs aux dépenses ; le coût de ce projet de loi est aujourd'hui évalué à 9 milliards de francs...
M. Jean Chérioux. Il y avait les cartes santé !
M. Charles Descours, rapporteur. ... et au-delà ! C'est-à-dire que, pour plus de la moitié, l'effort était fait par les départements et, dans cette assemblée, vous le savez bien.
Certains se sont interrogés sur une nouvelle répartition entre les départements du bénéfice de la déduction forfaitaire de 5 %.
Il ne faut pas oublier que le dispositif n'a pas pour objet prioritaire d'assurer une péréquation entre collectivités locales, mais d'abord de tirer les conséquences financières d'un transfert de compétences en respectant une compensation intégrale appréciée au franc le franc.
Pour autant, il nous appartient de faire part de notre inquiétude sur les conséquences ultérieures de la CMU pour les finances locales en raison des demandes qu'elle ne manquera pas de déclencher de la part des assurés sociaux. Vous en avez parlé tout à l'heure, madame le ministre, dans votre exposé.
A ce propos, je regrette d'ailleurs que le Gouvernement ne soit pas allé jusqu'au bout de sa démarche et ne tire pas les conséquences du retrait de la compétence d'aide médicale aux départements sur le dispositif des contingents communaux d'action sociale. Sur ce point, nous entendrons naturellement avec beaucoup d'attention les analyses et les observations de la commission des finances saisie pour avis. Il est bien évident que le devenir des contingents communaux d'action sociale reste posé.
Enfin, je vous ai bien écouté, madame le ministre, sur la compensation au franc le franc pour la sécurité sociale. Je souhaite vivement que cela soit précisé au cours de la discussion et qu'il ne s'agisse pas d'une convention globalement établie entre le Gouvernement et la CNAM, mais bien d'une compensation au franc le franc.
J'en viens aux propositions de la commission.
La première consiste à créer une allocation personnalisée à la santé sur le même modèle que l'allocation logement.
Ce projet n'est ni plus ni moins généreux que celui qui est soumis à notre examen par le Gouvernement. Il fonctionne à coût constant, mais s'adresse toutefois à un nombre plus élevé de bénéficiaires.
Il est bien évident que certains percevront moins mais il n'y aura pas d'effet de seuil puisque nous irons plus loin que le plafond de ressources.
Nous proposerons de définir une couverture complémentaire comportant certaines caractéristiques, notamment celle du meilleur rapport qualité-prix pour les biens médicaux là où le Gouvernement - nous y reviendrons au cours de la discussion - propose de faire bénéficier les ressortissants de la CMU des biens les moins chers.
Notre deuxième proposition consiste à élaborer un projet responsabilisant qui efface les effets de seuil.
En effet, nous proposons que les bénéficiaires perçoivent une allocation d'un montant dégressif avec le revenu, à charge pour eux d'adhérer à une mutuelle ou de souscrire à un contrat d'assurances.
Notre projet n'est pas non plus « désincitatif » à l'emploi et n'incite pas à dissimuler quelques centaines de francs de revenu. Si vous fixez le seuil à 3 500 francs, il est bien évident que, pour continuer de bénéficier de la CMU, certains préféreront travailler au noir. Notre proposition évite cet écueil.
Notre troisième proposition consiste à prendre en considération les difficultés spécifiques rencontrées par les plus démunis.
Pour ceux qui perçoivent le SMIC, l'allocation personnalisée à la santé couvrira entièrement le coût de la couverture complémentaire qui sera fixée par l'Etat. Pour toutes les personnes autres que celles qui bénéficient du RMI, nous prévoyons que la couverture complémentaire est obtenue, dans des conditions de droit commun, auprès des organismes de protection sociale complémentaire, tel que le veut notre système social depuis cinquante ans. Seuls les titulaires du RMI seront gérés entièrement par les CPAM pour l'assurance de base et pour l'assurance complémentaire. Le mélange des genres qu'introduit le projet du Gouvernement nous semble anormal.
Enfin, notre quatrième proposition est d'aboutir à un projet véritablement partenarial.
Dans ce système, c'est l'Etat qui fixera le prix de la couverture complémentaire qui sera proposée aux bénéficiaires de l'allocation personnalisée : il est en effet logique que la collectivité détermine les caractéristiques d'un produit de couverture complémentaire auquel, en quelque sorte, elle donnera un marché.
A la différence de ce qui est prévu par le projet de loi, les organismes complémentaires seront remboursés au franc le franc, et non pas d'une manière forfaitaire car, quoi que vous pensiez, madame le ministre, tous les organismes complémentaires nous ont expliqué que retenir un forfait de 1 500 francs c'était trop peu, soit de 10 %, soit de 30 % selon certains.
Le caractère partenarial de nos propositions se retrouve enfin dans la composition du conseil d'administration du fonds qui comportera, autour d'une majorité de représentants de l'Etat, des représentants des régimes de base, des organismes de protection sociale complémentaire et des associations oeuvrant dans le domaine économique et social en faveur des personnes défavorisées.
J'en arrive à ma conclusion.
D'un côté, il y a un projet de loi généreux, mais à effet de seuil massif, déresponsabilisant pour ses bénéficiaires, porteur de graves menaces pour l'avenir de l'équilibre juridique entre régimes de base et complémentaires et pour celui, je le crains, des finances publiques et sociales ; de l'autre côté, il y a - personne n'a le monopole du coeur ! - un projet tout aussi généreux, inspiré d'un dispositif qui a très largement fait ses preuves, celui de l'allocation logement, qui est responsabilisant, respectueux des équilibres entre régimes de base et complémentaires, dont les aspects financiers sont, à notre sens, mieux maîtrisés, et qui ne comporte pas d'effet de seuil.
Vous souhaitiez, madame le ministre, qu'un consensus se manifeste sur la question de la couverture maladie universelle. J'espère vous avoir convaincue. En adhérant à notre projet, qui est de nature à satisfaire tous les acteurs appelés à participer à la couverture maladie universelle, vous serez l'initiatrice d'un indispensable progrès social dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La parole est à M. Huriet, rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le titre IV du projet de loi n'appelle pas un long exposé général dès lors qu'il est une collection de mesures diverses qui, selon M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, « visent à améliorer, dans des domaines variés, le fonctionnement de notre système de santé ».
« Mini-DMOS » dans sa version initiale, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Alfred Recours, ce titre est devenu, comme il était prévisible dès lors que la porte avait été ouverte par le Gouvernement, un véritable projet de loi de vingt-neuf articles, dont est « parasité » le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle.
Qualifié de « réforme sociale unique en Europe », d'« avancée sociale majeure », ce dernier projet de loi a ainsi vu sa discussion « polluée » à l'Assemblée nationale - selon l'expression de M. Alfred Recours - par la discussion des six articles initiaux du titre IV, auxquels sont venus s'ajouter pas moins de vingt-trois articles additionnels.
La commission des affaires sociales a bien voulu me désigner comme rapporteur, conjointement avec notre collègue M. Charles Descours, pour examiner ce DMOS et plus particulièrement ces articles additionnels qui, au-delà des traditionnels bis et ter , imposent une révision très complète de la numérotation latine, nécessaire pour aborder sereinement les sexdecies, vicies et autres tervicies .
De fait, l'Assemblée nationale a consacré à la discussion des articles « DMOS » un temps équivalent à celui qu'elle a mobilisé pour débattre des articles relatifs à la couverture maladie universelle : 101 pages au Journal officiel pour la CMU, 80 pages pour le DMOS.
Cela ne veut pas dire pour autant que la discussion de ce DMOS ait été approfondie. Trop d'amendements ou sous-amendements ont été adoptés à l'issue d'un échange laconique en trois temps ; l'auteur : « l'amendement est défendu » ; la commission : « favorable », le Gouvernement : « favorable également ». En l'absence de toute mention dans le rapport de la commission, les commentateurs devront donc se satisfaire, au titre des travaux préparatoires, de ces trois interjections lapidaires proférées dans la nuit. C'était le 4 mai dernier.
A côté des griefs formulés à l'encontre du fond du texte, l'exception d'irrecevabilité, défendue à l'Assemblée nationale par M. Bernard Accoyer, a porté sur la dualité du texte qui comporterait, selon lui, un risque d'inconstitutionnalité. Il est probable donc que le Conseil constitutionnel devra trancher ce point.
Mais, au-delà du débat juridique, il n'est pas douteux que la procédure utilisée n'a pas favorisé la clarté des débats parlementaires sur l'ensemble du texte.
Chacun a regretté que n'ait pu être déposé un véritable projet portant diverses dispositions d'ordre social. Par la voix de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, le Gouvernement lui-même l'a déploré alors qu'il maîtrise l'ordre du jour du Parlement. En dépit de l'urgence qui s'attache, selon lui, et vous l'avez confirmé, monsieur le secrétaire d'Etat, aux articles du présent titre IV, le Gouvernement a donné la priorité à d'autres textes dont certains apparaissent au Sénat inutiles ou, en tout état de cause, non prioritaires.
De l'urgence de certains articles, on pourrait discuter longuement. Ainsi, le Gouvernement a considéré comme « urgente » l'adoption d'un article 37 sur la transmission de données du PMSI, le programme de médicalisation du système d'information, qui ne satisfait personne alors qu'il existe une directive européenne relative au traitement des données et à leur libre circulation - la directive n° 95-46 - qui aurait dû être transposée avant la fin du mois d'octobre 1998.
Un rapport de M. Guy Braibant sur les conditions de cette transposition a d'ailleurs été remis au Premier ministre au début du mois de mars 1998. Depuis, il ne s'est rien passé.
Or, selon mes informations, la phase précontentieuse européenne est déjà engagée, ou sur le point de l'être. Vous nous en direz plus sur ce point, j'en suis sûr, lors de la discussion des articles.
De surcroît, le DMOS introduit dans le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle a dû et devra suivre les tribulations de ce texte : retard dans le dépôt, urgence dans la procédure, risque enfin d'un désaccord de fond entre les deux assemblées sur la mise en oeuvre de la CMU, qui soulagera le Gouvernement du souci d'une navette sur les dispositions qui, pour être techniques, n'en sont pas moins d'une grande ampleur.
La commission naturellement désapprouve la procédure retenue et s'est abstenue, pour sa part, d'alourdir le titre IV de nouveaux articles additionnels.
Je dois m'expliquer, mes chers collègues, sur l'attitude que votre rapporteur a adoptée en cette matière. Déplorant la procédure, vous comprendrez qu'il ne m'était pas possible d'introduire, en tant que rapporteur, des amendements à un texte déjà très hétérogène.
En revanche, j'ai considéré, et la commission a été d'accord sur ce point, qu'il n'était pas possible d'interdire à tel ou tel d'entre vous, mes chers collègues, de présenter les amendements qui lui paraîtraient nécessaires, au nom du principe, voire d'une référence littéraire selon lesquels « il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée », mais aussi en vertu d'un principe fondé sur l'égalité des chances. En effet, je ne voyais pas de raison d'interdire à mes collègues sénateurs, si toutefois j'en avais eu l'intention et l'autorité, de suivre une procédure que les députés eux-mêmes avaient eu l'opportunité d'utiliser.
M. François Autain. Merci !
M. Claude Huriet, rapporteur. Sur chacun des articles de ce titre IV, nous nous sommes montrés soucieux d'adopter une position constructive qui permette de préserver les chances d'un accord en commission mixte paritaire avec les députés.
Je veux espérer que les divergences éventuelles avec l'Assemblée nationale sur les dispositions relatives à la CMU n'empêcheront pas les députés, au moins, de « considérer » le travail du Sénat sur le titre IV et de faire leurs les améliorations sur des articles qu'ils ont adoptés dans des conditions quelque peu précipitées.
De même, je souhaite me faire l'interprète de mes collègues auteurs d'articles additionnels. Le droit d'amendement des sénateurs ne saurait être mis en cause. Or, la procédure choisie par le Gouvernement, qui « accroche » au projet de loi sur la CMU un véritable DMOS, pourrait, si l'on n'y prenait garde, en cas d'échec de la commission mixte paritaire - ce que nous ne souhaitons pas - menacer en pratique la portée du droit d'amendement du Sénat.
Je souhaite être entendu par les députés et j'espère que vous saurez, monsieur le secrétaire d'Etat, vous faire l'interprète de nos propos, si cela se révélait nécessaire.
Je voudrais enfin émettre le voeu que, par la qualité de nos échanges, le débat sur les articles additionnels qui ont été adoptés par l'Assemblée nationale soit plus riche que les formules lapidaires que j'évoquais tout à l'heure : « L'amendement est défendu ! Favorable ! Favorable également ! » Nous n'aurons pas de peine, j'en suis sûr mes chers collègues, à faire mieux !
Telles sont les quelques considérations générales que je souhaitais formuler à ce stade de la discussion, me réservant bien évidemment la possibilité d'intervenir sur le fond pour chacun des articles du titre IV que j'ai l'honneur de rapporter. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Oudin, rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi - je devrais dire plutôt ces projets de loi - que nous ont exposé MM. les rapporteurs parvient, en quelques articles, à traiter de l'ensemble, ou presque, de la protection sociale et de ses problèmes.
On y trouve la dimension généreuse de l'assurance maladie. On y trouve aussi ses contradictions financières, qui l'empêchent d'atteindre cet équilibre auquel nous aspirons. On y trouve enfin la difficile question de la place respective de la solidarité nationale et de l'initiative privée, de l'assistance et de l'assurance. Toutes choses qui justifient l'examen particulièrement attentif de la commission des finances.
Il s'agit, en effet, d'un débat fondamental qui touche aux principes mêmes de notre protection sociale. Il s'agit, aussi, d'un débat financier que l'examen du texte à l'Assemblée nationale a complètement occulté.
Mme le ministre, lors des explications de vote, a tenu les propos suivants : « Comment peut-on affirmer que ce dispositif va coûter trop cher aux finances sociales, lesquelles ne sont d'ailleurs pas concernées ? » Je me suis attaché à approfondir la question dans mon rapport écrit, dont je reprendrai ici les principaux aspects.
Cela étant dit, je regrette que Mme le ministre n'ait pas jugé opportun de répondre à l'invitation de la commission des finances, devant laquelle nous aurions pu débattre de tous ces problèmes et confronter nos points de vue et nos analyses.
A cette occasion, j'aurais pu adresser à Mme le ministre mes compliments sur un point. En effet, avec ce projet de loi, 150 000 personnes - les 150 000 dernières, j'espère - vont être couvertes par l'assurance maladie de base. Tous ses prédécesseurs ont souhaité atteindre cet objectif. Le général de Gaulle, il y a plus de cinquante ans, en avait nourri le projet. Jacques Chirac, voilà vingt-cinq ans, l'avait presque entièrement réalisé. Alain Juppé, il y a cinq ans, avait décidé de l'achever. Aujourd'hui, vous nous proposez de couvrir l'ensemble de la population française par une assurance maladie de base. Nous ne pouvons que vous suivre sur cette voie que nous vous avons ouverte.
L'autre inspiration généreuse de votre projet de loi concerne l'assurance complémentaire totale et gratuite de 6 millions de Français qui en sont aujourd'hui dépourvus.
Je ne conteste pas qu'il existe dans notre pays des formes difficilement acceptables d'exclusion financière des soins.
Je vous ferai seulement remarquer que des initiatives privées, de très nombreuses initiatives locales, ainsi que l'action sociale des caisses apportent aujourd'hui une aide considérable à des millions de nos concitoyens. Ces efforts ne sont pas, me semble-t-il, assez mis en valeur.
Par ailleurs, on peut s'interroger à la fois sur le mode de financement d'un tel projet et sur son principe même.
Avant toute chose, il me paraît important de rappeler le contexte financier dans lequel nous nous trouvons. La dette publique atteint 58 % du PIB. Le déficit budgétaire est de 240 milliards de francs. Le niveau des prélèvements obligatoires s'établit à 44,5 % du PIB. La dette sociale remise à la CADES est actuellement de 224 milliards de francs auxquels s'ajouteront bientôt 40 milliards de francs de nouveaux déficits. Les dépenses de santé s'élèvent à de plus de 620 milliards de francs. Le déficit de l'assurance maladie dépasse 16 milliards de francs pour 1998.
Mme le ministre a évalué ce déficit à plus de 12 milliards de francs pour 1999, mais il se situera plus sûrement aux environs de 20 milliards. La croissance des dépenses d'assurance maladie au cours des douze derniers mois s'est établie à un point au-dessus de celle du PIB et de l'ONDAM, alors qu'elle atteint déjà un niveau parmi les plus élevé des pays développés. Nous constatons la persistance de la dérive des dépenses d'assurance maladie et, dans le même temps, vous nous proposez de nouvelles dépenses.
Dans ce contexte, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il est contraint, de plus en plus contraint, comment sera financée la couverture maladie universelle ? Disons-le clairement, votre projet de loi va coûter cher et demander un effort financier à tous les partenaires.
