Séance du 16 juin 1999
M. le président.
« Art. 5. - I. - Le premier alinéa de l'article 156 du même code est complété
par une phrase ainsi rédigée :
« Le ministère public ou la partie qui demande une expertise peut préciser
dans sa demande les questions qu'il voudrait voir poser à l'expert. »
« II. - Le dernier alinéa de l'article 164 du même code est ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article sont également applicables au témoin
assisté et à la partie civile. »
« III. - L'article 167 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Une copie de l'intégralité du rapport est alors remise, à leur demande, aux
avocats des parties. » ;
« 2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigé :
« L'intégralité du rapport peut aussi être notifiée, à leur demande, aux
avocats des parties par lettre recommandée. »
Par amendement n° 196 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent, après le I de cet article, d'insérer un
paragraphe ainsi rédigé :
« ... L'article 156 du code de procédure pénale est complété par un alinéa
ainsi rédigé :
« Sauf dispositions particulières, les mesures d'instruction ordonnées par le
juge pénal obéissent aux règles de procédure civile. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le travail d'un parlementaire est souvent un travail de Pénélope ; le rocher
de Sisyphe peut également être évoqué.
Le 18 novembre 1993, nous avions déposé exactement le même amendement, et il
avait été adopté par le Sénat. J'ai sous les yeux le compte rendu des travaux
de l'époque.
C'est par la suite qu'il y avait eu opposition de la commission - je ne sais
ce qu'elle me réserve aujourd'hui ! - qui n'avait fait que suivre le ministre,
qui était M. Méhaignerie.
Notre amendement tend à ce que les expertises ordonnées au pénal respectent le
principe de la procédure contradictoire, du contradictoire, comme on dit au
palais, principe qui vaut pour le civil.
Et j'ai donné cet exemple, à l'époque : « Selon la jurisprudence, sont en
présence, d'une part, les avocats de la défense, d'autre part, ceux des parties
civiles. Comme ces derniers ne concourent pas à l'instruction, le secret de
l'instruction ne leur est pas opposable.
« Un autre problème tient au fait que, selon un grand principe du droit civil,
les expertises doivent être contradictoires. Ainsi, lorsqu'un expert examine,
par exemple, la victime de coups, au civil, l'auteur peut être présent, de
manière à constater que la partie adverse n'essaie pas de faire "prendre des
vessies pour des lanternes" à l'expert. Il s'agit d'un principe constant.
« En revanche, en matière de droit pénal, lorsque la même affaire fait l'objet
d'une expertise, cette dernière n'est pas contradictoire. C'est tout à fait
choquant. »
« Aussi demandons-nous que, sauf exceptions prévues par la loi - dans tel ou
tel cas, que je n'imagine pas -, soit affirmé le principe du caractère
contradictoire... ».
Je citais l'exemple d'un médecin qui ferait l'objet d'une plainte pour une
opération au cours de laquelle on lui reprocherait d'avoir commis des dégâts
par imprudence ou négligence. Si l'affaire vient au civil, une expertise sera
ordonnée. Le médecin ainsi que son propre conseil pourront être présents et
discuter avec l'expert, la victime ou l'avocat de la victime. En revanche, si
l'affaire vient au pénal, l'expertise pourra se dérouler et entraîner ensuite
la conviction du tribunal, alors que ni le médecin ni son avocat n'auront été
avisés de la date et du lieu de l'expertise et n'auront bien évidemment pas pu
y assister ou s'y faire représenter.
A l'époque, nous avions été éloquemment soutenus par M. Jacques-Richard
Delong, d'une part, et M. Marcel Lesbros, d'autre part, qui déclarait : « Il me
paraît tout à fait anormal - c'est un médecin légiste qui parle - que, dans la
pratique, il soit procédé à des autopsies ou à des expertises pouvant avoir des
incidences pénales sans que les différentes parties soient représentées. Il
arrive d'ailleurs très fréquemment que le parquet doive demander une
contre-expertise pour la bonne instruction du dossier. »
Bref, l'amendement avait été adopté par le Sénat.
Nous proposons aujourd'hui le même amendement. Il est tout à fait normal que
toutes les parties, les parties civiles comme la défense, puissent être
représentées aux mesures d'expertise, sauf dispositions particulières.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Favorable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Merci !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je ne peux être favorable à cet amendement car il
soulève des difficultés considérables que je vais tenter d'exposer au Sénat
aussi clairement que possible.
