Séance du 25 juin 1999
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 68, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, après l'article 33, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la seconde phrase du quatorzième alinéa (12°) de l'article 138 du même
code, les mots : "le juge d'instruction doit saisir le conseil de l'ordre qui
statue" sont remplacés par les mots : "seul le conseil de l'ordre, saisi par le
juge d'instruction, peut prononcer cette mesure, sous le contrôle de la cour
d'appel". »
Par amendement n° 249, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 33, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "d'un avocat", la fin de la seconde phrase du quatorzième
alinéa (12°) de l'article 138 du code de procédure pénale est ainsi rédigée :
"le conseil de l'ordre, saisi par le juge d'instruction, a seul le pouvoir de
prononcer cette mesure à charge d'appel, dans les conditions prévues aux
articles 23 et 24 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971". »
Par amendement n° 271, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 33,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 139 du code de procédure pénale, un article
additionnel ainsi rédigé :
«
Art. ... - Lorsqu'un avocat a fait l'objet de l'interdiction prévue
par le 12° de l'article 138 en raison de faits commis dans l'exercice ou à
l'occasion de l'exercice de ses activités de défense, il peut, au plus tard le
jour suivant la décision du juge d'instruction, saisir en référé le président
de la chambre d'accusation ou, en cas d'empêchement, le magistrat qui le
remplace, pour qu'il ordonne la mainlevée de cette interdiction. Le président
statue, par ordonnance motivée, après un débat contradictoire au cours duquel
il entend les observations du procureur de la République puis de l'avocat,
assisté, le cas échéant, de son conseil, au plus tard le troisième jour
ouvrable suivant sa saisine. A défaut pour le président de la chambre
d'accusation de statuer dans les délais prescrits, la mainlevée de
l'interdiction est acquise de plein droit. Le bâtonnier de l'ordre des avocats
peut, à sa demande, présenter des observations écrites ou orales devant le
président de la chambre d'accusation. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 68.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. C'est la conséquence de l'adoption de l'amendement n° 64, à
l'article 31
ter.
Il s'agit d'insérer parmi les dispositions finales du projet de loi un article
que l'Assemblée nationale avait inséré dans le chapitre sur les victimes.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 249.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'avoue être véritablement stupéfait de constater que la plus haute
juridiction, la Cour de cassation, s'est délibérément « assise » sur ce qui
était la volonté très nette du législateur.
J'ai également été étonné par les explications que Mme le garde des sceaux a
données à l'Assemblée nationale et par la motivation de l'amendement n° 271 du
Gouvernement qu'elle nous présentera tout à l'heure.
De quoi s'agit-il ? Le législateur a décidé que seul le conseil de l'ordre est
compétent pour prendre la décision lorsque le juge d'instruction envisage
d'interdire à un avocat l'exercice de sa profession au titre du contrôle
judiciaire.
Mais, selon Mme la garde des sceaux, qui nous le rappelle, dans l'objet de son
amendement n° 271, cette disposition serait contraire au principe de l'égalité
des citoyens parce que les avocats bénéficieraient d'un traitement
particulier.
Me Devedjian a parfaitement expliqué à l'Assemblée nationale que, pour un juge
d'instruction, un avocat ce n'est pas la même chose qu'un notaire, un médecin
ou un épicier ! D'ailleurs, Mme la garde des sceaux le reconnaît implicitement
puisqu'elle admet que des « précautions particulières » - je cite l'objet de
son amendement n° 271 - « doivent être prises lorsque des poursuites sont
engagées contre un avocat en raison d'actes accomplis dans l'exercice de ses
activités de défenseur, afin d'éviter qu'il ne soit porté atteinte aux droits
de la défense ». Ce n'est donc pas la même chose, nous en sommes d'accord.
Mais qu'a voulu le législateur en inscrivant le texte actuel dans la loi ?
Je lis ce que disait M. Michel Pezet, le 9 octobre 1992, à l'Assemblée
nationale :
« Cet amendement a été déposé après que certains de nos collègues
parlementaires eurent été saisis d'un problème d'actualité.
« Non pas que nous voulions légiférer dans le cadre de l'actualité, mais
l'actualité nous pose un problème...
« Des juges d'instruction peuvent être conduits à instruire contre un avocat
et prononcer immédiatement, comme c'est leur droit, une interdiction d'activité
professionnelle, au titre des peines accessoires. Les répercussions d'une telle
interdiction sont considérables, tant à l'égard des règles régissant les
rapports de l'avocat avec son client, qu'à l'égard de l'avocat lui-même en tant
qu'auxiliaire de justice ou des rapports entre l'avocat avec ses propres
collègues.
« Si un juge d'instruction estime qu'un avocat peut être effectivement
suspendu de son activité professionnelle, il doit au préalable saisir le
conseil de l'ordre qui statue conformément à la loi. » C'était tout à fait
clair !