Mme le ministre a dit que la réforme et l'extension de la couverture de base seront neutres pour les partenaires sociaux. Elle a néanmoins écrit qu'elle coûtera 900 millions de francs à la branche maladie et 320 millions de francs à la branche famille.
Je pense que ces deux branches n'apprécient pas de la même façon qu'elle cette notion de neutralité. En fait, ce texte se traduit par près de 1,3 milliard de francs de dépenses supplémentaires pour la sécurité sociale. Nous voulons bien débattre des chiffres !
Mme le ministre affirme que la couverture complémentaire représentera 9 milliards de francs de dépenses : plus de 5 milliards de francs viennent des départements, 1,8 milliard de francs sont payés par les mutuelles et les assurances et 1,7 milliard de francs proviennent d'une subvention de l'Etat. Comme elle a par ailleurs indiqué que les mutuelles et les assurances ne verseront rien au titre du prélèvement obligatoire si elles s'engagent dans la prise en charge de la CMU, on peut conclure que seul l'Etat supportera le poids de son texte.
Dans mon rapport écrit, j'ai indiqué, en détail, pourquoi nous contestons la plus grande partie de cette présentation financière. Cette présentation n'est pas sincère, elle minore les dépenses à la charge de chacun des acteurs de la protection sociale, elle laisse volontairement de côté d'autres dépenses que le souci de la transparence aurait dû conduire à mentionner.
Comment peut-on soutenir que l'assuré de base couvert par la CMU coûtera 4 000 francs par an à l'assurance maladie alors que le même assuré RMIste pris en charge par l'assurance personnelle coûte 9 400 francs par an, sans prendre en compte l'hospitalisation ? Cette différence, c'est un surcoût de 800 millions de francs à la charge de l'assurance maladie, et il n'apparaît pas, bien entendu, dans vos estimations.
Comment peut-on affirmer également que l'assuré complémentaire couvert par la CMU coûtera 1 500 francs par an aux organismes complémentaires, alors que les mutuelles qui ont fourni ce chiffre ont travaillé sur une base de l'année 1995 en intégrant des prestations moins importantes et moins coûteuses que celles qui figurent dans le projet de loi ? Le surcoût acquitté pour les organismes de protection complémentaire pour les 6 millions de bénéficiaires qui ne paient rien sera de près de 1,6 milliard de francs. Je remarque à ce propos que le traitement des partenaires est bien différent : l'Etat remboursera ses frais réels à la CNAMTS et seulement 1 500 francs aux organismes de protection complémentaire. Tout cela mériterait à la fois des explications et des justifications.
Comment peut-on dire aussi que le texte ne remet pas en cause la cotisation minimale de la CANAM et de la MSA ? Certes, il ne le fait pas à la lettre, mais il pose la question du devenir de la cotisation forfaitaire versée, quel que soit le revenu des affiliés, à un de ces deux organismes. Le coût en sera, pour eux, de 1,7 milliard de francs.
Comment peut-on encore ne pas mentionner aussi le coût de la prolongation des droits à couverture complémentaire pour les bénéficiaires qui se seront adressés aux mutuelles et aux assurances ? Quand on sait que le taux d'entrées et sorties devrait avoisiner les 50 %, ce coût n'est pas nul ! En fait, il approchera les 500 millions de francs.
Comment peut-on enfin passer sous silence les frais de gestion de la CNAMTS, les frais de gestion des organismes complémentaires, les coûts transitoires pour les communes et les départements, les pertes de recettes pour les mutuelles couvrant des personnes gagnant moins que les seuils retenus pour la CMU ?
Tous ces coûts existent, et M. Charles Descours en a mentionné certains. Quant à moi, j'ai essayé de les chiffrer au mieux. Au total, ce seront 10 milliards de francs au moins qui seront dépensés en plus des sommes actuellement affectées ici et là à l'aide médicale. Je pense que la représentation nationale mérite davantage de transparence, de clarté et de vérité.
Tout cela est d'autant moins acceptable que tout indique que l'avenir sera dépensier.
Nous sommes tous conscients que nous créons, avec la CMU, un nouveau minimum social qui, comme tous les minima sociaux, a vocation à voir son coût croître et embellir.
A l'appui de cette remarque, je tiens à rappeler quelques chiffres : en 1991, le RMI a coûté 14,3 milliards de francs et, pour 1999, nous en sommes à 26,4 milliards de francs ; par ailleurs, l'allocation aux adultes handicapés est passée de 13 milliards de francs en 1987 à 23,4 milliards aujourd'hui.
Je suis d'ailleurs prêt à engager le pari que, dans quelques années, nous discuterons du passage aux 25 milliards de francs consacrés à la couverture maladie universelle.
Rien dans ce projet de loi n'incite à la maîtrise des dépenses, mais je ne citerai que trois sources de dérives financières.
La première source d'augmentation des dépenses est l'affiliation automatique par les caisses primaires d'assurance maladie. Sans remettre en cause ni le bien-fondé de leur intervention ni la conscience professionnelle de leur personnel, je remarque que le contrôle des revenus se fera a posteriori et qu'elles n'ont, actuellement, aucune expérience en la matière.
La deuxième source d'augmentation des dépenses, c'est la non-participation financière, même symbolique, des bénéficiaires de la CMU. Il paraît difficile de revenir sur l'idée de tiers payant intégral, mais je suis persuadé que prévoir une participation modulée aurait rendu le texte plus responsabilisant et aurait atténué l'effet de seuil. C'est ce que la commission des affaires sociales propose, et j'en suis heureux.
La troisième source d'augmentation des dépenses repose sur le paradoxe des 1 500 francs. De ce point de vue, ce projet de loi prend un aspect incantatoire.
Vous expliquez ainsi, madame le ministre, qu'un bénéficiaire de la CMU coûtera 1 500 francs par an au titre de son assurance complémentaire ; mais, dans le même temps, vous laissez le soin aux professionnels de santé de négocier les prix et les tarifs. Tout laisse croire - tel est l'avis de tous les professionnels que j'ai consultés - qu'il faudra compter davantage.
Mais comment ferez-vous entrer dans ces 1 500 francs des dépenses bien plus importantes, c'est-à-dire l'ensemble des prestations.
Je vous rappelle donc pour mémoire ce qui sera pris en charge au titre de la CMU : le forfait journalier sans plafond - ce qui n'existe nulle part ailleurs dans aucun contrat de couverture complémentaire - tous les tickets modérateurs, les remboursements intégraux des lunettes, des appareils dentaires, des appareils audiophones, etc. Tout cela serait pris en charge pour seulement 1 500 francs par an ! Les dirigeants des mutuelles sont perplexes devant un tel exercice. De toute évidence, les dépenses seront supérieures et elles augmenteront.
Le système est tout à fait étonnant : les complémentaires sauront ce quelles reçoivent - 1 500 francs - mais elles ne connaîtront pas le montant de ce qu'elles paieront. Je vous laisse juge, mes chers collègues.
Vous expliquez, madame le ministre, que les plus démunis consomment moins que la moyenne des assurés. Je vous réponds que les comportements de consommation ont tendance à se rapprocher et qu'ils auront tendance à se rapprocher plus encore avec cette mesure.
Vous dites également que les professionnels de santé accepteront de maîtriser leurs coûts. Je vous réponds qu'ils ne le font pas pour le régime général.
Vous dites encore que les organismes complémentaires s'impliqueront dans la logique partenariale. Je vous renvoie sur ce point à la réponse que vous avez adressée à leurs protocoles techniques mettant en place ce partenariat.
Je ne peux passer sous silence certains effets pervers de ce projet de loi. A ce titre, il me paraît essentiel de citer quatre critiques de fond sur le dispositif que vous nous proposez.
La première critique est d'ordre philosophique : vous brouillez les frontières entre la couverture complémentaire et l'assurance de base. Depuis 1945, la place de chacun est pourtant claire : à la solidarité nationale obligatoire échoit l'assurance maladie de base ; de l'acte volontaire et facultatif dépend la protection complémentaire.
Vous avez décidé de changer ces principes fondateurs au détour du chemin de la CMU. Je sais qu'à l'Assemblée nationale vous avez indiqué que « la CMU ne modifie en rien les frontières entre la sécurité sociale de base et la couverture complémentaire. Aucun Français ne bénéficie aujourd'hui d'une couverture complémentaire par la sécurité sociale, aucun Français n'a de couverture de base par la complémentaire. Rien de changera demain, nous garderons le même dispositif et il n'y aura aucun coût supplémentaire pour la sécurité sociale. » Vous venez de le répéter, mais je ne pense pas que ce soit l'exacte vérité.
Demain, la CNAMTS accueillera des assurés complémentaires relevant de la CMU, à moins que ce ne soient les complémentaires qui accueillent des assurés de base couverts par la CMU. Quelle sera en effet la nature de la couverture complémentaire de la CMU ? S'agira-t-il d'une protection complémentaire ? Mais alors pourquoi permettre à l'assurance maladie de s'y introduire ? S'agira-t-il d'une protection de base mal dénommée ? Mais alors pourquoi demander aux complémentaires d'intervenir dans ce domaine ? J'ai du mal à suivre votre raisonnement.
La deuxième critique de fond est d'ordre financier.
Alors que nous critiquons tous le niveau des prélèvements obligatoires, vous réussissez à en créer un nouveau, volontairement occulté dans la présentation de la réforme. Vous me rétorquerez, je le sais bien, que les organismes de protection complémentaire qui s'impliqueront n'auront rien à payer, puisqu'ils déduiront de la taxe due les sommes versées pour la prise en charge d'un bénéficiaire de la CMU. Ce raisonnement est pervers et nie la réalité économique.
La réalité, c'est que les mutuelles et assurances auront au moins 1,8 milliard de francs à payer. Qu'elles décident ou non de s'impliquer, cette somme sera à leur charge, et donc à celle de leurs adhérents et assurés.
La troisième critique de fond se situe sur un plan humain. Je ne la développerai pas, puisque Charles Descours en a longuement parlé. Il s'agit des seuils et de leur effet de guillotine.
La quatrième et dernière critique, à mes yeux la plus importante, est d'ordre ontologique.
Le terme de couverture maladie universelle est trompeur. L'universalité de l'assurance maladie devrait aboutir à un régime unique et général. Vous vous contentez du deuxième qualificatif.
Avec l'assurance maladie universelle, esquissée par le précédent gouvernement, celui-ci avait eu le courage d'aborder de front le problème du rapprochement des régimes maladie, en même temps que d'achever de couvrir la population française. Vous vous arrêtez à la généralisation, sans aborder cette question du rapprochement nécessaire et important des régimes maladie. Il aurait été plus conforme à la réalité d'intituler votre mesure « couverture maladie généralisée ».
Mes chers collègues, après ces remarques, vous seriez en droit de penser que nous critiquons sans faire de propositions. Ce n'est pas dans les habitudes de la Haute Assemblée.
La commission des affaires sociales a conçu une autre manière de voir la CMU. Elle nous propose une CMU plus responsabilisante et moins « sèche », une CMU plus partenariale, mieux intégrée dans l'architecture de notre protection sociale. La commission des finances soutient ces propositions. Elle souhaite cependant mettre l'accent sur trois thèmes que je développe rapidement et qui sont repris dans les amendements de la commission des finances.
Le premier thème concerne bien évidemment les finances locales.
Ce projet de loi supprime l'aide médicale départementale et remonte vers l'Etat la dotation globale de décentralisation correspondante. Nous ne contestons pas cette recentralisation. Nous constatons simplement qu'elle remet en cause le principe même de l'existence des contingents communaux d'aide sociale.
Le temps est certes venu de supprimer cette participation des communes aux dépenses d'aide sociale des départements et de rendre chaque collectivité maîtresse de ses dépenses. Nous ne voulons pas interférer dans les négociations actuellement menées par notre collègue Michel Mercier pour organiser les compensations, mais nous souhaitons lancer le débat au cours de ce projet de loi, qui concerne directement cette question.
Le deuxième thème est celui de la neutralité fiscale.
Je ne dénoncerai jamais assez la création d'un nouveau prélèvement obligatoire. Je dénoncerai cependant avec encore plus de vigueur un prélèvement obligatoire qui organise une double imposition.
En effet, la taxe de 1,75 % que crée ce texte sera soumise non seulement à la taxe de 7 % sur les contrats d'assurance, mais aussi à l'impôt sur les sociétés. Il nous paraît de la justice fiscale la plus élémentaire d'assurer la plus grande neutralité possible à ce prélèvement.
Par ailleurs, votre projet de loi, en déduisant les dépenses des recettes du fonds de financement, rompt avec le principe fondamental de notre comptabilité publique de non-compensation des recettes et des dépenses. Nous sommes là à un tournant, et je ne comprends d'ailleurs pas que votre collègue, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, ait laissé passer une telle disposition.
Le troisième thème est celui de la prévoyance.
Ce projet de loi introduit une obligation, pour les entreprises, de négocier chaque année sur la prévoyance et une obligation d'avoir abouti à un résultat sur ce thème pour qu'un accord de branche soit étendu. Comme ce texte étend la protection complémentaire, nous estimons qu'il est juste de favoriser la conclusion d'accords de prévoyance.
Mais inciter ne veut pas dire contraindre. Il ne m'apparaît pas sain de créer une obligation nouvelle. Nous proposons donc de revenir sur la pénalisation fiscale inutile dont souffre la prévoyance et d'alléger quelque peu les prélèvements obligatoires qui pèsent sur elle.
Voilà, rapidement exposées, les principales observations et propositions de votre commission des finances.
Je conclurai cette intervention en attirant votre attention sur le fait que ce texte bouleverse largement notre système de protection sociale, nos rapporteurs de la commission des affaires sociales nous l'ont déjà indiqué. De plus, il introduit des incertitudes financières substantielles qui doivent être levées.
La commission des finances vous indique, elle, que toute nouvelle mesure doit se financer, de préférence, à dépense totale constante, rejoignant en cela le projet de la commission des affaires sociales.
Un pays qui dépense autant que le nôtre pour sa protection sociale doit pouvoir trouver, au sein d'une enveloppe égale, l'argent nécessaire à certaines réformes, dont celle-ci.
Madame le ministre, vous êtes la comptable de notre système de protection sociale vis-à-vis des assurés d'aujourd'hui. Vous le serez également vis-à-vis des contribuables de demain. C'est cela qui inquiète notre commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon propos sera bref : vous comprendrez bien que je ne vais pas reprendre tout ce qui a été dit - et bien dit - par nos rapporteurs. Je me bornerai à formuler quelques observations à propos de ce texte.
Je vous rappelle la procédure qui a été suivie. Après son annonce, lors de la discussion du projet de loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions déposée à la mi-mars 1998, ce texte devait être déposé en même temps que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, c'est-à-dire en octobre 1998, puis dans le courant de l'automne 1998, puis avant la fin de l'automne 1998. Il a été déposé en définitive le 3 mars 1999, immédiatement assorti de l'urgence, ce qui signifie une seule lecture dans chaque assemblée.
Je tiens à attirer l'attention du Gouvernement sur les risques de dérapage qui pervertissent les commissions mixtes paritaires.
Certains textes rapportés par la commission des affaires sociales ont fait récemment l'objet d'une commission mixte paritaire. Sept sénateurs se sont donc retrouvés en face de trois députés, dont le président de la commission et le rapporteur, ce qui est la moindre des choses, le tout... pour rien.
En effet, compte tenu de la composition politique des deux assemblées, une commission mixte paritaire qui se réunit après une seule lecture est quasiment certaine d'être vouée à l'échec. Celui-ci est avéré dès qu'elle parvient au premier obstacle qu'elle ne peut pas lever.
Lorsqu'il s'agit d'un texte aussi important que celui-là - vous l'avez souligné tout à l'heure, madame le ministre - il est dommage, même s'il existe des désaccords fondamentaux, de ne pas pouvoir en débattre et d'essayer, sur un certain nombre de points, de trouver une formulation acceptable par tous.
De plus, pour compliquer la tâche, le Gouvernement a ajouté un « mini DMOS », selon les termes de M. Recours, rapporteur de l'Assemblée nationale. Ce texte est devenu, en fait, un DMOS de vingt-neuf articles. M. Huriet a souligné les préoccupations qu'il avait prises pour ne pas l'alourdir, mais aussi les difficultés ainsi créées.
Avec un projet de loi tendant à créer une couverture maladie universelle, qui est de portée générale, et un DMOS qui comprend une série de petits textes devant couvrir un certain nombre de situations, on aboutit à mélanger les genres ! Les commissions mixtes paritaires ne peuvent pas jouer tout leur rôle. D'ailleurs, point n'est besoin d'être prophète pour imaginer que, lors de la prochaine commission mixte paritaire sur ce projet de loi, on n'arrivera pas jusqu'à l'examen du titre IV !
