Séance du 17 juin 1999







M. le président. Par amendement n° 197, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "la personne", la fin de l'article 122-3 du code pénal est ainsi rédigée : "dont le tribunal estime qu'elle était en droit d'ignorer la loi ou le règlement qu'il lui serait reproché de ne pas avoir respecté". »
Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Dreyfus-Schmidt, je voudrais vous inciter à réduire autant que faire se peut vos interventions, naturellement sans trahir l'esprit des amendements ni vos commentaires. Notre objectif à tous, c'est de travailler dans les meilleures conditions possible tout en respectant les accords que nous avons pris avec le Gouvernement d'achever l'examen de ce texte cette semaine.
Je ne fais porter la responsabilité sur personne ; je dis simplement que, si chacun y met du sien, nous gagnerons un peu de temps.
Vous avez la parole, monsieur Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 197.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je me rappelle d'une période, très longue d'ailleurs, où nous avions droit à dix minutes pour exposer un amendement. Mais le bureau a réduit ce temps de parole à cinq minutes.
Je ne crois pas, en ce qui me concerne, avoir à aucun moment dépassé le temps de parole qui nous est imparti pour exposer un amendement. J'ajoute que les travaux préparatoires présentent un intérêt pour tout le monde, en particulier pour l'Assemblée nationale qui sera à nouveau saisie de ce texte, après son examen par le Sénat.
M. Michel Charasse. Faites-lui cadeau de quelques minutes, monsieur le président, c'est son anniversaire ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement, très court, pose un problème qui me paraît très important et qui est en relation directe avec la protection de la présomption d'innocence.
Nombre de personnes sont mises en examen, poursuivies et condamnées parce qu'il leur est reproché de ne pas avoir respecté un décret ou un arrêté dont elles ignoraient totalement l'existence et que tout le monde ignorait d'ailleurs ! Tant de lois, de décrets, d'arrêtés et de circulaires sont publiés au Journal officiel qu'il n'est plus possible de continuer à dire, comme on le faisait à Rome, que nul n'est censé ignorer la loi.
Cet amendement n° 197 tend à inverser ce principe, en précisant non pas que l'on a le droit d'ignorer la loi, mais que le tribunal peut estimer que l'intéressé était en droit de ne pas connaître un texte.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L'amendement de M. Dreyfus-Schmidt est philosophiquement peut-être intéressant, mais juridiquement inacceptable. En effet, on ne voit pas comment un tribunal pourrait avoir le droit d'écarter une loi votée par le Parlement parce qu'on expliquerait qu'on ne la connaissait pas.
A cet égard, les dispositions sont claires : quand une loi est publiée au Journal officiel, dans le délai prévu par nos textes, elle devient applicable à tout le monde. Par conséquent, la commission est défavorable à l'amendement n° 197.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Avis défavorable, monsieur le président.
J'ajoute que nous examinons un projet de loi qui concerne la procédure pénale et non pas le code pénal.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 197.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je comprends à la fois la démarche du président Dreyfus-Schmidt et celle du rapporteur, mais je voudrais dire au garde des sceaux qu'il existe quelquefois, en matière de sécurité civile - les règles de sécurité que nous appliquons - des instructions internes aux services qui ne sont ni diffusées ni publiées.
Lorsqu'on les revendique dans des procès pénaux devant le tribunal, comment voulez-vous qu'un responsable, fonctionnaire ou élu, puisse appliquer des disposions ou des directives qui n'ont été ni diffusées ni rendues publiques ?
Certes, le principe selon lequel nul n'est censé ignorer la loi est sacré ; mais encore faut-il, et c'est un principe de la République, que les textes soient publiés ! C'est une décision qui a été prise, je crois, en matière de jurisprudence, dès les premiers jours de la IIIe République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne sais pas si des articles du projet modifient les articles du code pénal, je n'ai pas eu le temps de le vérifier, mais, en tout état de cause, nous n'examinons pas un texte modifiant le code de procédure pénale. Le projet vise à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ; c'est en tout cas son titre. L'argument de forme ne me convainc donc pas.
Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi cette disposition serait inapplicable. Il suffit que le tribunal le dise, avec possibilité d'appel évidemment !
Encore une fois, cela est vrai pour tout le monde, mais plus encore pour les élus qui se voient reprocher de ne pas avoir vérifié la situation régulière ou non du personnel de l'entreprise ou le fait qu'un jour l'eau soit devenue impropre à la consommation, quand bien même le service est affermé !
Vous savez tout cela aussi bien que moi ! Le seul moyen de mettre un terme à de telles situations et de protéger l'innocence de ceux qui sont poursuivis et trop souvent condamnés est de voter cet amendement. Il faudra peut-être du temps pour que cette idée fasse son chemin, mais je suis convaincu qu'elle le fera.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 197, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 13, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Il est inséré, après l'article 173 du même code, un article 173-1 ainsi rédigé :
« Art. 173-1. - Sous peine d'irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen, sauf dans les cas où elle n'aurait pu les connaître.
« Il en est de même pour la partie civile à compter de sa première audition.
« II. - Le premier alinéa de l'article 89-1 et le quatrième alinéa de l'article 116 du code de procédure pénale sont complétés par les mots : ", sous réserve des dispositions de l'article 173-1".
« III. - Il est inséré, au cinquième alinéa de l'article 173 du code de procédure pénale, après les mots : "du présent article, troisième ou quatrième alinéas", les mots : ", de l'article 173-1 ;". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement a pour objet d'éviter l'annulation de l'ensemble de certaines procédures à la fin de l'instruction pour des nullités intervenues tout au début de la procédure. L'annulation globale, à la fin d'une instruction, impose de recommencer toute la procédure.
Vous savez notre souci que les procédures soient un peu activées. Ce souhait d'une évolution sur ce point a été manifesté par beaucoup d'auxiliaires de la justice.
Cet amendement figurait, d'ailleurs, dans le projet de loi réformant la procédure criminelle, dont la discussion n'a pu être conduite à son terme, et pourra, éventuellement, être perfectionné au cours de la navette.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Très favorable, monsieur le président.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5.
Par amendement n° 181, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 223-1 du code pénal est abrogé. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Le nouveau code pénal a innové dans de nombreux domaines. Il a, en particulier, trouvé le moyen, sans doute dans une ambiance de nuit du 4 août ou de « Embrassons-nous Folleville ! », de retenir des dispositions qui permettent de présumer une personne coupable d'un événement grave non encore arrivé et dont on ne sait même pas s'il se produira un jour. Il s'agit de l'article 223-1 du code pénal. Nous sommes ici dans le domaine de la présomption de culpabilité, succédané de la présomption d'innocence, donc bien dans le sujet de ce débat.
Par l'amendement n° 181, je propose de supprimer l'article 223-1 du code pénal, en vertu duquel de très nombreux responsables, élus ou non, peuvent se retrouver, ou se retrouvent, sur les bancs du tribunal pour n'importe quel événement.
Je propose cette suppression non par mépris pour la sécurité publique, mais parce qu'il s'agit d'une disposition qui tourne le dos au principe du droit selon lequel on ne condamne jamais personne qui n'a rien fait - or elle prévoit une condamnation parce que cela pourrait arriver - et sous le coup de laquelle tombent aujourd'hui des centaines de citoyens français investis d'une responsabilité d'élu ou de fonctionnaire.
Il faut savoir aussi qu'elle s'applique en fait en vertu des fantaisies réglementaires de la direction de la sécurité civile. Le changement constant des règles des normes de sécurité par de simples arrêtés ou circulaires font qu'aujourd'hui des personnes se retrouvent en situation d'être traînées devant le tribunal.
M. Jean Chérioux. Exact !
M. Michel Charasse. Je dois dire - et je parle sous le contrôle de nos collègues qui sont élus responsables régionaux, départementaux ou municipaux, que la plupart d'entre eux relèvent aujourd'hui d'une telle disposition.
A la suite de l'accident de Furiani, les dispositions relatives au fonctionnement des commissions de sécurité ont été modifiées. Désormais, elles donnent non plus des délais, mais seulement un avis, favorable ou défavorable. A partir du moment où vous vous voyez opposer un avis défavorable, vous êtes obligés de fermer.
Il faut savoir que le tiers, le quart ou le cinquième des établissements scolaires, lycées, collèges, et parfois des écoles publiques sont en situation de devoir être fermés ! Il en est de même pour un certain nombre de monuments historiques. Ainsi, je vous signale à titre anecdotique que la commission de sécurité a émis un avis défavorable sur le fonctionnement de la cathédrale de Clermond-Ferrand, qui date du Moyen Age, au motif qu'à l'époque les portes ouvraient dans le sens contraire à celui qui est prescrit par les hurluberlus de la direction de la sécurité civile au ministère de l'intérieur ! (Applaudissements.) Le maire de Clermont-Ferrand a pris la sage décision de ne rien faire, mais il pourrait se voir opposer l'article L. 223-1 du code pénal.
J'ajoute que, depuis le Moyen Age, il n'y a jamais eu un seul incident ou accident à la cathédrale de Clermont-Ferrand, sauf peut-être quelqu'un qui s'est coincé le doigt dans la porte. Mais, qu'elle ouvre dans un sens ou dans l'autre, il est des endroits, tout le monde le sait, où il vaut mieux ne pas mettre le droit, le doigt, voulais-je dire. Cela ne m'est pas arrivé, mais peut arriver à de meilleurs chrétiens que moi. (Rires.)
Voilà pourquoi je pense qu'il faut en finir avec les dispositions qui pèsent en permanence sur la tête des responsables et qui font que, dans ce pays, nous allons un jour être confrontés à une situation de blocage, car si les gens font leur métier normalement, on ne pourra plus assurer la rentrée scolaire ! Je propose donc purement et simplement la suppression de cet article scélérat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. M. Charasse ne va pas me bénir, mais le nouveau code pénal a nécessité presque quatre ans de discussion au terme desquels il a fait - ce qui est assez rare pour un monument de cet ordre - l'objet d'un consensus général des deux assemblées, tout particulièrement du Sénat.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas pour ça qu'elles ont raison !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Monsieur Charasse, l'article 223-1 que vous fustigez aujourd'hui avec un grand bonheur, et beaucoup d'humour selon votre habitude, était considéré comme l'une des innovations les plus importantes de la réforme du code pénal.
M. Michel Charasse. Par des gens qui ne sont responsables de rien !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Mais si vous souhaitez retirer cette disposition, il ne faut pas seulement évoquer le cas de la cathédrale de Clermont-Ferrand, que nous aimons tous beaucoup ; il faut aussi songer aux nombreux cas dans lesquels on ne pouvait pas poursuivre ni engager une information judiciaire lorsque des personnes mettaient autrui en danger sans qu'aucune conséquence ne s'ensuive. C'est un aspect qu'il ne faut pas négliger.