M. Pezet poursuivait : « Je le répète, le statut de l'avocat doit
impérativement être protégé au sein d'un système démocratique comme le nôtre.
»
Quant au président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M.
Gérard Gouzes, il disait alors, en 1992 : « Je tiens simplement à dire que cet
amendement reçoit mon total assentiment. »
Le garde des sceaux de l'époque donnait l'avis du Gouvernement suivant : «
L'amendement aurait pour effet de subordonner l'application d'une règle
générale de procédure pénale à la décision d'une instance disciplinaire
professionnelle, ce qui n'est pas acceptable. »
Cela étant, l'amendement a été adopté à l'Assemblée nationale et au Sénat, et
il est devenu la loi.
Cela n'a pas empêché la Cour de cassation de dire très exactement le contraire
et d'estimer que le juge d'instruction a une compétence pleine et entière pour
apprécier, et que s'il saisit le conseil de l'ordre au point de vue
disciplinaire, il peut néanmoins prendre la décision lui-même et sans attendre
la décision du conseil ou de la cour d'appel.
Cela devrait être un délit, dirait Michel Charasse, et je suis de cet avis,
pour une juridiction que de s'asseoir ainsi sur la volonté du législateur !
M. Jean Chérioux.
Inadmissible ! Scandaleux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est pourquoi il a été rétabli dans la loi, par un texte qui nous vient de
l'Assemblée nationale, que « seul le conseil de l'ordre peut, sous le contrôle
de la cour d'appel, etc. »
Nous voulons, pour notre part, préciser que la cour d'appel n'exerce pas
simplement un contrôle ; en effet, c'est elle qui décide en dernière analyse
parce que, en vertu de l'article 24 de la loi sur la profession d'avocat, la
décision du conseil de l'ordre en matière disciplinaire peut être déférée à la
cour d'appel par l'avocat intéressé ou par le procureur général.
Cette procédure n'est donc pas seulement placée sous le contrôle de la cour
d'appel, elle est à charge d'appel. Nous le précisons dans notre amendement,
nous le soulignons pour qu'il n'y ait pas de discussion possible.
Mais, je le répète, madame la garde des sceaux, veuillez constater ce que je
vous dis, c'est-à-dire que la décision qui a été prise par l'Assemblée
nationale et également par le Sénat - j'ai ici le compte rendu des débats de
l'Assemblée nationale du 20 novembre 1992 - a été adoptée sans aucune
discussion ; l'Assemblée nationale et le Sénat l'ont fait en connaissance de
cause.
Nous voulons aujourd'hui que les choses soient claires et que ni les juges
d'instruction ni la Cour de cassation ne puissent dire le contraire de ce qu'a
voulu et de ce que veut toujours le législateur.
M. Jean Chérioux.
Scandaleux !
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux pour défendre l'amendement n° 271.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. L'objet de cet amendement est de concilier les
prérogatives du juge d'instruction et la nécessaire garantie des droits de la
défense.
En introduisant une disposition procédurale qui permettra une décision
extrêmement rapide de la chambre d'accusation saisie par un avocat placé sous
contrôle judiciaire, cet amendement répond, je crois, au souci manifesté par le
Sénat.
M. le président.
Quel est donc l'avis de la commission sur les amendements n°s 249 et 271 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l'amendement n°
249 et a donc décidé de retirer l'amendement n° 68.
M. le président.
L'amendement n° 68 est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Par voie de conséquence, la commission n'est pas favorable à
l'amendement n° 271, parce que cette passerelle rapide que vous établissez,
madame le garde des sceaux, pour saisir la chambre d'accusation, ne règle pas
le problème comme il doit être réglé. Vous savez très bien en effet que,
lorsque le conseil de l'ordre prend une décision, l'appel de cette décision est
susceptible d'être extrêmement rapide également, et cet appel peut remettre les
choses en l'état.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 249 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Les dispositions de l'article 31
ter du projet
de loi adoptées par l'Assemblée nationale retirent au juge d'instruction la
possibilité d'interdire à un avocat mis en examen et placé sous contrôle
judiciaire l'exercice de sa profession, même si les faits qui lui sont
reprochés ont été commis à l'occasion de cet exercice et qu'ils risquent de se
renouveler. Cette interdiction ne pourrait plus être prononcée que par le
conseil de l'ordre, à la demande du juge d'instruction et sous le contrôle de
la cour d'appel.
Je suis, bien sûr, tout à fait d'accord pour que des garanties procédurales
fortes et effectives soient prises lorsque des poursuites sont engagées contre
un avocat en raison d'actes accomplis dans l'exercice de ses activités de
défenseur, afin d'éviter qu'il ne soit porté atteinte aux droits de la défense.