On aurait pu penser que le temps pris par l'exécutif pour préparer ce projet de loi, depuis son annonce jusqu'à sa présentation, aurait permis au Parlement de disposer de tous les éléments nécessaires pour en débattre en toute connaissance de cause. Malheureusement, s'agissant en particulier de l'étude d'impact, nous sommes restés sur notre faim.
Selon la circulaire de M. le Premier ministre en date du 26 janvier 1998, dont M. Descours a publié des extraits dans son rapport, « le degré de détail et la finesse d'analyse de l'étude d'impact doivent être proportionnels à l'importance des mesures proposées et à leurs conséquences sur la société, l'économie et l'administration ».
Chacun conviendra que l'impact du projet de loi dont nous discutons aujourd'hui est considérable, d'abord, quant à ses conséquences financières prévisibles sur le budget tant de l'Etat que des collectivités locales ou de la sécurité sociale ou encore sur l'activité des organismes de protection complémentaire et, ensuite, par les bouleversements qu'il introduit dans les principes qui fondent notre protection sociale.
Or les éléments fournis au Parlement sont tout à fait insuffisants ; c'est un euphémisme ! Mme la ministre nous dira le contraire, mais pour nous le chiffrage du Gouvernement repose sur une arithmétique simple : le produit d'un nombre de bénéficiaires par un coût unitaire : 4 000 francs par 150 000 personnes pour la couverture de base sur le critère de résidence pour des personnes qui n'étaient pas couvertes par l'assurance personnelle ; 1 500 francs - le fameux panier de soins - par 6 millions de personnes pour la couverture complémentaire gratuite.
Or l'étude d'impact ne fournit aucune justification de ces hypothèses de base qui déterminent en fait tout l'équilibre du projet de loi.
On cherchera vainement, dans cette étude d'impact, les conséquences du projet sur l'économie et sur les administrations, qu'elles soient nationales ou locales.
J'ajoute qu'à ma grande surprise, alors que tout projet de loi, même anecdotique, prévoit un bilan, celui dont nous discutons aujourd'hui, dont l'impact est si considérable, mais également si incertain, en est dépourvu.
Aussi, la commission a-t-elle fortement insisté sur ce point, afin que le Parlement puisse exercer son droit de suivi et de contrôle sur un dispositif qui, s'il était maintenu tel qu'il nous parvient de l'Assemblée nationale, comporterait, à notre avis, de graves risques de dérive.
Je terminerai par un point qui vous paraîtra peut-être aussi paradoxal.
Le propre du seuil dit de pauvreté est de s'élever en fonction de la progression du niveau de vie global d'un pays. Son calcul pour un pays est en effet fonction du niveau de vie global et de la répartition des revenus d'un bout à l'autre de l'échelle. Or je crains que ce dispositif, par nature extensif, n'aboutisse en fait à une véritable aggravation de la rupture sociale - je pèse mes mots - en particulier avec le lien humain que représente la solidarité de proximité, laquelle sera systématiquement renvoyée au partenaire le plus anonyme : l'Etat.
A cela, nous voulons - c'est la position de la commission des affaires sociales ainsi que, sans doute, celle de la majorité du Sénat - opposer une vision certainement plus optimiste, plus positive, incitant les personnes qui sont en situation de précarité et que l'on ne peut effectivement pas laisser au bord du chemin à sortir de ce dispositif d'accueil et de protection plutôt que de s'y enfermer. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 60 minutes ;
Groupe socialiste : 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 8 minutes.
Dans le suite de la discussion générale, la parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantit à tous la protection de la santé. Si, depuis sa création, en 1945, la sécurité sociale s'est progressivement étendue à toutes les catégories de Français, on estime qu'aujourd'hui dans notre pays environ 150 000 personnes ne bénéficient d'aucune protection sociale et ne peuvent accéder aux soins. Dans son principe, la création d'une couverture maladie universelle est donc de nature à répondre au droit à la santé pour tous.
Représentant les Français établis hors de France, c'est sur ce principe du droit à la santé pour tous que je souhaite intervenir. Dans son discours d'ouverture à la cinquante et unième assemblée plénière du Conseil supérieur des Français de l'étranger, le 28 septembre 1998, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, déclarait à propos de la CMU « qu'il était apparu nécessaire de répondre également à la demande de protection sociale de nos compatriotes à l'étranger ». Il répondait ainsi au voeu numéro un du Conseil supérieur des Français de l'étranger, adopté à l'unanimité en septembre 1997, qui demandait une coordination de la future assurance maladie universelle avec le système d'assurance maladie des Français de l'étranger.
Les Français de l'étranger ont en effet droit à une protection sociale à titre volontaire depuis la loi Armengaud de 1965 pour le risque vieillesse, protection étendue ensuite à la maladie et aux accidents du travail. La CMU, telle qu'elle est définie dans le présent projet de loi, donne accès sous certaines conditions à l'affiliation au régime général sans contrepartie de cotisation aux résidents de la France métropolitaine et des départements et territoires d'outre-mer. De fait, et bien que la CMU soit dite « universelle », elle exclut dans sa version actuelle les Français de l'étranger.
Or, il est logique que les Français établis hors de France soient admis à ce même bénéfice, l'Etat leur ayant reconnu le droit à la sécurité sociale et ayant mis en place un organisme spécifique, la Caisse des Français de l'étranger, pour gérer ce système.
En effet, tout comme en France, certains de nos compatriotes à l'étranger ne peuvent, malheureusement, assumer le coût de la cotisation maladie.
L'engagement pris par le Premier ministre le 28 septembre 1998 trouve aujourd'hui son application avec la création de la CMU. Bien conscient que le système de protection sociale des Français de l'étranger est particulier, j'ai déposé, avec un certain nombre de mes collègues, un amendement à l'article 1er du projet de loi visant à poser le principe du bénéfice de cette mesure nouvelle aux Français de l'étranger, en suggérant d'en limiter l'accès à nos compatriotes bénéficiaires de l'aide sociale du ministère des affaires étrangères, soit 5 500 allocataires, essentiellement des personnes âgées et des adultes handicapés aux revenus très insuffisants, ne leur permettant pas de recevoir les soins dont elles ont besoin.
Ainsi, nous posons le principe de l'équité entre tous les Français, qu'ils résident en France ou à l'étranger, lorsqu'il s'agit d'un droit aussi fondamental que le droit à la santé.
Les Français de l'extérieur, pour lesquels l'Etat fait certes déjà beaucoup, mais qui sont encore trop peu nombreux à s'expatrier dans un contexte de mondialisation où le développement du commerce extérieur est nécessaire pour l'emploi, doivent être considérés comme des Français à part entière, apportant à leur pays une contribution importante.
C'est pourquoi nous vous demandons, madame le ministre, de ne pas les oublier et de répondre favorablement à leur attente s'agissant de la couverture maladie universelle. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, annoncé lorsque le Gouvernement présentait, voilà un an maintenant, son plan de lutte contre les exclusions, le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui est un volet essentiel de celui-ci. Sa gestation aura mis beaucoup de temps ; maintenant, il faudrait que sa mise en oeuvre soit rapide et effective.
Nombre d'associations impliquées depuis des années dans la lutte contre les exclusions ont su, malgré des différences d'approche et de pratique, faire cause commune pour promouvoir avec force la revendication d'une égale dignité pour tous, pour refuser la ghettoïsation des plus démunis. Egale dignité veut dire droits égaux et, parmi les plus fondamentaux de ceux-ci, figure le droit à la santé.
La période récente - et la longue marche qui fut nécessaire pour obtenir des lois contre les exclusions y est pour quelque chose - a mis en évidence que, malgré notre système de protection sociale, une partie croissante de la population renonçait aux soins.
En effet, au-delà des personnes privées d'emplois depuis longtemps, des jeunes n'ayant pas accès à l'emploi, sont aussi touchés les « salariés pauvres », victimes de la précarité dans le travail.
Madame la ministre, vous l'avez dit : le niveau de revenu conditionne largement le niveau d'accès aux soins.
Un Français sur quatre, mais 40 % des chômeurs déclarent avoir renoncé à des soins pour des raisons financières. Tout le monde le sait, les restrictions portent majoritairement sur les soins dentaires et les prothèses, mais aussi sur les consultations médicales et les examens, ainsi que sur l'achat de lunettes.
Si chômage et précarité sont les causes essentielles des difficultés d'accès aux soins comme aux autres droits, ce qui nous conduit à réaffirmer que la question de l'emploi est fondamentale, l'évolution de notre système de santé, soumis à une contrainte financière croissante, est aussi responsable de l'état sanitaire des Français.
Nous savons tous que les niveaux de couverture obligatoire n'ont eu de cesse de se réduire. Pour les soins ambulatoires, par exemple, 45 % des frais sont à la charge des patients.
Inévitablement, les faibles niveaux de remboursement, la charge croissante du ticket modérateur, la contrainte du forfait hospitalier, du secteur II, conduisent certaines personnes à différer, voire à renoncer définitivement aux soins.
La couverture obligatoire ne suffit plus, loin s'en faut, pour garantir un accès réel aux soins. Dans certains cas, l'absence de couverture complémentaire le rend impossible.
Là encore, les Français sont loin d'être égaux devant ce second étage de protection. Si 85 % sont protégés par une couverture maladie complémentaire, les catégories sociales les plus modestes y ont beaucoup plus difficilement accès.
Dans les foyers où le revenu par unité de consommation est inférieur à 2 000 francs, seules 51 % des personnes en bénéficient, alors que ce taux de couverture complémentaire est de 96 % pour les personnes dont ce même revenu est supérieur à 8 000 francs.
Le fait d'intégrer la couverture complémentaire de santé au droit à la santé et d'associer la mutualité à la solidarité nationale est une réelle avancée du dispositif de la CMU. Il procède d'une conception bien différente de celle du projet d'assurance maladie universelle de M. Barrot, en germe dans le plan Juppé de réforme de la sécurité sociale, dont l'unique objectif était de fondre en un seul régime a minima tous les régimes professionnels de salariés, y compris les régimes spéciaux.
Le choix de la couverture maladie universelle, un demi-siècle après la création de notre système de sécurité sociale, n'avait de sens que s'il permettait effectivement une extension du droit.
C'est ce que propose le texte voté par l'Assemblée nationale ; l'universalité du droit étant posé avec un effort particulier - la gratuité - pour les personnes les plus en difficulté.
Aujourd'hui, théoriquement, la quasi-totalité de la population a droit à l'assurance maladie.
Pour les personnes ne pouvant justifier d'une activité, l'assurance personnelle, dont le coût est prohibitif, prend le relais et assure en principe la même couverture. Un autre filet de protection est prévu pour les bénéficiaires du RMI, personnes disposant de faibles revenus : l'aide médicale financée par les départements.
Mais nous connaissons tous les limites de cette aide très inégalitaire et stigmatisante, sa logique d'assistance, l'organisation administrative lourde et les démarches humiliantes qu'elle impose.
De plus - cela a déjà été dit - 150 000 personnes sont totalement privées de couverture.
Par conséquent, avec la CMU, l'affiliation immédiate, automatique et continue, sur simple critère subsidiaire de résidence, relève bien de la simplification et de l'élargissement d'un droit à la couverture des risques. Les personnes qui seront intégrées au dispositif commun sont au nombre de 700 000.
Je reviendrai, lors de l'examen de l'article 3, sur ce critère de résidence stable et régulière et sur la part de l'aide médicale d'Etat en faveur des personnes en situation irrégulière. Nous avons dit, à l'Assemblée nationale, que c'était irréaliste et inefficace en termes de santé publique. Je continue de le penser.
A cette extension de la couverture de base, le projet adjoint le droit à une couverture complémentaire gratuite pour les plus démunis couvrant intégralement les dépenses de soins : 6 millions de personnes sont concernées, soit 10 % de la population, ce qui constitue la majeure partie de ceux qui, à l'heure actuelle, n'ont pas de couverture complémentaire.
L'ampleur du phénomène montre où on en est réellement de la protection sociale.
J'y vois un appel à trouver des réponses durables, notamment à accroître les ressources de la sécurité sociale pour lui permettre de répondre aux besoins de santé de l'ensemble de la population, ce qui pose évidemment la question du financement.
Quand j'entends la majorité sénatoriale, qui craint comme la peste que la CMU n'augmente les dépenses de la sécurité sociale, déplorer que le Gouvernement instaure une protection sociale à deux vitesses en faveur des plus pauvres ou encore quand j'entends, comme tout à l'heure, M. Oudin s'insurger au motif que, comme cela s'est produit pour le RMI, on risque de dépenser plus que prévu, je me dis que les positions de classe ont encore de beaux jours devant elles ! (Protestations sur les travées du R.P.R. et des Républicains et Indépendants.)
Pour ma part, je considère que la CMU doit tirer vers le haut le niveau de protection sociale obligatoire.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Nicole Borvo. C'est une des raisons pour lesquelles le contre-projet de la commission ne peut me convenir.
De même, le plan d'économie tel qu'il est annoncé par le président de la CNAM ne peut, lui non plus, nous convenir. Réduire les soins soumis à remboursement, faire supporter encore plus de contraintes au secteur public hospitalier, ce n'est pas source d'égalité, bien au contraire !
Et ne criez pas au trou de la sécurité sociale ! Il a été ramené à 0,4 % des dépenses par les contraintes qui pèsent sur les soins, et, comme on peut le constater, c'est le public qui subit les restrictions les plus drastiques.
Les débats se sont cristallisés à l'Assemblée nationale sur le volet « couverture complémentaire » ; il en sera de même ici, je n'en doute pas.
Nous avons tous en mémoire les trois scénarios que M. Boulard proposait d'explorer : le premier, la couverture décentralisée encadrée ; le deuxième, la couverture centralisée et le troisième, la couverture partenariale.
La solution finalement retenue, à savoir l'option généralisée, qui associe CPAM et organismes complémentaires, est, à mon sens, un bon compromis, qui permettra de maintenir le plus grand nombre des victimes d'accidents de la vie dans le droit commun et d'apporter aux personnes les plus désocialisées une prise en charge et une réponse adéquate.
Je ne vous cacherai pas que nous sommes assez réticents, pour ne pas dire plus, de voir les assureurs entrer dans le système. Le fait qu'ils y soient eux-mêmes favorables n'est pas pour nous rassurer. Je ne crois évidemment pas à leur soudaine volonté d'assumer leur mission auprès des plus démunis.
Si les assurances n'ont pas attendu la CMU pour s'intéresser à la santé, il est assez probable qu'elles acceptent de prendre le « risque » CMU pour y être encore plus introduites.
Or, de ce point de vue, nous connaissons déjà les évolutions en cours.
Conçus dans l'optique du plan Juppé, les filières et réseaux de soins sont une pièce maîtresse du dispositif destiné à comprimer les dépenses remboursables et, parallèlement, à faire de la santé un marché lucratif, en marge de la sécurité sociale.
Les compagnies d'assurance, les AGF ou AXA par exemple, multiplient leurs démarches auprès des professionnels de santé : dentistes, opticiens, etc. Elles proposent des examens non remboursés, en orientant leurs adhérents vers des spécialistes de leurs réseaux qui, préalablement, ont contracté avec elles.
Petit à petit, elles parviennent à capter une plus large frange de la population, en mettant en oeuvre des critères de sélection stricts et des tarifs promotionnels attractifs, gagnant de la place sur le terrain de la santé.
Nous avons pris acte du fait que le scénario choisi garantissait à la sécurité sociale le monopole du remboursement au premier franc. Mais, inquiets de l'immixtion possible des assureurs et des organismes de prévoyance dans notre système de protection sociale, nous avons eu à coeur de renforcer le texte, pour éviter toute confusion des genres et ne pas avoir à légitimer, demain, leur participation à la cogestion de l'assurance maladie. L'actualité nous a malheureusement donné raison. Je fais référence ici, bien sûr, au protocole d'accord signé par la CNAM, la Mutualité française, la Fédération des assureurs et les instituts de prévoyance. Avant même que le débat ne s'ouvre à l'Assemblée nationale, et alors que la CNAM approuvait la CMU, tous s'entendaient pour pervertir la loi.
Sous couvert de pacte de non-agression et de délimitation des champs respectifs de compétences, l'accord prévoit que les caisses n'affilieront les ayants droit à la CMU qu'« en cas de carence constatée des organismes complémentaires ».
De surcroît, décidés à mener ensemble la réorganisation du système de soins, ils ont adopté le principe, pour les bénéficiaires de la CMU comme pour l'ensemble des assurés sociaux, d'un « panier de biens et services médicaux régulièrement révisables » pris en charge par la sécurité sociale, alors que cette prérogative appartient à l'Etat.
Nous attendons du Gouvernement, qui a manifesté sa préoccupation à propos de cet accord, qu'il demeure vigilant. Vous le savez, nous sommes très hostiles à la maîtrise par trop comptable des dépenses de santé, et donc aux mesures annoncées par la CNAM.