Dans notre siècle où surviennent tellement de catastrophes, l'on ne peut attendre la survenue de la catastrophe pour engager une poursuite. Il n'est pas un praticien, pas un professeur de droit, pas un magistrat qui n'ait admis l'existence d'une sorte de vide juridique et la nécessité d'introduire dans notre code pénal l'article 223-1.
Je l'ai défendu, au nom de la commission des lois. Je crois même me souvenir, sans y mettre un orgueil particulier, que je l'avais réécrit pour qu'il soit bien précis et n'entraîne pas d'application excessive telle que celle à laquelle vous avez fait allusion, monsieur Charasse. En tout cas, malgré le grand plaisir que j'ai eu à entendre votre démonstration, mon cher collègue, je suis sûr qu'aucun magistrat ne prononcerait une condamnation sur la base de l'article 223-1 pour un cas comme celui que vous venez de citer.
M. Michel Charasse. Vous vous en remettez à leur bon vouloir.
M. Charles Jolibois, rapporteur. En conséquence, personnellement, et la commission m'a suivi, je ne pense pas que l'on puisse supprimer de la sorte un des articles qui a été salué partout, dans toute la presse...
M. Michel Charasse. Et alors !
M. Charles Jolibois, rapporteur. ... comme une disposition fondamentale dans la société moderne, société de risques. Au demeurant, faute d'une étude suffisamment approfondie, la commission n'est pas en mesure d'évaluer les conséquences qui résulteraient de cette suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Depuis hier, nous voyons surgir, à l'occasion de différentes dispositions de ce projet de loi, l'importante question de la responsabilité pénale des élus et des décideurs publics. J'ai déjà eu l'occasion de dire que nous en avions discuté et qu'à la suite du débat suscité par M. Haenel j'ai décidé la création d'une commission pour examiner ce délicat problème.
Monsieur Charasse, je suis défavorable à l'amendement n° 181 parce qu'il vise à abroger un élément fondamental de la réforme du code pénal initiée par Robert Badinter ; vous m'objecterez qu'on peut tout modifier, mais je pense que cet élément ne mérite pas d'être transformé aujourd'hui.
Dans le souci de gagner du temps et pour ne pas avoir à répéter mon analyse sur chaque amendement, j'indiquerai d'emblée mon point de vue sur la série d'amendements dont M. Charasse est l'auteur et qui ont leur cohérence.
Vos amendements obéissent, en effet, à une cohérence et à une logique qui se défendent parfaitement au nom d'une philosophie qui n'est pas la mienne, vous le savez, monsieur le sénateur. Dans ces amendements, vous visez trois objectifs de nature différente.
Le premier concerne les magistrats, avec la méfiance que nous vous connaissons et que vous éprouvez à leur égard.
M. Michel Charasse. Le mot est faible !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Oui, mais, justement, je n'ai pas voulu trop accentuer le propos. J'aurais pu parler de méfiance profonde, voire employer un mot plus vif.
M. Hubert Haenel. Non, il ne le faut pas !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je tiens à rester modérée dans mes appréciations.
M. Michel Charasse. Vous savez que c'est réciproque !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le deuxième objectif vise la presse. Là encore, vos amendements sont marqués par la méfiance que vous inspirent les journalistes.
Enfin, une troisième série d'amendements vise les élus, plus généralement ceux que l'on appelle les décideurs publics. Là, vos amendements sont marqués par la volonté de les protéger.
Certes, il nous faut trouver les voies et moyens pour faire en sorte que la responsabilité des élus et des décideurs soit mise en jeu de façon plus pertinente. J'ai cette volonté. Mais nous ne pouvons pas réaliser ce travail au détour de ce projet de loi, même si nous y avons beaucoup réfléchi. J'estime d'ailleurs que toute une série de dispositions doivent entrer en jeu et pas seulement des dispositions législatives que, bien entendu, je n'exclus pas.
Nous devons, avant de nous déterminer, explorer toutes sortes d'actions à mener en termes de formation, d'informations réciproques, de liens entre les personnes, de présence plus importante des tribunaux administratifs et de mise en jeu de la responsabilité civile. Il s'agit d'un problème de société très général.
Votre volonté de protéger les élus et décideurs publics vous conduit donc à vouloir réintroduire dans notre code des procédures dérogatoires au droit commun qui ont été abrogées depuis longtemps. Je ne vois pas, pour ma part, comment il serait aujourd'hui possible à un Etat de droit de rétablir des immunités, des privilèges que toute notre histoire républicaine, depuis 1870, s'est employée à abolir.
Je rappelle que, depuis la suppression de l'article 75 de la constitution de l'an VIII, on a assisté à l'avènement régulier du principe de l'assujettissement des agents de l'administration et des élus aux règles communes du droit et de la procédure pénale, et je fais confiance aux procédures de droit commun, comme d'ailleurs la plupart des pays européens.
Il ne peut être question de rétablir l'irresponsabilité pénale pour une catégorie de personnes à raison de certains délits.
Il n'est pas question non plus de rétablir l'autorisation préalable aux poursuites pénales engagées contre les agents publics, similaires à celles qui existaient au siècle dernier.
Le fait que les responsables publics doivent répondre de leurs actes selon les procédures de droit commun pose des problèmes dans certains cas, c'est évident, je l'ai dit. Il faut les traiter, et j'ai cette volonté. C'est l'objet de la mission qui a été confiée à M. Jean Massot...
M. Hubert Haenel. C'est toujours plus tard !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... mission qui sera installée, dès lundi prochain, au ministère de la justice.
Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le sénateur, sur les amendements que vous avez présentés s'agissant des élus. J'aurai l'occasion de revenir sur ceux que vous présentez au sujet des magistrats et de la presse.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 181.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je ne crois pas que l'on puisse entrer dans la voie que nous suggère notre collègue et procéder ainsi, à la sauvette, à la suppression d'une disposition qui est d'une grande portée et qui a toute sa valeur.
Notre collègue nous a dit tout à l'heure que l'ennui de ce texte c'est qu'il réprimait par avance des délits dont on ne connaissait ni les auteurs, ni les circonstances. Mais tous les textes du code pénal répriment par avance des délits, des crimes ou des contraventions dont on ne connaît ni les circonstances ni les auteurs, et Dieu merci ! Si on faisait la loi avec effet rétroactif pour des faits passés dont on connaîtrait les circonstances et les auteurs, ce serait effrayant. Les lois sont faites pour les délits susceptibles d'être commis dans l'avenir. Il n'y a donc là rien d'anormal.
Vous dites que tel ou tel article du code pénal peut faire l'objet d'une mauvaise application ! Mais tous les articles du code pénal peuvent faire et font, hélas ! assez fréquemment, l'objet d'interprétations abusives et contestables.
Si en un tournemain nous supprimons un article du code pénal qui a pu apparaître comme comportant des déviations d'application - je ne connais d'ailleurs pas un si grand nombre de cas - je suggère que l'on supprime tout le code pénal ! Ainsi, la situation sera plus claire !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je n'ai pas l'honneur d'appartenir à la commission des lois et je ne suis pas un grand juriste. (Protestations.) Mais il me semble que l'amendement qui a été déposé par M. Charasse a sa justification. En effet, la mise en cause répétée et incessante des décideurs publics devient excessive. Madame la ministre, vous avez vous-même reconnu qu'il y avait un problème puisque vous allez installer une mission d'information.
Je crois, pour ma part, qu'il faut faire un petit pas de plus. Ce projet de loi n'est pas déclaré d'urgence. Il y aura donc une navette. Il ne serait pas mauvais que le Sénat marque son souhait de voir étudier la question rapidement. La meilleure solution serait que nous adoptions l'amendement de notre collègue Michel Charasse. Ainsi, la mission d'information stimulée par le vote du Sénat pourrait rendre à temps son verdict pour que le Parlement dans son ensemble, bien éclairé, vote un texte définitif répondant au besoin. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous avons écouté avec beaucoup d'attention les propos de Mme le garde des sceaux.
Nous sommes confrontés à une question de principe.
D'abord, il faut bien admettre que certaines des dispositions que nous avons votées, qui ont pu sembler bonnes au moment où nous les avons adoptées peuvent avoir des effets pervers. Toute bonne décision peut avoir des effets pervers. La sécurité sociale en est un exemple, mais il en est beaucoup d'autres. Ce que Michel Charasse souligne en cet instant est peut-être un effet pervers. Il appartiendra au Sénat de décider.
J'en viens au problème de la responsabilité pénale des élus et des décideurs publics. Cela fait des mois, pour ne pas dire des années, que nous posons le problème et que l'on nous répond, selon le mot de Clemenceau : « Créons une commission d'études ». Dans combien de temps cette commission va-t-elle statuer ? Nous n'en savons rien.
Nous ignorons ce qu'elle proposera, et je ne sais d'ailleurs pas si des membres du Parlement y seront associés. (Mme le ministre fait un signe d'assentiment.) J'en prends acte, madame le ministre, mais ils n'y seront sûrement pas majoritaires, et donc l'avis de la commission vaudra à nos yeux ce qu'il vaudra.
J'en viens maintenant à l'argument que vous avez évoqué, madame le garde des sceaux, à l'appui du rejet de certaines dispositions, à savoir que nous toucherions au code pénal.
Pourquoi ne toucherions-nous pas au code pénal dans un certain nombre de domaines, dans la mesure où les modifications que nous apporterons le cas échéant seraient de nature à permettre d'atteindre les objectifs visés par le présent texte, à savoir le renforcement de la présomption d'innocence ?
J'ajoute que, dans le cadre général de notre réflexion, il est clair qu'un très grave problème est posé : faut-il ou ne faut-il pas aligner le statut de l'élu sur le droit commun en matière pénale. Il est peut-être tentant d'aller dans le sens de l'alignement, ce que l'on a d'ailleurs fait très largement, mais ne faut-il pas se demander aussi si, compte tenu de ce qu'est l'élu ou le décideur public, certaines précautions d'ordre juridique ne doivent pas être prises ? En effet, la responsabilité pénale encourue par celui-ci est véritablement de nature tout à fait particulière. Les élus sont confrontés à des délits matériels ; or, à partir du moment où le délit est matériel, il n'y a pas à apporter la preuve de l'intention coupable. Nous allons véritablement très loin.
J'ai enregistré l'avis de M. le rapporteur que, pour ma part, je suivrai. Mais, sur ce point particulier, je pense que nous devons bien avoir conscience du contexte dans lequel s'inscrit notre discussion.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Sur cette affaire, la commission a été très divisée, il convient de le souligner.

En fait, il ne faut pas avoir, à l'égard du code pénal, cette déférence que l'on doit avoir à l'égard des Tables de la Loi.
Bien sûr, nous avons mis près de deux siècles à refaire un code pénal qui soit adapté aux conditions de la vie actuelle. Ce texte, nous l'avons adapté à la quasi-unanimité, mais je me méfie comme de la peste de ces textes que l'on adopte à l'unanimité car, en général, on s'aperçoit à l'usage que l'on a oublié un certain nombre de choses.
