Séance du 17 juin 1999







M. le président. « Art. 15. - L'article 144 du même code est remplacé par deux articles 143-1 et 144 ainsi rédigés :
« Art. 143-1 . - Sous réserve des dispositions de l'article 137, la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l'un des cas ci-après énumérés :
« 1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
« 2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, compte tenu, le cas échéant, de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive ;
« 3° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle de deux ans d'emprisonnement pour un délit prévu aux livres II ou IV du code pénal ;
« 4° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle de deux ans d'emprisonnement pour un délit prévu au livre III du code pénal et a déjà été condamnée, soit à une peine criminelle, soit à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée supérieure à un an.
« La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions prévues à l'article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire.
« Art. 144 . - La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen :
« 1° De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;
« 2° De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ;
« 3° De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Toutefois, ce motif ne peut, à lui seul, justifier la prolongation de la détention provisoire sauf en matière criminelle. »
Sur l'article, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Nous arrivons ici à un sujet de première importance puisqu'il s'agit de traiter la grave question de la détention provisoire.
Tout le monde est conscient que la détention provisoire constitue une atteinte à la présomption d'innocence, laquelle est affirmée par les articles VIII et IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Même si le législateur a eu maintes fois l'occasion de rappeler le caractère exceptionnel de la détention provisoire, cela a toujours été en vain.
La détention a des conséquences d'autant plus graves sur les personnes qui la subissent qu'elle concerne le respect de la dignité humaine.
Elle entraîne par ailleurs une surcharge insupportable des prisons ; elle nuit aux conditions de vie des détenus et au travail des gardiens.
Ainsi, personne n'y trouve son compte, et force est de constater que la situation actuelle n'est plus supportable.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres concernant la proportion élevée de prévenus par rapport à l'ensemble des détenus, ou sur la durée moyenne de détention, qui ne cesse de s'accroître.
Il faut aujourd'hui cesser de se servir de la détention provisoire comme d'un mode normal d'instruction, voire de l'utiliser pour faire pression sur la personne mise en examen pour en obtenir les aveux, ce qu'on appelle communément les « détentions-pression ».
Votre texte, madame la garde des sceaux, s'y attache dans cette section 2. Mais va-t-il aussi loin qu'il le devrait ?
Un débat a eu lieu ici même, il y a un peu plus d'un an, sur l'initiative de notre collègue M. Michel Dreyfus-Schmidt, concernant la limitation de la durée de la détention provisoire.
Nos collègues députés, pour leur part, ont eu à cette même période un débat sur la détention provisoire, sur l'initiative de M. Tourret.
Ces deux propositions de loi n'ont jamais abouti, puisqu'un projet de loi gouvernemental - celui qui nous occupe aujourd'hui - était alors en préparation.
Pourtant, ces deux propositions de loi étaient novatrices, et les parlementaires communistes, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, les avaient votées.
Or, le présent texte ne modifie que de façon modérée le droit en vigueur en matière de placement en détention provisoire.
A cet égard, la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale allait beaucoup plus loin en ce qu'elle ne permettait la mise en détention provisoire que dans les cas où une peine de cinq ans était encourue, en cas d'infraction contre les biens, et une peine de trois ans, en cas d'infraction contre les personnes.
Par ailleurs, ainsi que l'indique notre collègue Charles Jolibois dans son rapport, le texte de l'article 15, en l'état actuel, paraît fort complexe, notamment en ce qui concerne les seuils.
Cela étant, nous notons la volonté du Gouvernement d'aller vers une évolution dans ce domaine. En conséquence, nous voterons les amendements allant, selon nous, dans le sens d'une plus nette amélioration.
M. le président. Sur l'article 15, je suis saisi de neuf amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune. Mais, pour la clarté du débat, je les appellerai successivement.
Par amendement n° 101, M. Hyest propose de rédiger ainsi cet article :
« L'article 144 du même code est remplacé par deux articles 143-1 et 144 ainsi rédigés :
« Art. 143-1. - A titre exceptionnel et si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes, la détention provisoire peut être ordonnée ou prolongée dans les cas suivants :
« Si la personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
« Si la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle supérieure ou égale à trois ans d'emprisonnement ;
« Si la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement pour un délit prévu au livre III du code pénal relatif aux atteintes aux biens ;
« Si la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire.
