Séance du 8 juin 1999
M. le président.
La parole est à M. Demuynck, auteur de la question n° 538, adressée à Mme le
garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Christian Demuynck.
Ma question était en effet destinée à Mme le garde des sceaux, mais puisque
c'est M. le ministre de la fonction publique qui me répondra, c'est à lui que
je vais m'adresser.
Je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur l'extrême
clémence du tribunal de grande instance de Bobigny face aux atteintes graves
dont sont victimes les représentants de l'ordre public, clémence d'autant plus
insupportable que la violence gangrène nos quartiers et que les zones de
non-droit prolifèrent dangereusement et à très grande vitesse.
Les faits sont simples.
Le 2 février dernier, un policier ayant échappé à la mort se retrouvait devant
celui qui, en fonçant avec sa voiture, avait voulu délibérément le tuer, ou du
moins le percuter. La victime - je le répète, un policier - et trois de ses
collègues venus le soutenir ont été copieusement insultés par le prévenu et sa
famille ainsi que par quelques comparses durant les six heures qu'il ont dû
attendre avant d'être entendus par le magistrat. Il est à noter que, dans ce
tribunal, personne n'est intervenu pour faire cesser ces agissements
honteux.
Le 27 février dernier, quatre policiers, dont deux blessés lors d'une
interpellation, y étaient entendus dans le cadre du procès de deux dangereux
délinquants, accusés de rébellion, pris armes à la main, pas des lance-pierres
mais des armes de sixième catégorie.
Au cours de l'audience, le juge a affiché un mépris certain vis-à-vis des
policiers. Comment ceux-ci sont-ils censés réagir à des remarques du magistrat
du style : « Vous me direz, au moins pendant que vous êtes ici, vous ne faites
pas autre chose. » ?
Quant aux verdicts prononcés dans ces deux affaires, nous croyons à une
plaisanterie de mauvais goût : 3 000 francs d'amende pour rébellion avec armes
mais, surtout, six mois avec sursis et 6 000 francs de réparation pour la
tentative d'homicide volontaire !
J'ajoute que, mardi dernier, deux jeunes pris et arrêtés en flagrant délit de
braquage par la police, reconnus par la police et déférés au parquet, ont été
relâchés immédiatement !
Je ne vous cacherai pas, monsieur le ministre, la colère des policiers et,
surtout, leur sentiment d'humiliation.
Ces jugements du tribunal de Bobigny sont la porte ouverte à tous les abus.
Ils déclarent la chasse ouverte aux policiers, et quand je dis aux « policiers
», c'est parce que je suis bien élevé.
Comment, dès lors, éviter l'écoeurement et le découragement des forces de
police ? Je rappelle que des policiers qui doutent, c'est, à terme, la fin de
l'égalité de tous devant la sécurité, c'est la loi de la jungle.
Notre code pénal autorise pourtant des sanctions exemplaires. L'Etat dispose
des moyens juridiques pour protéger ses agents. Ma question est très simple :
quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour que les outrages et
les violences subis par nos policiers soient sanctionnés avec toute la sévérité
qu'ils méritent ?
M. le président.
Pour répondre à cette question grave, la parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu interroger ma
collègue Mme le garde des sceaux sur les carences du système judiciaire en
matière d'atteintes aux représentants de l'ordre public, et elle vous en
remercie.
Ne pouvant être présente, car retenue à l'Assemblée nationale, Mme le garde
des sceaux m'a chargé de vous apporter les éléments de réponse qui vont suivre.
N'ayant pas entendu l'intégralité de votre propos, elle ne répondra peut-être
pas point par point sur tous les éléments que vous avez évoqués.
En premier lieu, elle tient à vous assurer de toute la détermination des
autorités judiciaires à poursuivre sans faille ni complaisance les outrages
dont sont victimes, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leur
mission, les représentants de l'ordre public.
Les dispositions du code pénal apparaissent de nature à permettre une
répression efficace et dissuasive de tels comportements, l'article 433-5
punissant d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs
l'outrage adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique.