M. Jean-Jacques Hyest. Nous avons tout de même eu un débat, il ne faut pas exagérer !
M. Patrice Gélard. Je crois qu'il est temps de remettre sur le métier un certain nombre de dispositions du code pénal que, avec les meilleures intentions du monde, la commission présidée par Mme Delmas-Marty avait voulu moderniser et adapter. On aboutit en effet à l'inverse de ce que l'on recherchait : on a pénalisé toute une série de comportements qui relèvent, en réalité, de la responsabilité civile, non de la responsabilité pénale.
Par conséquent, il est temps de dépénaliser un certain nombre d'infractions actuelles, notamment tout ce qui concerne l'imprudence et la négligence, en dehors, bien sûr, du code de la route.
M. Pierre Fauchon. Pourquoi « en dehors du code de la route » ?
M. Patrice Gélard. Parce qu'y sont visées des infractions très particulières : lorsqu'on met la vie des gens en danger en prenant le volant après avoir bu de l'alcool, on a un comportement qui, par nature, relève du crime ou du délit.
M. Michel Charasse. Et lorsque quelqu'un est tabassé par des flics « bourrés », de quoi s'agit-il ?
M. Patrice Gélard. Ce que je veux essentiellement dire, c'est qu'on a placé dans le code pénal des dispositions qui ne devraient pas s'y trouver. Il est temps de poser le problème : on ne va pas, une fois de plus, renvoyer la révision du code pénal à plus tard, en attendant le rapport de commission Y ou X. Il est temps de s'attaquer à l'analyse lucide de ce qui ne « colle » pas dans notre code pénal.
C'est pourquoi, nous pouvons, me semble-t-il, remercier notre collègue M. Charasse d'avoir mis le doigt là où ça fait mal.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'introduire des cavaliers dans la loi sur la présomption d'innocence ; il ne s'agit pas de profiter de cette circonstance pour bouleverser notre droit pénal. Mais nous sommes en première lecture au Sénat, et il est parfaitement normal de mettre, comme M. Charasse l'a fait, le doigt là où ça fait mal, quitte à harmoniser ultérieurement nos positions, en liaison avec l'Assemblée nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Vous avez justement indiqué, monsieur Gélard, que les membres de la commission des lois étaient divisés sur cette question. Mais ils se sont finalement ralliés à la méthode suivante : admettre toute une série d'amendements pour lancer un signal concernant la protection des élus, tout en considérant qu'il serait quand même plus sage de ne pas modifier un des articles fondamentaux du code pénal sans avoir procédé à un examen approfondi de toutes les conséquences qu'une telle modification entraînerait.
Je signale que la dérive que vous constatez, c'est-à-dire la pénalisation outrancière, ne date pas du nouveau code pénal ; elle est bien antérieure.
Cette pénalisation vient essentiellement de ce que, à l'heure actuelle, les gens qui poursuivent préfèrent très souvent agir par la voie pénale pour récolter les preuves.
M. Hubert Haenel. C'est la voie royale !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Exactement ! Quand on n'a pas de preuves alors qu'on sait qu'il en existe, il est évidemment beaucoup plus commode de porter son dossier sur un plan pénal.
M. Hubert Haenel. Ça coûte moins cher !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Bien sûr, puisque le travail est fait par le juge d'instruction !
Cela dit, il faut reconnaître que notre société voit apparaître toute une série de drames qu'elle ne connaissait pas auparavant. Je pense à l'affaire du sang contaminé, à propos de laquelle j'ai eu à présenter un rapport, à l'actuelle affaire de la dioxine. Il y a, aujourd'hui, dans notre société, des phénomènes de masse tels que, tous les jours, des personnes commettent des imprudences susceptibles d'avoir de très graves conséquences.
Ayant bien réfléchi au problème, je crois que cet article du code pénal peut tout de même permettre d'enrayer d'effroyables malheurs ou même d'empêcher qu'ils ne se produisent, et nous devons bien mesurer les répercussions qu'aurait sa suppression.
Bien sûr, nous voulons, nous aussi, éviter que les élus soient sans cesse sous la menace de poursuites. C'est pourquoi nous vous proposerons tout à l'heure d'adresser un signal, un signal très fort. Mais nous le ferons en nous en tenant au plan de la procédure.
Nous comprenons bien cette volonté de protection des élus et d'autres décideurs publics, mais nous pensons qu'il ne serait pas judicieux de traduire cette volonté par la suppression d'un article du code pénal qui est très important et qui ne vise pas seulement les élus, car cela reviendrait en fait à remettre en cause tout un chapitre du code pénal.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je souhaite rappeler les termes de l'article 223-1 du code pénal :
« Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende. »
Nous sommes dans le champ des infractions volontaires,...
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... manifestement délibérées, pouvant entraîner la mort ou l'infirmité d'autrui.
A la veille des vacances, il faut avoir présent à l'esprit que c'est sur la base de cet article que sont condamnés chaque année ces chauffards dont la conduite inadmissible sur la route aboutit à la mort de familles entières.
Par conséquent, je considérerais comme extrêmement grave que le Sénat vote la suppression de cet article du code pénal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je note que, jusqu'à présent, nul ne s'est encore exprimé de ce côté-ci de l'hémicycle. Ce n'est donc pas notre faute si la discussion a cette profondeur, que, d'ailleurs, elle mérite. Il n'est évidemment pas question de légiférer à la sauvette : nous devons prendre le temps nécessaire précisément.
M. le président. Personne ne vous le reproche ! Chacun intervient au moment où il le souhaite pour expliquer son vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Moi, je ne reproche rien à personne, monsieur le président ! Je fais simplement une constatation.
J'avais entendu dire qu'il ne fallait pas légiférer à la sauvette. J'en suis évidemment d'accord, et je me demande, monsieur le président, pourquoi vous m'interrompez.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous avez assumé la fonction qui est la mienne aujourd'hui pendant un nombre significatif d'années. Chaque président joue le rôle qu'il estime devoir jouer.
Cela dit, je vous rappelle que vous avez la parole pour expliquer votre vote sur l'amendement n° 181.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
Madame le garde des sceaux, je me permets d'abord de vous rappeler que, dans votre projet de loi, les articles 26 et 27 tendent à modifier le code pénal.
Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec vous pour estimer qu'il est choquant de parler d'une protection des élus, des militaires, des fonctionnaires et que la loi doit être la même pour tous. J'ai passé beaucoup de temps à le dire lors de la discussion qui a précédé l'adoption de la loi du 13 mai 1996, qui fait précisément un sort particulier aux élus, aux fonctionnaires et aux militaires, lesquels avaient d'ailleurs été initialement oubliés.
Vous nous dites que cette question ne doit pas être abordée maintenant. Il est évident que les sénateurs sont les témoins privilégiés de mises en examen d'élus, et c'est par commodité que nous parlons de la protection des élus ; mais nous ne demandons pas pour eux une protection particulière : nous la demandons pour tous les citoyens, les amendements que nous avons déposés et qui seront examinés tout à l'heure le démontrent.
Vous nous dites avoir mis en place une commission. Mais c'est très exactement ce qu'avait déjà fait votre prédécesseur, M. Toubon, lorsque nous avons débattu du texte qui devait devenir la loi du 13 mai 1996. Un amendement du Gouvernement, déposé le dernier jour de la discussion, faisait mention du compte rendu d'une mission du Conseil d'Etat - et nous avions demandé, d'ailleurs vainement, qu'il soit versé au débat - présidée par M. Jacques Fournier.
Vous disposez donc déjà, dans vos archives, d'une étude sur ce sujet. Dès lors, il n'est pas nécessaire de recommencer ! Nous sommes suffissamment éclairés ; nous savons tous de quoi il s'agit.
Je regrette quelque peu que cet amendement n° 181 n'ait pas été appelé en discussion commune avec ceux qui seront examinés tout à l'heure. En effet, madame le garde des sceaux, vous nous dites que c'est sur la base de l'article 223-1 que sont condamnés ceux qui tuent sur les routes, mais je me permets de vous rappeler qu'il existe également un article 221-6, qui dispose :
« Le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende.
« En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500 000 F d'amende. »
Voilà le texte qui est appliqué pour condamner les chauffards qui donnent la mort.
Un article identique s'applique également au cas de blessures entraînant des incapacités de travail.
Nous proposerons tout à l'heure de supprimer complètement, et pour tous, les délits involontaires. Vous avez, à juste titre, fait la différence : la violation délibérée, et même manifestement délibérée, est, elle, volontaire. Ce qui est involontaire, ce sont les conséquences qu'elle entraîne.
Dans un de nos amendements, que nous examinerons ultérieurement, la violation délibérée entraînant la mort ou des blessures reste un délit. En revanche, nous proposons la suppression pure et simple de tout ce qui est involontaire.
La raison d'être de l'amendement de suppression de l'article 223-1 du code pénal, présenté par notre collègue, est la suivante : en punissant ceux qui exposent directement autrui à un risque immédiat, cet article porte sur des événements qui ne se sont pas encore produits ; il vous en a fourni des exemples.
Vous rétorquez que celui qui conduit sous l'empire d'un état alcoolique et qui cause un accident est puni en application de l'article 223-1 du code pénal. Mais des textes spécifiques existent qui permettent de condamner la conduite en état d'ivresse. Pardonnez-moi, mais vous ne m'avez pas convaincu, et l'amendement de notre collègue ne nous choque pas.
J'ajoute que l'article 121-3 du code pénal dispose qu'« il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».
Vous ajoutez « violation délibérée »...
M. Pierre Fauchon. Manifestement délibérée !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne suis pas sûr que la jurisprudence ait jamais fait une différence entre « manifestement délibérée » et « délibérée ».
Cela étant, je pense en effet que l'article dont notre collègue demande la suppression peut parfaitement être abrogé sans diminuer en rien la nécessaire répression des violations délibérées de la loi causant à autrui la mort ou des blessures. D'autres articles le prévoient.
M. Jean-Jacques Hyest. Faut-il donc tuer pour être poursuivi ?
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas le problème !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Monsieur le président, je souhaite que soient appelés immédiatement en discussion tous les amendements tendant à insérer des articles additionnels après l'article 5 ou après l'article 19, le vote sur l'amendement n° 181 étant réservé.
Au sein de cette discussion commune, je demande l'examen, par priorité, des amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les demandes de réserve et de priorité formulées par la commission ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. La priorité et la réserve sont ordonnées.