« Art. 144. - En toute matière la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle est l'unique moyen :
« De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;
« De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement.
« En matière criminelle uniquement, la détention exceptionnelle peut aussi être ordonnée ou prolongée lorsque l'infraction, en raison de sa gravité, des circonstances de sa commission ou de l'importance du préjudice qu'elle a causé, a provoqué un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public, auquel la détention est l'unique moyen de mettre fin. »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. L'article 144 du code de procédure pénale n'a pas tenu compte des modifications apportées en matière de fixation des peines par le code pénal. Or, beaucoup de peines ont été aggravées dans le code pénal que nous avons voté. En matière de biens, par exemple, pratiquement tous les délits sont susceptibles de faire l'objet de détention provisoire. En effet, seules les dégradations de biens non publics commises par un individu isolé seront exclues, ce qui est quand même assez faible.
Pour les délits contre les personnes, le projet de loi ne change rien au droit actuel. Le seuil est fixé à deux ans.
L'amendement n° 101 retient des paliers un peu plus élevés.
La détention ne serait possible en règle générale - pour les délits contre les personnes, contre la nation, contre l'Etat et contre la paix publique - que pour les délits punis de trois ans et plus. Le seuil serait porté à cinq ans et plus pour les atteintes aux biens.
Le dernier alinéa de l'amendement traite de l'ordre public. On peut admettre l'ordre public en matière criminelle ; mais est-ce bien normal pour les troubles exceptionnels à l'ordre public lorsqu'il s'agit de délits, surtout avec une faible punition possible ?
Tels sont les objectifs de cet amendement.
M. le président. Par amendement n° 214, M. Dreyfus-Schmidt propose :
« I. - Avant le premier alinéa de cet article, d'ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
« I. - L'article 141-2 du même code est supprimé. »
« II. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : "II. - ". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit d'un problème que nous n'avons pas encore évoqué.
Vous avez malgré nous laissé au juge d'instruction la possibilité de placer sous contrôle judiciaire. La question est de savoir maintenant si ce juge va pouvoir mettre en prison celui qui ne respecterait pas le contrôle judiciaire, alors qu'il y a pour cela un juge de la détention.
Il y aurait également la possibilité d'en faire un délit propre. C'est une autre solution qui me paraîtrait, je dois le dire, la meilleure. Cela ne me choquerait pas du tout que quelqu'un, en comparution immédiate, se retrouve devant le tribunal parce qu'il n'aurait pas respecté le contrôle judiciaire. Le tribunal apprécierait ce qu'il en est.
En revanche, laisser au juge d'instruction le droit de mettre en prison dans ce cas serait lui donner une arme sur celui à l'égard duquel il instruit. Or toute la philosophie du texte que nous examinons nous amène à la lui supprimer, puisqu'il doit, je le répète, instruire à charge et à décharge ; tout le reste, s'agissant de la mise en détention, ne le regarde plus, mais relève de la compétence du juge de la détention.
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l'article 141-2 du code de procédure pénale, qui donne au juge d'instruction la possibilité de mettre en détention celui qui ne respecte pas le contrôle judiciaire.
M. le président. Par amendement n° 31, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 15 pour l'article 143-1 du code de procédure pénale :
« Art. 143-1 . - Sous réserve des dispositions de l'article 137, la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l'un des cas ci-après énumérés :
« 1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
« 2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée supérieure à deux ans d'emprisonnement.
« La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions prévues à l'article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. La question des seuils est, évidemment, très importante.
Le souci de la commission a été à la fois de restreindre le recours à la détention provisoire et de prendre en considération le besoin « immunitaire » de la société ; tout en proposant un système simple et cohérent avec l'objectif que nous visons.
Certains systèmes prenaient en considération la situation de récidive. Après simulation, nous nous sommes aperçus que n'était ainsi visé qu'un très petit nombre de personnes et que ce n'était donc pas la peine de rompre l'harmonie de la simplicité pour si peu.