Le contre-projet élaboré par la commission des affaires sociales, qui propose de limiter la couverture complémentaire de référence à un panier de biens et services défini par les acteurs, les « partenaires » en charge de la complémentaire - mutuelles et assurances, organismes de prévoyance - s'inscrit dans la même démarche. Nous rejetons cette proposition, car elle revient à donner aux assurances et organismes de prévoyance les moyens d'investir d'autres champs de compétence et de contrôler, à terme, les choix de la couverture de base obligatoire.
C'est pour ces raisons que nous sommes hostiles à l'entrée des organismes complémentaires dans la gestion du fonds CMU, ce que l'Assemblée nationale a admis. J'espère que, au Sénat, ce point restera acquis.
A l'Assemblée nationale, les parlementaires communistes ont amendé le texte, sur le volet complémentaire, pour élever un certain nombre de barrières face aux pratiques de sélection, au caractère concurrentiel des techniques assurantielles.
Nous avons souhaité garantir à tous les bénéficiaires de la CMU une véritable liberté de choix entre les caisses primaires gérant pour le compte de l'Etat et les organismes complémentaires. En ce sens, je me félicite de l'adoption d'amendements tendant respectivement à prévoir un formulaire identique de bulletin d'adhésion, à préciser que l'adhésion à un organisme complémentaire ne pourra être subordonnée à aucune condition, à étendre les motifs de retrait de la liste des organismes complémentaires participant à la CMU.
Quelques bémols, toutefois : en cas de litige entre le bénéficiaire de la CMU et son organisme complémentaire, aucune voie de recours, hormis celle qui, onéreuse, est de droit commun, n'a été envisagée.
De plus, je déplore que les garanties offertes à la sortie du dispositif, le maintien des droits à tarif préférentiel durant un an, concernent uniquement ceux qui, dès le départ, ont fait le choix d'un organisme complémentaire de droit commun. Manifestement, cette disposition entrave la liberté de choix.
S'agissant, ensuite, de la prise en charge, nous avons souhaité renforcer et garantir l'immédiateté de l'ouverture des droits sans distinction.
Ainsi, lorsque la situation du demandeur l'exige, dès le dépôt de la demande de couverture complémentaire, les droits seront reconnus.
En l'absence de notification de la demande dans un délai que nous aurions voulu voir fixé par la loi à huit jours mais qui sera fixé par décret, une décision implicite d'acceptation de la complémentaire CPAM intervient. Parallèlement, pour la personne qui a fait le choix d'une complémentaire de droit commun, le contrat prend effet à la date de la décision administrative.
C'est à dessein que je viens d'énumérer ces dispositions du texte qui, comme le souhaitent notamment l'ensemble des associations, permettent, au plus près des besoins de la population concernée, d'éviter des démarches d'affiliation complexes en facilitant l'accès à la complémentaire tout en protégeant les plus démunis, les personnes les moins armées contre les dérives commerciales. Avec le système d'allocation personnalisée santé proposé par la majorité sénatoriale, tous ces « petits plus » sautent, les CPAM perdant même leur rôle central.
J'ai gardé pour la fin la question du seuil et de l'effet de seuil, qui pose effectivement un problème. Nous maintenons notre proposition tendant à relever le seuil de 3 500 francs au niveau du seuil de pauvreté tel qu'il est défini par les organismes internationaux. Nous ne tenons pas à faire de la surenchère, mais nous considérons que le niveau retenu - inférieur à certains minima sociaux tels que le minimum vieillesse et l'allocation aux adultes handicapés - est extrêmement pénalisante.
Au-delà du relèvement justifié de ce seuil, nous proposons, pour en pallier les effets et surmonter l'obstacle financier de l'acquittement de cotisations complémentaires pour les personnes gagnant le SMIC, que soient établis des tarifs préférentiels.
Lors de la discussion à l'Assemblée nationale, un premier pas a été fait. Le principe d'un fonds d'aide à la mutualisation a été retenu, mais nous avons encore peu de précisions sur cette structure, son financement et ses capacités d'intervention.
Sur ce que j'appellerai une lacune du texte, je souhaite que la discussion au Sénat permette d'avancer. Cela enlèverait aux détracteurs de votre projet, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, un sérieux argument.
Sur le financement du dispositif, à l'Assemblée nationale, les questions n'ont pas manqué. Je suis persuadée qu'il en sera de même ici, eu égard à la composition de notre assemblée.
L'examen de l'article 13, qui règle la question des transferts financiers des départements vers l'Etat pour abonder le fonds pour la complémentaire, pourrait être l'occasion de discuter de mécanismes plus équitables pour les départements et, éventuellement, de résoudre le problème du devenir des contingents communaux ; il s'agit peut-être là d'une question annexe au débat, puisqu'elle est relative à la décentralisation, mais elle mérite d'être abordée.
De plus, comme vous l'avez indiqué, les collectivités locales devront continuer à intervenir, comme elles le font aujourd'hui, pour compenser les effets de seuil.
Nous pensons que le projet gouvernemental aurait pu être plus ambitieux, plus audacieux quant aux partenaires sollicités pour financier le système. Je pense évidemment aux entreprises, qui doivent aussi participer à l'effort de solidarité. Dans ce sens, nous continuerons à défendre avec force qu'il convient de s'attaquer aux maux, à leurs racines, au chômage.
De nouveaux moyens de financement de notre protection sociale ne pourront être dégagés si nous faisons l'économie d'une réforme de fond.
Il est en effet quelque peu contradictoire de vouloir élargir l'accès aux soins des plus démunis sans envisager un instant d'impulser une dynamique pour augmenter le niveau de prise en charge par la sécurité sociale ni de revoir l'offre de soins de proximité à partir des besoins de la population.
A l'inverse, nous entendons prendre appui sur ce texte pour tirer la protection sociale vers le haut, la renforcer pour l'ensemble des assurés sociaux, notamment en améliorant les niveaux de remboursement de la sécurité sociale, en généralisant la possibilité du tiers payant, et aussi pour responsabiliser les fabricants ou prestataires de biens et services médicaux ; vous vous êtes d'ailleurs engagée, madame la ministre, à aller dans ce sens.
Je conclus en regrettant que le Gouvernement ait adjoint à ce projet, facteur de progrès, un titre IV et qu'il ait accepté, ensuite, la kyrielle d'amendement du rapporteur de l'Assemblée nationale.
Dans ce DMOS qui ne dit pas son nom, de nombreuses mesures techniques, dont l'urgence et le rapport avec l'objet de la CMU m'échappent, côtoient des dispositions plus importantes, ayant des incidences sur les libertés individuelles ou sur la situation de professionnels de santé. Comme d'autres orateurs l'ont dit, les débats auraient dû être dissociés.
Compte tenu des conclusions de la commission des affaires sociales, les débats que nous allons avoir durant ces trois jours risquent de changer complètement l'économie générale du texte.
Pour ce qui nous concerne, nous partageons pleinement les objectifs affirmés par le Gouvernement dans le texte qu'il nous soumet. Nous ferons valoir le bien-fondé de nos propositions d'amélioration dans le prolongement de ce qu'ont fait nos collègues à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, garantir à tous la protection de la santé, tel est le rôle assigné à la nation par notre Constitution. Le projet de loi tendant à créer une couverture maladie universelle, dont nous débattons aujourd'hui, doit nous permettre d'assumer cette responsabilité à l'égard des plus vulnérables de nos concitoyens qui, pour des raisons financières, doivent renoncer à ce droit essentiel qu'est la santé.
Plus de cinquante ans après cette proclamation solennelle, les constats que dressent les acteurs de la vie sociale et les chercheurs sont, en effet, édifiants : les inégalités entre catégories socioprofessionnelles en matière d'espérance de vie perdurent, alors même que l'incidence des conditions de travail ont, à cet égard, moins de poids qu'auparavant.
Au seuil du xxie siècle, alors que la médecine atteint un degré de technicité assez fantastique, le progrès du niveau de vie apparaît plus déterminant que le progrès médical pour améliorer la santé.
Cette réalité apparaît avec d'autant plus d'acuité que la montée du chômage et de la précarité ainsi que l'entrée tardive des jeunes sur le marché du travail ont mis en évidence les limites d'un système de protection sociale fondé exclusivement sur l'exercice d'une activité professionnelle.
L'assurance maladie a procédé, dans le même temps, à des diminutions significatives des remboursements. Avec un taux moyen de 74 %, notre pays se place derrière certains partenaires européens où les régimes de base couvrent plus de 90 % des dépenses engagées.
Cette évolution change profondément la nature même de la couverture complémentaire qui, pour certaines personnes, est devenue le chaînon indispensable, conditionnant toute démarche de soins. Alors que 90 % des actifs bénéficient d'une telle couverture, cette proportion tombe à 66 % pour les personnes qui accomplissent des missions d'intérim et à 62 % pour les chômeurs.
Les manifestations concrètes de ces mutations sont multiples et ne se lisent pas seulement dans la résurgence de certaines pathologies que l'on croyait révolues comme le saturnisme ou la tuberculose.
L'accueil de salariés modestes dans les antennes de Médecins sans frontières ou de Médecins du monde s'accroît sans cesse.
La santé dentaire des enfants est également un indicateur utile : ainsi, en Seine-Saint-Denis, en 1994, sur moins de 20 % des enfants de six ans se concentraient 90 % des caries.
En 1991, la délégation interministérielle au RMI faisait état de taux inquiétants de cas d'inaptitude professionnelle pour raison de santé chez les bénéficiaires du RMI. Ces difficultés sont autant d'obstacles à une réinsertion professionnelle et sociale.
Des dispositifs tels que l'assurance personnelle ont été mis en place pour les pouvoirs publics en 1978. La protection sociale attachée au RMI a été complétée en 1992, afin d'assurer une prise en charge à 100 %.
Cependant, ces systèmes atteignent désormais leurs limites, tant sur le plan pratique que sur le plan éthique.
La décentralisation, avec le transfert de l'action sociale vers les départements, a entraîné des interventions en matière d'aide médicale par essence différenciées. Certains départements s'en tiennent à leurs obligations légales en n'assurant que la prise en charge des personnes dont les ressources sont équivalentes au RMI. D'autres ont fait le choix de se référer à des barèmes supérieurs, la moyenne nationale se situant à 20 % au-dessus du RMI.
Ces inégalités dans le domaine de l'accès à la prévention et aux soins sont intolérables et injustifiables au regard d'un droit aussi essentiel que le droit à la santé.
C'est pourquoi l'architecture que définit le projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, pose le principe d'un droit universel à l'assurance maladie pour toute personne résidant régulièrement et de façon stable en France, grâce à l'affiliation au régime général.
La couverture maladie universelle constitue un volet essentiel du programme de lutte contre les exclusions sur lequel s'est engagée la majorité de gauche issue des élections de 1997.
Je reviendrai sur les deux grands axes qui font la singularité de ce projet.
Tirant les enseignements des obstacles à l'accès aux soins qu'engendre l'absence ou l'insuffisance d'une couverture complémentaire, le Gouvernement a opté pour un dispositif qui prévoit une garantie complète - couverture de base et couverture complémentaire - à la différence des conclusions auxquelles avaient conduit les réflexions menées à la demande de MM. Juppé et Barrot.
Cette organisation doit reposer sur l'étroite implication du monde de la protection complémentaire, qui sera appelé à jouer un rôle essentiel dans ce dispositif, d'une part, en accueillant des bénéficiaires de la CMU, et ce sans discrimination, d'autre part, en cofinançant, via une taxe sur le chiffre d'affaires « santé » des organismes en question, le fonds de financement de la protection complémentaire à hauteur de 20 %, selon les estimations.
Dans les faits, cet engagement de la collectivité permettra d'intervenir auprès de 6 millions de nos concitoyens, soit près de 10 % de la population, alors que les différents mécanismes actuellement en vigueur touchent environ 2 millions et demi de personnes.
La détermination du seuil d'intervention fixé à 3 500 francs de ressources mensuelles est au coeur des discussions. Faut-il le relever à 3 800 francs, ainsi que l'ont souhaité certains de nos collègues ? Faut-il s'inscrire dans une autre logique en créant une allocation personnalisée, comme le propose la commission des affaires sociales ?
Ainsi que vous l'avez rappelé, madame la ministre, le nouveau plafond de ressources en deçà duquel sont prises en charge les couvertures de base et complémentaire élargit considérablement le nombre de bénéficiaires, qui est presque multiplié par trois.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit des mécanismes destinés à amortir les différences de traitement liées au franchissement de ce seuil. Je les évoquerai brièvement.
Il s'agit du nouveau mode de calcul des cotisations que verseront les personnes qui, jusqu'ici, étaient affiliées au régime d'assurance personnelle : le texte prévoit que ces cotisations seront proportionnelles aux revenus.
Quant à l'ouverture du droit à la CMU, elle est reconnue pour un an même en cas d'évolution favorable des ressources du bénéficiaire.
Les conditions de sortie du dispositif, pour ce qui concerne la couverture complémentaire, sont, elles, aménagées, puisqu'il est demandé aux mutuelles et aux compagnies d'assurances d'accorder des tarifs préférentiels à leurs sociétaires.
Enfin, madame la ministre, vous avez à plusieurs reprises insisté sur le nouveau rôle qu'auront à jouer les fonds sociaux des différents partenaires que sont les CPAM, les départements, les communes ainsi que les organismes complémentaires. Notre collègue, M. Jean-Claude Boulard, qui fut missionné pour engager les discussions avec ces derniers, a déposé un amendement afin de faciliter l'adhésion à une couverture complémentaire des personnes dont les ressources se situent légèrement au-dessus de ce seuil.
Le financement de ce nouveau dispositif repose sur l'ensemble des intervenants qui, jusqu'à présent, participaient à la prise en charge des cotisations et des dépenses engagées par les bénéficiaires de l'aide médicale. Il suppose notamment des transferts financiers qui accompagnent le transfert de compétence qu'opère le projet de loi. Je laisserai à mes collègues MM. Gilbert Chabroux et Bernard Cazeau le soin de revenir sur les modalités selon lesquelles s'effectueront ces opérations. En effet, si cette nouvelle organisation a suscité un consensus de la part des collectivités territoriales, certaines interrogations demeurent et nous souhaiterions profiter de ce débat pour les exprimer.
J'en viens maintenant au deuxième axe important de ce projet de loi. La CMU est avant tout un dispositif qui se positionne dans le droit commun, l'affiliation automatique et immédiate au régime de base se faisant auprès des CPAM.
Le droit d'option est reconnu entre une protection complémentaire servie par la CPAM pour le compte de l'Etat ou par une mutuelle, une assurance ou une institution de prévoyance.
Sont envisagés dans le texte des mécanismes qui favorisent l'adhésion aux organismes complémentaires. Cependant, en proposant aux bénéficiaires de la CMU de s'adresser à un interlocuteur unique, la CPAM, le Gouvernement a choisi de privilégier l'efficacité afin de tenir compte de l'extrême diversité des situations que connaissent les bénéficiaires de la CMU, qui vont de la personne la plus marginalisée au salarié payé au SMIC, du bénéficiaire du RMI à l'artisan, du jeune en rupture familiale au conjoint d'un assuré social qui souhaite pouvoir disposer d'une certaine autonomie.
L'opportunité et la légitimité de solliciter le paiement d'une cotisation d'adhésion font aussi débat.
On invoque la nécessaire responsabilisation des futurs assurés. Un responsable du mouvement mutualiste s'interroge même sur la remise en question de la nature de la couverture complémentaire dès lors qu'elle n'est plus facultative. Le rapporteur de la commission des affaires sociale proposer d'instaurer une telle cotisation.
Au-delà de considérations pratiques sur les difficultés de recouvrement d'une telle cotisation et l'absence de sanction en cas de non-paiement, je ferai deux remarques. D'une part, le caractère facultatif de la couverture complémentaire est aujourd'hui très relatif quand on sait qu'elle conditionne le recours aux soins. D'autre part, la « responsabilisation » est un concept que l'on doit toujours manier avec prudence, car il semble induire - et vos propos, monsieur le ministre, étaient à cet égard sans ambiguïté - que les futurs bénéficiaires de la CMU, en usant d'un droit légitime enfin garanti, vont en abuser. J'ai pu entendre çà et là de telles mises en garde que je trouve choquantes.
Je m'interroge également sur les vertus que l'on prête au paiement d'une cotisation qui rendrait l'assuré social plus conscient des enjeux de l'assurance maladie et l'immuniserait contre tout recours « exagéré », dirons-nous, à certaines prestations.
D'ailleurs, l'expérience des départements qui ont mis en place la carte santé ainsi que l'étude du CREDES, le centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé, démontrent que de tels mécanismes n'entraînent pas de surconsommation.
En intégrant la CMU dans un régime de droit commun, vous avez souhaité, madame la ministre, éviter l'écueil d'une médecine à deux vitesses.
L'accès des bénéficiaires de la CMU à l'ensemble des professionnels de santé de leur choix sera facilité. Le tiers payant rendra encore sans doute plus aisé cet accès.