J'appelle donc, par priorité, les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié, présentés par M. Vasselle et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
L'amendement n° 179 rectifié tend à insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le quatrième alinéa de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi rédigé :
« Les dispositions prévues aux articles L. 2123-34, L. 3123-28 et L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales sont applicables au fonctionnaire, à l'agent non titulaire de droit public ou à l'ancien fonctionnaire lorsqu'il risque d'être mis en cause pénalement. »
« II. - L'article 11 bis A de la même loi est abrogé. »
L'amendement n° 180 rectifié a pour objet d'insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Art. L. 2123-34. - Dès qu'un maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la République afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.
« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le maire ou l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation peut être mis en cause pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. »
« II. - L'article L. 3123-28 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 3123-28. - Dès qu'un président de conseil général ou un vice-président ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la République afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.
« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le président du conseil général ou le vice-président ayant reçu une délégation peut être mis en cause pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. »
« III. - L'article L. 4135-28 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 4135-28. - Dès qu'un président de conseil régional ou un vice-président ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la République afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.
« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le président du conseil régional ou le vice-président ayant reçu une délégation peut être mis en cause pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. »
« IV. - Les dispositions de cet article sont applicables aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.
« V. - Les modalités d'application de cet article sont déterminées par décret. »
La parole est à M. Vasselle, pour défendre ces deux amendements.
M. Alain Vasselle. L'amendement le plus important est l'amendement n° 180 rectifié, l'amendement n° 179 rectifié lui étant, bien entendu, étroitement lié.
L'amendement n° 180 rectifié a pour objet d'attirer l'attention de la représentation nationale sur la question essentielle, pour la sauvegarde de la démocratie locale, de la responsabilité pénale des élus. En effet, ces derniers ont connu la multiplication de la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux, en particulier des maires.
Cette situation, avec la stigmatisation des personnes concernées qu'elle entraîne dans l'opinion, alors qu'il n'y a pas, dans la plupart des cas, soupçon d'enrichissement personnel, impose de prendre conscience de l'insuffisance des dispositions législatives actuelles dans ce domaine et, d'une manière plus générale, de l'absence d'un véritable statut de l'élu, malgré la qualité des réflexions sur le sujet et le vote de textes qui les ont suivies.
On peut faire mention, en particulier, de la loi du 13 mai 1996, à laquelle il a été fait référence à plusieurs reprises ce matin, relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, qui résulte d'une proposition de loi sénatoriale dont le premier signataire fut notre éminent collègue Jacques Larché, président de la commission des lois.
Les raisons de l'accroissement de la mise en cause de la responsabilité pénale des élus sont parfaitement identifiées : la multiplication des textes législatifs et réglementaires auxquels s'ajoutent directives et règlements européens qu'il est extrêmement difficile de connaître, donc de maîtriser, surtout pour des maires ruraux qui n'ont pas les moyens matériels de s'entourer d'une assistance juridique suffisante, alors même que les lois de décentralisation ont accru les compétences des collectivités terrritoriales. J'ai été heureux d'entendre mes collègues MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt argumenter à plusieurs reprises sur différents amendements en faisant valoir cette situation.
Ainsi, on demande de plus en plus de compétences à un élu local qui n'en peut mais, sans lui offrir ni les moyens pour les exercer dans de bonnes conditions ni les garanties pour pouvoir les assumer.
Or la conjonction de l'ensemble de ces facteurs fait courir un risque au principe même de démocratie locale. Devant le risque pénal encouru, l'élu peut céder soit au découragement et ne plus se représenter, soit à la tentation de l'immobilisme pour minimiser ledit risque. Cela pourrait alors conduire à la professionnalisation de cette fonction, les personnes possédant une véritable compétence technique osant seules présenter leur candidature. Qu'en serait-il alors, mes chers collègues, du libre accès aux fonctions électives que nous défendons tous ?
Pour éviter cet écueil, sans pour autant s'exposer à la critique - elle viendra de toute façon - de la création d'un justice particulière pour les élus locaux et ceux qui les assistent, la voie est plus qu'étroite.
Je veux rappeler, à cet égard, que, pour certains juristes, reprenant en cela l'opinion commune, la loi du 13 mai 1966 instaure déjà une rupture d'égalité entre les citoyens devant la loi au profit des élus locaux. Ainsi, quoi que le législateur entreprenne dans ce domaine, sa démarche sera perçue comme l'expression d'une volonté d'instaurer un privilège injustifié en faveur des élus, ses pairs, par rapport au reste de la population.
C'est pourquoi le présent amendement a pour objet de prévoir, pour tous les exécutifs locaux - même si ce sont les maires des petites communes qui sont le plus concernés par ce problème, car ils disposent de peu de moyens, il ne semble pas pertinent de réserver à une catégorie d'élus seulement le bénéfice de ces dispositions - la saisine immédiate du Conseil d'Etat, lorsqu'un élu est susceptible d'être mis en cause pénalement, afin qu'il désigne, dans un délai très bref, un tribunal administratif chargé de déterminer si ledit élu a commis ou non une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
Pourquoi choisir de demander au Conseil d'Etat de désigner un tribunal administratif, au risque de perdre du temps au dire de certains ? Parce qu'il me semble important, dans ces sortes d'affaires où les langues pas toujours bienveillantes se délient et où la presse locale n'est généralement pas en reste, de dépassionner l'affaire et de permettre à la justice de s'exercer sereinement, loin des pressions locales de tous ordres.
Certains estimeront, bien sûr, que c'est revenir avant l'intervention de l'arrêt Thépaz du tribunal des conflits en date du 14 janvier 1935 ; M. Fauchon le rappellera certainement. Peut-être, mais permettre à la situation actuelle de perdurer sans trouver de moyen d'y remédier, c'est mettre en danger la démocratie locale et, par là même, risquer de revenir plus d'un siècle en arrière.
A cet égard, la solution que nous vous proposons me semble à la fois la plus sage, la plus efficace et la plus rapide. Elle sera la plus rapide, car la procédure sera enserrée dans des délais extrêmement brefs. Elle sera la plus efficace et la plus sage, car l'ordre administratif est plus à même d'évaluer de manière équilibrée - en tout état de cause, mieux que le juge pénal - les contraintes qui pèsent sur les élus locaux.
Le tribunal administratif aura un mois pour se prononcer. A l'issue de ce délai, s'il conclut à l'existence d'une faute détachable, l'élu pourra être mis en cause pénalement comme n'importe quel citoyen ; j'insiste sur ce point. Il ne bénéficiera alors d'aucun privilège spécifique. S'il n'y a pas faute détachable, il appartiendra au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître.
Ainsi, cet amendement a pour objet non pas d'exonérer les élus locaux de toute responsabilité, mais, au contraire, de mieux identifier celle-ci, pour qu'il n'y ait plus d'amalgame entre les élus, peu nombreux, qui ont abusé de leurs fonctions pour commettre des actes délictueux et qui doivent être jugés selon le droit commun - nous en sommes d'accord - et ceux qui, par manque de moyens et méconnaissances des textes et des procédures - notre collègue Michel Charasse l'a dit tout à l'heure - ont pu enfreindre ceux-ci et celles-là.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, mes chers collègues, d'adopter le présent amendement.
M. le président. Je suis maintenant saisi de cinq amendements, qui font également l'objet de cette discussion commune.
Par amendement n° 124, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Lorsqu'une personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit dépose plainte contre un élu municipal agissant en qualité de maire ou par délégation de ce dernier, le procureur de la République saisit le tribunal des conflits afin qu'il apprécie le caractère sérieux et fondé de la plainte et, dans l'affirmative, qu'il détermine si les faits incriminés sont détachables ou non de la fonction d'élu municipal. Dans le cas où le tribunal des conflits déclare que les faits ne sont pas détachables de la fonction, il examine si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il dispose et dans l'affirmative ordonne le renvoi devant les juridictions administratives compétentes. Dans le cas contraire ou si les faits sont détachables de la fonction, il ordonne le renvoi devant la juridiction judiciaire compétente. »
Par amendement n° 125, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article L. 3123-28 du code général des collectivités territoriales, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Lorsqu'une personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit dépose plainte contre un membre d'un conseil général agissant en qualité de président ou par délégation de celui-ci, le procureur de la République saisit le tribunal des conflits afin qu'il apprécie le caractère sérieux et fondé de la plainte et, dans l'affirmative, qu'il détermine si les faits incriminés sont détachables ou non de leurs fonctions. Dans le cas où le tribunal des conflits déclare que les faits ne sont pas détachables de la fonction, il examine si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il dispose et dans l'affirmative ordonne le renvoi devant les juridictions administratives compétentes. Dans le cas contraire ou si les faits sont détachables de la fonction, il ordonne le renvoi devant la juridiction judiciaire compétente. »
Par amendement n° 126, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Lorsqu'une personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit dépose plainte contre un membre d'un conseil régional agissant en qualité de président ou par délégation de celui-ci, le procureur de la République saisit le tribunal des conflits afin qu'il apprécie le caractère sérieux et fondé de la plainte et, dans l'affirmative, qu'il détermine si les faits incriminés sont détachables ou non de leurs fonctions. Dans le cas où le tribunal des conflits déclare que les faits ne sont pas détachables de la fonction, il examine si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il dispose et dans l'affirmative ordonne le renvoi devant les juridictions administratives compétentes. Dans le cas contraire ou si les faits sont détachables de la fonction, il ordonne le renvoi devant la juridiction judiciaire compétente. »
Par amendement n° 127, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après le premier alinéa de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, un alinéa ainsi rédigé :
« Les maires ou les élus municipaux les suppléant bénéficient de la même protection lorsqu'ils agissent en qualité d'agent de l'Etat. »
Par amendement n° 182, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales les mots : "ne peut être condamné" sont remplacés par les mots : "ne peut être mis en examen, ni poursuivi". »
La parole est à M. Charasse, pour défendre ces cinq amendements.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, je serai bref, car les amendements n°s 124, 125 et 126 ont exactement le même objet : ils s'appliquent respectivement aux élus municipaux, aux élus départementaux et aux élus régionaux. Seuls les amendements n°s 127 et 182 sont différents.
Globalement, le système que je vous propose est un peu analogue à celui qu'a présenté M. Vasselle, mais, au lieu de laisser au Conseil d'Etat le soin d'effectuer le tri des plaintes qui sont déposées, je confie cette mission au tribunal des conflits.
L'option de M. Vasselle - je parle sous le contrôle du professeur Gélard - n'est pas sans rappeler l'article 75 de la constitution de l'an VIII, aux termes duquel c'est le Conseil d'Etat lui-même qui donnait ou non l'autorisation d'engager des poursuites.
Par conséquent, ma démarche est la même que celle de M. Vasselle, mais le dispositif que je vous propose est un peu différent.
L'amendement n° 127 ne devrait pas poser de problème, ni au Sénat ni à l'Assemblée nationale.
Comme on le sait, le maire et ceux qui le remplacent - adjoints ou conseillers municipaux - sont conduits à agir dans l'exercice de leurs fonctions en tant qu'agents de l'Etat. C'est écrit noir sur blanc dans le code général des collectivités territoriales ! Or, mes chers collègues, les maires et les élus municipaux agissant en qualité d'agents de l'Etat sont les seuls agents de l'Etat à ne pas être protégés par l'Etat.