M. le président. Par amendement n° 215, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent :
I. - A la fin du troisième alinéa (2°) du texte présenté par l'article 15 pour l'article 143-1 du code de procédure pénale, de supprimer les mots : « compte tenu, le cas échéant, de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive ».
II. - De supprimer le quatrième alinéa (3°) du même texte.
III. - Dans le cinquième alinéa (4°) du même texte, de supprimer les mots : « pour un délit prévu au livre III du code pénal ».
IV. - Dans le cinquième alinéa (4°) du même texte, après le mot : « condamnée », d'insérer le mot : « définitivement ».
V. - De supprimer le dernier alinéa du même texte.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est effectivement une question très importante, dont on a déjà débattu tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, que de savoir à partir de quel seuil on peut être mis en détention provisoire.
Nous sommes quelque peu choqués par la manière dont le problème est abordé par le texte, qui prévoit que « la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l'un des cas ci-après énumérés :
« 1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ; ». Pas de problème !
« 2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, compte tenu, le cas échéant, de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive ; »
Je comprends bien ce que ce paragraphe 2° veut dire. J'aimerais toutefois être bien certain que ladite personne est en état de récidive. Ce serait en effet une atteinte à la présomption d'innocence que d'affirmer qu'elle est en état de récidive alors qu'elle n'a pas encore été jugée.
Au paragraphe 3°, une différence est faite, pour ce qui est de la possibilité de recourir à la détention, suivant la nature de l'affaire, c'est-à-dire selon que le délit touche les personnes ou les biens.
Cela me choque profondément. En effet, la mesure de la gravité d'une infraction est la peine encourue et non pas la nature de l'affaire. Ceux qui estiment que ne sont pas assez sévères les peines prévues aux livres II ou IV du code pénal peuvent toujours proposer de les relever, mais non pas, à peines encourues égales, traiter les uns plus sévèrement que les autres.
Voilà pourquoi nous demandons, au 3°, la suppression des mots : « pour un délit prévu aux livres II et IV du code pénal ». Au paragraphe 4°, qui vise les délits prévus au livre III du code pénal, on fait, là aussi, une différence suivant que la personne a déjà été condamnée ou non, et, en l'espèce, nous sommes d'accord. Il est normal qu'on puisse mettre plus facilement en détention provisoire une personne qui a déjà été condamnée. Encore convient-il de préciser qu'elle doit avoir été condamnée définitivement, faute de quoi le respect de la présomption d'innocence interdit d'en tenir compte. Nous proposons donc de rajouter le mot « définitivement » après le mot « condamné ».
Enfin, le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 143-1 doit être supprimé si l'on accepte l'amendement que nous avons exposé tout à l'heure, et qui consiste à retirer au juge d'instruction la possibilité de révoquer le contrôle judiciaire.
M. le président. Par amendement n° 261, M. Dreyfus-Schmidt propose de supprimer le dernier alinéa du texte présenté par l'article 15 pour l'article 143-1 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est la conséquence de l'amendement précédent.
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements identiques.
Le premier, n° 171, est présenté par MM. Bret, Duffour et les membres du groupe communiste républicain et citoyen. Le second, n° 216, est déposé par M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer le dernier alinéa (3°) du texte proposé par l'article 15 pour l'article 144 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 171.
M. Robert Bret. Cet amendement concerne la notion d'ordre public.
L'article 144 du code de procédure pénale énumère les conditions permettant la mise en détention provisoire ou son prolongement.
Même si le projet de loi modifie cet article pour mieux encadrer les conditions de la mise en détention afin d'en limiter le nombre, il ne va pas, à notre sens, jusqu'au bout de cette logique.
Subsiste en effet dans cet article la référence à la notion d'ordre public pour justifier la mise en détention provisoire ou le prolongement de celle-ci.
Nous considérons que cette notion est trop floue, qu'elle donne lieu à trop d'abus et qu'elle ouvre, de surcroît, la voie à toutes les détentions provisoires, en parfaite contradiction avec le principe de la présomption d'innocence.
Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à supprimer le dernier alinéa du texte proposé par l'article 15 pour l'article 144 du code de de procédure pénale. M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 216.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par cet amendement, nous proposons de supprimer purement et simplement la notion de trouble à l'ordre public telle qu'elle est visée dans le texte proposé pour l'article 144 du code de procédure pénale en son 3° : « De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public... »
C'est fou ce qu'on se sert de ce mot « exceptionnel » !