Le projet de loi organise parallèlement des mécanismes d'encadrement des tarifs donnant lieu à des dépassements dès lors que les praticiens - médecins, chirurgiens-dentistes - accueilleront des bénéficiaires de la CMU.
Une démarche identique est envisagée pour les producteurs des dispositifs médicaux : des accords devront intervenir avec l'assurance maladie et les organismes complémentaires et des arrêtés interviendraient en cas de carence du système conventionnel.
Je relève, monsieur le rapporteur, que si vous n'êtes pas hostile à l'encadrement des prix pour limiter les dérapages, vous vous élevez cependant contre l'intervention du législateur dans ce domaine.
Je souhaite enfin souligner en quoi certaines dispositions de ce projet de loi encouragent ou étendent des démarches novatrices qui devraient inspirer nos futures initiatives en matière de politique de santé.
Je pense, par exemple, au mécanisme de dispense d'avance de frais que le projet de loi généralise à l'égard des bénéficiaires de la CMU et que nos collègues de l'Assemblée nationale ont étendu à l'ensemble des patients qui auront choisi un médecin référant, quels que soient leurs revenus.
Les sénateurs socialistes estiment qu'une généralisation du tiers payant serait un instrument intéressant de prévention dans la politique de santé publique et un élément de lissage des fameux effets de seuil.
La politique conventionnelle conduite avec les professionnels de santé afin de limiter les dépassements d'honoraires ou les accords encadrant les tarifs des dispositifs médicaux qui existent déjà dans certains départements, constituent, selon nous, une petite révolution pour un sujet encore considéré comme tabou. Souhaitons que les progrès accomplis à la faveur de la mise en oeuvre de ces mesures puissent susciter une prise de conscience de l'ensemble des usagers.
Ce projet de loi réaffirme à deux reprises le principe fort de la non-sélection des assurés. Ainsi, un organisme complémentaire n'aura pas le droit de refuser d'accueillir un bénéficiaire de la CMU. De même, nos collègues de l'Assemblée nationale ont introduit une disposition fondamentale tendant à interdire tout test génétique avant la conclusion d'un contrat.
Madame la ministre, mes chers collègues, la création de la couverture maladie universelle, à laquelle souscrivent pleinement les sénateurs socialistes, doit permettre de lever les obstacles financiers qui privent trop de nos concitoyens de prévention et de soins. Or ces privations représentent la pire des inégalités, car elles touchent à l'avenir et à la vie même.
Pour certaines personnes, les plus vulnérables, la démarche de soins demeure difficile lorsque le mal-être s'est installé depuis tant d'années, difficile lorsque la maladie est niée et non dite, difficile lorsque le recours aux urgences hospitalières représente la seule réponse.
Même si le projet de loi n'a pas pour ambition première de régler ces problèmes, nous nous félicitons que les associations et les services sociaux tels que les centres communaux d'action sociale soient associés à la mise en oeuvre de ce dispositif. Ils sont en effet des acteurs au quotidien qui permettent de renouer des liens avec les plus marginalisés de nos concitoyens.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous allons poursuivre ce débat durant trois jours. La logique retenue par la commission des affaires sociales instaurant une allocation personnalisée à la santé peut paraître séduisante, mais elle présente, selon nous, certaines failles.
Tout d'abord, elle prive un grand nombre de nos concitoyens d'un remboursement maximum et, pour certains, elle représenterait un recul. En effet, les départements garantissaient en moyenne une prise en charge de la couverture et du ticket modérateur à un niveau plus élevé que le RMI, entre 20 % et 25 %.
Ensuite, elle dessaisit l'Etat et les pouvoirs publics de toute responsabilité dans ce dispositif de solidarité à travers une animation du système fondée sur des accords entre la sécurité sociale et les partenaires de la couverture complémentaire.
Enfin, tout en dénonçant le positionnement des CPAM dans le volet complémentaire, la commission des affaires sociales propose de leur confier la gestion de la couverture complémentaire des seuls bénéficiaires du RMI, en en faisant finalement une catégorie à part.
C'est pourquoi les sénateurs socialistes soutiendront le dispositif tel qu'il résulte des débats de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est en notre âme et conscience que nous nous sommes interrogés sur les voies et moyens retenus par ce projet de loi. Il affiche des ambitions, certes généreuses, mais qui risquent, malheureusement, de se révéler très vite décevantes.
La réforme structurelle qui avait été envisagée par le gouvernement de M. Juppé avait pour but de conforter l'institution de la sécurité sociale en distinguant contractuellement le rôle des pouvoirs publics et des caisses, d'améliorer le remboursement, de rendre le système de soins plus efficient et d'offrir à tous des conditions équivalentes d'accès aux soins. L'assurance maladie universelle, que prévoyait la réforme de 1996, tendait aussi à l'harmonisation des régimes.
Cette même réforme prévoyait la création d'une assurance maladie vraiment universelle, puisque tous les Français et résidents réguliers y auraient été affiliés et auraient été couverts dans les mêmes conditions par leur régime obligatoire de base.
Vous avez choisi d'engager l'assurance maladie et toute la protection sociale sur une autre voie en abandonnant les réformes de structures dont la sécurité sociale avait tant besoin. Mais toute la question est finalement de savoir si la voie que vous avez choisie est possible dans un contexte où la préoccupation dominante porte sur les dépenses de santé que le pays, dit-on, ne pourra bientôt plus supporter.
Comment ne pas s'inquiéter de la dérive des comptes du régime général ? Pour le premier trimestre de cette année, en effet, les dépenses d'assurance maladie ont progressé de 3,8 % par rapport au premier trimestre de l'année précédente et de 3,2 % en un an et, loin de revenir à l'équilibre prévu, l'assurance maladie va connaître, cette année, un déficit important évalué tout récemment par la commission des comptes de la sécurité sociale à 12,3 milliards de francs, alors que le déficit enregistré l'an dernier se monte à 16,2 milliards de francs.
Vous allez nous répondre, madame la ministre, que, pour 1999, le déficit de la branche maladie est atténué par les excédents des autres branches. La guerre des chiffres n'est peut-être pas le plus important, mais comment pouvez-vous nous faire croire que la branche vieillesse va être excédentaire à la fin de l'année ? Comment pouvez-vous nous faire croire que le déficit de la branche maladie sera moindre que celui de 1998 ? La croissance ne peut pas tout à elle toute seule ! D'autant plus que les emplois-jeunes, les 35 heures et la CMU ne feront qu'aggraver la situation, nous en sommes convaincus.
Les prévisions du mois de mai dernier de la commission des comptes de la sécurité sociale paraissent irréalistes, mais nous en reparlerons vraisemblablement.
Avec mes collègues de la majorité sénatoriale, - je ne peux qu'observer que, depuis deux ans, le Gouvernement n'a pas su, pas plus que les autres en tout cas, mettre en place un système de régulation structurelle des dépenses de santé.
Permettez-nous de nous interroger, madame la ministre, sur les chiffres sur lesquels se fonde votre projet de loi, puisque le montant du financement prévu pour la CMU est de 9 milliards de francs. C'est en multipliant le coût du panier de soins, estimé à 1 500 francs, par 6 millions après avoir retenu le chiffre de 6 millions de personnes couvertes par la CMU, que le Gouvernement parvient à un total de 9 milliards de francs.
Ces chiffres nous paraissent sous-estimés. A cette occasion, je me dois de rappeler que, devant la commission des affaires sociales, tous les représentants de la mutualité ont exprimé la crainte que ce chiffre ne se révèle insuffisant.
Comment donc ne pas s'inquiéter d'une nouvelle aggravation, par ce projet de loi, de la détérioration des comptes de la sécurité sociale, d'autant plus que le bilan, après onze mois d'application de la première loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures, est limité pour l'emploi et que les conséquences sont, en revanche, extrêmement lourdes pour les finances publiques ?
Si le Gouvernement a l'intention, pour compenser une partie importante du surcoût de l'application des 35 heures et de l'augmentation du SMIC, de créer de nouveaux impôts pour les entreprises - l'écotaxe et une nouvelle cotisation sur les bénéfices des grandes entreprises - il a le projet de demander également une contribution à l'UNEDIC et à la sécurité sociale.
L'assurance maladie est donc lourdement menacée par la sous-évaluation financière du coût de la CMU, dans un contexte de déséquilibre structurel et tendanciel des comptes et de suppression du versement de cotisations par les collectivités.
De plus, ce projet de loi crée une confusion des rôles entre le régime obligatoire et les opérateurs complémentaires. La compétence confiée aux caisses primaires d'assurance maladie pour gérer la couverture complémentaire soulève un certain nombre de problèmes. Une institution publique de sécurité sociale va ainsi faire irruption dans le domaine marchand de la couverture complémentaire. Quel intérêt réel y a-t-il, par référence au régime général, à faire gérer la couverture complémentaire par l'organisme chargé de la couverture de base, même si celui-ci est délégataire ?
Des distorsions de concurrence vont apparaître entre la sécurité sociale et les prestataires complémentaires, dont les conditions de fonctionnement relèvent d'une tout autre logique et qui sont notamment soumis à un régime fiscal différent, déjà problématique au regard des directives européennes.
Ce projet de loi est également porteur de nombreuses injustices. Nous y revenons ; mais pourquoi pas ? L'effet de seuil prévu à l'article 3 est la plus flagrante rupture de l'égalité entre citoyens. Jusqu'au seuil, il n'est pas nécessaire de cotiser pour disposer de soins et de dispositifs de santé totalement gratuits. En revanche, dès le seuil franchi, au franc près, il faut payer les cotisations au régime obligatoire, l'adhésion à un régime complémentaire, le ticket modérateur, les suppléments au-delà des tarifs conventionnels. Les familles modestes et moyennes seront ainsi les plus lésées.
L'effet de seuil sera particulièrement difficile à supporter pour certains régimes dans la mesure où, pour quelques francs supplémentaires, un ménage disposant de 62 000 francs de ressources annuelles pourra passer d'une cotisation nulle à une cotisation s'élevant de 8 000 à 10 000 francs par an. Cela sera sans doute ressenti comme une forte injustice.
En outre, le projet de loi gommant la différence de taux de prise en charge entre le régime général et, notamment, celui de la Caisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés de professions non agricoles, la couverture maladie complémentaire d'un travailleur indépendant risque de coûter plus cher que celle d'un salarié. Les organismes complémentaires pourraient donc être amenés à augmenter les cotisations des travailleurs indépendants non éligibles à la CMU.
Il semble que, si les modalités de fonctionnement qui ont été retenues pour la CMU sont adaptées au régime général, elles n'ont pas pris assez en compte les spécificités des autres régimes.
Ce sont les raisons pour lesquelles mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même, ainsi que les membres de la majorité sénatoriale tout entière, nous ne pouvons qu'être en désaccord avec le fond de ce projet de loi.
Si les objectifs sont essentiels, il faut, pour les atteindre, une démarche solide et sérieuse.
Nous approuvons les propositions de la commission des affaires sociales, qui devraient permettre d'assurer une meilleure égalité de tous dans l'accès aux soins en accordant une aide personnalisée proportionnelle au revenu pour les Français modestes, aujourd'hui enclins à renoncer à une assurance complémentaire en raison de trop faibles revenus, particulièrement pour ceux qui se trouvent juste au-dessus du seuil envisagé.
Comment ne pas critiquer les effets de seuil et ne pas regretter le sentiment d'abandon qu'éprouveront les ménages modestes qui ne bénéficieront pas de mesures réservées aux plus défavorisés ?
Le renoncement aux soins est accentué dans les départements d'outre-mer, compte tenu d'un coût des médicaments supérieur de 30 % à celui qui est constaté en métropole. Dans ces départements, on dénombre quelque 100 000 RMIstes et environ 200 000 sans-emploi. Les dispositions prévues par le projet de loi nous semblent peu adaptées.
J'aimerais enfin souligner, s'agissant des Français de l'étranger, le cas particulier de ceux que l'on appelle les recrutés locaux, qui rentrent en France dans des conditions précaires. Je crois qu'ils méritent de retenir notre attention.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même approuvons également la proposition de la commission faisant obligation au Gouvernement de présenter, chaque année, un bilan d'application de la loi lors de l'examen par le Parlement du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les comptes de la CMU seront ainsi identifiés, tant en recettes qu'en dépenses, dans les comptes de l'assurance maladie et on pourra mesurer précisément et corriger les dérapages du dispositif.
Nous adopterons donc le texte modifié par le Sénat, corrigé dans ses effets pervers par la commission des affaires sociales afin de rendre cette réforme plus juste et d'éviter d'affaiblir encore notre assurance maladie.
C'est une démarche responsable que la majorité sénatoriale a choisie. C'est également celle qui avait été retenue auparavant, à travers les ordonnances de 1995 et de 1996, et qui était guidée par l'objectif d'assurer la pérennité de notre sécurité sociale par la maîtrise des dépenses et le rétablissement de l'équilibre des comptes.
Notre démarche doit se projeter dans l'avenir. Nous avons choisi la personnalisation de l'action sociale.
En luttant contre l'exclusion, on crée de nouvelles exclusions : celle des « petites gens » insérées, nouvelle cible des inégalités. Nos départements vont-ils créer de nouveaux fonds sociaux après la disparition du contingent d'aide sociale ? La stigmatisation induite des classes moyennes, des retraités modestes aggrave la fracture sociale.
Une orthopédie politique ne peut répondre à l'aspiration des Français. Il serait temps d'imaginer une véritable maîtrise médicalisée des dépenses de santé mais avec une éducation aux soins. Les obstacles culturels à la prévention, à la santé sont levés non par l'assistance ou par la gratuité, mais par la pédagogie et la responsabilité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur plusieurs travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la santé est, sans conteste, le bien le plus précieux de l'homme. Corrélativement, le droit à la santé est l'un de ses droits les plus fondamentaux.
Que 150 000 de nos compatriotes en soient totalement privés est proprement inacceptable, et c'est d'ailleurs ce qui avait conduit le précédent gouvernement à travailler à la définition d'une assurance maladie ouverte à tous.
A ces exclus de toute couverture maladie s'ajoutent 2 millions de personnes qui ne disposent pas de couverture complémentaire.
Aussi, le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, est louable dans ses intentions. Mais je le crois néfaste dans ses modalités et dans ses conséquences.
Dès lors que l'on compare ce texte avec les différents scénarios avancés par le rapport du député M. Jean-Claude Boulard, comme avec les documents en circulation aux fins de concertation dans les premiers mois de l'année dernière, l'évolution est frappante : le volet « complémentaire » du projet a changé complètement de nature.
Gratuité totale de la couverture, gestion par les caisses primaires d'assurance maladie, caractère obligatoire de la contribution des organismes de couverture complémentaire, importance de la population concernée, maintien ensuite de la garantie en dessous du prix coûtant pendant un an, tout indique qu'il s'agit là d'une « pseudo-complémentaire » et que, sous un vocable apparemment consensuel, se cache la mise en place de garanties et de prestations purement et simplement modulées selon le revenu des ménages.
Les uns, au-dessous du seuil, bénéficieront gratuitement d'une prise en charge totale de leurs dépenses de soins, avec dispense d'avance de frais ; les autres, au-dessus de ce seuil, se contenteront du régime obligatoire « de base » et, s'ils ont fait l'effort de s'assurer volontairement au-delà, verront leurs cotisations taxées pour financer la CMU. Les uns ne paient rien ; les autres paient une, deux et trois fois.
Taxer les plus modestes pour venir en aide aux plus pauvres, est-ce là une politique sociale ? Est-ce là la politique sanitaire et de santé de ce Gouvernement ?
C'est en tout cas une façon de confesser que les garanties du régime obligatoire ne suffisent plus.
Cette innovation d'un « régime complémentaire obligatoire gratuit » ne semblant pas suffire, le Gouvernement a décidé de bouleverser encore plus complètement le paysage, déjà complexe, de la protection sociale, en créant cette nouveauté économique et juridique : l'Etat assureur complémentaire santé, grâce aux moyens de gestion des organismes d'assurance maladie.
Remettant ainsi totalement en question un équilibre et un partage des rôles établis depuis plus de cinquante ans et ayant, le plus souvent, fonctionné à la satisfaction générale, les pouvoirs publics français semblent, ce faisant, peu conscients des risques qu'ils encourent de voir Bruxelles reconsidérer complètement sa grille d'analyse de la nature et des conditions d'exercice des activités de protection sociale, spécialement en matière de maladie, de ce qui devient clairement un « marché ».
Sous cet angle, je note que la pseudo-égalité des différents acteurs face à la couverture complémentaire de la CMU n'est à l'évidence qu'un leurre, les uns étant clairement favorisés, les autres manifestement handicapés, je pense aux mutuelles.