Cet amendement n° 127 a donc tout simplement pour objet de compléter le statut général de la fonction publique, c'est-à-dire la loi du 13 juillet 1983, afin de préciser que le maire et les élus municipaux qui le remplacent, agissant en qualité d'agents de l'Etat, ont droit à la même protection de l'Etat lorsqu'ils sont l'objet de contentieux.
L'amendement n° 182 concerne les dispositions de la loi du 13 mai 1996 - M. Dreyfus-Schmidt y a fait allusion voilà un instant - que l'on a appelée « loi Delevoye » parce qu'elle avait été suggérée, à l'origine, par le président de l'Association des maires de France. Cette loi concerne - je le précise au passage - tous les agents publics, c'est-à-dire les fonctionnaires publics et autres, et pas seulement les élus.
L'article 2 de cette loi dispose : « Le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné... que s'il est établi qu'il n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait, ... ». J'ai toujours dit à M. le président Delevoye - et nous en avons parlé au bureau de l'Association des maires de France il y a peu de temps - qu'en réalité cette loi était insuffisamment protectrice face à la manie de nos concitoyens, dès qu'il y a quelque chose qui ne va pas - on tombe d'un trottoir, on bute contre une poubelle parce qu'on baye aux corneilles, on regarde ailleurs... - de déposer immédiatement une plainte.
M. Jean Chérioux. Responsable !
M. Michel Charasse. Le juge ne peut rien faire d'autre, dans ce cas, que de mettre en examen.
M. Hubert Haenel. Eh oui !
M. Michel Charasse. Et ce qui est extrêmement fâcheux pour les agents publics - les fonctionnaires comme les élus ! - c'est que, la mise en examen, c'est déjà l'opprobre.
M. Hubert Haenel. Bien sûr !
M. Michel Charasse. C'est exactement comme une appréciation défavorable d'une chambre régionale des comptes sur la comptabilité. Les gens considèrent, dans les petites communes en particulier, et même dans les communes moyennes, qu'il y a forcément malhonnêteté, alors qu'il n 'y a qu'une irrégularité comptable qui n'a pas nécessairement entraîné de vol.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Michel Charasse. A partir du moment où le législateur lui-même a pris la précaution de dire que l'on ne peut pas condamner quelqu'un qui a fait son travail, avant d'aboutir à la mise en examen, il faut préalablement, dans l'enquête préliminaire, s'assurer s'il a fait son travail ou pas. C'est la raison pour laquelle je vous propose de remplacer les mots : « ne peut être condamné » par les mots : « ne peut être mis en examen, ni poursuivi ». Si, au cours de l'enquête préliminaire, on constate qu'au fond la personne mise en cause avait pris toutes les dispositions nécessaires, eh bien ! dans ce cas, l'affaire est classée sans suite.
La « loi Delevoye » a forcément changé quelque chose, dans la mesure où l'on ne peut pas être condamné s'il n'est pas établi que l'on n'a pas accompli les diligences normales. Mais, aujourd'hui, vous le savez bien, la condamnation se fait par voie de presse, par la clameur publique ! (Marque d'approbation sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. C'est le pilori !
M. Michel Charasse. A partir du moment où c'est écrit dans le journal, vous trouverez toujours, dans vingt ans, un vieux pépère au fond d'une salle qui dira : « Mais vous, vous avez eu un ennui, je m'en souviens très bien », et qui sortira la coupure de journal. En effet, aujourd'hui, la clameur publique rend la justice à la place de l'institution judiciaire.
Si, ensuite, le non-lieu est prononcé - c'est forcément le cas dans une telle situation - ou si on ne donne pas suite à l'affaire, eh bien ! c'est terminé : l'intéressé est condamné par l'opinion publique !
M. Alain Vasselle. Très juste !
M. Michel Charasse. Par conséquent, ce que je souhaite, c'est que les agents publics ne puissent pas être mis en examen sans que l'on se soit assuré auparavant qu'ils sont bien fautifs et qu'ils n'ont pas obéi aux prescriptions de l'article en cause.
Tel est l'objet de l'amendement n° 182.
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. le président. Je vous rappelle, monsieur Charasse, que, si les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié de M. Vasselle sont adoptés, vos amendements n°s 124, 125 et 126 n'auront plus d'objet.
M. Michel Charasse. Bien entendu !
M. le président. Par amendement n° 199,MM. Dreyfus-Schmidt et Charasse proposent d'insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A. - Le premier alinéa de l'article 221-6 du code pénal est supprimé.
« B. - En conséquence, le deuxième alinéa du même article est ainsi modifié :
« Les mots : "En cas de" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer la mort d'autrui par un" et les mots : "les peines encourues sont portées à" sont remplacés par les mots : "est passible de".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 221-7 du même code est ainsi rédigé : "3° La peine mentionnée au 4° de l'article 131-39."
« III. - A. - Le premier alinéa de l'article 222-19 du code pénal est supprimé.
« B. - En conséquence, le deuxième alinéa du même article est ainsi modifié :
« Les mots : "En cas de" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois par un" et les mots : "les peines encourues sont portées à" sont remplacés par les mots : "est passible de".
« IV. - Au début du dernier alinéa de l'article 222-21 du même code, les mots : "Dans les cas visés au deuxième alinéa de" sont remplacés par les mots : "Dans le cas visé par".
« V. - Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, les articles L. 2123-34, L. 3123-28, L. 4135-28, L. 4422-10-1 et L. 5211-8 du code général des collectivités territoriales, l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et l'article 14-1 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires sont abrogés. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je dois dire que je tiens beaucoup à cet amendement, qui me paraît préférable à ceux qui viennent d'être exposés, y compris, et je vais vous indiquer pourquoi, ceux de notre collègue Alain Vasselle que j'aimerais convaincre, même si la commission des lois, ayant demandé que ses deux amendements soient examinés par priorité leur a, j'imagine, réservé le meilleur sort. Je voudrais donc convaincre également nos collègues de la commission des lois.
En effet, dans leurs amendements M. Vasselle, aussi bien d'ailleurs que M. Charasse, font une différence entre les élus, les fonctionnaires et les autres justiciables.
Je suis très attaché à la protection des maires, mais c'est également vrai pour tous les citoyens. Nous, sénateurs, voyons surtout des exemples, qui se multiplient, concernant les maires, et nous en sommes très choqués, mais le principe vaut pour tous les citoyens. Or les lois actuelles font une différence, qu'il s'agisse de la loi du 13 mai 1996, de celle du 21 février 1996 relative à la partie législative du code général des collectivités territoriales, ou encore de la loi du 13 juillet 1983 modifiée par la loi du 16 décembre 1996 sur les fonctionnaires. On s'est même empressé de modifier la loi pour les militaires, oubliés dans un premier temps.
M. Michel Charasse. Mais les militaires sont fonctionnaires !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mon cher ami, il y a une loi spéciale qui porte statut général des militaires : la loi du 13 juillet 1972.
M. Michel Charasse. Mais la Constitution parle de fonctionnaires civils et militaires !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Une différence est même faite quant à la charge de la preuve. Pour le vulgum pecus, aux termes de l'article 121-3 du code pénal, « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences normales. » C'est donc à lui qu'il appartient de se disculper, tandis que les élus, les militaires, les autres fonctionnaires ne peuvent être condamnés que s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les diligences normales ; à ce moment-là, c'est au parquet de rapporter la preuve.
Cette différence de traitement est tout à fait choquante et je suis sûr, madame la garde des sceaux, que vous êtes de mon avis. Pour ma part, je l'avais déjà dit à l'époque.
Quelle solution retenir ? Selon moi, il n'en existe qu'une : celle que nous proposons. Je rappelle que l'article 121-3 du code pénal, avant qu'il soit modifié par la loi du 13 mai 1996, stipulait simplement : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » A la suite de l'adoption de cette loi a été ajouté un deuxième alinéa qui précise : « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. » Mme la garde des sceaux a effectivement raison, il faut tout de même punir les conduites qui ont des conséquences graves, non pas, nous a-t-elle dit tout à l'heure, quand elles sont involontaires, mais lorsque les infractions sont délibérément commises en violation de la loi ou des règlements.
Ce que prévoit notre amendement est, je le répète, la seule solution. Je sais bien que nous allons à l'encontre d'une regrettable tendance, qui vient d'outre-Atlantique, à tout pénaliser. Il n'en demeure pas moins que lorsque des médecins sont poursuivis parce que leur intervention a eu des conséquences qui n'étaient pas attendues, ils risquent d'être condamnés pénalement pour homicide ou blessures involontaires, ce qui fait d'ailleurs que leurs collègues experts ont tendance à les couvrir, même s'il n'y a pas de violation délibérée de la loi. Dans une autre profession, si on commet un manquement, il existe des assurances. Pour les médecins, il n'y en a pas.
Il faut savoir ce que l'on veut, puisque l'article 123 stipule que pour commettre un délit ou un crime il faut en avoir l'intention, et déterminer que sont punis, en particulier lorsqu'ils sont suivis de mort ou de blessures, les manquements délibérés à la loi où à des règlements. Je l'ai dit tout à l'heure, cela figure déjà dans les articles du code, mais pas dans celui que propose de supprimer M. Charasse et qui concerne seulement le risque ; c'est un autre problème. En ce moment, je ne défends non pas l'amendement de M. Charasse, mais celui que M. Charasse et moi-même avons cosigné.
Réfléchissez-y. Point n'est besoin de réunir une commission ou une nouvelle mission. Le seul moyen d'éviter que soit porté atteinte à la présomption d'innocence de quelqu'un qui n'a pas commis un acte volontairement et qui n'a pas de manière délibérée violé la loi ou les règlements est de supprimer les délits involontaires.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié, appelés en priorité, et sur les amendements n°s 124, 125, 126, 127, 182 et 199 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je commencerai par l'amendement visant à supprimer l'article 221-6 du code pénal.
MM. Michel Charasse et Michel Dreyfus-Schmidt. Le premier alinéa de cet article !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je rappelle que cet article ne concerne pas la seule mise en danger. Les auteurs de cet amendement souhaitent supprimer l'alinéa suivant : « Le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire... »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Involontaire !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Personnellement, je ne proposerais pas de supprimer une telle disposition. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement n° 199.
Toutefois, je comprends le désir de répondre à une critique que l'on voit sourdre si une disposition particulière était introduite pour les élus et les fonctionnaires et qui consisterait à dire que l'on fait un droit particulier. Vous voulez, si je puis m'exprimer ainsi, « labourer » le code pénal en amont. En supprimant le délit vous protégez tout le monde, avez-vous dit. Mais, qui protégez-vous ? Ceux qui commettent les infractions !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Or, par cette suppression - je voudrais attirer solennellement votre attention sur ce point qui est fondamental et qui n'est pas discuté ici - vous réduiriez beaucoup les chances d'éviter un accident.