Il est dit déjà deux fois, dans le code, que la détention provisoire doit être « exceptionnelle » ; il est aussi exigé un trouble « exceptionnel » à l'ordre public et dit qu'à titre « exceptionnel » la personne peut ne pas être conduite devant le procureur de la République ou devant le juge d'instruction. C'est effrayant ! Il y a les exceptions et les exceptions aux exceptions !
Cela a déjà été dit et cela est évident, si le trouble est exceptionnel, il est persistant, à défaut de quoi il n'existe pas. Mais parler de trouble « persistant à l'ordre public », c'est la tarte à la crème, chacun le sait.
On a pu lire, hier, dans la presse, alors qu'il n'y avait sans doute pas eu de fenêtre, une ordonnance d'un juge - j'allais dire parfaitement motivée, mais je ne porte pas d'appréciation de fond.
Il est dit, premièrement : « La détention provisoire est l'unique moyen d'empêcher une pression sur les témoins, les victimes et les autres personnes impliquées ». Cela fait un motif.
Deuxièmement : « La détention provisoire est l'unique moyen d'éviter toute collusion frauduleuse entre M. X » - le nom figure dans la presse - « et les personnes mises en examen ».
Troisièmement : « La détention provisoire est l'unique moyen » - c'est toujours le juge qui écrit - « de conserver les preuves et les indices matériels en ce que les perquisitions, saisies et expertises doivent être diligentées prochainement ». Ce sont là les nécessités de l'instruction.
Et comme si cela ne suffisait pas, d'ajouter : « Il convient de constater que l'infraction, en raison de sa gravité » - présomption d'innocence ! - « et les circonstances de sa commission, a provoqué un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public auquel la détention est l'unique moyen de mettre fin ». Il en est pour prétendre que c'est d'ailleurs la détention qui trouble l'ordre public !
En tout état de cause, l'une ou l'autre des raisons précédentes suffisait, sans qu'il soit besoin d'invoquer cette tarte à la crème que l'Allemagne - je dois le dire, car c'est tout de même important - avait dans sa législation depuis 1933 et qu'elle a supprimée en 1945. Vous avez bien entendu ! Ces dates sont suffisamment éloquentes pour que vous fassiez droit à notre amendement.
Je dois d'ailleurs dire qu'un amendement identique a été proposé à l'Assemblée nationale par MM. Gérin et Lang, et qu'il a été adopté après avoir été soutenu par le président Louis Mermaz jusqu'à ce que, madame le garde des sceaux, vous demandiez une seconde délibération à laquelle il ne semble pas que nombre de députés aient pris part, si l'on s'en rapporte au Journal officiel.
J'aimerais que le Sénat fasse la même chose que ce qu'a fait l'Assemblée nationale dans un premier mouvement - le premier mouvement, c'est le bon ! - et supprime une fois pour toutes cette notion totalement inutile et qui permet toutes les détentions provisoires, aussi exceptionnelles soient-elles, en adoptant notre amendement.
M. le président. Par amendement n° 32, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose de rédiger comme suit la seconde phrase du quatrième alinéa (3°) du texte présenté par l'article 15 pour l'article 144 du code de procédure pénale :
« Toutefois, ce motif ne peut justifier la prolongation de la détention provisoire lorsque la peine encourue est inférieure à cinq ans d'emprisonnement. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'Assemblée nationale a prévu que le motif de l'ordre public ne pouvait, à lui seul, justifier une prolongation de la détention. Mais, si ce motif n'est pas le seul invoqué, il est inutile. Par conséquent, on peut supprimer les mots : « à lui seul ».
Par ailleurs, il paraît préférable de continuer à utiliser le critère de l'ordre public pour prolonger une détention quand la peine encourue est supérieure à cinq ans et non pas seulement en matière criminelle.