En effet, il apparaît clairement que les organismes agissant « pour le compte de l'Etat » verront leurs dépenses intégralement compensées par l'Etat, qu'il s'agisse des dépenses de gestion ou du coût des prestations. Par ailleurs, il est tout aussi clair que ces organismes n'acquitteront pas la taxe prévue, à la charge des autres intervenants.
Etant donné que ces mêmes caisses seront les autorités chargées d'inscrire les bénéficiaires et d'établir le titre en faisant foi, on voit l'avantage concurrentiel évident dont elles bénéficient, aujourd'hui auprès d'une population qui n'est peut-être pas aussi insolvable qu'on veut bien le dire, et ce sans preuve, demain auprès de ces mêmes catégories sorties, on l'espère, de leur précarité et après-demain, sans doute, auprès de l'ensemble des assurés sociaux.
A l'inverse, les intervenants habituels en matière de couverture complémentaire se voient relativement désavantagés, car ils sont exposés à un triple risque. Il s'agit, d'abord, d'un risque de perte de substance, les caisses pouvant attirer à elles les bénéficiaires jusqu'alors adhérents ou assurés payants. Il s'agit, ensuite, d'un risque de pertes techniques si le coût de la couverture excède en réalité 1 500 francs par an, ce qui est plus que probable. Il s'agit, enfin, de la taxation de 1,75 % du chiffre d'affaires, ce qui n'est pas peu lorsque les marges sont de plus en plus « tirées » sur un marché vraiment concurrentiel et que les exigences de solvabilité sont légitimement croissantes.
Paradoxalement, parmi ces intervenants, les mutuelles qui sont à la fois les organismes les plus anciens et les plus légitimes, à tous égards, pour contribuer à résoudre ce type de questions sont, pour finir, les plus désavantagées.
Elles seront les seules, en effet, à devoir nécessairement répercuter entièrement les coûts de la couverture maladie universelle sur leurs moyens, et donc sur leurs adhérents. Les caisses, quant à elles, seront entièrement compensées, ou au pire pourront « étaler » un éventuel surcoût sur la gestion d'ensemble des régimes obligatoires. De leur côté, les assureurs sont le plus souvent aussi assureurs-vie et assureurs de biens et sont donc à même de répercuter un déficit de la branche sur la totalité de leurs activités et de faire une compensation. Les institutions de prévoyance, a priori assureurs collectifs, sont peu concernées.
Il est ainsi troublant de constater que ce projet de lutte contre l'exclusion médicale revêt, par certains aspects, le caractère d'une véritable agression contre le monde de la mutualité, qui a été, depuis plus d'un siècle, au contraire, un facteur clé d'insertion sociale réussie.
Il est tout aussi surprenant de voir se dessiner, à l'occasion de ce texte, l'esquisse d'un nouveau partage de la protection sociale en France.
En même temps que vous mettez fin, madame la ministre, à l'universalité de la sécurité sociale, en introduisant un critère de revenu dans le remboursement, vous instaurez la mise en concurrence de celle-ci. D'ailleurs, conscients de ces dangers, la CNAM, les mutuelles et les assureurs eux-mêmes ont réagi en signant un protocole d'accord par lequel ils s'engagent à ne « pas se concurrencer sur leur terrain respectif ». La CNAM estimant qu'« il n'est pas dans sa vocation » de concurrencer les organismes complémentaires, les caisses d'assurance maladie renverront les demandes sur les mutuelles, sauf en « cas de carence ». Mais j'ai cru comprendre, madame la ministre, que cet accord ne vous agréait pas.
Par conséquent, vous autorisez bien la sécurité sociale à concurrencer les mutuelles et les assureurs sur le terrain de la couverture complémentaire.
Dès lors, on ne voit pas pourquoi, en retour, ces derniers ne seraient pas en droit d'investir le terrain des régimes de base. Les assureurs sont ainsi en position de cogérer la sécurité sociale.
Peut-être, mes chers collègues, les livres scolaires, dans quelques années, retiendront-ils que les socialistes auront contribué à la disparition du plus vieux monopole de l'après-guerre ?
Oh, bien sûr, madame la ministre, je n'ai rien contre la concurrence.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cela me rassure !
M. Bernard Plasait. De ma part, le contraire vous aurait sans doute surprise !
Je sais surtout que le libéralisme, les solutions libérales, c'est tout le contraire de la loi de la jungle.
Aussi aurais-je de loin préféré que votre texte revînt à des réalités simples.
Une couverture « complémentaire » est une garantie souscrite volontairement. Elle vise à compléter une garantie obligatoire qui, d'un point de vue purement sanitaire, doit être suffisante. Les problèmes de grande détresse ou de précarité sont d'une nature particulière et nécessitent des réponses spécifiques. Il est démagogique et faux de prétendre le contraire.
Les garanties complémentaires ne sont certes pas un luxe, mais elles correspondent à un acte volontaire qui s'accompagne d'un effort individuel ou collectif.
A cet égard, j'observe que le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale avait réclamé l'instauration d'une cotisation au nom du « caractère contractuel du choix d'une couverture complémentaire ». Il a fait très justement valoir que « les personnes qui paient, tout en ayant des salaires modestes, comprennent mieux l'extension de la solidarité quand elle s'accompagne d'un peu de contribution ».
Bien que 64 % des Français y soient favorables, vous avez, madame la ministre, demandé, et obtenu bien sûr, le retrait de cet amendement.
Pourtant cet effort individuel peut et doit être encouragé, mais aussi « subventionné », dans le cas des plus démunis, de façon directe ou indirecte. C'est bien dans cette direction que pouvait et devait être recherchée la voie vers une couverture complémentaire universelle.
L'Etat ne peut ni ne doit se mêler d'une activité où l'« offre » existe de façon abondante, efficace et concurrentielle. Il ne peut pas donner un avantage indu à des organismes gérant un monopole. Il ne peut prétendre qu'il règle par là des situations marginales, quand la population concernée est aussi nombreuse. Il ne peut être ainsi juge et partie, déplacer, comme et quand il le veut, la frontière entre ce qui est obligatoire et ce qui est facultatif, entre monopole et concurrence.
Dans ces conditions, je partage pleinement la volonté exprimée par nos excellents collègues Charles Descours et Claude Huriet de rendre le système envisagé plus responsabilisant, plus cohérent et, bien évidemment, de le soumettre à une évaluation que je crois, d'ores et déjà, indispensable. J'approuve sans réserve les propositions de la commission des affaires sociales, dont je salue la qualité du travail accompli, sous la houlette de son président, notre éminent collègue Jean Delaneau.
Je voudrais enfin insister sur le danger majeur de ce projet de loi : son coût financier. Les expressions « boîte de Pandore », « engrenage » ont déjà été utilisées. Et le contexte dans lequel elles l'ont été me rappelle celui d'un autre débat parlementaire, portant sur un projet tout aussi généreux, à savoir l'instauration d'un revenu minimum d'insertion.
On pourrait certes penser que l'histoire ne se répète jamais en termes identiques, d'autant que la perspicacité des dirigeants permettrait d'en tirer les enseignements.
Pourtant, il faut bien admettre que la CMU, à bien des égards, surtout pour ce qui est des écueils, ressemble au RMI.
Lors de sa création, en 1988, le RMI coûtait 6 milliards de francs, montant estimé pour 500 000 bénéficiaires. Dix ans plus tard, ce montant a quadruplé pour atteindre 26 milliards de francs, en 1998, pour 2 millions de personnes bénéficiaires.
Avec la CMU, bis repetita , madame la ministre : 9 milliards de francs, nous dit-on ; mais combien dans dix ans ? Il n'est malheureusement point besoin d'être devin pour prédire une évolution « à la RMI », les 9 milliards de francs annoncés étant calculés sur la base d'une moyenne de 1 500 francs par an de soins et de médicaments. Cette prédiction est d'autant plus crédible que le panier de soins que vous avez vous-même retenu s'élève à 3 200 francs, ce qui, au dire d'experts, correspond déjà à un coût de 20 milliards de francs, hors consommation.
Par conséquent, l'estimation avancée par le Gouvernement est, pour le moins, minimaliste, pour ne pas dire irréaliste, car il est plus que probable que les bénéficiaires consommeront davantage, et ce en particulier compte tenu du tiers-payant généralisé.
Comment empêcher une telle dérive, si tant est d'ailleurs qu'il faille s'y opposer, celle-ci étant aussi le signe d'un progrès sanitaire souhaitable ?
Alors oui, madame la ministre, qui paiera ? Et nous connaissons déjà la réponse : le contribuable à titre personnel d'abord, puis par le biais des collectivités locales. Aux mêmes maux, les mêmes recettes. A n'en pas douter, les départements seront en première ligne pour suppléer aux carences de l'Etat.
L'injustice est de ce monde. Mais vous réussissez le tour de force de l'accroître, car certains départements ne vous ont pas attendu pour mettre en place un dispositif d'aide médicale allant bien au-delà des obligations légales.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est la boîte de Pandore !
M. Bernard Plasait. A Paris, par exemple, l'aide médicale gratuite est accordée jusqu'à quelque 4 000 francs de revenus mensuels.
Avec votre dispositif, qui procède à un nivellement par le bas, il est évident que, dans les départements qui avaient institué des barèmes d'admission calculés sur des niveaux de ressources plus élevés que le plafond prévu au titre de la CMU, la sollicitation sera plus forte de la part des assurés d'obtenir le maintien de leurs droits en matière de couverture complémentaire grâce à une aide spécifique départementale.
J'observe d'ailleurs que la quasi-totalité des associations caritatives et humanitaires ont déjà demandé le relèvement du seuil de 3 500 francs à 3 800 francs, seuil actuel de pauvreté en France, ce qui concernerait 2 millions de personnes de plus.
Résultat : le contribuable paiera toujours et encore plus !
Cette situation est d'autant plus contestable qu'elle s'inscrit dans un environnement particulièrement défavorable : les dépenses de santé ont dérapé de 10 milliards de francs en 1998. Elles ont augmenté de 3,9 %, soit près de deux fois plus que l'objectif de 2,2 % fixé par le Parlement ! En outre, on prévoit déjà un dépassement de l'objectif national de dépenses maladie pour 1999, dont la progression a été initialement fixée à 2,5 %.
De plus, l'assurance maladie est aujourd'hui lestée d'un déficit cumulé de plus de 300 milliards de francs. La cotisation d'assurance maladie est la plus élevée d'Europe ! Parallèlement, le taux de remboursement du régime de base, de l'ordre de 52 %, est le plus faible d'Europe. C'est une Palme d'or ! Notre système réussit l'exploit d'être à la fois le plus cher et le moins intéressant de tous les pays développés, s'agissant de ses niveaux de remboursement.
Tout le problème est en effet de savoir comment porter efficacement secours à ceux qui en ont besoin, sans aggraver les défauts d'un système qui se révèle aujourd'hui incapable d'assurer à tous des soins convenables.
L'inscription de cette réforme dans le cadre plus global de la poursuite de la réorganisation de notre protection sociale aurait permis d'instaurer la CMU sans coût supplémentaire grâce, par exemple, à la reconversion de l'offre excédentaire de soins, notamment dans le domaine hospitalier, qui permettrait d'économiser des dizaines de milliards de francs, comme le martèle, à juste titre, le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.
Aussi incontestable qu'il soit dans ses intentions, votre texte, madame le ministre, n'est qu'un replâtrage qui vient ajouter un élément « universel » à un système qui était déjà censé être... « général » !
Tout se passe comme si la « main invisible » d'Adam Smith s'étendait aujourd'hui à la sphère politique. Les réformes médiatiques telles que la CMU, menées de manière insatisfaisante parce que insuffisamment réfléchie, esquivent les vraies et nécessaires réformes dont la sécurité sociale a besoin.
Le Gouvernement se retrouvera devant le fait accompli d'une mise en concurrence de la sécurité sociale qui, faute d'avoir été pensée, ne présentera pas les mêmes garanties qu'une réforme délibérée qui aurait affronté la réalité en face et aurait tiré les conséquences des dysfonctionnements patents de notre système de protection sociale.
La sagesse populaire nous enseigne que « l'enfer est pavé de bonnes intentions » et que, derrière le meilleur, peut se dissimuler le pire. Traduite en termes économiques, cette évidence prend le nom de « théorie des effets pervers ». A trop vouloir les nier, on ne cesse de les développer. Et, avec eux, la facture ne cesse de s'alourdir...
Avec la gauche au pouvoir, cela continue : 35 heures, emplois-jeunes, CMU maintenant, la facture s'allonge. Ce sont autant de bombes à retardement qu'il faudra bien gérer demain.
Je crois que ce gouvernement gère à court terme. Il ne réforme pas, il communique. Il ne décide pas, il organise le débat. En revanche, il a désormais pris une habitude dont, apparemment, il ne se défait pas : il régularise. J'en veux pour preuve la disposition adoptée par l'Assemblée nationale concernant les praticiens hospitaliers étrangers sous statut de PAC. Prévoir leur titularisation par décret, après six ans d'exercice, traduit l'absence de gestion prévisionnelle du personnel hospitalier et légitime les revendications des internes en grève qui, à trente-quatre ou trente-cinq ans, perçoivent 13 000 francs par mois pour soixante-dix à quatre-vingts heures de travail hebdomadaire. Faute de réformer les structures, le Gouvernement, mû par une seule vision comptable, improvise une concurrence détestable au sein du personnel soignant.
Gouverner, c'est prévoir. Tout ce que l'on peut dès aujourd'hui prévoir - je le crois sincèrement, madame la ministre - ce sont des lendemains qui déchantent !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Sauf pour les pauvres !
M. Bernard Plasait. Le projet de couverture maladie universelle, mal pensé, je le crois, risque lui aussi de se retourner contre les intentions, fort louables, de ses auteurs.
« Les bonnes intentions se doivent moins outrer que quoi que ce soit. » Cette formule du cardinal de Retz sera ma conclusion. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis le premier des trois orateurs du groupe du RDSE à intervenir. Notre ami Jacques Bimbenet parlera avec son coeur de ce qu'il ressent de la nécessité d'une telle réforme, et notre ami Georges Othily, avec son expérience de l'outre-mer, évoquera les effets pervers que peuvent avoir des réformes trop rapidement mises en place pour un pays dont les frontières sont trop perméables.
Pour ma part, madame la ministre, je voudrais rendre hommage à votre personne et à votre ambition, pour vous-même, ce qui est tout à fait normal, en toute parité d'ailleurs, pour les idées que vous défendez et pour le rôle que vous jouez au sein de ce gouvernement, puisque vous êtes de celles et de ceux qui impulsent le plus la politique actuelle.
Depuis votre arrivée au ministère de l'emploi et de la solidarité, les réformes n'ont pas manqué : elles sont arrivées en rafales, toutes plus généreuses les unes que les autres, et découlant d'ailleurs souvent d'idées que nombre d'entre nous pourraient partager, encore que, quelquefois, nous puissions avoir certaines restrictions dans nos analyses. Je prendrai à cet égard un exemple qui se conjugue malheureusement avec ce dont nous parlons aujourd'hui et qui entraînera une surcharge encore plus importante de nos entreprises qui marchent : c'est la réforme des 35 heures, qui repose, à mon avis, sur l'illusion de l'interchangeabilité permanente des travailleurs entre eux et dont le coût « plombera » la dynamique de notre économie.
En même temps, cette réforme de la couverture maladie universelle correspond à un vrai fait de société, à une réelle exigence de solidarité, et, comme vous, madame la ministre, je nourris une ambition d'efficacité à cet égard. Encore faut-il que cette efficacité puisse être au rendez-vous et que l'accumulation des réformes qui se contrarient, s'ajoutent ou se chargent les unes les autres ne crée pas une ambiance nous menant tout droit à l'échec.
Or, je crains que tel ne soit le cas, tout au moins pour la manière - plus que pour le fond - dont cette affaire est mise en route. En effet, la caractéristique majeure de la période moderne - et je ne pense pas seulement, à cet égard, au gouvernement actuel - est la tentation trop fréquente de vouloir légiférer par slogan : on a une idée généreuse, on la décline, on la lance. Je ne suis pas sûr que la décentralisation n'ait pas été engagée ainsi : on est passé du développement des responsabilités des collectivités locales aux droits et libertés. La réforme des 35 heures est, à mon avis, un peu du même ordre, tout comme l'a été la manière dont a été lancée, dans un domaine totalement différent, la départementalisation des sapeurs-pompiers, pour laquelle aucune des réformes préalables n'avait été mise en place auparavant, et aucune des concertations n'avait été menée à son terme avant. Je crains que, s'agissant de la couverture maladie universelle, nous n'en soyons un peu au même point.
Nous étudions en effet un sujet extrêmement complexe que l'on ne peut pas traiter de manière schématique ; j'attirerai donc une fois de plus l'attention du Gouvernement - je ne suis d'ailleurs pas le premier à le faire à cette tribune - sur l'abus de la procédure d'urgence quand nous travaillons sur des matières compliquées.