Certes, vous pouvez considérer cet amendement comme un signal, afin que cette question soit examinée au cours de la navette.
Mais vous avez peut-être déposé cet amendement au motif que la situation des élus est désormais insupportable, compte tenu du risque qui pèse sur eux, étant donné leur responsabilité propre d'élus. Aussi, la commission des lois a émis, à cet égard, un avis favorable sur les amendements présentés par M. Vasselle, mais au terme d'une longue discussion. En effet, la procédure envisagée est assez compliquée. Il s'agit de saisir le Conseil d'Etat afin qu'il désigne un tribunal administratif. Cependant, tout cela pourra être mis au point durant la navette. Si le Sénat a envie d'envoyer un signal fort pour que les élus puissent faire leur métier dans les limites de leurs compétences sans se sentir menacés en permanence, il est possible d'adopter les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié.
D'ailleurs, le système que vous proposez, monsieur Vasselle, comporte un filtre, et vous l'étendez aux fonctionnaires ayant une responsabilité décisionnelle.
Mais les chefs d'entreprise et l'ensemble des personnes visées ne sont-elles pas dans la même situation ? Nous devons nous poser la question. La mission est différente. En outre, les sociétés ont appris à faire, dans leur organigramme, ce que l'on appelle les « délégations de sécurité ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On tombe sur le lampiste !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ainsi, l'infraction au règlement s'applique en général à ceux qui occupent des postes de responsabilité et de surveillance et épargne les dirigeants de haut niveau.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Autrement dit, les préfets sont, dans bien des cas, plus exposés que les présidents-directeurs généraux des grandes sociétés ou des grands groupes. C'est ainsi dans la pratique.
Cela dit, la commission des lois était d'accord pour envoyer un signal fort, mais, après la discussion, elle s'est dit qu'il était impossible, sans un examen préalable - et je voudrais attirer votre attention sur la lourdeur de celui-ci - de modifier un code pénal qui comprend de très nombreux renvois, alors que tel n'est pas l'objet du projet de loi.
Si nous suivions MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, un très grand nombre d'articles du code pénal n'auraient plus d'objet. On ne peut pas prendre une telle responsabilité. Cela n'a pas d'importance, dites-vous, car la navette permettra de revenir sur ce point. Or vous aurez dit que vous voulez supprimer l'ensemble de la responsabilité pour négligence et pour mise en danger.
Telle est la position de la commission des lois, qu'elle m'a chargé de vous exposer.
Si nous adoptons les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié, les autres amendements n'auront plus d'objet, à l'exception de l'amendement n° 127. Ce dernier est très important sur le plan technique. En effet, le maire agit souvent pour le compte de l'Etat. Aussi, il est normal qu'il soit alors considéré comme le sont les fonctionnaires de l'Etat.
M. Hubert Haenel. Favorable ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission émet en effet un avis favorable sur cet amendement.
M. Pierre Fauchon. Et l'amendement n° 182 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Monsieur Fauchon, vous avez raison d'attirer mon attention sur l'amendement n° 182, car, tout à l'heure, je n'ai pas eu le temps d'aller jusqu'au bout de mon raisonnement.
Cet amendement est contenu dans celui de M. Vasselle, qui a pris le soin d'employer l'expression suivante : « est susceptible d'être mis en cause pénalement ». Par conséquent, si l'élu concerné fait, par exemple, l'objet d'un réquisitoire introductif, il sera mis en cause pénalement. L'expression employée par M. Vasselle reflète son intention de prendre les choses en compte dès la mise en examen.
Monsieur Fauchon, avec la mention « à la mise en examen », dans le système que vous avez élaboré, on pourrait avoir un maire témoin assisté. (M. Fauchon fait un signe d'assentiment.) Le système de M. Vasselle va beaucoup plus loin puisqu'il permet d'éviter toute la mise en cause pénale, c'est-à-dire l'ensemble des actes d'instruction avant le déclenchement de la procédure.
En résumé, la position de la commission des lois est la suivante : avis favorable sur les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié ainsi que sur l'amendement n° 27, et, pour l'instant, ne pas toucher au code pénal.
M. Michel Charasse. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Compte tenu de la présentation qui vient d'avoir lieu des divers amendements, et pour simplifier les choses, je voudrais régler le sort de trois des amendements que j'ai présentés.
Avant tout, je tiens à dire à Mme le garde des sceaux, car je n'ai pas eu le temps de le faire tout à l'heure, que, moi, j'aime la République, l'Etat et son autorité indispensable à son service et à son intégrité. Or il n'y a pas d'autres pouvoirs en France que ceux qui résultent du peuple, et donc du suffrage universel. Je n'ai donc pas, quelle que soit l'amitié que je lui porte, la même révérence que Mme le garde des sceaux à l'égard de certaines sections du peuple qui cherchent à s'approprier l'exercice de la souveraineté nationale.
Quant au sort particulier des élus et des fonctionnaires, je commence à être lassé d'entendre certains propos.
Non, mes chers collègues, les élus, les fonctionnaires d'autorité ne sont pas dans la même situation que les citoyens ordinaires ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Michel Charasse. Il y a en effet une différence fondamentale : c'est l'intérêt public, l'intérêt général, dont ils ont la charge (Très bien ! sur les travées du RPR) , c'est leur obligation de continuité du service public et de la vie républicaine et de l'Etat,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. Michel Charasse. ... et le droit de conduire la politique approuvée par le pays, notamment en matière de niveau et de répartition des charges fiscales.
Si un gouvernement et une majorité choisissaient de mettre la priorité, par exemple, sur l'enseignement ou sur la recherche et qu'ils ne pouvaient pas dégager les moyens pour éliminer les points noirs sur la route, le ministre des transports pourrait se retrouver un jour condamné à cause des points noirs ! C'est bien le juge qui se substituerait alors à la souveraineté nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Michel Charasse. Et cela, c'est inacceptable ! Donc, il faut bien réserver un cas particulier.
Quant au reste, monsieur le président, je préfère naturellement l'amendement n° 199 de M. Dreyfus-Schmidt, dont je suis cosignataire ; mais, par souci de simplification et d'accélération de nos débats, je retire mes amendements n°s 124, 125 et 126 au profit des amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié de M. Vasselle, étant entendu que, dans l'hypothèse où ces derniers ne seraient pas adoptés, l'amendement n° 199 de M. Dreyfus-Schmidt aurait ma préférence.
M. le président. Les amendements n°s 124, 125 et 126 sont retirés.
Monsieur Charasse, maintenez-vous l'amendement n° 182 ?
M. Michel Charasse. Je le maintiens pour l'instant, monsieur le président, puisqu'il dépend du sort qui sera réservé aux amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié de M. Vasselle.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 179 rectifié, 180 rectifié, 182 et 199 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je dirai d'emblée que ces amendements, à l'exception de l'amendement n° 127, me paraissent inacceptables, aussi bien sur le plan des principes que du point de vue juridique.
Je suis défavorable aux amendement qui tendent à instituer un filtre, que ce dernier soit d'ailleurs confié au tribunal administratif - c'est la proposition de M. Vasselle - ou au tribunal des conflits - c'était la proposition de M. Charasse, dans les amendements qu'il vient de retirer - avant l'engagement des poursuites pénales contre un élu d'une collectivité territoriale ou contre un fonctionnaire.
Adopter une telle disposition reviendrait en réalité à rétablir au profit de ces personnes le privilège des fonctionnaires abrogé en 1870. Ces propositions seront perçues comme la volonté de soustraire les élus ou des fonctionnaires à leur responsabilité pénale.
Au regard du principe d'égalité devant la loi, je m'interroge très sérieusement, par ailleurs, sur la constitutionnalité de telles dispositions.
Je suis donc fermement opposée aux amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié, comme je l'aurais été aux amendements n°s 124, 125 et 126, si ces derniers n'avaient pas été retirés.
Par ailleurs, s'agissant de l'amendement n° 182, il ne me paraît pas possible de vouloir limiter les poursuites ou les mises en examen dans les conditions prévues par cet amendement. Je souligne d'ailleurs, à l'intention de M. Charasse, que ma volonté est aussi de limiter les mises en examen aux cas où elles sont vraiment nécessaires. Nous en avons débattu hier, et c'est la raison pour laquelle nous avons prévu la procédure du témoin assisté ; je vous ai d'ailleurs indiqué dans mon intervention que j'accepterai certains des amendements de la commission des lois visant à élargir et à renforcer la procédure du témoin assisté. Il est vrai que la mise en examen se traduit aujourd'hui souvent, en particulier pour les personnes ayant une notoriété, par un opprobre qui n'est levé - quand il est levé, car le mal est fait, je le reconnais - ....
M. Henri de Raincourt. Il n'est pas levé !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... que par le jugement.
Cette procédure du témoin assisté me paraît pouvoir atteindre l'objectif proposé.
Par ailleurs, je ne peux pas accepter que l'on modifie le code pénal, comme le prévoit l'amendement n° 199, pour supprimer les délits d'homicide ou de blessures involontaires qui existent, je le rappelle, dans leur rédaction actuelle depuis plus de deux siècles.
Enfin, en ce qui concerne l'amendement n° 127 de M. Charasse, qui vise à étendre aux maires agissant en tant qu'agents de l'Etat la protection que ce dernier doit accorder à ses fonctionnaires, j'ai invité la commission dont je vous ai parlé précédemment à examiner cette question.
Je précise que cette commission n'est pas analogue à celles qui ont été instituées précédemment. Bien entendu, elle est présidée par un éminent conseiller d'Etat, mais elle comprend aussi des élus et, pour la première fois, des magistrats des différents ordres de juridiction. Elle est également constituée de personnalités qualifiées, en particulier de personnes connaissant bien la vie des collectivités locales.
Je pense donc que cette commission aboutira à un ensemble de propositions globales qui n'excluront pas, encore une fois, a priori en tout cas, des propositions législatives.
Voilà pourquoi, sur l'amendement n° 12, bien que je préfère que l'ensemble de ces questions soient traitées à la suite des propositions de la commission Massot, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat.
Je reviendrai un instant sur l'amendement visant à supprimer l'article 223-1 du code pénal, sur lequel vous avez réservé votre vote, pour vous donner quelques exemples.
Je voudrais dire d'abord que tout l'intérêt de cet article du code pénal - M. le rapporteur l'a très bien rappelé tout à l'heure - est précisément de pouvoir permettre des condamnations, en l'absence de dommages réels, pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui. Je vous énumérerai à cet égard quelques exemples tirés de la jurisprudence.
Les tribunaux ont condamné sur le fondement de cet article une personne qui, à la suite d'un pari, a emprunté volontairement une autoroute à contresens sur plusieurs kilomètres.