M. le président. Par amendement n° 262, M. Dreyfus-Schmidt propose :
A. - De compléter in fine l'article 15 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« II. - Il est inséré dans le code pénal, après l'article 434-42, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - La violation par toute personne de toutes mesures du contrôle judiciaire auxquelles elle se sait soumise est punie de quatre mois d'emprisonnement et de 40 000 francs d'amende. »
B. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. - ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement fait suite à l'idée que nous avons exposée tout à l'heure et qui tend à faire de la violation des mesures de contrôle judiciaire un délit propre qui serait puni de quatre mois d'emprisonnement et de 40 000 francs d'amende.
On ne remettrait pas en détention provisoire celui qui aurait violé une mesure du contrôle judiciaire. Son cas serait soumis au tribunal, qui aurait à apprécier éventuellement si les mesures du contrôle judiciaire demandées étaient exagérées ou non.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 101, 214, 215, 261, 171, 216 et 262 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je pourrais dire très simplement que la commission est défavorable aux amendements qui sont incompatibles avec la solution qu'elle a retenue.
Nous avons voulu mettre en place un système simple - je ne prétends pas pour autant qu'il soit le meilleur - et, pour cela, éviter d'introduire des exceptions dont certaines sont de véritables petites « usines à gaz ».
On pourrait croire qu'en faisant simple, on ne vise pas toutes les situations spécifiques. Puis, quand on y regarde de près, on s'aperçoit que cela revient un peu au même, que les situations d'exception sont bien couvertes.
Par ailleurs, la commission a pris soin de prévoir, dans des amendements ultérieurs, des soupapes de sécurité dans l'hypothèse où, pour des situations graves, il serait nécessaire de prolonger la durée de la détention au-delà des limites posées par la loi. Nous avons donc voulu simplifier cette partie du code tout en restant prudents.
Une autre série d'amendements posent le problème de l'ordre public. Nous, nous avons voulu maintenir cette notion. C'est une option.
M. Jean-Jacques Hyest. Sauf pour la prolongation !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Certes, mais nous avons voulu la maintenir.
En conclusion, si le Sénat retient les amendements de la commission, il ne pourra que repousser les autres, auxquels la commission est, en toute logique, défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons un sujet très important, celui des seuils au-dessous desquels la détention provisoire est purement et simplement interdite.
Avant de donner l'avis du Gouvernement sur les différents amendements, je voudrais rappeler les nouveaux seuils qui autoriseront le placement en détention provisoire tels qu'ils sont prévus par le projet de loi.
Actuellement, les seuils sont à l'évidence trop sévères ; ils sont trop bas : un an d'emprisonnement en cas de flagrance, deux ans dans les autres cas.
Le projet de loi supprime le seuil d'un an et distingue désormais trois hypothèses.
S'il s'agit d'un délit contre les personnes, l'Etat, la nation ou la paix publique, la détention provisoire sera possible si la peine d'emprisonnement encourue est égale au moins à deux ans.
S'il s'agit d'un délit contre les biens et que la personne a déjà été condamnée, le seuil sera également de deux ans.
Dans tous les autres cas, le seuil sera de trois ans, compte tenu, le cas échéant, de l'état de récidive de la personne.
Ces seuils me paraissent justes et équilibrés ; ce sont ceux que nous avons proposés.
J'en viens maintenant aux amendements.
Par son amendement n° 101, M. Hyest propose de porter le seuil en dessous duquel la détention provisoire est interdite à cinq ans. Je crois que c'est un seuil trop élevé. Notre objectif est d'assurer un équilibre entre la nécessité de ne pas permettre la détention provisoire pour des délits mineurs et le souci d'assurer la répression et la poursuite des enquêtes.
Interdire la détention provisoire en dessous de cinq ans, c'est l'interdire en matière de vol, d'abus de confiance, d'introduction frauduleuse dans un système de traitement automatisé. Bref, ce ne sont pas des délits anodins, vous en conviendrez.
Sur l'amendement n° 214 de M. Dreyfus-Schmidt relatif au contrôle judiciaire, je crois qu'il s'agit d'un malentendu. C'est non plus le juge d'instruction qui pourra révoquer le contrôle judiciaire, mais le juge de la détention.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parfait ! Dans ces conditions, je retire l'amendement n° 214.