Madame la ministre, le Sénat a peut-être beaucoup de défauts, mais il a une caractéristique : quand il raisonne technique, il raisonne techniquement et au fond ; le priver de l'expression complète, au cours d'une navette complète, de sa possibilité d'apporter, dans un débat comme celui-ci, son point de vue technique est probablement une faute de fond, que nous paierons à un moment ou à un autre, car je veux bien prendre le pari que nous verrons ce texte revenir, sous forme fragmentée, dans les cinq prochaines années...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Comme les ordonnances Juppé !
M. Paul Girod. ... pour aboutir, à terme, à un résultat probablement plus proche des thèses sénatoriales que des thèses gouvernementales. Pardonnez-moi cette pensée, mais cela s'est déjà produit à de nombreuses reprises !
De surcroît, le problème est quand même traité d'une manière très schématique. On a parlé tout à l'heure des effets de seuil et des difficultés énormes, psychologiques et matérielles, que vous rencontrerez pour faire accepter votre dispositif par ceux dont les revenus sont tout juste supérieurs au seuil et qui compareront leur situation à celle des bénéficiaires de la CMU.
On a aussi parlé de la déresponsabilisation d'un certain nombre de nos concitoyens au travers de cette facilité trop largement offerte à certains et totalement refusée à ceux qui sont leurs voisins immédiats. Cela ne manquera pas de provoquer des fractures et des tensions dans notre société, d'autant que cette déresponsabilisation ne touchera pas seulement des hommes et des femmes actuellement présents sur notre territoire : elle aura un effet d'appel, qui aggravera bien évidemment certaines situations, qui relèvent certes d'autres départements ministériels et qui intéressent l'immigration sauvage, contre laquelle nous aurons encore plus de mal à lutter dans la mesure où nous aurons été trop généreux.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous n'avez pas lu le texte !
M. Paul Girod. Pardonnez-moi maintenant de laisser s'exprimer mon vieux fond d'élu local.
Je crains que ce dispositif ne soit mis en place dans un certain désordre financier. On a parlé tout à l'heure des rapports entre mutualisme et régime général, entre assureurs privés et régime général, entre régime général et régimes complémentaires. Je crois que cette question recèle toute une série de bombes à retardement dont la puissance n'a absolument pas été mesurée à sa juste valeur. Personne ne sait sur quel désordre institutionnel, concurrentiel ou autre elles vont déboucher !
Par ailleurs, je ne peux oublier les collectivités locales, qui se trouveront placées face à des problèmes inextricables.
Je crois avoir été l'un des premiers présidents de conseil général à avoir lancé, après la ville de Paris, le système de la carte santé à destination des RMIstes. Voilà d'ailleurs encore une réforme qui a contribué à déresponsabiliser les uns et les autres et qui, en créant des effets de seuil - entre ceux qui sont au RMI et qui ne font rien, ceux qui y sont et qui font quelque chose, ceux qui n'y sont pas et qui font beaucoup, ceux qui ne font rien et qui n'ont rien - n'a pas apaisé les tensions au sein de notre société, et dans nos cités en particulier !
Pour en revenir à la question qui nous occupe aujourd'hui, quelle sera la situation des départements qui étaient allés plus loin, qui avaient fait mieux que d'autres ? Comment géreront-ils - dernier point, et je m'arrêterai là, madame le ministre - leurs rapports avec les communes dans le cadre du fameux contingent d'aide sociale ? Ce dernier, qui est vaguement évoqué mais absolument pas traité, recouvre en effet des disparités phénoménales d'un département à un autre et d'une ville à une autre. En outre, tous les chiffres dont on dispose sont des moyennes nationales ou des chiffres globaux totalement impossibles à décliner à l'échelon local.
Sur ce point, permettez-moi de vous dire, madame le ministre, que la charrue a été mise devant les boeufs - pour employer une formule agricole qui me ramène à mon métier d'autrefois - comme on l'avait fait lorsque l'on a départementalisé les sapeurs-pompiers avant d'avoir réglé - vous voyez que je ne critique pas seulement les gouvernements de gauche ! - le problème du statut des professionnels. C'est, encore une fois, un slogan : il faut faire ça, on le fait, mais on n'approfondit pas, on ne prépare pas, et on se retrouve après avec une bombe à retardement !
Je crains, madame le ministre, que nous ne soyons dans cette situation potentielle. J'en serais navré pour l'idée que vous défendez, qui est une idée à laquelle tout le monde souscrit car on ne peut laisser certains de nos compatriotes dans l'incapacité de se soigner, c'est tout à fait vrai. Nous devons donc trouver le moyen de boucher les trous de notre système actuel, mais cela demande, je crois, plus d'approche, plus d'humilité intellectuelle, autant de volonté et certainement pas plus de générosité : je crois que, sur ce plan, nous sommes à peu près tous sur la même longueur d'onde. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous ferai part dans cette intervention de mon sentiment sur quatre ou cinq points qu'il m'a paru nécessaire de relever dans les différentes dispositions prévues dans ce projet de loi relatif à la couverture maladie universelle.
Je rappellerai tout d'abord - d'autres orateurs l'ont fait avant moi et d'autres le feront peut-être après moi - que cette idée d'une couverture maladie universelle n'est pas nouvelle. Faut-il rappeler que M. Juppé, en sa qualité de Premier ministre, avait annoncé dès 1995 un régime universel d'assurance maladie visant à ouvrir à tous le droit aux mêmes prestations sous condition de résidence régulière ?
Bien évidemment, sur les objectifs - je vous l'ai dit en commission des affaires sociales, madame le ministre, et le redis dans cet hémicycle - il existe un consensus quasi général dans le pays. En revanche, nous divergeons fondamentalement sur les modalités et sur la procédure.
Au lieu d'une réforme des structures, j'ai le sentiment que l'actuel gouvernement met en place une réforme en trompe-l'oeil en offrant la gratuité des soins à 6 millions de personnes, sous condition de ressources en ce qui concerne la couverture complémentaire.
Toute réforme a un prix, et celui-ci risque d'être lourd sur le plan tant humain que pécuniaire, MM. Descours et Oudin vous l'ont rappelé dans leur propos liminaire et je me permets d'y insister.
Ce projet risque de provoquer non seulement de graves inégalités qui remettront en cause les principes fondateurs de la sécurité sociale, mais aussi une addition lourde à payer, car le coût financier de la CMU est, à mon sens, sous-évalué.
J'en viens à ma deuxième remarque.
Il faut éviter de laisser croire que rien n'a été fait jusqu'à présent pour les plus démunis. Notre collègue Paul Girod a rappelé à l'instant même le rôle éminent joué par les départements dans ce domaine de compétence de l'action sociale et de la prise en charge, à travers les contingents d'aide sociale par le biais des communes, au profit des plus démunis. Il ne faudrait donc pas donner le sentiment à nos concitoyens qu'en définitive il fallait créer la couverture maladie universelle pour s'intéresser enfin en 1999, à la veille de l'an 2000, aux plus démunis.
Sans doute un certain nombre de personnes ne bénéficiaient pas de la couverture maladie comme nous aurions pu le souhaiter. Mais la plupart de ceux qui entreprenaient une démarche, soit auprès des bureaux d'aide sociale, soit auprès des départements, bénéficiaient d'une prise en considération de leur situation par les conseils généraux. Je voudrais bien que l'on me cite les nombreux exemples de personnes qui auraient été laissées sur le bord du chemin sans être soignées ! Il s'agit d'ailleurs sans doute de ceux qui n'entreprenaient pas spontanément la démarche, car ceux qui la faisaient bénéficiaient d'une prise en charge grâce au concours des communes et des conseils généraux.
Ma troisième remarque concerne le seuil de 3 500 francs, tel qu'il a été arrêté. En dessous de ce seuil, les personnes bénéficieront d'une prise en charge totale avec la dispense d'avance de frais ; au-dessus de ce seuil, il n'y aura plus rien ! Il y a là une ambiguïté, et la proposition de notre collègue Charles Descours, faite au nom de la commission des affaires sociales et tendant à instaurer un système progressif, m'apparaît beaucoup plus pertinente.
Fixer un seuil qui s'applique d'une manière brutale, ce serait laisser sur le bord du chemin tous ceux qui, par exemple, sont bénéficiaires du minimum vieillesse, soit 3 540,41 francs, ainsi que les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, toutes personnes qui bénéficiaient autrefois, dans un certain nombre de départements, de la solidarité départementale. Ainsi, dans le département de l'Oise, nous avions fixé, à mon sens de manière tout à fait cohérente et logique, le seuil à 3 540 francs : en dessous, on bénéficiait de la prise en charge du ticket modérateur et de la couverture complémentaire, de l'assurance personnelle ; au-dessus, on appliquait un système progressif.
Ce ne sera plus le cas demain, et les conseils généraux - c'est le cas de l'Oise et d'une dizaine de départements en France, qui appliquaient un système plus généreux - vont être privés de la totalité des sommes qu'ils consacraient à l'ensemble de ces ménages et de ces familles tandis qu'ils devront, compte tenu de l'institution de ce seuil de 3 500 francs, continuer, si j'en crois la réponse que vous nous avez faite en commission, madame la ministre, à prendre en charge tous ceux qui sont au-dessus de ce seuil. Cela représente au moins 800 000 personnes, et donc un coût non négligeable qui risque d'aboutir à une somme insupportable pour le budget de la nation mais aussi pour l'ensemble de nos collectivités.
Le système progressif, tel qu'il est imaginé, nous permet de prendre en compte la situation des plus défavorisés et de tenir compte de la situation personnelle des uns et des autres. On personnaliserait alors la prise en charge, ce ne serait pas un système aveugle.
Ce système présente également l'avantage non négligeable de tenir compte de l'avis des CCAS, qui constituent un niveau de proximité pertinent pour apprécier au cas par cas l'ensemble des demandes. Je me rappelle ainsi avoir déposé en son temps un amendement visant à ce que l'avis des CCAS soit sollicité avant l'attribution du RMI. Nous connaissions en effet un certain nombre d'exemples de familles ou de personnes qui travaillaient au noir - je suis désolé de le dire -, qui ont demandé le RMI et qui l'ont obtenu. Si l'avis des CCAS avait été recueilli, ces dérapages auraient pu être évités !
On me rétorquera que l'avis des CCAS n'est pas nécessaire, que cela alourdit le dispositif en lui donnant un caractère trop administratif. Je crains fort, en ce qui me concerne, que l'on ne connaisse les mêmes difficultés avec l'institution d'un seuil de 3 500 francs : il suffira de faire valoir, par des pièces administratives officielles, que l'on ne bénéficie pas de revenus - même si on travaille au noir - pour obtenir la prise en charge. C'est l'un des effets pervers, à mon avis, du dispositif, sur lequel je voulais également attirer votre attention.
Sur la compensation financière pour les départements, je reviens un instant rapidement : il m'aurait paru souhaitable que l'on tienne compte de la situation particulière des départements qui accomplissaient auparavant un effort plus important que les autres.
Et que l'on ne me dise pas aujourd'hui qu'en faisant contribuer Paris, l'Oise et d'autres départements qui font plus que les autres on fait jouer la solidarité interdépartementale à travers la CMU ! Je suis persuadé, en effet, que certains des départements qui ne se trouvent pas dans la dizaine à laquelle on a fait allusion ont des capacités financières égales à celles de mon département alors qu'ils ne fournissaient pas cet effort. Mais ils n'apporteront pas une contribution financière équivalente à la nôtre et pourront, grâce à la marge qu'ils auront conservée, apporter leur concours financier aux familles dont les revenus seront compris entre 3 500 et 3 540 francs ou entre 3 500 et 3 600 francs. Ainsi, alors qu'on aura pris au département toutes les sommes qu'il affectait aux familles ayant un revenu inférieur à 3 500 francs, celui-ci n'aura plus la marge financière qu'il avait pour continuer à les aider. Vous nous avez en effet dit en commission des affaires sociales, madame la ministre, qu'il appartiendrait aux départements de continuer à intervenir en faveur de ces familles s'ils le souhaitent.
Il aurait donc fallu faire preuve d'un plus grand discernement quant aux conséquences qui résultent de l'application stricte des dispositions actuelles. C'est pourquoi M. Chérioux et moi-même avons déposé un amendement sur ce sujet.
Enfin, il est deux derniers points sur lesquels je souhaite également appeler votre attention et qui concernent les personnels.
Dans le département de l'Oise - on ne parle bien que de ce que l'on connaît - je me suis adressé au directeur des services départementaux. De la première étude qui a été réalisée, il résulte que la masse salariale que nous devrons consacrer aux personnes qui procéderont à l'instruction des dossiers des futurs bénéficiaires de la CMU représentera, chez nous, une masse financière de 3 millions de francs par an, ce qui n'est pas négligeable. Certes, si l'on rapporte cette somme à un budget départemental de 3 milliards de francs, on peut dire qu'elle est relative, mais il faut savoir que cette charge ne sera pas compensée.
En commission, l'un de nos collègues, le président du conseil général du Pas-de-Calais, a déclaré que, pour sa part, il n'avait aucun souci parce qu'il reclasserait son personnel sans difficulté pour le traitement de la prestation dépendance ou d'autres allocations.
Dans mon département, où nous menons depuis longtemps une politique sociale dynamique, l'ensemble des besoins sont couverts en matière de personnel dans les domaines sociaux qui relèvent tant de la politique volontariste du département que de sa compétence légale. Ce personnel va se trouver en sureffectif. Certes, on peut imaginer de le reclasser, mais cela suppose une formation, et donc des dépenses supplémentaires pour le département.
Il me semblerait donc tout à fait judicieux que, dans le calcul de la DGD, soit prise en compte la dépense supplémentaire que supporteront les départements pour reclasser ces personnels. Je défendrai un amendement en ce sens.
Enfin, s'agissant du contingent d'aide sociale, je poserai trois questions au Gouvernement.
Premièrement, ce que les communes versaient au département leur restera-t-il désormais acquis ? J'ai cru comprendre que oui. Mais, dans l'hypothèse inverse, quelles sont les intentions du Gouvernement ? J'aimerais avoir une confirmation ou une infirmation de la réponse qui nous a été apportée en commission.
Deuxièmement, les départements continueront-ils à percevoir la contribution des communes sur la base du contingent d'aide sociale tel qu'il existait avant la CMU ? Si tel était le cas, on pourrait considérer que la compensation s'est faite par ce biais au profit de l'Etat.
Troisièmement, dans l'hypothèse où le contingent resterait acquis aux communes, l'Etat a-t-il l'intention d'en tenir compte dans le calcul de la DGF ? J'ai cru comprendre que le Gouvernement l'envisageait. Si telle était la solution, en sera-t-il tenu compte dans le calcul de la DGD versée au département ?
Madame la ministre, j'attends que vous nous éclairiez sur ces points, sinon dans votre réponse aux différents intervenants, du moins lors de la discussion des articles. En effet, les communes sont inquiètes de la charge ou de la non-charge qu'elles auront à supporter à terme ou de la perte de recettes au travers des dotations de l'Etat qu'elles auraient à supporter du fait de la mise en place de la CMU.
Voilà les quelques points sur lesquels je souhaitais appeler votre attention, madame la ministre, et celle de nos collègues. Personnellement, et je ne doute pas qu'il en soit de même de la part d'une très grande majorité des membres de la Haute Assemblée, je préfère le dispositif proposé par la commission des affaires sociales, qui m'apparaît mieux adapté et plus à même d'atteindre l'objectif que s'était fixé le gouvernement Juppé et que vous vous êtes vous-même fixé. Nous divergeons sur les modalités et non pas sur l'objectif que nous nous sommes assigné les uns et les autres. J'espère que la raison et le bon sens l'emporteront pour le bien-être de nos citoyens. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nul ne doit être privé de soins pour cause de pauvreté. Depuis des siècles, cet objectif a mobilisé les consciences et inspiré les oeuvres hospitalières et caritatives, avant de fonder les systèmes modernes de sécurité sociale. La résorption des lacunes dans ces dispositifs justifie le projet de loi que nous allons examiner. Je ne connais personne qui puisse contester le bien-fondé de l'objectif ainsi fixé. Reste à définir le chemin pour y parvenir. Vous avez choisi, madame la ministre, la voie de l'automaticité : en quelque sorte, la couverture maladie automatique. Elle a certainement ses avantages, mais elle enclenche une dynamique systématique dont vous avez certainement mesuré personnellement les conséquences ultérieures à plus ou moins long terme, sans que celles-ci apparaissent évidentes à la première lecture.
Ces conséquences sont bien celles de l'automaticité d'un droit attaché en quelque sorte à la résidence.