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. c'est un jeu qui est pratiqué par certaines personnes.
Faudrait-il ne pas poursuivre ou simplement attendre que l'accident se produise pour pouvoir poursuivre, sur le fondement d'autres articles ?
Les tribunaux ont aussi condamné des personnes qui doublent au sommet d'une côte ou dans un virage sans visibilité, et qui jouent donc à quitte ou double avec leur vie et la vie d'autrui.
Ils ont condamné le capitaine d'un navire qui a surchargé son bateau de plus de cent personnes. Faudrait-il attendre, comme en Espagne, que le bateau coule et que les passagers se noient pour pouvoir poursuivre ce capitaine ?
Ils ont condamné une personne qui a fait une queue de poisson à grande vitesse avec sa voiture, et qui a manqué de peu d'écraser une femme poussant un landau.
Dans tous ces cas, par bonheur, il n'y a pas eu d'accident ; mais les tribunaux, heureusement, ont pu condamner les auteurs de ces faits dont le comportement volontaire et irresponsable devait être à l'évidence sanctionné.
En supprimant l'article 223-1 du code pénal, vous légitimeriez ce type de comportement. J'imagine alors les articles de presse qui pourraient, demain, commenter un tel vote du Sénat !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 179 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'aimerais vous remettre en mémoire l'objet de l'amendement n° 199 que j'ai eu l'honneur de défendre tout à l'heure pour vous demander de lui donner la préférence sur les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié présentés par M. Vasselle.
M. Vasselle fait une différence, reconnue, entre les uns et les autres. Or, les particuliers peuvent, également de très bonne foi souvent, être poursuivis pour une imprudence ou un acte purement involontaire.
Il faut donc trouver - je suis d'accord avec Mme le garde des sceaux - une solution s'appliquant à tout le monde. Le sort particulier réservé aux fonctionnaires, institué par la constitution de l'an VIII, comme Michel Charasse nous l'a rappelé, a été supprimé en 1870, nous a-t-on dit. Entre l'an VIII et 1870, je n'hésite pas : je préfère 1870 !
Cela dit, notre collègue Alain Vasselle propose que, lorsqu'un maire, un fonctionnaire, etc., est en cause - il y a des cas fort nombreux tous les jours, dans nos départements - on saisisse le Conseil d'Etat. Que va faire ce dernier ? Il ne tranchera pas lui-même, mais désignera un tribunal administratif qui devra trancher. Pourquoi pas une cour administrative d'appel avec recours possible devant le Conseil d'Etat ? Pourquoi un tribunal administratif avec appel possible devant une cour administrative d'appel ? On ne nous le dit pas. En tout les cas, ce système est discriminatoire et lourd.
J'en viens à notre amendement n° 199. M. le rapporteur a accompli un travail tellement considérable...
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... auquel je tiens à rendre hommage que je ne lui en veux pas de ne pas avoir lu suffisamment notre amendement n° 199 !
Il a, en effet, affirmé à deux reprises que nous proposions la suppression des articles 221-6 et 222-19 du code pénal. Nous ne proposons la suppression du premier alinéa que pour modifier le second, et ce n'est pas du tout la même chose !
Nous proposons que soit supprimé le fait causé par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi qui constitue un homicide involontaire. Or, après nous avoir vanté 1870 par rapport à l'an VIII, et après avoir indiqué que le manquement délibéré n'était pas involontaire et qu'il fallait donc le maintenir, vous nous avez donné pour seule explication, madame le garde des sceaux, que cela est inscrit dans le code depuis deux siècles. Franchement, ce point de vue ne paraît pas très progressiste !
Mais, surtout, nous proposons que le deuxième alinéa de l'article 221-6 du code pénal soit ainsi rédigé : « Le fait de causer la mort d'autrui par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements est passible de cinq ans d'emprisonnement et 5 000 francs d'amende. »
Il est donc faux, monsieur le rapporteur, de prétendre que nous proposons de supprimer la répression de la mort ou de blessures résultant d'un manquement délibéré à l'obligation susdite. Nous la maintenons au contraire expressément ; nous ne supprimons que ce qui est purement involontaire.
Je me permets donc d'insister auprès du Sénat pour qu'il adopte l'amendement n° 199, et donc pour qu'il repousse les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié de M. Vasselle - que notre collègue veuille bien m'en excuser - qui distinguent entre les élus, les fonctionnaires et les simples justiciables et qui prévoient un système extrêmement lourd faisant intervenir le Conseil d'Etat et le tribunal administratif, et donc un crible particulier. Notre amendement n° 199 me semble en effet satisfaire l'objectif de M. Vasselle.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je souhaite expliquer mon vote sur l'amendement n° 179 rectifié, mais aussi sur l'amendement n° 180 rectifié et, surtout, sur l'ensemble du problème qui vient d'être évoqué. Nous avons en effet brassé, à l'occasion de l'examen de ces deux amendements, un certain nombre de questions sur lesquelles je souhaite, à mon tour, m'expliquer d'une manière aussi complète que possible.
Je le souhaite d'autant plus que je me souviens avoir été le rapporteur des travaux de la commission présidée par M. Delevoye, et qu'une proposition de loi de M. Jacques Larché avait abouti à cette loi de 1996 dont on a beaucoup parlé, mais peut-être un peu sommairement.
Tout d'abord, sur la forme, on a fait état d'un accord de la commission sur les amendements de M. Vasselle. Mais il faut tout de même savoir comment cela s'est passé ! En réalité - je crois pouvoir le dire, puisque nos travaux sont publics - M. le rapporteur a pris position contre et, quand on a mis aux voix cet avis négatif, il s'est trouvé douze voix pour et douze voix contre, d'où il est résulté que l'avis de M. le rapporteur n'a pas été adopté et que, par voie de conséquence, l'amendement, lui, était adopté. En réalité, il y avait toujours douze voix pour et douze voix contre sur cet amendement ! Cela n'empêche pas qu'il a peut-être beaucoup de valeur, bien entendu, mais parler, en l'occurrence, d'une position favorable de la commission des lois, c'est se contenter d'une position quelque peu formelle.
Mais abordons maintenant le fond de la question.
La loi de 1996, je tiens à le rappeler à notre collègue Michel Charasse, était précisément fondée sur la responsabilité des élus telle que nous l'avions prévue à l'origine avec M. Delevoye et sur la distinction fondamentale qu'il faut faire, j'en suis convaincu - et, là, je suis en contradiction avec M. Michel Dreyfus-Schmidt - entre la responsabilité des élus...
M. Michel Charasse. Des agents publics en général !
M. Pierre Fauchon. ... et celle des citoyens.
M. Charasse nous en a très bien donné l'explication politique, qui est peut-être la plus importante, mais je voudrais y ajouter l'explication technique.
Il existe trois façons d'affronter un problème de responsabilité : en premier lieu, on peut être pris pour des actes que l'on a commis dans sa vie privée, dans la gestion de ses propres affaires ; en deuxième lieu, on peut être pris en temps que responsable d'une entreprise ; en troisième lieu, on peut être pris en tant qu'exerçant des responsabilités publiques. Or c'est tout à fait différent !
Il est évident que la société est en droit d'attendre un maximum de prudence de l'individu qui, gérant ses propres affaires, décide de ce qu'il fait et de ce qu'il ne fait pas, des risques qu'il fait courir à ses propres affaires ; on peut donc lui demander, s'il n'est pas capable de faire ceci ou cela, de conduire une voiture, par exemple, de ne pas la conduire.
Dans le deuxième cas, le chef d'entreprise a une responsabilité de professionnel. S'il assume la direction de l'entreprise, il a reçu la formation professionnelle requise, il en tire un profit et un revenu - du moins, c'est ce que je lui souhaite de tout coeur - et, s'il n'est pas capable de diriger l'entreprise, il ne faut pas qu'il la dirige car il a des obligations très particulières.
Au contraire, un élu ne décide pas - je reste sur le terrain technique - de sa mission, il ne choisit pas ses moyens et il se trouve pris dans des responsabilités de mission d'intérêt général qui sont confrontées à des possibilités qui ne correspondent pas toujours à cette mission. (Alors que l'orateur s'exprime, les sénateurs du groupe du RPR s'entretiennent à voix haute, ainsi que les sénateurs du groupe socialiste.)
Monsieur le président, le groupe du RPR semble être en train de délibérer ; peut-être serait-il possible de suspendre la séance ?
M. le président. Non, mon cher collègue, nous ne suspendrons pas la séance, d'autant qu'il y a également un conclave sur la gauche de l'hémicycle !
M. Pierre Fauchon. Certes, monsieur le président, mais Vox clamens in deserto ! C'est décourageant ! Sans doute devrais-je être plus éloquent, mais mes moyens sont limités...
M. le président. Tout le monde vous écoute, mon cher collègue !
M. Pierre Fauchon. Quoi qu'il en soit, nous avions tout à fait souscrit à la dissociation dont je viens de faire état.
La loi que nous avons votée, et qui exige l'appréciation des moyens dont disposent les maires, est-elle suffisante ou non ? La vérité est que personne n'en sait rien, car elle date de 1996 et elle n'est entrée en application qu'en 1997. Or il suffit de connaître un tant soit peu le fonctionnement de la justice pour comprendre que nous devrons attendre quelques années pour savoir ce qu'il en est. L'un des intérêts de cette loi, d'ailleurs, est de permettre les recours en appel et en cassation, ce qui n'était guère possible avant.
Il est donc tout à fait prématuré de dire que cette loi n'a pas apporté tous les avantages souhaités. Et, chiffres à l'appui, Mme le garde des sceaux a montré que, d'ores et déjà, les effets de cette loi commençaient à être perçus. En réalité, elle a déjà limité et les poursuites et, encore plus, les condamnations.
Cela étant, je reconnais comme chacun d'entre nous que les événements vont peut-être plus vite que l'application de la loi et je comprends que l'on éprouve des inquiétudes à cet égard.
C'est dans cet esprit que je trouve excellente - et je me reproche de ne pas y avoir pensé moi-même - l'idée de M. Charasse consistant à prendre en compte les conditions dans lesquelles agissent les élus avant la mise en examen ou avant la mise en cause, comme dit M. Vasselle, et non avant toute condamnation. J'y souscris tout à fait !
Mais pouvons-nous aller plus loin aujourd'hui et entrer dans la voie qui nous est proposée, qui consiste à se fonder sur la distinction de faute détachable, et faire apprécier cette faute détachable qui va commander la décision pénale par une juridiction qui n'est pas la juridiction pénale ?
Là, je dis « casse-cou », pour deux raisons.
D'abord, on se trompe - je vous demande d'excuser ces développements juridiques, mais nous faisons la loi ! - sur la notion de faute détachable et sur les raisons de ce qui s'est passé voilà maintenant soixante-quinze ans, au moment où a été rendu l'arrêt Thépaz. Je vais raconter l'histoire, si nécessaire...