Il est vrai que l'expertise pénale est moins contradictoire que l'expertise
civile. Cela s'explique par la différence des procédures : le procès pénal
n'est pas, comme le procès civil, la chose des parties ; la procédure civile
n'est pas, comme l'est l'instruction, enfermée dans des délais rigoureux, que
le présent projet de loi va, à mon avis à juste titre, rendre encore plus
rigoureux. Nous savons d'ailleurs que la lenteur des instructions est souvent
due à la lenteur des expertises.
Je vous fais également observer que plusieurs dispositions du projet de loi
viennent, autant que possible, renforcer le caractère contradictoire de
l'expertise pénale en permettant aux parties de préciser clairement les
questions qu'elles veulent voir poser à l'expert.
C'est pourquoi je pense qu'il ne faut pas adopter cet amendement qui rendrait
totalement ingérables les instructions préparatoires. Je vous demande avec
fermeté de le rejeter.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 196 rectifié.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Madame le garde des sceaux, je suis désolé d'avoir à vous contredire mais, en
matière pénale, les expertises peuvent être l'élément décisif qui entraînera la
condamnation.
Qu'est-ce qu'une expertise qui n'est pas contradictoire ? Comment discuter
d'un rapport d'expert si l'on n'a pas été associé à son élaboration, aux
constatations de l'expert, à l'échange des arguments ?
J'ai personnellement eu l'expérience de ce genre de problème lors d'accidents
survenus sur des chantiers de construction et donnant lieu à des expertises
pour déterminer la cause de la chute de tel immeuble.
Je pourrais citer le cas d'un immeuble situé avenue d'Italie. S'était-il
effondré à cause des voûtes de l'ancien immeuble, des travaux effectués sur la
chaussée, de la structure de la nouvelle construction, de la construction
voisine ou de la pression des terres ? Il y a eu de longues discussions. Ces
discussions donnent lieu ou non à une condamnation pour homicide par
imprudence.
Il est donc tout à fait essentiel, me semble-t-il, que les expertises soient
contradictoires.
Cela étant, si un expert mène son expertise avec la célérité voulue, elle se
déroule aussi vite qu'il y ait ou non des avocats. Les avocats sont convoqués
pour un rendez-vous. Ils viennent ou ne viennent pas, mais s'ils ne sont pas
là, ils ont tort. En réalité, la célérité des expertises dépend des experts.
Il est donc très important que les expertises soient contradictoires.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Je voudrais, en sus des propos de M. Fauchon, répondre à Mme
le garde des sceaux et, à cette heure tardive, apaiser un peu ses craintes.
Nous sommes au stade de l'information. L'information a pour objet de préparer
un dossier d'information qui est produit à l'audience. Aujourd'hui, certaines
expertises techniques sont extrêmement compliquées. Evidemment, si le risque
est d'alourdir quelque peu l'instruction, en revanche cela peut permettre de
gagner du temps à l'audience. En effet, dans le dossier, figureront les
questions posées et les réponses données par l'expert. On évitera ainsi que des
magistrats, surpris à l'audience par certaines questions, n'ordonnent des
compléments d'expertise. Ainsi, le temps perdu au moment de l'information sera
rattrapé au cours du procès.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je suis très heureux de constater que la sagesse peut venir avec les années et
que M. le rapporteur, qui n'avait pas été favorable à cet amendement en
1993,...
M. Hubert Haenel.
Ce n'était pas le même !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'était le même ! ... y soit aujourd'hui favorable et le défende avec beaucoup
d'éloquence et de bons arguments.
J'ai dit que la sagesse venait avec l'âge. Bien entendu, Mme le garde des
sceaux n'en est pas encore là, mais cela viendra aussi, car cela vient pour
tout le monde !
(Sourires.)
Plus sérieusement, Napoléon disait que, tant qu'il aurait l'épée au côté,
il s'en servirait pour couper la langue à ces bavards, il parlait des avocats.
Bien entendu, madame le garde des sceaux, vous n'avez jamais, heureusement,
fait vôtre cette devise. Mais je demeure tout de même confondu de vous entendre
dire que permettre aux avocats d'assister aux expertises rallongerait
l'instruction. Comme vient de le dire d'ailleurs notre collègue M. Jolibois, la
présence des avocats tendra au contraire à l'accélérer.