Mais la solution adoptée par l'Assemblée nationale et que l'amendement n° 249
vise à reprendre n'est absolument pas satisfaisante.
Cette règle porte en effet une atteinte à l'égalité des citoyens devant la loi
qui ne me paraît pas justifiée par la différence de situation. Elle présente
par ailleurs d'importants effets pervers, puisque l'avocat peut toujours être
placé en détention provisoire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On prend le risque !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Laissez-moi vous donner deux exemples, concernant des
affaires récemment portées à ma connaissance.
Le premier concerne des poursuites pour escroquerie contre un avocat dont la
seule activité - je dis bien la seule - consistait à intenter de façon
habituelle des procès civils contre des sociétés et à monnayer son
désistement.
M. Pierre Fauchon.
Pas bête !
(Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Le second exemple concerne des poursuites pour
subornation de témoin contre un avocat qui, dans une affaire de viol sur
mineur, a fait pression sur la victime et sur ses parents pour qu'elle revienne
par écrit sur ses déclarations.
Dans ces deux cas, l'avocat a été placé sous contrôle judiciaire avec
interdiction d'exercer son activité. Supposons que votre amendement soit
adopté. Que fera le juge ? Il saisira le conseil de l'ordre. Mais celui-ci n'a
aucun délai pour statuer. Tant que la décision n'intervient pas, l'avocat peut
continuer ses activités délictueuses. Si le conseil de l'ordre ne suspend pas
l'avocat, le parquet peut saisir la cour d'appel, qui aura le dernier mot...
mais après de longs mois de procédure.
Dans ces conditions, je ne vois pas comment le juge d'instruction peut faire
autrement que de demander au juge de la détention provisoire l'incarcération de
l'avocat poursuivi. Dans le premier exemple cité, notamment, cette mise en
détention est en effet la seule solution pour éviter la continuation des
infractions. Et ce n'est que lorsque le conseil de l'ordre, saisi selon les
voies habituelles, aura suspendu l'avocat, que la remise en liberté de ce
dernier pourra intervenir...
La seule solution satisfaisante est, tout en conservant au juge d'instruction
ses prérogatives en matière de contrôle judiciaire, d'instituer dans une telle
hypothèse, et dans des délais très courts, un contrôle de la part du président
de la chambre d'accusation, devant lequel le bâtonnier de l'ordre des avocats
pourrait formuler ses observations.
C'est la solution que je propose par l'amendement n° 271, que je vous demande
d'adopter.
J'observe que cette solution est exactement de même nature que celle qui est
prévue par des amendements qui viendront tout à l'heure en discussion et qui
concernent les perquisitions dans les cabinets d'avocats, pour lesquelles il
est proposé de conserver les prérogatives des magistrats enquêteurs et
d'instituer un recours immédiat et efficace.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 249.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je veux remercier Mme la garde des sceaux de vouloir protéger les avocats
délinquants contre l'avis du conseil de l'ordre du barreau de Paris en
particulier, et les autres aussi, qui soutiennent notre position.
Nous ne contestons pas le droit pour un juge d'instruction, si les conditions
sont remplies, de placer un avocat délinquant en détention provisoire. Que les
choses soient bien claires ! Le risque, nous le prenons.
En revanche, lorsque vous écrivez dans l'objet de l'amendement : « les
dispositions de l'article 31
ter du projet de loi adoptées par
l'Assemblée nationale retirent au juge d'instruction la possibilité d'interdire
à un avocat mis en examen et placé sous contrôle judiciaire l'exercice de sa
profession », je vous réponds que ces dispositions ne lui retirent rien du
tout.
En effet, à la lecture de l'article 138 du code de procédure pénale, on se
rend compte que « le contrôle judiciaire peut être ordonné par le juge
d'instruction » avec, par exemple, l'une des obligations ci-après : « 12° - loi
du 6 août 1975 - ne pas se livrer à certaines activités de nature
professionnelle ou sociale, à l'exclusion de l'exercice des mandats électifs et
des responsabilités syndicales, lorsque l'infraction a été commise dans
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ces activités et lorsqu'il est à
redouter qu'une nouvelle infraction soit commise. » Et là, intervient la loi du
4 janvier 1993 : lorsque l'activité concernée est celle d'un avocat, le juge
d'instruction doit saisir le conseil de l'ordre qui statue comme il est dit à
l'article 23 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques.
Aussi, je le répète, l'article tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale
ne retire pas du tout des droits au juge d'instruction mais réagit légitimement
au fait que, au contraire certains juges d'instruction se sont octroyé des
droits qu'ils n'avaient plus depuis la loi de 1993.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 249, accepté par la commission et repoussé
par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 33, et l'amendement n° 271 n'a plus d'objet.
Article 34
M. le président.
L'article 34 a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Articles 35 à 37