M. le président. L'amendement n° 214 est retiré.
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n° 31 de la commission, je n'y suis pas favorable. En effet, il tend à modifier les seuils en matière de détention provisoire. Il faut reconnaître qu'il a le mérite de la simplicité puisqu'il prévoit un seuil unique contrairement au dispositif du Gouvernement qui, en raison des exceptions, en maintient plusieurs.
Je souhaite tout de même attirer votre attention sur le fait que la commission propose de fixer le seuil à trois ans, sans le dire précisément puisque l'amendement fait état d'une durée supérieure à deux ans. Plus de deux ans, c'est trois ans. Il s'agit du seuil en dessous duquel la détention provisoire est purement et simplement interdite. La commission ne prend pas en compte l'hypothèse de la récidive, qui reste importante à mes yeux.
A l'évidence, ce type de raisonnement pourrait être également utilisé pour les seuils inférieurs à deux ans ou à un an.
Quoi qu'il en soit, le seuil de trois ans signifie qu'est interdite, purement et simplement, la détention provisoire en cas de violation de sépultures avec atteinte à l'intégrité du cadavre, non-présentation d'enfant pendant plus de cinq jours ou lorsque l'enfant est retenu à l'étranger.
Ce qui me gêne surtout, c'est l'abandon de la récidive, parce que je trouve que c'est particulièrement grave s'agissant de certaines infractions. Par exemple, dans le cas de la conduite sous empire alcoolique, il me semble que se priver de l'aggravation en cas de récidive n'est pas opportun.
Je suis défavorable à l'amendement n° 215 de M. Dreyfus-Schmidt. Je viens d'argumenter sur la notion de récidive à propos de l'amendement n° 31 de la commission.
L'amendement n° 171 de MM. Bret et Duffour pose l'importante question du critère du trouble à l'ordre public que nous retrouvons dans l'amendement n° 216 de M. Dreyfus-Schmidt.
Vous voulez supprimer ce critère comme critère de placement en détention provisoire. Grâce à la jurisprudence, les juristes savent, eux, ce qu'est la définition de la notion d'ordre public.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas nous, merci !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il est vrai que, dans certains cas - pas dans celui que vous avez cité, monsieur Dreyfus-Schmidt qui comportait beaucoup de motifs autres que celui de trouble à l'ordre public - c'est le seul critère de placement en détention.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par exemple ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Premier exemple, un chauffeur routier, sous l'emprise de l'alcool, tue dans un accident trois enfants à la sortie de l'école. Il a des garanties. Les faits sont clairs. Il assume. Son comportement cause dans la commune des manifestations violentes qui justifient son placement en détention.
M. Jean-Jacques Hyest. Donc, il y a un autre motif !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Non, dans ce cas, c'est le trouble à l'ordre public !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a des CRS pour cela !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Second exemple : dans une cité de banlieue, des manifestations ont lieu après qu'une personne a tué avec un fusil depuis sa fenêtre un jeune au pied de l'immeuble. Cette personne reconnaît les faits et n'a pas l'intention...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Permettez-moi quand même !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je crois que, dans certains cas, l'invocation du motif de l'ordre public est le seul motif et il serait difficile de s'en passer.
Je reconnais que la question n'est pas simple, et je suis tout à fait disposée à poursuivre la discussion au cours de la navette. Mais, en l'état, je ne peux pas être favorable aux amendements identiques n°s 171 et 216, et j'adopte la même position que celle qui avait été la mienne à ce stade de la discussion à l'Assemblée nationale.
Evidemment, je suis favorable à l'amendement n° 32 de la commission des lois puisqu'il vise à revenir au texte originel du projet de loi déposé par le Gouvernement.
Enfin, je suis défavorable à l'amendement n° 262, qui, de toute façon, me semble ne plus avoir d'objet.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 101, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Après une première épreuve déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 31.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je cherche la confirmation de ce que m'a indiqué Mme le garde des sceaux, et dont je ne doute pas, quant au dernier alinéa de cet amendement - M. le rapporteur va me rassurer.