Il faut admettre que le revenu minimum d'insertion, mais aussi la contribution sociale généralisée et, indirectement, le remboursement de la dette sociale, ont suscité et renforcé la notion d'un droit social et d'une couverture maladie universelle, et plus seulement celle de droits acquis par cotisation, selon la logique de l'assurance. Une solidarité élargie s'est donc déjà fortement imposée comme fondement de la couverture maladie, derrière des mécanismes d'affiliation. Vous créez désormais le mécanisme de rattachement. C'est en fait une véritable révolution qui annonce, à mon avis, ce que sera à terme, selon cette logique, le système de couverture maladie, à savoir un système non seulement automatique mais surtout très largement contrôlé sur le plan financier par l'Etat. Le seuil de 3 500 francs dont on parle aujourd'hui sera demain immergé parmi d'autres mécanismes d'exonération fiscale bien connus par ailleurs, et qui ne font plus problème.
Insensiblement, donc, se dessine et s'imposera sur cette voie une philosophie nouvelle de la protection sanitaire et sociale, proche de celle qui prévaut notamment au Royaume-Uni, même si aujourd'hui la brèche ne correspondrait qu'à 10 % de la population.
C'est pourquoi les excellents rapporteurs chargés de l'étude de ce texte ont proposé la création d'une allocation personnalisée à la santé. Ce mécanisme comporte, à mes yeux, l'avantage de protéger l'actuelle philosophie générale de notre système de santé. Je veux leur rendre hommage, particulièrement à Charles Descours, d'avoir imaginé cette technique qui préserve encore pour un temps la construction de 1945.
L'importance d'un chômage structurel, ainsi que les financements complémentaires de l'Etat déjà évoqués, fragilisent certes cette construction, tandis que le choix que vous avez fait dans ce texte la remet irrémédiablement en cause. Je suivrai la position de la commission des affaires sociales, parce que, si je souhaite une couverture maladie universelle, je ne suis pas disposé à valider incidemment un système national de santé qu'introduit cette fameuse notion de rattachement automatique.
Je ne nierais pas, en effet, je pense que vous l'avez compris, que certaines contraintes économiques, sociales et financières structurelles, favorisaient la logique que vous avez choisie. Mais la connaissance que je peux avoir des systèmes britanniques, danois ou suédois, après des études précises effectuées par la commission des affaires sociales, ne me permet pas d'accepter le glissement incontestable vers ces systèmes qu'opère votre texte.
Je pense que, de manière prudentielle, même si le mécanisme d'aide personnelle à la santé proposé par la commission des affaires sociales devait se révéler perfectible dans quelques années, il aurait en tout état de cause eu le grand mérite d'avoir permis d'atteindre l'objectif recherché, l'universalité de la couverture maladie, sans introduire sans autre précaution le germe d'un basculement de système.
C'est la raison pour laquelle il recueille ma préférence. En effet, si la première urgence est aujourd'hui celle de la couverture universelle, la seconde urgence est celle du progrès dans la mise en oeuvre de la responsabilité de tous les acteurs - je dis bien de tous les acteurs - dans la gestion du système de santé.
Votre projet de loi, sur ce plan-là, ne comporte, madame la ministre, aucun progrès, bien au contraire. La part accordée aux divers organismes de prévoyance reste marginale. Elle n'est pas de nature à contrarier la lame de fond qui porte la cohérence interne de la dynamique de votre projet de loi, tel que voté par l'Assemblée nationale.
Au contraire - et je salue votre habileté, madame la ministre - vous intégrez tous les partenaires institutionnels dans votre démarche : caisses, mutuelles, et même assureurs. C'est du grand art ! Mais mon appréciation, vous ne m'en voudrez pas, reste d'ordre esthétique et ne suffit donc pas pour emporter mon adhésion. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, comme l'a fait Marie-Madeleine Dieulangard, exprimer à mon tour toute l'importance que les sénateurs socialistes attachent au projet de loi qui nous est présenté et qui, avec la loi d'orientation, de prévention et de lutte contre les exclusions, constitue, sans aucun doute, la plus grande réforme sociale de la fin de ce siècle.
Il y a quelques jours, l'INSEE, dans sa synthèse générale des comptes de la nation, soulignait le niveau élevé de la croissance et constatait que les déficits publics sont plus bas qu'on ne le croyait. Les chiffres du chômage sont à nouveau en baisse, avec 17 000 chômeurs de moins en avril. Deux ans après l'arrivée de Lionel Jospin à l'hôtel Matignon,...
M. André Jourdain. Tout va bien !
M. Michel Mercier. Parlons-en !
M. Gilbert Chabroux. ... on peut faire le bilan des nombreuses et importantes réformes engagées par le Gouvernement et mesurer les résultats obtenus. (Applaudissements sur les travées socialistes.) Ainsi que l'a dit M. le Premier ministre, beaucoup a déjà été accompli. Pour ne parler que de la croissance, le produit intérieur brut a augmenté de façon importante, le pouvoir d'achat du plus grand nombre s'est élevé. Nous voudrions croire que la croissance profite à tous. Mais nous savons bien, hélas ! que pour une partie importante de la population, la pauvreté, la précarité ne reculent pas d'une manière significative et nous devons tout mettre en oeuvre pour que notre société ne devienne pas une société à deux vitesses.
M. Hilaire Flandre. Une prouesse de la gauche !
M. Gilbert Chabroux. C'est ainsi qu'il faut mettre fin à ce qui est sans doute la plus grande injustice de la fin de ce siècle : l'inégalité devant l'accès aux soins. A cet égard, le constat du Haut comité de la santé publique est accablant : « plus on est pauvre, plus on est malade, et plus on meurt jeune ».
L'article XXII de la Déclaration universelle des droits de l'homme stipule : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction de ses droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays ». N'aurions-nous pas, dans notre pays, l'organisation et les ressources pour satisfaire ces droits fondamentaux ?
Il y avait bien eu en novembre 1995, certains d'entre vous y ont fait allusion, la déclaration d'intention de M. Alain Juppé de créer une assurance maladie universelle. La dissolution de 1997 a clos ce dossier...
M. Michel Mercier. Ce serait déjà fait sinon !
M. Gilbert Chabroux. Il y a eu heureusement ensuite le gouvernement de la gauche qui a d'abord fait voter, il y a moins d'un an, la loi d'orientation, de prévention et de lutte contre les exclusions, et le projet de loi que nous examinons n'est rien d'autre que l'un des deux volets du dispositif visant à garantir un égal accès au système de soins.
Le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, devrait être une loi consensuelle. La gauche est par nature pour la réduction des inégalités.
M. Hilaire Flandre. Ah !
M. Gilbert Chabroux. Mais qui sur les autres travées n'éprouverait pas de la compassion pour son prochain ou ne chercherait pas à réduire la fracture sociale ?
Mme Nelly Olin. Que d'excès !
M. Gilbert Chabroux. Si j'ai bien compris, ce n'est pas la générosité qui manque.
M. Michel Mercier. C'est la volonté, comme toujours !
M. Gilbert Chabroux. Or des élus de la majorité sénatoriale comme les députés de droite à l'Assemblée nationale s'emploient à distinguer le principe et la méthode, ils se disent favorables au principe et opposés à la méthode.
M. Charles Descours, rapporteur. Pas du tout, nous n'avons pas déposé de question préalable !
Mme Nelly Olin. Toujours des leçons !
M. Gilbert Chabroux. Ils en arrivent à tenir des raisonnements subtils et même contradictoires pour essayer de se persuader ou de faire croire que les modalités seraient plus importantes que la finalité.
M. François Autain. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Ne s'agit-il pas en fait de s'opposer au principe, sinon pourquoi réécrire un texte et présenter ce que le rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Charles Descours, a appelé à de nombreuses reprises un contre-projet ? Ne s'agit-il pas de s'opposer à un texte parce que c'est le Gouvernement qui le présente ?
M. Hilaire Flandre. Il est mauvais !
M. Gilbert Chabroux. Cela, c'est quasiment un principe dans cette assemblée.
M. Charles Descours, rapporteur. Vous nous avez donné le bon exemple !
M. Michel Mercier. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Gilbert Chabroux. Parmi les points les plus controversés, il y a le problème du plafond de revenus au-dessous duquel la couverture de base et la couverture complémentaire sont gratuites. C'est aussi le seuil au-dessus duquel il faut acquitter une cotisation. Il y a toujours eu des seuils ; il en existe actuellement, pour l'aide médicale, près d'une centaine à l'échelon des départements. Ceux qui critiquent les effets de seuil sont souvent ceux qui en avaient institué.
M. Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés d'assurances, faisait remarquer, devant la commission des affaires sociales, que la législation fiscale et sociale compte environ un millier de seuils, sans qu'existe pour autant une théorie des seuils.
Toutes les associations caritatives que nous avons rencontrées comprennent bien qu'il puisse y avoir un seuil, mais elles souhaitent que celui-ci soit complété par des mesures simples de portée limitée permettant un lissage, afin d'éviter un effet de marche d'escalier pour les personnes dont les revenus sont légèrement supérieurs au seuil.
M. Charles Descours, rapporteur. Non ! Il faut voter notre projet !
M. Gilbert Chabroux. N'est-ce pas dans cette voie qu'il faut s'orienter, en procédant à une étude plus personnalisée des situations et grâce aux fonds qui pourraient être mobilisés ?
M. Michel Mercier. Ce n'est pas un fonds !
M. Gilbert Chabroux. Les fonds sociaux pourront continuer à intervenir. Il est prévu de créer un fonds sanitaire et social, abondé par les organismes complémentaires ; les départements conservent 5 % des crédits qu'ils consacraient à l'aide médicale ; ils peuvent toujours intervenir dans le cadre de leur capacité d'action sociale générale.
M. François Autain. Bien sûr !
M. Gilbert Chabroux. Nous savons bien qu'à même revenu les situations peuvent être très différentes, en particulier selon que l'on est en milieu urbain ou en milieu rural.
Il faut prêter une attention particulière à tous ceux qui se situent à la marge du seuil, un peu au-dessus, et il me semble qu'à cette fin une action de proximité est souhaitable.
Il faut examiner comment les services sociaux des départements et les centres communaux d'action sociale peuvent jouer leur rôle. Sans qu'ils aient à instruire les dossiers, il faut qu'ils participent à l'accueil, à l'information et à l'accompagnement de toutes les personnes qui les sollicitent.
De toute façon, il va falloir sortir des formalités et des justificatifs pour ouvrir sur-le-champ des droits ; il faut, d'une certaine manière, changer de culture. Les CPAM doivent faire de l'information et de la formation. Tous les organismes participant à la CMU doivent mettre en place une formation spécifique à l'accueil des personnes qu'ils auront à recevoir.
Ne serait-il pas possible également, pour atténuer l'effet de seuil, d'étendre, voire - pourquoi pas ? - de généraliser le tiers-payant à toute la population et à l'ensemble du système de soins ?
Le plus pénalisant pour les personnes qui ont des revenus modestes et pour les travailleurs pauvres est en effet l'avance de frais. L'Assemblée nationale a retenu le principe du tiers-payant lorsqu'il s'agit du médecin référent. C'est une étape importante, mais d'autres étapes peuvent être encore franchies, d'autant que cette mesure n'est pas inflationniste.
Les populations qui sont un peu au-dessus du seuil, pas plus d'ailleurs que les bénéficiaires de la CMU, ne surconsommeront. Au contraire, on ne peut attendre que des effets bénéfiques, pour l'ensemble de notre système social et de santé, d'une meilleure insertion par la santé, d'un accès plus précoce aux soins et à la prévention. Il en résultera des effets positifs pour toutes les branches de la sécurité sociale.
N'oublions pas que six millions de personnes vont être concernées par la CMU, auxquelles s'ajouteront celles qui sont juste au-dessus du seuil et qui pourront bénéficier de mesures particulières. Donc au moins six millions de personnes seront désormais concernées au lieu de deux millions et demi actuellement couvertes par l'aide médicale des départements.
Peut-on parler, comme l'a fait M. le rapporteur, de « ghettoïsation » alors qu'il s'agit de 10 % de la population française et que l'on ouvre des droits à des personnes qui n'en avaient aucun ou qui n'en avaient que bien peu ?
M. Charles Descours, rapporteur. Non, je n'ai pas dit cela !
M. Gilbert Chabroux. Peut-on parler de « déresponsabilisation »...
M. Charles Descours, rapporteur. Oui !
M. Gilbert Chabroux. ... parce que l'aide qui leur est apportée n'est pas modulée en fonction de leurs revenus ? En la matière, il n'y a pas de précédent départemental, de préfiguration d'un tel système.
Si une telle mesure était retenue, on exclurait de la CMU de centaines de milliers de nos concitoyens. Ce serait contraire aux objectifs qui ont été fixés et quasiment inapplicable : comment en effet demander aux familles démunies, voire en rupture avec tout le système administratif, de payer 30 à 40 francs ? Dès lors, ne serait-ce pas ces familles qui seraient placées dans un ghetto ?
Ne faut-il pas plutôt s'interroger sur la situation qui prévaut actuellement dans les départements et qui crée de graves disparités et des injustices flagrantes, puisque les seuils varient dans de fortes proportions ?
Un responsable de l'Assemblée des départements de France reconnaissait d'ailleurs, devant la commission des affaires sociales, que l'on a atteint « les limites » de la départementalisation en matière d'aide médicale.
M. Le Scornet, quant à lui, le président de la Fédération des mutuelles de France, dénonçait le « caractère féodal » du système départemental que « la CMU va heureusement permettre d'éradiquer ».
Je souhaiterais que l'on aille au bout de cette logique et que l'on en tire toutes les conséquences par rapport à la part de financement de la CMU qui incombe aux collectivités locales, aux départements et aux communes. Le problème a déjà été évoqué.
En fait, les collectivités locales vont assurer l'essentiel du financement : 5,3 milliards de francs sur 9 milliards. Sur ces 5,3 milliards de francs qui vont « remonter » en quelque sorte des départements, un peu plus de 1 milliard de francs...
M. Michel Mercier. En effet, 1,2 milliard de francs.
M. Gilbert Chabroux... proviendra des communes, sous la forme actuelle des contingents communaux d'aide sociale.
Comment les départements pourraient-ils recouvrer ces sommes pour une compétence qu'ils n'auront plus à assurer ?
Des solutions ont été proposées pour la suppression du contingent d'aide sociale et sa compensation par un prélèvement sur la DGD versée aux départements et la DGF versée aux communes.
Il semble que les réunions qui se sont tenues récemment avec la direction générale des collectivités locales aient permis d'avancer et de régler ce problème.
En revanche, le problème très sensible des disparités dans les modes de calcul qui étaient pratiqués et des injustices qui en résultaient pour de nombreuses communes, particulièrement les villes moyennes et les grandes villes, reste posé.
Ces dernières années, des améliorations ont certes été apportées aux modes de calcul. Il n'empêche que les injustices sont encore flagrantes, particulièrement - et j'y insiste - pour les villes moyennes et les grandes villes qui versent des contributions par habitant souvent très élevées, bien supérieures à la moyenne nationale, 65 % de plus pour les villes de plus de 100 000 habitants.
Or, ce sont dans ces villes que se concentrent les difficultés sociales. Il est donc difficile d'admettre qu'elles doivent payer proportionnellement plus parce qu'elles comptent plus de pauvres et que le nombre de dossiers d'admission à l'aide sociale est plus élevé.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
M. Gilbert Chabroux. Il s'agit d'une question difficile. Le ministère de l'intérieur s'en est saisi. Il serait hautement souhaitable qu'à l'occasion de ce projet de loi il puisse envisager des dispositions concrètes pour mettre fin, au moins partiellement, à des inégalités insupportables. Ne faudrait-il pas, par exemple, classer les communes en fonction d'un indice synthétique comparable à celui de la DSU et répartir la contribution globale communale en fonction de ce classement ?
M. Guy Fischer. C'est une bonne proposition !
M. Michel Mercier. Ne compliquons pas !
M. Gilbert Chabroux. Mes chers collègues, il ne s'agit là que de modalités. On peut toujours les améliorer, à condition de ne pas perdre de vue la finalité, le principe, l'objectif qui a été fixé. Il n'est pas nécessaire pour cela de rédiger un contre-projet.
Ce qui compte, c'est que le droit à la santé, droit fondamental de la personne humaine, soit assuré à l'ensemble de nos concitoyens en sachant bien que la plus grande victoire de la CMU, ce serait qu'elle soit temporaire, passagère, en attendant de faire progresser les revenus.
Cette loi fait honneur au Gouvernement de la gauche, particulièrement au travail considérable que vous avez accompli, madame la ministre. Les sénateurs socialistes y adhèrent pleinement, ils la soutiendront avec force et conviction et ils la voteront avec une très grande fierté. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur Chabroux, pour citer un exemple, la ville de Marseille verse 500 millions de francs de contingents d'aide sociale au département. C'est tout de même beaucoup !
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos débats.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, ayant à examiner 117 amendements, la commission souhaite que la séance ne soit reprise qu'à vingt-deux heures.
Par ailleurs, nous demandons la réserve de l'article 1er jusqu'après l'examen de l'amendement n° 61, tendant à insérer un article additionnel après l'article 31.