M. le président. Non, mon cher collègue,...
M. Pierre Fauchon. Mais je m'exprime sur plusieurs amendements, monsieur le président !
M. le président. Vous expliquez votre vote sur l'amendement n° 179 rectifié ; or voilà six minutes que vous intervenez.
Je vous prie de m'excuser de vous le rappeler, mais le règlement s'applique à tout le monde !
M. Pierre Fauchon. Je conclus donc, mais je reprendrai la parole sur les autres amendements...
M. le président. Bien entendu ! Je vous le proposerai !
M. Pierre Fauchon. ... de manière à expliquer ce qu'est l'arrêt Thépaz et la faute détachable. (Sourires.)
Je dis simplement - en un mot - que l'on ne peut entrer dans un système qui ferait apprécier une responsabilité pénale par une autre juridiction que la juridiction pénale, car un tel système ne serait pas constitutionnel.
Je souhaite que nous choisissions une bonne voie, soit en supprimant la responsabilité pour imprudence, soit, comme je l'ai suggéré précédemment, en considérant que cette responsabilité ne serait mise en cause qu'en cas de faute lourde, qui serait alors clairement définie, et j'hésite entre ces deux voies ; mais nous ne devons pas nous engager dans une solution qui ne serait sans doute pas retenue par l'Assemblée nationale et qui, de toute façon, serait rejetée par le Conseil constitutionnel, ce qui serait regrettable s'agissant d'une cause à laquelle nous croyons tous avec la même ferveur : la défense des élus locaux.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Je veux expliquer notre vote sur l'amendement n° 179 rectifié et sur l'amendement n° 180 rectifié, mais cette explication vaudra pour les amendements de notre collègue M. Charasse, n°s 181, 124, 125, 126 et 182...
M. le président. Permettez-moi de vous rappeler que les amendements n°s 124, 125 et 126 ont été retirés !
M. Robert Bret. Certes ! mais, sur le fond, je peux tout de même porter une appréciation...
Ainsi que l'a souligné Mme le garde des sceaux, ces amendements n'ont pas leur place dans un texte réformant le code de procédure pénale et relatif à la présomption d'innocence et aux droits des victimes. Attendons que le groupe de travail qui sera prochainement mis en place par la Chancellerie sur ce sujet nous fasse des propositions plutôt que de légiférer ainsi, au coup par coup, chaque fois qu'un problème nous est posé !
Sur le fond, j'ai donné mon opinion dans la discussion générale. S'agissant des élus locaux et des fonctionnaires, nous ne sommes pas favorables à un régime spécifique, nous ne pouvons l'accepter. Ne donnons pas le sentiment de vouloir nous soustraire à notre responsabilité pénale !
Oui, les élus ont une responsabilité et un statut spécifiques par rapport aux autres citoyens, la loi de 1996 le montre bien. Cependant, je suis d'accord avec notre collègue M. Vasselle, un véritable statut des élus est nécessaire, et il est urgent. M. le rapporteur parlait d'un « signal fort ». Cela en serait un ! Je préfère en tout cas cette démarche à celle que l'on nous propose et qui risquerait de porter atteinte à la crédibilité des hommes politiques, à la justice elle-même et au rétablissement de la confiance de nos concitoyens à notre égard et à l'égard de la justice.
Je reviendrai plus tard sur l'amendement n° 199. En attendant, nous voterons contre ces amendements.
M. Louis de Broissia. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia. Je me réjouis que les amendements n°s 179 rectifié, 180 rectifié et 127 aient été - si j'ai bien compris - adoptés par la commission des lois. (M. Fauchon tousse avec ostentation.) Cette toux serait-elle un signe de désapprobation ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout ! (Sourires.)
M. Louis de Broissia. Je continue donc.
Certes, depuis qu'à une époque fâcheuse un ministre - c'était une ministre, d'ailleurs - a déclaré en toute honnêteté : « Responsable, mais pas coupable », on a constaté une rupture dans l'opinion. La pensée unique française classique considère désormais, que, puisque nous sommes responsables, et surtout responsables publics, nous sommes coupables publiquement. Autrement dit, toute présomption de responsabilité entraîne une présomption de culpabilité.
Puisque nous sommes dans le cadre d'un débat sur la présomption d'innocence, il me paraît nécessaire d'aborder le statut moral, et non juridique, de celui qui partage la vie de la République.
Je suis tout à fait d'accord avec notre collègue Michel Charasse lorsqu'il dit que la République n'est pas simplement incarnée par le chef d'Etat, le Premier ministre et les assemblées. Elle l'est aussi par l'immense armée de ceux qui exercent une responsabilité publique. Ainsi, dans mon village, qui compte 122 habitants, le maire se lève chaque matin avec la conscience de participer à la République. En tant que président de conseil général, chef de l'exécutif, ou en tant que sénateur, j'ai aussi le sentiment d'incarner une petite partie de la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme chaque citoyen !
M. Louis de Broissia. Non ! le maire n'est pas un citoyen ordinaire,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a pas de citoyen ordinaire !
M. Louis de Broissia. ... il incarne une parcelle de la République. A ce titre, il doit être protégé et lavé de ce soupçon de présomption de culpabilité permanente.
Tel est l'objet des amendements n°s 179 rectifié, 180 rectifié et 127. Il me paraîtrait sage, madame le garde des sceaux, d'adresser, au-delà de cette enceinte, le message suivant à ceux qui veulent exercer partir de 2001 des responsabilités locales : « Ne vous découragez pas, nous ne laisserons pas peser sur vous la présomption permanente de culpabilité qui, en ce moment, est trop répandue dans l'opinion publique. » (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, vous proposez que nous nous prononcions en même temps sur les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié. Je voulais intervenir essentiellement sur le second, mais je le fais dès maintenant : je n'aurai pas à reprendre la parole ensuite.
Je voudrais rappeler à M. Fauchon, mais aussi à ceux qui vont peut-être intervenir après moi, qu'il faut se placer dans le contexte actuel.
Dans quel état d'esprit la commission des lois a-t-elle accepté d'émettre un avis favorable sur les amendements n°s 179 et 180 rectifié ? Il s'agissait, je le rappelle, d'amendements d'appel qui n'avaient d'autre objet que de mettre en relief le problème auquel se trouvent confrontés les élus et les fonctionnaires qui exercent des responsabilités. Comme l'a indiqué très justement M. le rapporteur, nous souhaitons profiter de la deuxième lecture, et donc de la navette, pour essayer d'avancer sur ce sujet, même si Mme le garde des sceaux nous a dit, comme elle l'avait déjà dit dans la discussion générale et comme elle l'a dit à nouveau hier et encore ce matin, qu'elle avait créé une commission sur ce sujet pour que le Gouvernement prenne en compte la situation à laquelle se trouvent confrontés nombre d'élus et de fonctionnaires.
Deux principaux arguments ont été opposés à ces amendements par le Gouvernement et par quelques-uns de nos collègues qui sont défavorables au dispositif proposé.
Selon eux, avec ce dispositif, on tendrait à soustraire les maires de leur responsabilité pénale et on reviendrait sur des dispositions qui datent du siècle dernier alors qu'elles ont été abrogées depuis. Par ailleurs - c'est le second argument - cette disposition serait inconstitutionnelle.
Permettez-moi de vous dire tout d'abord que, s'agissant du risque d'inconstitutionalité, ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure en défendant ces amendements, la loi de 1996 ne s'appliquant qu'aux élus, voire aux fonctionnaires - mais pas aux particuliers - elle encourait déjà le même risque.
M. Pierre Fauchon. Son dispositif a été étendu !
M. Alain Vasselle. Ensuite !
Par ailleurs, je pense qu'il ne faut pas omettre de prendre en considération ce qui nous a conduits à prendre une initiative de cette nature.
Lorsqu'un particulier ou une entreprise dépose une plainte contre un élu, que le faux pas éventuel et involontaire de l'élu est d'ordre purement administratif mais que la plainte a été déposée par la voie pénale, le juge pénal est alors conduit à apprécier le caractère de la faute administrative. L'élu est ainsi engagé dans une voie dont il aurait pu être soustrait si la nature de la faute avait été bien analysée. Il peut en effet arriver que la faute ne soit pas du ressort du juge pénal, mais bien de la juridiction administrative !
Ainsi, on engage les élus dans une procédure où ils n'auraient jamais dû être. D'où le dispositif que nous proposons, qui n'a nullement pour objet de soustraire l'élu au juge pénal, car, si l'analyse de la faute démontre qu'effectivement l'affaire est du ressort de ce dernier, très rapidement le juge administratif considérera qu'il est incompétent, et l'instruction repartira sur le plan pénal.
Il n'y a donc pas d'inégalité de traitement entre fonctionnaires, élus et simples citoyens. Nous ne mettons pas en place un système qui réserve aux élus et aux fonctionnaires une juridiction destinée à les protéger. Il n'y a aucune discrimination.
L'avantage de notre système, c'est que, lorsque l'affaire sera d'ordre purement administratif, c'est bien le juge administratif qui jugera et non pas le juge pénal, ce qui fera gagner du temps et permettra à l'élu de se trouver engagé dans la bonne procédure.
Comme l'a dit très justement, entre autres, notre collègue Louis de Broissia, à partir du moment où la procédure est engagée et où les médias en font état, le maire, au lieu de bénéficier encore d'une présomption d'innocence, est sous le coup d'une présemption de culpabilité : et, ensuite, il n'y a jamais réparation, ni au travers d'articles de presse ni par un autre biais. L'opprobre a été jeté sur les élus.
D'où nos préoccupations majeures face à cette atteinte grave à la démocratie dont nous risquons, si nous ne prenons pas immédiatement une initiative, de subir les effets dès la prochaine échéance, qui sera celle des élections municipales.
Pas plus tard qu'hier, j'étais avec mon collègue Philippe Marini devant une quarantaine de maires de mon département. J'aurais voulu, mes chers collègues, que vous voyez présents à nos côtés pour entendre les réactions de l'ensemble de ces maires. C'est une véritable fronde ! Ils n'en peuvent plus ! Il suffit !
Si bien que je me demande si ceux qui s'opposent à cet amendement ont quelquefois des contacts avec les élus ! (Exclamations sur de nombreuses travées.)
M. le président. Autant que vous, mon cher collègue !
M. Alain Vasselle. Les propositions que nous faisons me paraissent donc raisonnables. Il faut les replacer dans le contexte qu'a rappelé M. le rapporteur.
Je ne doute pas que nous trouverons la rédaction qui répondra aux souhaits des uns et des autres : respecter le droit dans sa lettre et dans son esprit, et répondre à l'attente de l'ensemble des élus et des fonctionnaires.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 179 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 19.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 180 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 19, et les amendements n°s 182 et 199 n'ont plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 127, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 19.

Division additionnelle après l'article 5