Séance du 25 juin 1999
M. le président.
« Art. 17. _ Après le premier alinéa de l'article 145-2 du même code, il est
inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au
delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de
réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres
cas. Ces délais sont portés respectivement à trois et quatre ans lorsque le
juge d'instruction a délivré une commission rogatoire internationale. Les
dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables lorsque
plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV de la première partie du code
pénal sont reprochés à la personne mise en examen ou lorsque la personne est
poursuivie pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de
fonds ou pour un crime commis en bande organisée. »
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune.
Par amendement n° 34, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit le second alinéa de cet article :
« La personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire
au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de
réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres
cas. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables
lorsque la personne est poursuivie pour trafic de stupéfiants, terrorisme,
proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.
»
Par amendement n° 220, M. Dreyfus-Schmidt propose, après les mots : « au-delà
de deux ans », de supprimer la fin de la première phrase et les deuxième et
troisième phrases du second alinéa de l'article 17.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 34.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Par cet
amendement n° 34, la commission des lois a exprimé le souhait de garder le
système de l'Assemblée nationale en ce qui concerne la durée de la détention en
matière criminelle, tout en supprimant, comme critères de la prolongation de la
détention, celui de la délivrance d'une commission rogatoire internationale et
celui de crimes multiples.
Le système proposé par la commission garantit autant l'efficacité de la
procédure.
Nous ne jetons pas la suspicion, loin de là, sur les magistrats
instructeurs,...
M. Michel Charasse.
Oh non !
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale. ... mais
nous estimons que le critère du lancement d'une commission rogatoire
internationale a un caractère trop discrétionnaire, qui peut être source de
situations contestables.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour présenter l'amendement n° 220.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet amendement vise également à supprimer la prolongation de la détention
provisoire en cas de commission rogatoire internationale. Nous sommes donc
d'accord.
Cependant, pour simplifier le débat, je souhaite transformer mon amendement en
un sous-amendement à l'amendement n° 34 tendant à en supprimer la dernière
phrase.
M. le président.
Il s'agit donc du sous-amendement n° 220 rectifié, déposé par M.
Dreyfus-Schmidt et tendant à supprimer la seconde phrase du texte présenté par
l'amendement n° 34.
Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il résulte en effet du texte de l'article 17 dans sa rédaction actuelle et de
l'amendement n° 34 de la commission que, en cas de trafic de stupéfiants, de
terrorisme, de proxénétisme, d'extorsion de fonds ou de crime commis en bande
organisée, les dispositions ne sont pas applicables, c'est-à-dire que la
détention provisoire est illimitée.
C'est absolument inadmissible, car tout homme, quoi qu'il ait fait, a droit à
être jugé et fixé sur son sort dans des délais raisonnables.
J'ajoute qu'il ne suffit pas d'être poursuivi pour être coupable. Je me
souviens à ce propos d'une vieille histoire que racontait maître Floriot.
L'intéressé avait été condamné à mort pour incendie volontaire alors que les
faits n'étaient pas prouvés. Le président du jury avait répondu à l'avocat
interloqué par une telle sentence : « Ce n'était peut-être pas prouvé, mais un
incendie volontaire c'est grave ! »
Les crimes sont très graves, mais cela ne veut pas dire que les personnes sont
coupables. Une détention provisoire illimitée me paraît tout à fait anormale.
Trois ans, c'est déjà beaucoup, et c'est la raison pour laquelle nous proposons
de supprimer la dernière phrase de l'amendement n° 34.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 220 rectifié ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La commission des lois n'a pas pu examiner ce
sous-amendement. Cependant, l'analyse que j'en fais me conduit à considérer
qu'il est tout de même trop éloigné de l'amendement n° 34, par lequel nous
avions voulu maintenir le système de l'Assemblée nationale.
Je rappelle que, au titre de la cohérence, nous avons adopté le même système
pour la détention en matière correctionnelle. Nous n'allons pas, maintenant,
changer de système pour des faits encore plus graves.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 34 et sur le
sous-amendement n° 220 rectifié ?
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement. Mme le garde des sceaux, qui
va vous rejoindre dans quelques instants, mesdames, messieurs les sénateurs,
m'a demandé de bien vouloir la suppléer et de donner le sentiment du
Gouvernement sur cet amendement affecté maintenant d'un sous-amendement.
Le Gouvernement n'est évidemment pas favorable à l'amendement, car il supprime
l'hypothèse de la commission rogatoire internationale, qui allonge de un an la
durée maximale de la détention provisoire en matière criminelle. Cette question
a déjà été vue, je crois.
De surcroît, il supprime de l'exception aux « délais butoirs » l'hypothèse de
la pluralité de crimes, qui me paraît pourtant essentielle.
L'instruction concernant une personne poursuivie pour une série de meurtres ou
de viols durera nécessairement plus longtemps que celle qui concerne une
personne à qui est reproché un acte unique.
Cela est d'autant plus vrai que c'est souvent après un certain temps que l'on
découvre qu'une personne poursuivie pour ce type de faits peut se voir imputer
d'autres crimes similaires.
L'amendement n° 34 obligerait les juges d'instruction à scinder les
procédures, à renvoyer la personne pour certains crimes, tout en continuant
d'instruire sur les autres crimes qui lui sont reprochés.
Il en résulterait que la personne ferait l'objet de plusieurs procès d'assises
pour des faits de même nature, procès qui aboutiraient à des condamnations qui
seraient automatiquement confondues.
Ces procès d'assises pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un appel le jour où
l'appel en matière criminelle sera institué.
On aboutirait à ce que la personne soit jugée à deux, trois ou quatre
reprises, alors qu'un seul procès aurait pu être organisé si la durée de la
détention provisoire n'avait pas été enserrée dans un carcan aussi rigide.
Une telle solution paraît donc difficilement compréhensible et très lourde. Je
vous demande donc de ne pas adopter cet amendement.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Je tiens seulement à préciser à M. le ministre que la
commission a abandonné l'idée selon laquelle la multiplicité des crimes
pourrait justifier une prolongation de la détention.
Nous allons aborder maintenant un amendement qui, pour la commission, est
essentiel, et qui concerne ce que nous appelons la « soupape », même si ce
terme n'est pas très élégant ; cette soupape permet précisément d'allonger la
durée de la détention provisoire.
Nous avons préféré à la notion de crimes multiples la possibilité que nous
laisserons à la chambre d'accusation, dans des cas précis, d'augmenter la durée
de la détention provisoire ?
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 220 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je regrette que ni le Gouvernement ni la commission n'aient tenté de justifier
une détention provisoire illimitée. J'avais dit que cela me paraissait
impensable au regard des principes du droit, en particulier de la Convention
européenne des droits de l'homme. Je n'ai pas eu de réponse sur ce point, je le
regrette ; le débat me paraît de ce fait tronqué.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 220 rectifié, repoussé par la
commission et le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 34, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 17, ainsi modifié.
(L'article 17 est adopté.)
Article additionnel après l'article 17