Je lis : « La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions prévues à l'article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. »
Mme le garde des seaux me dit que c'est le juge de la détention provisoire qui statue sur la révocation de la détention provisoire. Je ne trouve pas cette mention dans le texte. Je vous remercie de me le confirmer, monsieur le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cette phrase se trouve à la page 284 du tableau comparatif.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous remercie.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je comprends le souci de simplification et de clarification de la commission des lois, mais je ne suis pas tout à fait sûr que son texte soit plus favorable que celui du Gouvernement, ce qui m'ennuirait fort, parce que je suis partisan d'augmenter le seuil au-dessous duquel la détention provisoire est interdite.
Simplifier, c'est bien, mais, selon la nature des délits, les seuils devraient être différents.
J'ai d'ailleurs rappelé - je ne suis pas sûr qu'on y ait prêté attention - que, d'une manière générale, le code pénal a aggravé toutes les peines.
M. Robert Badinter. C'est vrai, hélas !
M. Jean-Jacques Hyest. Avant, il y avait un minimum et un maximum ; aujourd'hui, pratiquement pour tous les délits, les peines sont plus élevées. Si l'on ne tenait pas compte de cette aggravation, cela signifierait que nous serions plus sévères que naguère, ce que je regretterais profondément. Mais il reste la navette.
Je me rallie au texte de la commission, mais je ne suis pas sûr qu'il soit plus favorable que celui du Gouvernement.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Notre texte est plus favorable en tout cas sur un point : nous ne prenons pas en compte la récidive.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, c'est vrai !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Là, c'est une zone sûre.
M. Jean-Jacques Hyest. Mais les autres ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Vous faites allusion surtout à la technique du nouveau code pénal qui dit « au maximum la peine de ... »
Le Gouvernement nous a cité quelques cas dans lesquels notre texte paraît affaiblir la répression. Moi, j'avais une grille - mais je n'ai pas voulu alourdir le débat - qui démontrait qu'il était tout à fait anormal de mettre en détention provisoire les auteurs de certaines infractions punies de deux ans d'emprisonnement.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Quand il s'agit des seuils. Je ne crois pas que l'on gagne à la complexité.
Je regardais l'état actuel du droit. En matière criminelle, tout le monde est d'accord ; en matière correctionnelle, on ne se réfère pas à tel ou tel livre du code pénal, c'est : peine encourue égale ou supérieure à un an d'emprisonnement en cas de délit flagrant, à deux ans d'emprisonnement dans les autres cas. C'est clair, c'est simple.
Le projet de loi prévoit, dans sa rédaction actuelle, je le dis simplement, que la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, compte tenu, le cas échéant, de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive.
Par rapport à la formule proposée par la commission, trois ans, c'est d'une grande clarté sans prendre en compte la récidive. Quant aux précisions données en fonction de tel ou tel délit prévu aux livres II ou IV du code pénal, je vais donner mon sentiment. Je ne crois pas que ce texte, s'il est voté, fera le bonheur des étudiants à venir et j'imagine déjà le visage de celui qui tirera au sort parmi les papiers de l'examinateur, le jour de son examen, les conditions de placement en détention provisoire comme sujet !
La clarté a, soyez-en sûrs, de grands mérites pédagogiques pour nous tous, et même pour les magistrats !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Il y a l'amendement n° 31 pour faire le bonheur des étudiants !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements n°s 215 et 261 n'ont plus d'objet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils sont satisfaits !
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 171 et 216, repoussés par la commission et par le Gouvernement.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 32.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je veux dire à Mme le garde des sceaux, pour la rassurer, qu'il est sans doute nécessaire, ou en tout cas possible, de mettre en détention provisoire, pour le protéger, celui qui tire depuis son immeuble, c'est l'article 144, 2°,...
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ...ainsi que le chauffard qui a écrasé des enfants, pour garantir son maintien à la disposition de la justice. Nul besoin de la notion d'ordre public.
Je suis tout à fait navré de ne pas avoir eu sous les yeux l'amendement n° 171, j'aurais en effet pris la parole avant sa mise aux voix. Mais cette explication de vote sur l'amendement n° 32 m'a donné l'occasion de dire ce qui aurait dû l'être alors. De plus, nous aurons sans doute l'occasion de revenir sur ce point puisque, grâce à l'amendement n° 32 de la commission, l'article reste en navette. Je voterai donc cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 32, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 262.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 262 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 15, modifié.

(L'article 15 est adopté.)

Article additionnel après l'article 15