Mais surtout, madame le garde des sceaux, expliquez-moi pourquoi au civil les
avocats assistent aux expertises sans que personne ait jamais soulevé cet
argument qu'ils faisaient perdre du temps. Ne serait-ce pas pareil au pénal
?
Je vous ai donné cet exemple, et je le reprends pour que vous me répondiez :
lors d'un accident de la circulation, suivant que la victime se retrouvera
devant le tribunal correctionnel ou devant le tribunal civil uniquement pour
évaluer le préjudice, on aura une expertise contradictoire dans un cas, non
contradictoire dans l'autre. Ce n'est pas possible !
Je n'insiste pas plus, la cause semble entendue.
M. Jean-Patrick Courtois.
Ne rallongez pas les débats !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 196 rectifié, accepté par la commission et
repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 166, MM. Bret, Duffour et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent, dans le dernier alinéa du III de l'article 5,
de remplacer le mot « peut » par le mot « doit ».
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
L'article 5 du projet de loi marque incontestablement un renforcement des
droits des parties en matière d'expertise, et nous y sommes tout à fait
favorables.
Toutefois, nous proposons de préciser que l'intégralité du rapport « doit » et
non « peut » être notifié à leur demande aux avocats des parties, par lettre
recommandée. Cela renforce encore le texte.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La commission observe que la rédaction du projet de loi
signifie très clairement que, si les parties le demandent, l'intégralité du
rapport leur sera envoyée. En effet, il y a des cas où les parties ne le
demandent pas parce qu'elles n'en ont pas besoin.
Je ne vois pas pourquoi prévoir une automaticité de transmission alors que
tous les droits des parties sont déjà garantis aux termes de la rédaction du
projet de loi.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je veux lever tout malentendu : si l'avocat le demande,
le rapport lui est transmis. Pourquoi rendre obligatoire cette transmission si
l'avocat ne le demande pas ? Cet amendement me paraît vraiment inutile.
M. le président.
Monsieur Bret, l'amendement n° 166 est-il maintenu ?
M. Robert Bret.
Je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 166 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
M. le président.
Mes chers collègues, avant de lever la séance, je vous rappelle qu'il a été
décidé d'ouvrir la séance, demain matin, à dix heures trente, car la commission
des lois se réunit à huit heures trente.
Après la suspension du déjeuner, la séance sera reprise à quinze heures ; le
Sénat siégera le soir et, conformément à la décision prise en conférence des
présidents, éventuellement la nuit, pour s'efforcer d'achever l'examen de ce
projet de loi dans les délais souhaités par le Gouvernement.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Monsieur le président, je dois
constater que le rythme de nos débats n'est pas celui que nous escomptions ; sa
lenteur n'est pas du fait de la majorité du Sénat.
Je note également qu'il est, paraît-il, envisagé de siéger lundi prochain,
l'après-midi et le soir. Si cette séance était confirmée, il n'y aurait alors
aucune raison de siéger en séance de nuit demain soir.
M. le président.
Nous verrons demain !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Monsieur le président, je voudrais indiquer, s'agissant
de la suite de nos travaux, que le ministre des relations avec le Parlement a
adressé un courrier dans lequel il fait état d'une demande du Gouvernement de
finir l'examen de ce texte au plus tard le lundi 21 juin, l'après-midi et le
soir.
Ce que nous proposons, c'est qu'en accord avec le ministre des relations avec
le Parlement nous puissions faire le point sur la suite de nos débats demain
soir jeudi. Si nous constatons qu'il reste quelques amendements à examiner, à
ce moment-là, nous pourrions envisager de poursuivre nos travaux. C'est ainsi
qu'il nous faut procéder, afin d'éviter tout
a priori de part et
d'autre.
M. le président.
Madame le garde des sceaux, c'est ce que je proposais tout à l'heure en disant
que nous verrions demain l'état d'avancement de nos travaux.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Madame le garde des sceaux, je suis
tout à fait d'accord avec cette interprétation. Je dis simplement que le rythme
des travaux qui n'a pas été, à mon sens, d'une qualité particulière, je ne
parle pas du débat lui-même, n'est pas de notre fait.
M. le président.
Nous verrons demain.
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.
5