Les juridictions appliquent ce texte avec toute la fermeté nécessaire. Ainsi,
suivant les dernières statistiques disponibles, 9 670 peines ont été prononcées
pour des faits d'outrage à agents de la force publique en 1997, dont 3 907
peines d'emprisonnement, à savoir 1 075 peines d'emprisonnement ferme et 2832
peines d'emprisonnement avec sursis. Le nombre des condamnations est donc en
augmentation puisqu'il s'élevait seulement - si je puis dire - à 9 439 en
1996.
En outre, le code pénal retient spécialement comme circonstance aggravante de
différents délits d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne le fait
que ces atteintes soient exercées à l'encontre d'un militaire de la gendarmerie
ou d'un fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de
l'administration pénitentiaire.
C'est dire si la loi a voulu protéger, par le jeu des qualifications pénales
aggravées, ces catégories d'agents publics confrontés souvent, c'est vrai, à la
violence de nos concitoyens.
Le recours, par la quasi-totalité des parquets de France, au traitement en
temps réel des procédures pénales a, par ailleurs, renforcé l'effectivité des
poursuites pénales engagées à l'encontre des auteurs de tels délits, qui sont
désormais jugés dans des délais beaucoup plus rapides - c'est important - et
par des décisions contradictoires, la convocation devant le tribunal
correctionnel leur étant remise en main propre.
Il ne saurait être question ici, pour des raisons bien compréhensibles par
tous, d'évoquer dans le détail l'affaire particulière à laquelle il est fait
référence dans la question posée, et qui concerne quatre fonctionnaires. Mme la
ministre est cependant en mesure de préciser, en se fondant sur les
renseignements qui lui ont été fournis par le parquet compétent, qu'aucune
impunité ne peut être invoquée dans cette affaire : les deux auteurs d'outrages
ont été déférés selon la procédure de la comparution immédiate et, après renvoi
de la procédure, condamnés par le tribunal correctionnel de Bobigny, l'un à une
peine d'emprisonnement d'un mois avec sursis, l'autre à une amende de 3 000
francs. Voilà un instant, vous avez souligné le fait que ces condamnations vous
paraissaient faibles. Sur ce point, nous sommes dans le domaine d'appréciation
des magistrats dans une échelle de peines possibles, dont l'une, je le répète,
peut aller jusqu'à six mois d'emprisonnement.
En conclusion, Mme la ministre souhaite redire devant la Haute Assemblée toute
l'attention que l'Etat porte à la protection de ses agents les plus exposés
dans l'exercice quotidien de leur mission.
M. Christian Demuynck.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la loi, précisant que son application
était laissée à l'appréciation des juges. C'est vrai ! Mais comment allons-nous
pouvoir combattre cette délinquance si les policiers ne sont pas soutenus, si
les juges font des commentaires peu amènes à leur endroit et si, par ailleurs,
les délinquants ne sont pas condamnés fermement ?
Le département de la Seine-Saint-Denis connaît une situation absolument
dramatique puisque la délinquance y progresse avec une rapidité vertigineuse, à
l'inverse d'ailleurs, des effectifs qui, eux, diminuent. Ainsi, on ne compte
plus les agressions contre des chauffeurs de bus, des agents de la RATP, de la
SNCF ou des pompiers. Pourquoi ? Simplement parce que les délinquants ont un
sentiment d'impunité : ils peuvent ainsi « foncer », tenter de renverser, voire
de tuer un policier, ne risquant - vous l'avez dit, monsieur le ministre - que
six mois de prison avec sursis. Cela n'est pas tolérable, cela ne peut pas
continuer ainsi ! Vous démoralisez complètement les fonctionnaires de
police.
Il faut donc faire quelque chose ! Il faut expliquer aux juges que cela ne
peut pas durer et que la justice doit relayer sur le terrain les policiers.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation. Je ne voudrais pas que nous restions sur un
malentendu.
La question posée par M. Demuynck portait sur la répression d'outrages,
notamment verbaux. L'échelle des peines que j'ai évoquée dans ma réponse faite
aux lieu et place de Mme le garde des sceaux visait donc ce type d'agression et
non pas, bien sûr, les violences sur la personne, voire les tentatives de
meurtre.
SUPPRESSION DU POOL DES RISQUES AGGRAVÉS
EN CORSE